Title: Comment on Prononce le Français
Author: Philippe Martinon
Release date: August 4, 2019 [eBook #60052]
Most recently updated: January 24, 2021
Language: French
Credits: Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
Proofreading Team at http://www.pgdp.net.
Table des Matières
Index alphabétique des finales Index alphabétique des principaux mots et noms propres Notes |
COMMENT ON PRONONCE
LE FRANÇAIS
18ᵉ A 27ᵉ MILLE
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
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Comment on parle en français. La langue parlée correcte comparée avec la langue littéraire et la langue familière.
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Dictionnaire complet, méthodique et pratique des Rimes françaises, précédé d’un traité de versification. Ouvrage composé sur un plan tout à fait nouveau. Un volume in-12 de 300 pages.
(Librairie Larousse.)
PH. MARTINON
Docteur ès lettres
Traité complet de
prononciation pratique
avec les noms propres
et les mots étrangers
LIBRAIRIE LAROUSSE
13-17, rue Montparnasse. Paris
TOUS DROITS DE REPRODUCTION,
DE TRADUCTION, D’ADAPTATION ET D’EXÉCUTION
RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS.
COPYRIGHT 1913, BY THE LIBRAIRIE LAROUSSE, PARIS.
A MA FEMME,
Parisienne de Paris
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L’AUTEUR,
Parisien de province.
TABLE DES MATIÈRES |
Deux grammairiens, Domergue et Mᵐᵉ Dupuis, ont publié en 1805 et 1836 des traités de prononciation qui ont longtemps fait loi[1]. On voit qu’ils remontent un peu loin. Et pourtant, depuis cette époque, il n’en a guère paru de satisfaisants. Je n’en connais pas du moins qui n’ait de graves défauts.
D’abord ils sont inexacts, je veux dire qu’ils renferment de nombreuses erreurs, parfois des erreurs énormes, soit qu’ils conservent, par un respect excessif de la tradition, des manières de prononcer qui sont tout à fait sur années, soit qu’au contraire, ils accueillent avec une facilité déplorable des prononciations qui ont peut-être l’avenir pour elles, mais qui en attendant sont désagréables au plus haut degré[2]. {ii}Chose fâcheuse à constater, les meilleurs travaux sur la matière sont encore ceux des étrangers. Mais comment espérer qu’un étranger puisse vraisemblablement nous enseigner notre prononciation? Ch. Nyrop lui-même, qui fait autorité en ce qui concerne la grammaire historique de notre langue, ne peut pas ne pas commettre des erreurs[3].
Un autre défaut des traités de prononciation contemporains, c’est qu’ils sont très incomplets. Seul Lesaint s’est donné la peine de faire une revue complète, trop complète même, du vocabulaire. Je dis trop complète, parce qu’il donne des listes alphabétiques interminables de mots que personne n’emploie. Mais lui-même n’a pas prévu tous les cas intéressants ou douteux, tous ceux sur lesquels on peut ou on doit se poser des questions. Aurait-on donc tout prévu dans ce nouveau livre? Je ne l’affirmerai pas, et sans doute plus d’un point a dû échapper: en aucune matière on ne peut prétendre être parfaitement complet, et il peut y avoir des difficultés à côté desquelles on passe sans les apercevoir. Il reste toujours que l’on trouvera traités ici des problèmes, ou indiquées des prononciations qu’on chercherait vainement ailleurs. Pour les noms propres notamment, on sera très largement servi. Et les faits n’y seront pas énumérés, mais classés: les longues listes alphabétiques qu’on trouve ailleurs, et qui, dans leur désordre réel, que cache mal l’ordre apparent, rendent si peu de services, y seront remplacées par des classifications méthodiques et logiques.
Mais, dira-t-on, si les traités de prononciation sont incomplets, les dictionnaires ne le sont pas. N’y en a-t-il pas qui donnent la prononciation de tous les mots? Eh bien! c’est encore une erreur. Les dictionnaires, outre qu’ils sont un peu gros pour être d’un{iii} usage pratique, sont aussi très incomplets, d’abord parce qu’ils ne donnent généralement qu’une prononciation dans beaucoup de cas où on a le droit d’hésiter: or, quand les individus ont le droit d’hésiter, les livres ont le devoir de le faire; ensuite parce qu’ils oublient les flexions, qui sont capitales: ils donneront par exemple la prononciation de l’infinitif des verbes, mais celle de la première personne, dans la pluralité des cas, est beaucoup plus intéressante que celle de l’infinitif. Et puis les dictionnaires considèrent uniquement les mots isolés: or il importe souvent de les considérer dans le corps des phrases.
D’ailleurs les dictionnaires aussi renferment beaucoup d’erreurs. Celui qui aujourd’hui fait autorité en toute matière, le Dictionnaire général, de Darmesteter, Hatzfeld et M. A. Thomas, laisse autant à désirer au point de vue de la prononciation qu’au point de vue de l’étendue du vocabulaire[4]. D’abord sa doctrine paraît avoir varié sensiblement au cours de l’impression, et on y trouve d’étranges inconséquences[5]; de plus il paraît dans beaucoup de cas subordonner ses solutions à l’orthographe ou à l’étymologie, sans tenir assez de compte de l’usage véritable, indiquant ce qui doit être ou ce qui devrait être plutôt que ce qui est[6]. Au surplus, le dernier auteur du livre, qui n’était pas le principal responsable, a si bien reconnu le fait, que la prononciation a été l’objet d’une attention toute particulière dans la revision qui a été faite.{iv}
J’ai cru, néanmoins, devoir signaler en note les points principaux sur lesquels je suis en accord ou en désaccord avec le Dictionnaire général: le lecteur aurait pu me reprocher de ne pas faire connaître, dans un ouvrage qui veut être aussi complet que possible, l’opinion d’un livre aussi important; il pourra donc se prononcer lui-même en connaissance de cause.
Un autre dictionnaire qui semblerait aussi devoir faire autorité en la matière, c’est le Dictionnaire phonétique de la langue française par Michaëlis et Passy. Mais, malgré la préface complaisante (avec des restrictions d’ailleurs) de Gaston Paris, je crains bien que le second de ces auteurs n’ait dans ce livre une part singulièrement réduite. C’est encore l’œuvre d’un étranger, et elle fourmille d’erreurs étranges[7].
Ainsi les dictionnaires ne sont ni plus complets ni plus exacts que les traités de prononciation. Quant à la méthode, l’ordre alphabétique leur interdit d’en avoir une. Mais celle des meilleurs traités de prononciation, fort scientifique peut-être, n’est aucunement pratique. Ils partent en effet du son pour aboutir à l’orthographe. Comme méthode générale d’enseignement pour les étrangers, cela est sans doute excellent. Et d’autre part il peut être très intéressant pour tout le monde de savoir qu’un son donné, voyelle ou consonne, s’écrit de telles et telles manières différentes.{v} Mais ceux qui, sachant la langue par ailleurs, désirent simplement se renseigner sur des points particuliers, et ce sont de beaucoup les plus nombreux, ceux-là ne partent pas du son, car il ne s’agit pas pour eux d’apprendre l’orthographe; ils désirent au contraire apprendre quel est le son qui correspond correctement à une graphie donnée. Un livre pratique, un livre de vulgarisation, destiné aux Français aussi bien qu’aux étrangers, doit donc partir de l’orthographe exclusivement; il doit partir de ce qui se voit, qui est absurde peut-être, mais qui est fixe et certain, pour passer à ce qui s’entend, qui est souvent douteux ou discutable. Sans doute dans les livres il y a des tables... quelquefois, mais ce n’est pas assez; c’est dans le livre même que la méthode doit être pratique.
De plus, les meilleurs livres ont encore, je ne dirai, pas un défaut, mais un inconvénient au point de vue pratique: c’est de faire usage de signes spéciaux inusités ailleurs. Je sais tout ce qu’on peut dire en faveur des signes spéciaux, et combien il est plus aisé de marquer les sons avec précision et correction, lorsque chaque son a un signe unique, et chaque signe un son unique. C’est parfait au point de vue scientifique. Le malheur, c’est qu’un profane qui veut se renseigner et qui aperçoit ces signes dont il n’a pas l’habitude ferme le livre immédiatement. Il est bien certain qu’il a tort, mais qu’y faire? On aura beau simplifier, se réduire à une demi-douzaine de signes particulièrement indispensables, rien n’y fera. Les personnes les plus intelligentes, qui se rendraient immédiatement, si l’on avait deux minutes pour leur montrer verbalement la nécessité de ces signes, et combien leur usage est facile, ne feront pas elles-mêmes ce simple effort de deux minutes, qui leur serait nécessaire pour se rendre compte des choses avec une parfaite aisance. Elles fermeront le livre, comme les autres. Encore une fois, qu’y faire? Tant pis pour elles, dira quelqu’un! C’est{vi} parfait; mais alors on prêchera dans le désert! Or, quand on fait un livre de vulgarisation, c’est pour être lu du plus grand nombre, et il n’y a qu’un moyen de se tirer d’affaire, c’est celui de Mahomet: quand la montagne ne veut pas venir, il faut aller à elle! C’est pourquoi ce livre est imprimé d’un bout à l’autre avec les caractères de tout le monde. La méthode a des inconvénients: pense-t-on que je ne les voie pas? Elle sera certainement l’occasion de plus d’une erreur passagère, due à l’inattention du lecteur. Mais l’avantage qu’il y a d’atteindre la catégorie de lecteurs qui est de beaucoup la plus nombreuse compense largement quelques inconvénients, d’ailleurs assez médiocres en définitive.
Ce n’est pas tout. Les traités de prononciation se bornent généralement à énoncer les faits, sans les expliquer: on en trouvera ici l’explication, historique ou théorique, sauf erreur, toutes les fois qu’elle est possible et présente quelque intérêt. Et c’est précisément l’avantage principal que présentent les classifications méthodiques et logiques sur les simples listes alphabétiques. Les lecteurs qui ne peuvent tirer parti que de l’ordre alphabétique—j’espère que c’est la minorité—auront toujours la ressource de recourir à la table des principaux mois cités, qui fera l’office d’un dictionnaire; mais ceux qui préfèrent l’ordre véritable et non artificiel, ceux qui veulent de la méthode, trouveront ici, j’espère, quelques satisfactions, au moins dans les chapitres importants, comme ceux de l’S et du T, sans parler des voyelles[8].
Après avoir justifié la publication de ce nouveau traité, peut-être faut-il faire connaître au lecteur les{vii} principes généraux qui m’ont guidé dans sa composition, plus simplement, quelle est la prononciation que je tiens en général pour la meilleure. Sur ce point je suis tout à fait de l’avis de l’abbé Rousselot: ce n’est pas en province qu’il faut chercher le modèle de la prononciation française, c’est à Paris. Toutefois je ferai à ce principe quelques restrictions. La prononciation parisienne est la bonne, mais à condition qu’elle ne soit pas exclusivement parisienne, auquel cas elle devient simplement dialectale. Pour que la prononciation de Paris soit tenue pour bonne, il faut qu’elle soit adoptée au moins par une grande partie de la France du Nord. Dans bien des cas, il est permis d’opposer à la prononciation de Paris une autre prononciation, si elle est répandue dans la plus grande partie de la France. Que les Parisiens ferment l’a de lacer et lacet, je ne vois rien à redire à ce qu’on les imite, car ils ne sont pas les seuls: encore est-il au moins aussi légitime de l’ouvrir, s’il est ouvert un peu partout; mais si les Parisiens vont jusqu’à fermer l’a de cadenasser et matelasser, je pense que cette fois c’est peut-être trop, et qu’on peut préférer une prononciation plus répandue.
Il y a autre chose encore. Paris est grand, et il y a bien des mondes à Paris. «La langue varie, en effet, dit l’abbé Rousselot, suivant les quartiers, les conditions sociales, et les intentions du sujet parlant. Un Parisien de la haute classe ne parlera pas comme un homme du peuple. Et l’homme du peuple lui-même se gardera bien de parler devant un étranger, une personne qu’il respecte, comme avec un camarade... Donc le français à conseiller à tous est celui de la bonne société parisienne.» On ne peut que souscrire à un principe si judicieux. Malheureusement l’auteur ajoute presque immédiatement, en précisant ce qu’il appelle bonne société parisienne: «...L’enfant né à Paris est Parisien, et même l’enfant qui y arrive le devient très vite, à la condition qu’il fréquente une école popu{viii}laire.» Populaire? Mais alors voilà une bonne société qui est terriblement large. Et ceci est justement le défaut du Précis de prononciation de l’abbé Rousselot, outre qu’il est fort incomplet[9]. Autant l’auteur est inattaquable quand il s’agit des constatations générales de la phonétique expérimentale, dont il est le créateur et dont il est resté le maître, autant il prête à la critique, quand il s’agit de savoir à quelle espèce de gens il s’est adressé pour déterminer pratiquement l’usage dans les cas particuliers ou douteux. Quel fond peut-on faire, sur le témoignage de gens, des enfants sans doute, qui prononcent aighille pour aiguille? Cela seul suffit à ôter parfois toute valeur à ses statistiques, d’ailleurs fort réduites, et à ses conclusions.
On ne sera donc pas surpris d’apprendre que la phonétique expérimentale ne donne pas par elle-même de résultats définitifs sur les questions qui font l’objet de ce livre. Si l’on veut savoir de quelle manière on dispose ses organes pour faire entendre un a fermé ou articuler un p ou un s, on peut s’adresser à elle en toute confiance: ses instruments sont infaillibles; mais s’il s’agit de savoir dans quels mots l’a est ouvert ou fermé, dans quels mots on prononce ou on ne prononce pas le p, les phonéticiens expérimentaux n’en savent pas plus que les autres, et leurs instruments, sur ce point, ne serviront à rien, tant qu’ils n’auront pas fait prononcer les mêmes mots par un assez grand nombre de personnes, choisies expressément dans ce but. Or justement, le premier point, celui qui est expressément de leur compétence, n’est pas traité dans ce livre: je m’adresse aux gens qui savent suffisamment le français, et aux Français eux-mêmes encore plus qu’aux étrangers, et je suppose qu’ils savent comment les sons s’émettent, comment s’articulent les consonnes. C’est{ix} pourquoi ce livre ne fait pas double emploi avec les travaux de la phonétique expérimentale: il les complète.
Le principe général est d’ailleurs le même, autant que possible, que celui de la phonétique expérimentale, et l’on ne saurait aujourd’hui en concevoir d’autre: il ne s’agit plus d’ordonner péremptoirement ce qui doit être, mais de constater simplement ce qui est. Une prononciation admise généralement par la bonne société est bonne par cela seul, fût-elle absurde en soi. Si l’on me voit chemin faisant résister à certaines prononciations que je crois mauvaises, c’est qu’elles ne me paraissent pas encore très générales, et que la lutte est encore permise et le triomphe possible; autrement je passe condamnation, car il n’y a rien à faire contre les faits. La seule difficulté est de savoir à quel moment une mauvaise prononciation est assez générale pour qu’il faille s’incliner et la déclarer bonne; car il faut bien se mettre dans l’esprit que toute prononciation qui est bonne a commencé par être mauvaise, comme toute prononciation mauvaise peut devenir bonne, si tout le monde l’adopte.
Ce traité se divise naturellement en deux parties, une pour les voyelles et une pour les consonnes. Il est probable quelles seront pour le lecteur d’un intérêt fort inégal, et voici pourquoi: la première peut servir surtout à corriger les défauts de prononciation, autrement dit les accents régionaux; mais ceci ne peut se faire qu’avec des efforts soutenus dont peu de gens sont capables. La seconde, au contraire, corrige les fautes de prononciation, et ceci ne demande pas d’effort: souvent il suffit que le fait soit constaté une seule fois. Ainsi beaucoup de gens ont un accent déplorable, qui tiennent à parler fort correctement par ailleurs: c’est le cas de beaucoup de professeurs qui seraient très mal placés pour enseigner que l’o de rose{x} est fermé, alors qu’ils l’ouvrent outrageusement, et ne font même aucun effort pour le fermer, mais qui, d’autre part, sachant qu’on prononce dot avec un t, et comptable sans p, pratiquent cette prononciation et l’enseignent scrupuleusement.
D’ailleurs les voyelles sont très souvent flottantes: il y a tant de degrés dans leur ouverture. Qu’on les ouvre un peu plus ou un peu moins, dans une foule de cas, dans la plupart des cas, personne n’en est choqué, et on n’y attache pas une très grande importance. Mais qu’une consonne se prononce ou ne se prononce pas, c’est là souvent un fait précis, catégorique, sur lequel il n’y a pas de discussion possible, quand l’usage est suffisamment général; et beaucoup de gens tiennent particulièrement à savoir si, dans tel mot, telle consonne se prononce ou non.
J’ai donné néanmoins à la première partie tout le développement qu’elle comportait, mais je pense tout de même que ce livre servira plus à corriger les fautes que les défauts, lesquels souvent sont chers à ceux qui les ont.
Qu’il me soit permis, chemin faisant, d’attirer spécialement l’attention du lecteur curieux sur deux chapitres assez nouveaux, celui de l’e muet et celui des liaisons. La question de l’e muet a déjà été traitée une fois; mais je l’ai reprise sur un plan différent. Pour celle des liaisons, on s’en tient d’ordinaire à des conseils généraux: j’ai pris la peine d’entrer dans le détail et de classer méthodiquement les faits.
Enfin, je ne voudrais pas que le lecteur fût effrayé par l’abondance des notes, qui pourraient sembler faire de ce livre un travail d’érudition. Il n’en est rien. Ces notes, qui peuvent d’ailleurs être négligées par ceux qu’elles n’intéressent pas, ont un double objet. Elles contiennent d’une part la prononciation des noms propres, qui auraient sans doute encombré le texte. D’autre part elles donnent des renseignements qui{xi} peuvent être curieux sur les prononciations d’autrefois; elles permettent ainsi d’apprécier certaines rimes qu’on trouve chez les poètes classiques; elles font de plus savoir (s’ils l’ignorent) à ceux qui aiment les vieilles éditions, que toutes les consonnes qui jadis encombraient les textes ne se prononçaient d’ordinaire pas plus qu’aujourd’hui où on ne les écrit plus[10]. Enfin elles donnent parfois des explications complémentaires qui n’ont pas paru être à leur place dans le texte.
Après cela, et malgré les soins consciencieux que j’ai apportés à mon travail, il y aura sans doute dans ce livre plus d’une erreur. En tout cas, il est évidemment impossible qu’un lecteur qui a des opinions sur la matière ait exactement les mêmes que l’auteur sur tous les points. Si ce lecteur est particulièrement qualifié, il me suffira de ne différer d’avec lui que sur des points secondaires. Quant au lecteur qui cherchera ici des renseignements, j’espère qu’il ne s’égarera pas trop souvent. Et puis, je compte un peu sur la collaboration de mes lecteurs eux-mêmes pour perfectionner ce livre et le rendre plus utile, si le public lui fait bon accueil: toutes les observations sérieuses, appuyées sur une expérience suffisamment étendue, seront accueillies avec reconnaissance.{xii}
Cette nouvelle édition a été, comme les deux premières, soigneusement revue et a subi de nombreuses corrections et modifications.
C’est qu’un ouvrage semblable, sous peine de perdre une partie de sa valeur, doit suivre pas à pas les changements qu’apportent la mode et l’usage.
Dans leur vie brève ou longue, les mots voient leur sens évoluer; ils voient aussi leur prononciation se modifier.
Nous nous sommes efforcés, après la disparition de l’auteur de Comment on prononce le français et de Comment on parle en français, de tenir à jour avec un soin constant ces livres gui ont fait à Philippe Martinon la plus enviable réputation de technicien.
Il nous faut dire notre sincère gratitude à ceux qui, en grand nombre, nous ont transmis leurs observations. Ces observations, nous les avons examinées très attentivement et nous en avons tiré le plus grand profit.{1}
Quoique ce livre soit plutôt un ouvrage de vulgarisation, il n’est pas possible de traiter de la prononciation en faisant table rase des travaux de la phonétique. L’alphabet, tel qu’on l’enseigne aux enfants, ne peut vraiment suffire ici. D’une part, les voyelles ne sauraient se réduire à cinq, a, e, i, o, u[11]. D’autre part, il y a souvent deux ou trois consonnes pour un seul son, comme c, k, q, ou bien la même consonne a deux sons différents, comme c encore, ou g, ou t[12]; il y a même une lettre qui réunit ordinairement deux sons en elle: x, tandis que pour tel son unique nous employons deux lettres, comme ch ou gn. Tout cela fait beaucoup de confusion. Or, en matière de prononciation, les sons importent plus que les lettres, et, faute d’un alphabet phonétique, au moins faut-il mettre un peu d’ordre dans les caractères que{2} nous possédons. On nous permettra donc de commencer ce livre par une classification logique des sons, voyelles ou consonnes[13].
Pour ce qui est des voyelles, nous n’avons pas dessein d’entrer dans le domaine de la physiologie, pour expliquer en détail leurs différences d’émission, de timbre ou d’intensité: nous supposerons que le lecteur sait émettre les sons et les distinguer. Nous lui dirons donc tout de suite qu’il y a au moins dix voyelles essentielles, et l’on verra qu’il y en a davantage. En voici le tableau, car les explications se comprendront mieux ensuite:
è (ouvert), | é (fermé), | i. | |
a, eu (id.), | eu (id.), | u. | |
o (id.), | o (id.), | ou. | |
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Voy. ouvertes. | Voy. fermées. |
Il est bien évident qu’on ne saurait identifier l’é aigu avec l’è grave, ou, pour employer tout de suite des expressions qui seront plus commodes ailleurs, l’é fermé avec l’è ouvert, celui d’enflé avec celui d’austère[14]. On ne saurait confondre non plus l’eu{3} ouvert de jeune avec l’eu fermé de jeûne. Et il y a encore exactement la même différence entre l’o ouvert de couronne et l’o fermé de trône[15].
Ainsi, partant de l’a, qui est la voyelle type, celle qu’on prononce d’abord quand on ouvre la bouche naturellement et normalement, nous voyons les voyelles se répartir en trois séries divergentes: d’une part la série a, è, é, i, dont l’émission élargit progressivement la bouche sur les côtés en la fermant à demi; d’autre part, la série a, o ouvert, o fermé, ou, dont l’émission rapproche progressivement les coins de la bouche en l’arrondissant; enfin, entre les deux, la série a, eu ouvert, eu fermé, u, qui participe à la fois des deux autres: de la première par la position de la langue, de la seconde par les mouvements des lèvres. On se rendra compte facilement de ce rapport en passant successivement du son u au son i, par simple déplacement des lèvres, et au son ou, par déplacement de la langue seule, même sans avancer les lèvres; on passe de même de eu fermé à é, ou bien à o fermé, de eu ouvert à è, ou bien à o ouvert. Et cela fait bien dix voyelles.
Sur ces dix voyelles, six sont fermées, d’abord é, eu fermé, o fermé; ensuite et plus encore, i, u, ou. Les autres sont ouvertes.
On remarquera en passant que les trois voyelles extrêmes, les plus fermées, i, u, ou, quand elles sont suivies d’autres voyelles, s’en accommodent si bien qu’au lieu de faire hiatus, comme dans haïr ou dans Ésaü, elles font presque nécessairement diphtongue avec elles: diable, huit, douane: c’est ce que les grammairiens appellent synérèse. Pour parler plus{4} exactement encore, elles se transforment alors en semi-voyelles, ce qui veut dire que, n’étant plus voyelles qu’à moitié, car elles se prononcent plus rapidement que les voyelles vraies, elles font à peu près l’office de consonnes. Le w anglais de whist représente assez bien la consonne ou; il n’y a pas de signe courant pour représenter l’u consonne; mais l’i consonne s’écrit ordinairement au moyen de l’y, et s’appelle alors yod: c’est celui de l’anglais yes.
Mais ces dix voyelles ne sont pas tout. Le son de l’a n’est pas plus unique que celui de l’e ou celui de l’o. Les grammaires se bornent généralement à distinguer l’a long de l’a bref, patte et pâte, face et grâce, tache et tâche, et cette distinction a certainement son importance, même pour les voyelles autres que a; mais elle est insuffisante pour notre objet, car l’a de pars est aussi long que celui de pâte, sans avoir du tout le même timbre. La vérité est qu’on doit faire ici une distinction tout à fait analogue à celle qu’on fait si facilement pour e, o et eu. En effet, nous avons d’une part un a qui n’est jamais bref, et c’est celui de pâte, grâce ou tâche, et un autre a qui est généralement bref, mais qui peut être long, et c’est celui de patte, face, tache ou pars. Or nous verrons qu’il y a de même, par exemple, un o qui n’est jamais tout à fait bref, et c’est l’o fermé: domino, rose, grosse, et un autre o, qui est généralement bref, mais qui peut être long, et c’est l’o ouvert: pommes, poste et mort. Nous admettrons, au moins par analogie, et pour unifier les termes, qu’à côté de l’a ouvert proprement dit, il y a aussi un a fermé, celui de pâte[16].{5}
A ce second a, il faut encore ajouter l’e muet, appelé aussi e féminin, qui tantôt se prononce et tantôt ne se prononce pas, suivant les circonstances, et qui par suite n’est pas toujours muet, et cela fait bien douze voyelles.
En outre, à ces voyelles, qui sont dites orales, parce que l’air expiré passe uniquement par la bouche, on doit en ajouter d’autres, dites nasales, parce que l’air expiré passe par le nez en même temps que par la bouche. Elles sont quatre, an, in, on, un, qui n’ont rien de commun avec des diphtongues, et elles correspondent, non pas, comme l’indique l’orthographe, aux voyelles a, i, o, u, mais à peu près aux quatre voyelles ouvertes a, è, o, eu: on peut s’en rendre compte aisément, en passant de chacune de ces voyelles à la nasale correspondante. Et ce sont bien des voyelles simples: l’n n’est ici qu’un signe orthographique, qui, entendu autrefois, ne s’entend plus aujourd’hui en aucune façon, sauf dans le Midi, naturellement. Et cela fait seize voyelles.
En fait, il y en a bien davantage encore, et voici pourquoi. Sans doute une voyelle est fermée ou ne l’est pas, et pratiquement on ne voit pas qu’elle ait deux manières d’être fermée. Or, quand elle n’est pas fermée, elle est ouverte; mais c’est ici qu’il y a bien des degrés. L’e de périr a beau avoir le même accent aigu que celui de trompé, celui de trompé seul est fermé, et celui de périr est incontestablement ouvert, mais il l’est sensiblement moins que celui de père. On pourrait même dire qu’il y mathéma{6}tiquement une infinité de degrés dans l’ouverture d’un son quelconque. Sans entrer dans des distinctions scientifiques qui n’ont point d’intérêt pratique, on peut dire que l’é de périr, démontre, prépare, etc., est moyen, étant à égale distance de l’é fermé de trompé et de l’e tout à fait ouvert de père, souvent même plus près du second que du premier. De même il y a un o moyen, un eu moyen, et si les voyelles i, u, ou, ne sauraient être moyennes, étant toujours fermées, à l’autre bout il peut encore y avoir un a moyen.
Ce mot moyen a malheureusement un inconvénient: il est nécessaire par ailleurs pour caractériser la quantité des voyelles qui ne sont ni longues ni brèves. Nous veillerons donc à ce qu’aucune confusion ne puisse se produire dans l’esprit du lecteur entre ces deux sens, concernant le timbre et la quantité. Par exemple, en parlant du timbre, comme la caractéristique d’un son tel que l’é de périr est avant tout de n’être pas fermé, malgré son accent aigu, nous le qualifierons à l’occasion d’e légèrement ouvert ou à demi ouvert, quand il faudra le comparer à l’è grave, qui l’est tout à fait.
Ainsi nous nous en tiendrons à notre tableau des voyelles, qui peut suffire. On remarquera que trois d’entre elles sont écrites avec deux lettres. Ce furent jadis des diphtongues; mais il y a longtemps que ce n’en sont plus. L’orthographe a conservé le signe double, justifié autrefois, mais l’orthographe n’y change rien, et ce sont des voyelles. Mieux vaudrait assurément que chaque voyelle eût un signe propre, ou du moins qu’il y en eût un spécial pour eu, ouvert ou fermé, et un autre pour ou: nous n’avons pas cru devoir, dans un livre de vulgarisation, choquer les habitudes du lecteur par l’usage de signes phonétiques peu usités, et nous avons conservé l’orthographe courante.{7}
Il y a encore en français d’autres groupes de signes qui furent aussi jadis des diphtongues et depuis longtemps n’en sont plus, et que nous avons conservés tels quels: ai, ei, au, et aussi le groupe oi, sans parler d’œ et æ, qui furent diphtongues aussi, mais en latin. Ces groupes ne figurent pas dans le tableau, parce qu’ils y feraient double emploi; ils seront étudiés à la suite des voyelles simples auxquelles ils sont apparentés.
Même en laissant de côté les semi-voyelles, nous avons dix-huit consonnes simples.
1º Six muettes: b, c, d, g, p, t, ainsi nommées parce qu’elles ne se font sentir réellement qu’avec l’aide d’une voyelle[17]. On les appelle aussi momentanées, pour la brièveté de leur émission, et aussi explosives ou occlusives, parce qu’elles produisent une explosion plus ou moins brusque, après occlusion momentanée des organes de la parole.
Les muettes sont labiales, si la fermeture est faite par les lèvres: b, p; dentales, si elle est faite par la langue appuyée contre les dents: d, t; gutturales ou palatales, si elle est faite par la langue appuyée contre le haut du palais, plus ou moins près de la gorge: c, g. Mais surtout on les divise en deux catégories:
Les muettes fortes, ou explosives sourdes, qui ne sont accompagnées d’aucune résonance, et qu’on peut appeler brusques; on les reconnaît dans pa, ta, ca, ou ap, at, ac;
Les muettes douces, ou explosives sonores, qu’on peut appeler retardées, parce que la résonance interne{8} qui précède le son et l’adoucit a pour effet d’en retarder l’explosion; on les reconnaît dans ba, da, ga, ou ab, ad, ag.
2º Six spirantes: f, ch, j, s, v, z, dont l’émission est produite par une simple émission d’air, qui ne nécessite absolument ni l’occlusion momentanée des organes (un simple rétrécissement suffit), ni l’intervention d’une voyelle.
Les spirantes aussi sont labiales, quand elles rapprochent la lèvre inférieure des dents supérieures: f, v; dentales, quand elles rapprochent les dents supérieures des inférieures: s, z (ou c devant e et i); palatales, quand elles rapprochent la langue du palais: ch, j (ou g devant e et i). D’autre part les spirantes labiales sont appelées aussi fricatives; les dentales, sifflantes; les palatales, chuintantes. Mais les spirantes, comme les muettes, se divisent surtout en deux catégorie essentielles:
Les spirantes fortes, ou sourdes, sans résonance, f, s, ch;
Les spirantes douces, ou sonores, et par suite retardées, v, z, j.
3º Deux liquides: l et r.
Il y a diverses façons de prononcer l’r; mais il est bien inutile, à moins que ce ne soit pour le chant, de s’évertuer à retrouver l’r vibrant qu’on prononçait avec la pointe de la langue: cet r a disparu à peu près de l’usage, au moins dans les villes, et surtout à Paris, où on grasseye, la pointe de la langue appuyée contre les dents inférieures.
4º Deux nasales, qui étaient aussi qualifiées de liquides par les grammairiens grecs: m et n, l’une labiale, l’autre dentale.
5º Deux consonnes mouillées: l et n.
L’l mouillé s’écrit par ll après i: fille; par il ou ill{9} après a, e, eu, ou: bail, caille, soleil, pareil, deuil, feuille, bouille. Il s’écrit aussi lh ou ilh dans les noms méridionaux, comme Meilhac ou Milhau et gli en italien. A la vérité, le son véritable de l’l mouillé, que l’on confond souvent avec ly, est aujourd’hui perdu pour la plupart des Français, malgré les efforts suprêmes de Littré, et se confond désormais avec le simple yod[18].
L’n mouillé s’écrit gn; il se rapproche très sensiblement de l’n suivi de la semi-voyelle y, et se confond souvent avec lui.
6º A ces dix-huit consonnes simples il faut ajouter une consonne double, x, qui se prononce de diverses façons, mais qui en principe représente cs; et d’autre part l’h, qui ne se prononce plus guère, même quand il est aspiré, mais qui dans ce cas sert toujours à empêcher l’élision et la liaison.
Avant de commencer l’étude particulière des voyelles, une distinction capitale est à faire, celle des voyelles accentuées ou toniques, et des voyelles atones, car l’e dit muet n’est pas seul atone, et toute voyelle qui ne porte pas l’accent tonique s’appelle atone. Or l’accent tonique, très faible en français par comparaison avec les autres langues, est cependant très important, comme on va voir. Mais il ne faut pas le confondre avec l’accent dit oratoire, ou emphatique, qui est tout autre chose.{10}
L’accent oratoire se place sur la syllabe quelconque que l’on désire mettre en relief, et souvent même sur des mots complètement atones, comme je. Il se met en général sur la première syllabe des mots. Ch. Nyrop, le grammairien danois, qui est classique chez nous en matière de grammaire française, a relevé dans un cours public la phrase suivante, dont il a noté les accents d’après le débit du professeur: «Ainsi nous avons d’une part une progression croissante, d’autre part une progression décroissante.» On dirait de même: c’est un misérable; attention! impossible. Toutefois, si la première syllabe commence par une voyelle, l’accent oratoire se reporte le plus souvent sur la seconde, afin de faire vibrer la première consonne: insensé. Cela est particulièrement nécessaire quand il y a liaison avec le mot précédent, dont la consonne finale prendrait sans cela trop d’importance: c’est impossible et non c’est impossible. Paul Passy a noté que certains mots sont prononcés plus souvent avec cet accent qu’avec l’accent normal: beaucoup, extrêmement, terrible, ridicule, bandit, etc., et surtout des injures, comme cochon; mais tous ces mots reprennent l’accent normal, si on les prononce avec le calme parfait. Ainsi l’accentuation de beaucoup de mots est dans une sorte d’équilibre instable, qui se prête admirablement à l’expression de la pensée ou du sentiment, avec toutes leurs nuances[19]. Seulement l’accent oratoire, qui est arbitraire, peut bien exercer une grande influence sur l’intensité des voyelles: il n’en exerce aucune sur le timbre.
Il n’en est pas de même de l’accent tonique, qui est fixe, et qui vient directement du latin: malgré sa{11} faiblesse, il a conservé sa place originelle dans les mots de formation populaire, et il est uniquement sur la dernière syllabe masculine des mots, les syllabes muettes ne comptant pas: présage a l’accent tonique sur a, couronne sur o, quatrième sur è. D’ailleurs beaucoup de mots d’une et même deux syllabes, articles, pronoms, prépositions, conjonctions, s’appuient sur leurs voisins et n’ont pas d’accent propre ou très peu. D’autres mots ont un accent, et peuvent le perdre au profit d’un monosyllabe qui suit, lequel peut le perdre à son tour au profit d’un autre monosyllabe; ainsi dans les expressions laissez, laissez-moi, laissez-moi là, l’accent est toujours uniquement sur la dernière syllabe, c’est-à-dire successivement sur sez, sur moi et sur là[20]. Et il faut noter que l’accent oratoire ne détruit pas nécessairement l’accent tonique: dans je reste, tu t’en vas, l’accent oratoire peut être sur je et tu, mais cela n’empêche pas l’accent tonique d’être sur res et vas.
Cela posé, on comprend sans peine que les voyelles qui ont un accent tonique fixe ont beaucoup plus d’importance que les voyelles atones. Ce point est capital, et la question de savoir si une voyelle est ouverte ou fermée, longue ou brève, ne se pose réellement avec intérêt que si cette voyelle est tonique. En effet, les voyelles atones, n’ayant pas l’importance des autres, se prononcent presque toutes{12} plus ou moins légèrement, à moins d’une intention spéciale; aussi sont-elles rarement fermées et rarement longues; car on ne peut fermer ou allonger une voyelle que par un acte exprès de la volonté[21].
Ainsi les voyelles atones sont généralement assez brèves et assez ouvertes, sans l’être beaucoup; elles sont moyennes, dans tous les sens du mot, et diffèrent assez peu les unes des autres. On peut comparer pour la quantité les deux a de adage ou placard, où le second est beaucoup plus long que le premier, et pour l’ouverture, les deux o de folio ou siroco, où le second seul est fermé. On met le plus souvent un accent aigu sur l’e à l’intérieur des mots, quand il n’est pas muet; mais il ne s’ensuit pas que cet e soit fermé: il est, lui aussi, moyen dans tous les sens. Par exemple dégénéré a d’abord trois e à peu près identiques, et qui, malgré l’accent aigu qui les assimile au quatrième, sont en réalité aussi distincts de lui que de l’e ouvert et long qui termine le présent dégénère[22].
Ce phénomène est si général et si nécessaire, que la même syllabe changera son ouverture et sa quantité suivant la place qu’elle aura dans le mot, c’est-à-dire suivant qu’elle sera ou ne sera pas tonique. Nous venons de voir le troisième é de dégénérer s’allonger manifestement dans dégénère; inversement l’a de cave s’abrège dans caveau. Une voyelle tonique qui était fermée et longue s’ouvre à demi et s’abrège en perdant l’accent: bah, ébahir; une voyelle tonique qui était ouverte et longue se ferme à demi et s’abrège aussi: or, dorer; si bien que par exemple{13} l’e de pied, qui est fermé, et l’e de diffère, qui est ouvert, deviennent identiques, ni ouverts ni fermés (malgré l’accent aigu), dans piéton et différer.
Même si la syllabe ne se déplace pas dans le mot, il suffit qu’elle perde l’accent au profit du monosyllabe qui la suit, pour que son ouverture et sa quantité changent également: aime est moins ouvert et moins long dans aime-t-il, où l’accent est sur il, que dans il aime; peux est moins fermé et plus bref dans peux-tu que dans tu peux; êtes se prononce plus légèrement dans vous êtes fou que dans fou que vous êtes. Il n’est même pas besoin d’un monosyllabe héritant de l’accent du mot qui précède: il suffit qu’un mot accentué soit suivi immédiatement d’autres mots liés à lui intimement par le sens, pour que le seul affaiblissement de l’accent produise un léger changement d’ouverture ou de quantité, car l’accent qui n’est pas tout à fait final est toujours plus faible que l’accent final; ainsi aime, étant moins accentué, est aussi moins ouvert et plus bref dans je les aime depuis longtemps, articulé sans pause, que dans je les aime tout court.
On voit quelle est l’importance du phénomène: il se manifeste aussi bien dans les assemblages de mots que dans les mots considérés séparément. C’est un point qu’il ne faudra jamais perdre de vue dans l’étude des mots pris séparément. Nous le rappellerons d’ailleurs plus d’une fois au lecteur. Mais de toutes ces considérations il résulte que l’objet principal de la première partie de ce livre sera l’étude des voyelles toniques, qui sont de beaucoup les plus importantes. Quant aux voyelles atones, j’entends celles qui sont dans le corps des mots, nous ne laisserons pas d’en dire un mot à la suite dans chaque chapitre, mais seulement comme complément, et parce que le phénomène général dont on vient de parler ne se manifeste pas également dans tous les cas.{14} Il faut voir notamment dans quelles circonstances il peut se faire qu’une syllabe qui perd l’accent garde néanmoins en partie ses qualités premières.
En dehors de la distinction capitale que nous venons de faire entre les voyelles toniques et les atones, nous pouvons encore, avant de passer à l’étude des voyelles particulières, simplifier sensiblement la besogne par avance au moyen de deux observations générales concernant les voyelles toniques qui peuvent être ouvertes, a, e, eu, o.
C’est un fait constant que les groupes de consonnes abrègent la voyelle qui précède, et cela est vrai des toniques encore plus que des autres. Donc une voyelle tonique n’est jamais longue, et encore moins fermée, quand elle est suivie de deux consonnes articulées: secte, golfe. Je dis articulées toutes les deux, car d’une part une consonne double n’a jamais en fin de mot que la valeur d’une consonne simple; d’autre part, dans un mot tel qu’amante, on ne prononce qu’une seule consonne, l’n n’étant plus que le signe extérieur de la nasalisation; de même dans Duquesne, l’s ne sert plus qu’à allonger la voyelle. Mais si les deux consonnes sont articulées, elles produisent le même effet que l’atonie, et elles le produisent avec une régularité et une constance parfaites, que nous ne trouverons pas ailleurs. Par exemple, apte, arc, arche, taxe (car x=cs), etc., ou secte, berge, ferme, reste, vexe, etc., ou docte, dogme, golfe, porche, etc., ont la voyelle plus ou moins brève, suivant les cas, mais jamais longue et toujours ouverte, et ces finales n’ont jamais d’accent circonflexe[23].{15}
Toutefois, ces groupes de deux consonnes ne comprennent pas ceux où la seconde, mais la seconde seule, est une liquide, l ou r; car ceux-là sont traités en français comme s’ils ne faisaient qu’une seule consonne[24]. Ainsi les finales en -acle ou -adre, par exemple, peuvent être, comme nous le verrons plus loin, longues ou brèves, ouvertes ou fermées, et ne doivent pas être confondues avec les finales en -acte ou -apte, ou même -arle, toujours ouvertes, et toujours brèves ou moyennes; de même etre peut être long ou bref (être, mètre), tandis que -erte, fait des mêmes lettres, n’est jamais long; l’a est long et fermé dans sabre, tandis qu’il est nécessairement ouvert et moyen dans barbe, qui a les mêmes consonnes, et même dans marbre, qui en a une de plus.
Malgré cette restriction, il reste un nombre considérable de finales toniques dont nous n’aurons pas à nous occuper: plus de trente pour chacune des voyelles a, é, o[25]. Nous n’aurons donc à étudier que trois catégories:
1º Les voyelles finales, avec ou sans consonne muette: panama, ama(s), clima(t), estoma(c);
2º Les voyelles suivies d’une seule consonne articulée, simple ou double, avec ou sans e muet: cartel, martèle, mortelle;{16}
3º Les voyelles suivies de deux consonnes articulées dont la seconde seule est l ou r, la première étant simple ou double: maître, mètre, mettre.
Notre seconde observation préliminaire à propos des voyelles toniques a, e, eu, o, c’est que, lorsqu’elles ont l’accent circonflexe, elles sont longues en principe, quand elles sont suivies d’une syllabe muette, sauf dans les formes verbales[26].
De plus, les voyelles a, eu, o sont fermées quand elles sont surmontées de l’accent circonflexe: pâte, jeûne, rôle, tandis que l’e, également fermé jadis, au moins dans certains mots, est aujourd’hui très ouvert presque partout dans le même cas: pêche, frêle, tête.
Nous verrons qu’il en est exactement de même de nos quatre voyelles devant l’s doux: écrase, heureuse, chose se prononcent comme pâte, jeûne, rôle; de même trapèze ou française comme pêche et frêle. Aussi les finales -ase, -euse, -ose, -èse ou -aise n’ont elles jamais d’accent circonflexe[27].
Au contraire, nous verrons l’r allonger toujours, et le v ordinairement, la voyelle qui précède, mais sans jamais la fermer: char et cher, beurre et bord, brave et brève, ont la voyelle longue, mais ouverte.{17}
Pour étudier les voyelles, nous suivrons l’ordre du tableau. Nous examinerons donc successivement:
1º La voyelle a, à laquelle nous joindrons le groupe oi, diphtongue si l’on veut, puisqu’il exige deux sons vocaux, ou et a, mais qui est plus exactement un a précédé d’une semi-voyelle, ou ou w, et qui en tout cas peut avoir les mêmes nuances que l’a;
2º La voyelle e, ouverte ou fermée, en y joignant œ et æ, diphtongues latines, généralement fermées, ainsi que les groupes ai (ou ay) et ei (ou ey), qui sont généralement ouverts;
3º La voyelle eu, ouverte ou fermée;
4º La voyelle o, ouverte ou fermée, avec le groupe au (ou eau), généralement fermé;
5º Les voyelles extrêmes, i, u, ou, essentiellement fermées, et sur lesquelles il y a donc peu à dire, parce que la prononciation en diffère peu d’un mot à l’autre;
6º Les voyelles nasales, avec leurs graphies diverses, faites en principe des diverses voyelles, suivies d’un n ou d’un m;
7º L’e muet;
8º Les semi-voyelles, c’est-à-dire, si l’on préfère, les diphtongues.
L’a final n’est ni long ni fermé, sans être tout à fait bref ni tout à fait ouvert; il est, si l’on veut, moyen, quelle que soit d’ailleurs son origine, même l’ablatif latin: camelia, paria, tapioca, falbala, panama, mea culpa, opéra, delta, il va.
Il y a quelques exceptions, j’entends quelques a fermés. Ce sont:
1º Le nom même des lettres a et k, et les notes de musique fa et la: comparez la lettre a avec il a, et c’est un la avec il est là[28].
Toutefois, dans l’expression a b c, l’a, devenu atone, comme l’à de à Paris, est moins nécessairement fermé que quand il est seul.
2º Le mot bêta. On se demande pourquoi, si ce mot est vraiment une forme dialectale de bétail, où l’a s’est ouvert depuis longtemps. Nous noterons cependant que ce mot s’emploie surtout comme une espèce d’interjection, dont le son se prolonge.
3º Le mot chocolat, au moins à Paris. C’est peut-être à cause de son étymologie espagnole chocolate, mot qui a l’accent sur l’a; mais cet a est destiné à s’ouvrir, comme dans les autres mots en -at, et on n’est nullement obligé de le fermer.{19}
4º Les interjections bah et hourra, dont le son se prolonge naturellement; mais si l’on fait de hourra un substantif, il rentre dans la règle générale. Hourra est d’ailleurs d’origine anglaise, et avait d’abord un h final; or l’h final, qui, en dehors des interjections bah et pouah, appartient uniquement à des mots d’origine étrangère, avait pour effet d’allonger et de fermer l’a; mais cet effet est aussi en voie de disparition, à mesure que les mots achèvent de se franciser[29].
Quand l’a est suivi d’une consonne qui ne se prononce pas, elle n’y change pas d’ordinaire grand chose; et surtout, ici comme partout ailleurs, les pluriels ne diffèrent plus en rien des singuliers: un opéra, des opéras, une villa, des villas[30].
Peut-être l’a s’ouvre-t-il un peu plus devant le t (avec ou sans s): un candidat, des candidats[31]. Peut-être aussi est-il encore un peu plus fermé dans les futurs, comme tu aimeras, que dans les prétérits, comme tu aimas, mais c’est peu de chose.{20}
Toutefois, l’a est resté en général un peu long et fermé, au moins à Paris, dans la plupart des mots qui ont un s au singulier comme au pluriel: bas, cas, las, lilas, trépas, tas. Mais ici même, par analogie, l’a s’est ouvert ou tend à s’ouvrir dans un grand nombre de mots: galimatias, tracas, chas, et surtout les mots en -las, -nas, -ras et -tas: matelas, chasselas, cervelas, entrelacs et verglas, ananas et cadenas, bras et embarras, taffetas et galetas. Même des rimes comme cas et avocats, bas et grabats n’ont plus rien de choquant.
Quand l’a est suivi d’une consonne articulée, en principe il s’ouvre et s’abrège plus ou moins. Le rôle que jouent ici les consonnes, ou du moins la plupart des consonnes, se marque nettement dans certains féminins: l’a, qui n’est encore que moyen dans délicat, candidat, scélérat ou ingrat, achève de s’ouvrir et de s’abréger dans délicate, candidate, scélérate ou ingrate[32]. Et ce qui prouve bien que c’est la consonne qui fait tout, et que l’e muet n’y est pour rien, c’est que mate, féminin de mat, ne se prononce pas autrement que le masculin, le t étant articulé dans les deux cas.
Cette ouverture de l’a se manifeste presque également dans la plupart des finales à consonne, qui ainsi ne diffèrent les unes des autres que par la quantité[33]. C’est donc la quantité qui nous permettra de les classer.{21}
I. A bref.—Les finales les plus brèves sont celles dont la consonne est une des trois explosives brusques, c, p, t[34].
1º -ac, -ak et -aque: cognac et lac, laque et baraque[35].
2º -ap et -ape, ou -appe: cap et cape, pape et frappe[36]. On ferme souvent l’a dans dérape, par une fausse analogie avec râpe, qui est pour raspe, mais c’est une erreur.
3º -at et -ate, ou -atte, et même -âtes: mat et tomate, rate, sonate et donnâtes[37].
Ici encore, il ne faut pas qu’une fausse analogie fasse altérer les formes des deux verbes mater, qui n’en font qu’un: ils viennent de mat, terme du jeu d’échecs, dont l’a est ouvert et bref, et sans rapport avec mâter, terme de marine dérivé de mât.
Avec ces finales doivent figurer, étant brèves aussi, celles qui ont une spirante également brusque ou sourde, f, ch, s.{22}
1º -af, -afe et -aphe: gnaf, gaffe, orthographe.
2º -ache: h, tache, moustache, arrache[38].
3º -ace et -asse, ou -ass (mais non -as): dédicace et carcasse, chasse, face et fasse, terrasse et vorace, ray-grass, etc., et les imparfaits de subjonctifs, autrefois longs. Mais, comme tout à l’heure pour les mots en as où l’s ne s’articulait pas, il y a ici beaucoup d’exceptions parmi les mots en -asse.
L’a est fermé et long en principe, d’abord dans les dérivés des mots en -as qui ont l’a long, mais non pas dans tous. Il l’est dans les adjectifs féminins basse, lasse (et le verbe) et grasse, qui conservent l’a fermé du singulier; puis dans les verbes amasse et ramasse, passe et trépasse (avec impasse, quoique moins régulièrement), sasse et ressasse (pas toujours non plus), tasse et entasse, peut-être même compasse, damasse, brasse et le substantif embrasse (mais non le verbe). Il est fermé également dans casse, terme d’imprimerie, dans prélasse, par analogie avec lasse, dans classe et déclasse, et le substantif tasse. A Paris, on y ajoute généralement calebasse, échasse, nasse, cadenasse et Parnasse ou Montparnasse, et même des mots en -ace: espace et lace, avec ses dérivés; mais ceci n’est point du tout indispensable, pas plus que pour la casse du pharmacien, ou la casse de la cuisinière[39].{23}
Quant aux mots en -as où l’s s’articule, l’a y est fermé partout; mais il n’y a là de proprement français que le mot as (terme de jeu) et les interjections las ou hélas; les autres mots sont des mots grecs, latins ou étrangers, et surtout des noms propres anciens (y compris atlas et hypocras). Cette prononciation s’est imposée même à des mots récents, où l’étymologie semblait exiger un a bref et ouvert, comme stras et vasistas[40].
II. A moyen.—Immédiatement après ces finales viennent celles dont la consonne est une des trois explosives sonores ou retardées, b, d, et g[41]. La résonance qui précède le son, et qui en retarde l’explosion, a pour effet de rendre la voyelle un peu moins brève; mais elle est tout aussi ouverte dans chacune des finales.
1º -ab et -abe: nabab, arabe, syllabe. Pourtant l’a de crabe est généralement fermé à Paris et dans le Nord, quoique rien ne justifie cette prononciation[42].{24}
2º -ad et -ade: aubade, pintade, bravade[43].
3º -ag et -ague: zigzag, bague. Beaucoup de gens ferment l’a dans vague, substantif ou adjectif, et même parfois dans divague: cela fait bien en vers, mais non ailleurs[44].
De même l’a est plutôt moyen que bref, mais toujours également ouvert, dans les finales à l, m ou n, qui peuvent aussi être considérées comme retardées.
1º -al et -ale, ou -alle: chacal et animal, scandale et dalle, sale et salle. Les poètes font volontiers rimer exhale avec les mots en âle[45]. D’autre part l’analogie de hâle fait quelquefois allonger outre mesure l’a bref de hale, du verbe haler (un bateau). Enfin, dans certaines provinces, sale se prononce sâle, mais cette prononciation est tout à fait mauvaise.
2º -ame ou -amme: gamme et bigame, drame et gramme. Il faut encore excepter clame et ses composés, où s’est maintenue, tant bien que mal, la quantité étymologique, comme autrefois dans fame; et aussi flamme et enflamme, avec oriflamme, sans{25} doute parce qu’autrefois on prononçait flan-me, avec une nasale[46].
3º -ane ou -anne: cane et canne, romane et panne, sultane et havane. Il n’y a plus lieu d’excepter les mots savants, comme profane, malgré l’opinion de Thurot, qui fermait l’a, à cause de l’étymologie. D’autres ferment encore l’a dans plane ou émane, sans doute pour le même motif; d’autres, sans motif cette fois, dans bibliomane et d’autres composés en -mane, ou même dans glane; autant d’erreurs, d’ailleurs assez peu répandues; tout au plus peut-on admettre plane long, par emphase, surtout en vers.
Il y a pourtant deux ou trois exceptions. Damne conserve toujours l’a fermé (sans doute pour le même motif que flamme), mais déjà beaucoup moins, et surtout beaucoup moins généralement, dans condamne, qui est d’ailleurs plus employé. Dame-Jeanne le garde aussi, à cause de la fausse étymologie qu’on prête à ce mot. Les musiciens conservent volontiers l’a fermé de l’italien dans soprane, tandis qu’il s’ouvre dans soprano. Enfin, la manne (des Hébreux) a eu longtemps l’a fermé, probablement aussi pour la même raison que flamme, et l’Académie lui a con{26}servé jusqu’à présent cette prononciation; mais la consonne double tend naturellement à abréger l’a, comme dans manne (panier), et l’a fermé paraît y devenir suranné[47].
A ces finales nous joindrons les finales mouillées, qui ont encore l’a un peu moins bref que les précédentes[48].
1º -agne: bagne, campagne, montagne. Mais on ferme encore l’a dans gagne le plus souvent[49].
2º -ail et -aille[50]: sérail, bétail, médaille.
Cependant rail prononcé à la française est presque fermé[51]. Sérail l’est aussi quelquefois, quoique un peu moins, et ce n’est pas à imiter.
Mais les mots en -aille méritent un examen particulier. A Paris, on fait encore une différence très nette entre -ail et -aille, qui autrefois était fermé et long presque partout. Toutefois cette prononciation n’est pas universelle aujourd’hui, tant s’en faut, ni applicable à tous les mots en -aille. Elle paraît assez justifiée, encore qu’elle ne soit pas toujours indispensable, dans les mots qui expriment une intention péjorative, qu’on marque précisément d’ordinaire en appuyant sur la finale, quelle que soit l’étymologie: monacaille, racaille, antiquaille, frocaille, canaille, cochonnaille, ferraille, prêtraille, valetaille, crevaille et vingt autres, qui d’ailleurs sont d’origine populaire, et ont droit de conserver la prononciation populaire[52]. De même les verbes en -ailler, de même intention, et qui ont l’a fermé, même à l’infinitif, ne peuvent l’avoir ouvert quand il est tonique: piaille, criaille, se chamaillent, rimaille, tiraille, braille, se débraille, écrivaille, et bien d’autres. On peut y ajouter certainement raille et déraille. Mais, d’autre part, l’a n’a jamais été fermé dans médaille, de l’italien medaglia; l’a fermé est également peu usité dans faille (soie) et faille (fente), moins encore dans les verbes qui correspondent à des substantifs en -ail: baille (ne pas confondre avec bâille), émaille, détaille, travaille, se prononceraient difficilement d’une autre manière que bail, émail, détail et travail; les subjonctifs aille, faille, vaille, se sont certainement abrégés, ainsi que écaille et maille, noms ou verbes, et aussi tressaille[53]. Pour les autres, on a parfaitement le droit d’hésiter, et la{28} prononciation parisienne ne s’impose pas: paille lui-même n’est pas plus dialectal avec a ouvert qu’avec a fermé, d’autant plus que ceux-mêmes qui le ferment dans la paille tout court, l’ouvriront aussi bien dans la paille humide des cachots, au moins s’ils parlent vite. Il en est de même pour taille[54].
Ajoutons, pour compléter, que l’a est ouvert et bref dans les finales en -aye où l’y ne se dédouble pas: cobaye, cipaye[55].
III. A long.—Voici enfin des finales dont l’a peut être tenu pour tout à fait long, soit en restant parfaitement ouvert, soit en se fermant plus ou moins. Ce sont celles qui ont un r, ou une spirante sonore, g, v, z.
1º L’a est long, mais ouvert, dans les finales qui ont un r, -ar (avec ou sans consonne) et -are ou -arre: art, are, arrhes ou hart, car, quart ou placard, marc, mare, amarre, camard ou cauchemar, tu pars, il part, je prépare. Il n’y a point d’exception pour les finales masculines qui toutes ont l’a parfaitement ouvert. Il semble qu’autrefois l’a était souvent fermé dans les mots en -are ou -arre; il l’est encore un peu, et même un peu trop à Paris, dans{29} barre et rembarre, carre ou contrecarre, gare et bagarre, et même rare[56].
2º Dans les finales en -age, autrefois irrégulières, l’a s’allonge aujourd’hui régulièrement, mais reste encore ouvert, exactement comme dans les finales en -ar: mariage, ménage, étalage[57]. Le mot âge lui-même a aujourd’hui l’a ouvert, malgré l’accent circonflexe, et se prononce comme les autres: à mon âge diffère bien peu de ramonage.
3º Le cas est presque le même pour les finales en -ave: cave, lave, esclave, grave; mais l’a a déjà une tendance à se fermer, au moins dans grave adjectif, et dans esclave[58].
4º L’a est tout à fait long et fermé dans les finales en -ase, -az et -aze, qui se prononcent comme si elles avaient un accent circonflexe: base, blase ou extase, gaz ou gaze[59].{30}
En résumé, l’a reste bref ou moyen devant quatorze consonnes, sauf les exceptions, et s’allonge devant quatre ou cinq seulement. Mais il n’est fermé régulièrement que devant une seule, la sifflante douce.
Il ne nous reste plus à examiner pour l’a tonique que les groupes où il est suivi de deux consonnes, dont la seconde est une liquide, groupes qui sont tous très courts.
Quand la seconde consonne est un l, l’a s’allonge assez ordinairement et tend à se fermer; mais trois groupes seulement de cette espèce se sont formés en français.
1º Les mots en -able ont toujours été fort discutés. L’a est encore un peu fermé et assez long dans les substantifs diable, jable, sable, fable, érable et dans affable et accable: beaucoup de gens prononcent ces mots exactement comme hâble, câble et râble. C’est parfaitement correct, pourvu que cette prononciation ne passe pas à table ou étable, ni surtout aux adjectifs à suffixe -able, dont l’a, sans être bref, n’est pas non plus fermé. Toutefois on pense bien qu’en poésie, dans la rime accable-implacable, l’a doit être absolument fermé, pour être plus long[60].
2º Les mots en -acle ont été aussi fort discutés. L’a est ouvert généralement dans macle et les mots en -nacle et -tacle: cénacle, pinacle, obstacle, et c’est une{31} erreur de le fermer dans obstacle ou tabernacle. Mais en revanche il est généralement fermé dans les mots en -racle: racle, miracle et oracle[61].
3º L’a est toujours fermé dans rafle et érafle[62].
Quand la seconde consonne est un r, l’a est en général ouvert ou fermé, suivant que l’r est précédé d’une sourde ou d’une sonore.
1º L’a est ouvert de préférence, et par suite bref ou moyen, quand l’r est précédé d’une sourde, c’est-à-dire, en principe, dans les finales -apre, -acre, -atre et -afre: diacre, sacre, simulacre, nacre, sacre et massacre; battre et ses composés, avec quatre et barathre; affres et balafre. Quelques personnes ferment encore l’a dans affres[63].
2º L’a est de préférence long et fermé, quand l’r est précédé d’une sonore. Pourtant il est encore ouvert dans la finale -agre: podagre, onagre[64]. En revanche il est fermé dans cadre et escadre[65]; et{32} pourtant, dans ladre, il est plutôt ouvert[66]. Mais surtout l’a est long et assez fermé dans les finales -abre et -avre: cabre, macabre, délabre, candélabre ou sabre, havre, cadavre ou navre; toutefois cette prononciation n’est pas absolument générale, notamment pour palabre et cinabre, ni sans doute pour glabre[67].
Après l’a tonique nous devons parler de l’a atone, d’autant que, parmi les voyelles atones, c’est encore l’a qui offre le plus de variété.
Nous savons qu’en principe il est moyen et assez ouvert. Il lui arrive pourtant d’être fermé, et c’est cela seul qui importe ici, car la quantité des voyelles atones est toujours subordonnée à leur ouverture. Ainsi, tandis que l’a tonique peut être long même quand il est ouvert, comme dans courage ou barbare, l’a atone ne peut être long qu’autant qu’il est fermé. C’est pourquoi l’a long des finales ouvertes en -age et -are s’abrège régulièrement en devenant atone, au moins si la prétonique n’est pas initiale: courage-courageux, barbare-barbarie[68].
Quels sont donc les a atones qui sont fermés, puisque ceux-là seuls nous intéressent?{33}
Comme on peut s’y attendre, ce sont surtout des a toniques fermés, devenus atones par suite de la flexion, de la dérivation ou de la composition, et qui ne peuvent pas perdre toujours et absolument tous les caractères de leur nature première.
Il y a d’abord les a prétoniques qui ont l’accent circonflexe, surtout si la prétonique est initiale comme dans châtaigne, gâter ou pâlir[69]. Encore l’a est-il alors un peu moins fermé et surtout moins long que quand il est tonique, par exemple dans blâmer que dans blâme, dans hâler que dans hâle. Quand il s’éloigne davantage de la tonique, il arrive parfois qu’il devient tout à fait moyen. Cela ne s’aperçoit pas dans des mots comme ân(e)rie ou pâqu(e)rette, qui n’ont que deux syllabes pour l’oreille; mais les trois degrés différents apparaissent assez bien dans pâme, pâmer et pâmoison, ou dans pâte, pâté et pâtissier ou pâtisserie[70]. On peut dire que ces deux derniers mots, et plus encore pâmoison, ne conservent leur accent circonflexe que par une pure convention, respectueuse de l’étymologie. En revanche, tatillon, qui se rattache à tâter, mais qui a l’a ouvert, n’a jamais eu d’accent. Il en est de même des mots acrimonie, diffamer et infamie, gracieux et gracier, malgré l’accent circonflexe arbitraire que les grammairiens ont mis à âcre, infâme et grâce[71].
Même quand ils n’ont pas d’accent circonflexe, les a qui étaient fermés et longs, étant toniques, s’abrègent bien un peu, mais ne s’ouvrent guère le plus{34} souvent quand ils deviennent prétoniques, c’est-à-dire avant-derniers, comme dans gagner, de gagne, ou quand ils ne sont séparés de la tonique que par un e muet, ce qui est ordinairement la même chose pour l’oreille. Ainsi grasse et grass(e)ment, grave et grav(e)ment ou même accable et accablement[72].
A plus grande distance de la tonique, la voyelle s’ouvre davantage: les a de barricade, de grasseyer, de damnation, de fabuliste, de cadavéreux sont même tout à fait ouverts[73].
Un phénomène pareil se produit même dans des mots composés: l’a fermé et long de passe, déjà un peu flottant dans passant, s’ouvre tout à fait, non seulement dans passementerie, mais même, si l’on veut, dans passeport ou passepoil[74].
Mais voici qui est plus important: certains a toniques fermés s’ouvrent même en devenant prétoniques, comme dans cadran ou classique; ainsi dans flammè{35}che ou enflammer, plus encore dans inflammable et les autres dérivés, ainsi que dans diablesse, diablotin ou endiablé, sauf par emphase. Dans basset, bassesse, basson ou soubassement, l’a paraît avoir aussi tendance à s’ouvrir[75].
A fortiori, s’il est déjà douteux qu’il faille fermer l’a de matelas ou de cadenas, on ne saurait évidemment conseiller de fermer celui de matelasser ou de cadenasser: ce sont des prononciations parisiennes fort peu recommandables. De même, il n’est pas indispensable de fermer l’a de garer ou rareté, ou celui de cassette, et je conseillerais encore moins de fermer celui de casserolle. La manière de prononcer espacer, lacer, lacet ou enlacement, brasser ou brasseur, dépendra de celle dont on prononce espace, lace ou brasse.
De même, pour les mots en -ailler, -ailleur, -aillon, etc., c’est la manière de prononcer aille qui décidera. Ainsi l’intention péjorative paraît se marquer par l’a fermé dans écrivailler ou écrivailleur, brailler ou brailleur, graillon ou avocaillon, etc. On ferme aussi l’a dans railler ou dérailler (et aussi dans joaillier), mais non pas dans travailler ou travailleur, émailler, corailleur, détailler ou bailler (donner). On le ferme dans haillon, et au besoin paillon, mais non dans médaillon, ni même dans bataillon, de quelque manière qu’on prononce bataille.
On prononcera tailleur suivant la manière dont on prononce taille. Surtout il n’y a aucun inconvénient à ouvrir l’a dans poulailler, dans cailler et caillot, et dans presque tous les dérivés et composés de paille,{36} comme paillard, rempailler, paillasse, paillette, et surtout paillasson[76].
Il va sans dire que s’il n’y a pas de forme tonique en -aille, il n’y a plus aucune raison pour que -ail- prétonique soit fermé; aussi est-il ouvert de préférence dans tous les mots qui commencent par cail-, comme caillette, caillasse et caillou; de même, et plus sûrement encore, dans ailleurs, maillet, maillot, saillir, jaillir et leurs dérivés, et dans crémaillère[77].
En revanche, il peut arriver que l’a prétonique soit fermé, même sans avoir été tonique, et cela pour les mêmes raisons que l’a tonique. Ainsi on a vu que la sifflante douce fermait l’a tonique des finales en -ase ou -aze, et par suite l’a des verbes en -aser et de leurs dérivés; elle ferme aussi l’a atone, non sans quelque flottement, dans alguazil, basalte, basane et basané, bazar, basilic et basilique, basoche, blason et gazon, jaseran, masure, mazette, nasal et naseaux, quasi, et quelques autres, si l’on veut; sensiblement moins ceux des mots en -asif et -asion; très peu aujourd’hui ceux de gazelle, gazette ou gazouiller; plus du tout ou presque plus ceux de faséole et surtout casemate[78].
L’r aussi, surtout l’r double, sert à fermer l’a prétonique dans un certain nombre de mots, sans que ce soit indispensable, notamment dans les mots de deux syllabes en -aron, parce que la prétonique y est initiale: baron, charron, larron, marron, en opposi{37}tion avec fanfaron, macaron ou mascaron, dont l’a est toujours ouvert[79]. L’a se ferme encore assez souvent dans carriole, carrosse, chariot et charrue (mais beaucoup moins dans charrette, charrier ou charroyer); aussi dans sarrau, parrain et marraine[80]; dans madré, dans scabreux, et, si l’on veut, dans madrier et marri. A Paris, on y ajoute même carotte, mais je ne conseille pas de fermer cet a, non plus celui de jarret, baroque, haro, tarot et même garrot, moins encore celui de bigarré, déjà signalé, ou même bigarreau[81].
L’a est encore long et fermé dans quelques mots comme magot, maçon et ses dérivés; et si estramaçon a gardé l’a bref et ouvert, limaçon suit parfois l’analogie de maçon. Il est encore plus ou moins fermé, mais il tend à s’ouvrir, dans cassis[82], chalet, jadis, lama, maflu, maquis, naïades, praline et praliné, ramure, smala, tasseau, valet; il est sûrement ouvert et bref aujourd’hui dans anis, pomme d’api, chassieux, madeleine, passereau[83].
D’autre part, on contrarie mal à propos la ten{38}dance générale de la langue, quand on ferme l’a devant deux consonnes distinctes, comme dans mardi, pascal, pastel, pasteur et ses dérivés, où l’a est naturellement moyen, malgré l’usage parisien[84].
Le souvenir de la quantité latine fera fermer correctement l’a dans stabat, amen, frater, alma mater, et dans ab irato, casus belli, de plano, sine qua non, ainsi et que dans postulatum, ultimatum et autres mots en -atum et -arium, qui ont gardé l’allure du latin; mais il y a doute déjà pour hiatus et stratus, pour gratis et in-plano, plus encore pour majeur ou major[85].
La prononciation de l’a dans les mots en -ation ou -assion varie énormément, mais il tend à s’ouvrir; il est même certainement ouvert dans nation, et je ne conseille pas de le fermer dans passion et compassion et leurs dérivés. Quant aux mots en -ateur, -atrice, -atif ou -ature, ils ont l’a parfaitement ouvert, malgré l’étymologie, ainsi que a priori ou a posteriori[86].{39}
L’a est encore fermé dans pali, langue de l’Hindoustan, quelquefois écrit pahli[87].
Dans maman et nanan, la première syllabe s’assimile à la seconde dans l’usage familier, par une sorte d’attraction, et l’on entend beaucoup plus souvent man-man et nan-nan que maman et nanan, qui même ont un air d’affectation[88]; on dit même sans sourciller moman, sans doute par l’intermédiaire de mon-man, sans parler de m’man qui rappelle exactement m’sieu.
Dans août, l’a a cessé de se prononcer depuis le XVIᵉ siècle, à cause de la répugnance que le français a pour l’hiatus, absolument comme dans saoul, qui s’écrit encore mieux soûl. On a malheureusement continué d’écrire août avec un a, comme on a continué d’écrire l’o de paon, faon et taon, qui ne se prononce pas davantage[89]; mais la prononciation a-ou est aussi{40} surannée et devrait paraître aussi ridicule que pa-on. La Fontaine écrivait même oût:
Boileau ne prononce pas autrement:
On peut dire que, du XVIᵉ au XIXᵉ siècle, il n’y avait plus de discussion sur ce point. «Août se prononce oût», dit Voltaire, dans l’Avertissement de Zaïre. Jusqu’en 1835, l’Académie dit: «Prononcez oût.» Mais déjà l’antique prononciation avait reparu. D’où venait-elle? S’était-elle conservée dans quelques provinces, ou était-elle seulement la réaction de l’orthographe?
Déjà Domergue se plaignait que les orateurs démocrates, pour rappeler le 10 août 1792, prononçassent a-ou. Dans la première moitié du XIXᵉ siècle, on trouve cette prononciation jusque chez les poètes, peut-être même surtout chez les poètes, dans Sainte-Beuve toujours, dans Victor Hugo presque toujours; et il en est de même aujourd’hui, notamment dans Henri de Régnier.
Elle n’en est pas meilleure. Elle s’est tellement répandue au cours du siècle dernier, que l’Académie en est venue à dire dans son édition de 1878: «On prononce souvent oût.» Ce souvent est délicieux. Peut-être faut-il lire: «On prononce souvent a-oût.» Cela au moins serait exact. Mais on serait dans la vraie tradition française en prononçant toujours et uniquement ou[91].{41}
Le cas d’aoriste est sensiblement pareil à celui d’août. L’a avait cessé de se prononcer, sauf chez quelques puristes, pour qui oriste avait un sens opposé à celui d’aoriste; mais il a revécu de nos jours, et comme l’influence de la prononciation populaire n’est pas là pour contre-balancer celle de l’écriture, a-oriste paraît devoir l’emporter, malgré le désagrément de l’hiatus[92].
Enfin extra-ordinaire ne se maintient que dans le langage soutenu: on dit couramment extrordinaire[93].
Ce travail ne serait pas complet, si l’on n’y parlait pas de l’a des mots étrangers adoptés par le français, et notamment des mots anglais, dont la prononciation est si différente de la nôtre[94].
Quelques mots, dus à la transmission orale, ont pu être francisés tant bien que mal avec la prononciation anglaise ou à peu près; ainsi bébé, qui vient{42} probablement de baby, quoique Littré lui donne une autre étymologie. De même bifteck, romsteck ou rosbif.
Mais le plus souvent les mots étrangers, surtout les anglais, se francisent à moitié seulement. Cela tient à ce qu’au lieu de partir du son, comme pour les mots que nous venons de citer, on part généralement de l’écriture; or la masse, qui ignore les langues étrangères, conserve pourtant une sorte de scrupule malencontreux, et fait effort pour conserver quand elle peut une allure étrangère aux mots étrangers qu’elle adopte, et cela surtout dans la désinence.
On indiquera, ici et ailleurs, la prononciation qui prévaut dans l’usage le plus ordinaire. Nous nous excusons particulièrement auprès des professeurs d’anglais, à qui nous ne faisons nullement concurrence: il est bien entendu que ce n’est pas de prononciation anglaise qu’il est question ici. Et en effet, on ne s’adresse pas aux gens qui savent l’anglais, mais au contraire à ceux qui ne le savent pas, pour leur indiquer dans quelle mesure ils peuvent franciser les mots anglais sans être ridicules; on enseignera donc la prononciation à demi francisée que les Français adoptent le plus généralement.
Dans les mots anglais adoptés par le français, c’est précisément l’a qui est le plus ordinairement altéré; le reste du mot garde à l’occasion une apparence exotique, surtout à la finale. Ainsi nous avons francisé à moitié square, puisque nous ne prononçons plus scouèr, et moins encore scar, mais scouar, entre les deux; cela tient à ce que nous avons pris à l’étranger d’autres mots où qua se prononce aussi coua. Il en est de même de bookmaker; car si quelques-uns le prononcent à peu près à l’anglaise boukmèkeur, la plupart, sachant par ailleurs que oo se prononcent ou, acceptent cette prononciation,{43} mais francisent la fin du mot d’après l’écriture, ce qui fait boukmakèr[95].
On peut franciser sans doute cottage, aussi bien que lady ou macfarlane et même challenge et skating, quoique beaucoup prononcent ce mot par é[96].
Dans les mots anglais qui ne sont pas francisés du tout, l’a se prononce à l’anglaise ou à peu près, c’est-à-dire entre a et é, plus près de é. Mais comme l’e n’est fermé en français que quand il est final, c’est plutôt un e ouvert que nous faisons entendre dans ces mots[97]. Rallye employé seul tend à se franciser[98].{44}
Devant un l, l’a se prononce à peu près comme o ouvert, dans all right et hall, et walk over[99].
Yacht aussi, après s’être longtemps prononcé yac, est devenu au siècle dernier yote chez les personnes qui ont l’usage de l’anglais, chez les marins, et aussi chez les snobs. Un jour pourtant, les gens de sport se sont aperçus que yacht, emprunté à l’anglais, il est vrai, n’était pas anglais de naissance, mais hollandais. Or, précisément, les Hollandais prononcent à peu près yact à l’allemande. Les Anglais avaient sans doute eu raison d’angliciser le mot pour leur usage personnel; mais pour quelle raison devrions-nous prononcer comme eux, en leur empruntant un mot qui n’est pas à eux? Ne valait-il pas mieux ou bien faire comme eux, c’est-à-dire franciser le mot complètement et prononcer yact, ou bien conserver la prononciation yac, admise depuis longtemps et, par suite, francisée? C’est ce qui a paru à beaucoup de gens; si bien qu’aujourd’hui le mot a trois prononciations dont la plus ancienne, et peut-être la meilleure, est yac; et tel fut, sauf erreur, l’avis des hommes de sport les plus qualifiés, le jour où la question fut posée dans le journal le Yacht[100].
L’a précédé de l’e ne se francise pas; nous le prononçons tantôt è comme dans break ou dead-heat[101]; tantôt eu ouvert, comme dans yearling; plus souvent î, comme dans clearing-house, dead-heat, great{45}event, gulf-stream, leader, if you please, reader, season, speak et speaker, steamer, steamboat et teagown[102].
Les deux sons è et i, réunis dans Shakespeare, sont si bien francisés dans cette prononciation, qu’on en a fait le mot français shakespearien (chexpirien).
Dans cold-cream (colcrem, par è au lieu d’i), le français a repris son bien (crème), mais en laissant au mot l’allure étrangère par la brièveté de la finale, comme dans break.
Oa sonne o, plus ou moins ouvert dans boarding house, mail-coach et toast, plus ou moins fermé dans over-coat et cover-coat, coaltar et steamboat[103].
Raout se prononce de préférence et s’écrit aussi rout.
Aw sonne comme o fermé dans lawn-tennis, outlaw, drawback et tomahawk[104].
Le son oi se prononce aujourd’hui oua ou wa[105]. Ce groupe n’est donc plus qu’un cas particulier de a, et les usages sont sensiblement les mêmes pour oi que pour a, avec cette différence que le nombre des{46} finales où figure oi est beaucoup plus restreint, et que sa prononciation est beaucoup plus uniforme. Je ne parle pas de oi atone qui est généralement sans intérêt.
I. OI tonique.—Comme l’a final, oi final n’est ni long ni fermé, sans être tout à fait bref, ni tout à fait ouvert, et cela avec ou sans consonne indifféremment, et après un r, aussi bien qu’après une consonne quelconque: un aboi, des abois, pois, poix et poids, je crois, il croit, la croix, effroi, etc.: oît même n’est pas plus long, et ceci rappelle les formes verbales en -ât: tournoi, danois, benoît diffèrent bien peu, s’ils diffèrent[106]. Pourtant oi est ordinairement plus fermé dans les substantifs mois et bois.
Oie même n’est pas plus long aujourd’hui que oi, sauf en vers, pour distinguer les rimes féminines des{47} masculines: cette distinction a disparu de l’usage courant, même dans le mot oie[107].
Harnois a été définitivement remplacé par harnais; pourtant on peut encore prononcer oi à la rime, mais seulement au sens figuré:
Passons à oi suivi d’une consonne articulée.
Devant une sourde, oi s’ouvre et s’abrège comme l’a: coi est à coite, comme délicat à délicate; on ne prononce même plus guère une boîte autrement que il boite. De même soif ou coiffe; et la finale -oisse, de paroisse ou angoisse, autrefois longue, comme sa sœur -aisse, s’est fort abrégée dans l’usage le plus général.
Comme l’a encore, oi est moins bref, mais tout aussi ouvert, devant d, l, n, et gn mouillé: froide, poil, étoile, moine et soigne. Quant à roide et ses dérivés, il faut laisser cette prononciation d’il y a deux siècles à la Comédie-Française, à moins qu’elle ne soit nécessaire dans la lecture pour la rime froide; la seule forme usitée est raide, avec tous ses dérivés, et l’Académie française elle-même n’en connaît pas d’autre depuis un demi-siècle[109].{48}
Comme l’a toujours, oi s’allonge dans -oir ou -oire, sans se fermer sensiblement: vouloir et gloire, devoir et ivoire[110].
Devant une spirante sonore, oi est plutôt moins long que l’a, et surtout il ne se ferme pas comme l’a devant z. Si vois-je est à peu près pareil à rivage, oi est plus ouvert et plus bref dans reçoive que a dans bave ou grave. De même et surtout, si autrefois oi a pu être fermé dans -oise, comme a dans -ase, il n’en reste plus grand’chose aujourd’hui, et il est plus ouvert, quoique plus long, dans les féminins que dans les masculins: bourgeois, bourgeoise; courtois, courtoise; danois, danoise, et de même framboise, turquoise ou apprivoise.
Oi est un peu moins ouvert dans goitre, cloître, croître et ses composés, et poivre; mais même dans -oître, il n’est plus fermé comme a l’est encore dans -âtre.
En somme, on peut dire que oi n’est plus fermé nulle part, et l’accent circonflexe ne joue plus aucun rôle dans la prononciation de cette voyelle[111].
II. Le groupe OIGN.—Nous devons dire un mot, pour terminer, du groupe oign. A l’origine, la graphie de l’n mouillé n’était pas gn, comme aujourd’hui, mais ign[112]. Il en résulte que dans le groupe -oign-, c’est o et non oi qu’on prononçait normalement: beso-igne,{49} ivro-igne, po-ignard. La suppression de l’i a conservé la prononciation d’un certain nombre de ces mots, d’abord besogne et besogner, grogner, ivrogne, rogne, rogner, trogne, trognon, vergogne, et un peu plus tard rognon et cogner ou cognée, avec encognure, qui s’écrit encore trop souvent enco-ignure. Les autres ont gardé leur i, malheureusement, et leur prononciation s’est altérée: encore un des méfaits de l’orthographe! L’hésitation a été longue, mais les efforts des grammairiens n’ont rien obtenu. Il y a beau temps déjà qu’on prononce définitivement oi dans joignons, soigner, éloigner, témoignage[113]. Les autres ont suivi. O(i)gnon seul a résisté victorieusement, et se prononce exclusivement par o: cela tient évidemment à ce qu’il est très populaire et enseigné presque uniquement par l’oreille; oi-gnon est donc ridicule[114]. On prononce encore assez souvent mo(i)gnon, et le peuple dit fort justement po(i)gne et empo(i)gner; mais ceci passe déjà pour familier, ainsi que la foire d’empo(i)gne, ces mots étant d’ailleurs plutôt d’usage populaire. Quant à poi-gnet, poi-gnée, poi-gnard, qui sont d’usage littéraire aussi bien que populaire, et plus encore poi-gnant, qui est plutôt littéraire, on peut dire que leur prononciation est définitivement altérée. Il est assurément fâcheux que l’i de ces mots n’ait pas été supprimé à temps; mais ce qui est fait est fait, à tort ou à raison, et pognard ou pognet sont absolument surannés, au moins dans l’usage des personnes instruites[115].{50}
De ces mots on peut en rapprocher deux ou trois autres. Poireau, dont la forme nouvelle n’est pas expliquée, s’écrivait autrefois porreau, et peut encore s’écrire ainsi et se prononcer de même, du moins au sens propre; mais on prononce toujours oi dans l’expression populaire faire le poireau, ainsi que dans poireau, désignant la décoration du Mérite agricole. D’autre part poitrine et poitrail ne peuvent plus se prononcer correctement par o tout seul[116].
L’anglais boy se prononce boï, mais en une syllabe. Il devrait en être de même dans boycotter; mais le mot est à peu près francisé avec le son oi[117].{51}
Il ne sera pas question ici de l’e muet proprement dit, qui sera l’objet d’un chapitre spécial, et qui d’ailleurs n’est jamais tonique[118]. Nous parlerons seulement de l’e accentué. Peu importe d’ailleurs qu’il soit ou non surmonté du signe qu’on appelle accent: aimé ou aimer, succès, mortel ou rebelle appartiennent également à ce chapitre[119].
En règle générale, l’e tonique est fermé quand il est final, ou suivi d’un e muet, ou d’une consonne qui ne se prononce plus (sauf dans les finales -et et -ès); il est au contraire toujours plus ou moins ouvert quand il est suivi d’une consonne articulée[120]. L’e est donc ouvert en somme dans presque toutes les catégories; mais les catégories, en très petit nombre, où il est fermé, ont beaucoup plus de mots que toutes les autres ensemble.{52}
I. E final fermé.—Les mots qui ont l’e final fermé sont les suivants:
1º La lettre e elle-même et les noms des consonnes b, c, d, g, p, t, v, et les innombrables mots en -é, substantifs, adjectifs, participes: bonté, zélé, aimé, etc., etc.
Il faut y joindre les mots latins, francisés ou non, c’est-à-dire écrits ou non avec l’accent aigu[121]. Par suite vic(e) versa, qu’on entend parfois, est aussi inacceptable que fac-simil(e).
Nous devons parler aussi des mots italiens à e final. Quand nous ne les francisons pas du tout, nous leur conservons l’accent italien, qui est ordinairement sur la pénultième, et nous faisons très peu sentir l’e, comme dans lazarone, cicerone, farniente, sempre, con amore, furia francese, anch’ io son pittore, e pur si muove. D’autres mots sont francisés, mais nous avons pour cela deux méthodes. Ou bien c’est la francisation complète, avec e muet, comme dans dilettant(e), et aussi andant(e), si bien francisé avec e muet, qu’on le prend comme substantif: un andante; on peut y joindre canzon(e), et même vivac(e), qui s’est naturellement confondu avec le français vivace: c’était fatal. Ou bien, et c’est le cas le plus fréquent, nous ne francisons les mots qu’à demi, et c’est alors un e fermé que nous prononçons, comme dans piano forte, cantabile, a piacere, dolce, mezzo-termine. Dans fara da se, l’e est accentué, même en italien[122].{53}
2º A la catégorie de l’e final fermé appartiennent aussi: pied, qui devrait s’écrire et s’est longtemps écrit pié, même en prose, et non pas seulement pour la rime; puis sied et messied, assied et assieds. Mais la prononciation d’assied est moins sûre que celle de pied. Elle paraît flotter entre l’e fermé de pied et l’e ouvert des mots en et. Peut-être est-ce l’s d’assieds qui en est cause; en tout cas l’e d’assieds-toi est plutôt moyen.
Je ne parle pas de clef, qui s’écrit aussi clé.
3º Les innombrables mots en -er, ou -ier, dans lesquels l’r ne se prononce pas: aimer, prier, pommier, meunier, régulier, archer, messager, léger, etc.[123].
4º Les mots en -ez où le z ne se prononce pas, à savoir: les formes verbales de la seconde personne du pluriel, aimez, aimiez, aimeriez; le substantif nez; la préposition chez; l’adverbe assez; enfin l’ancienne préposition lez (près de), des noms de lieux[124].
Il y avait aussi autrefois un adverbe rez (au niveau de), qui était également fermé: il n’existe plus que dans le substantif rez-de-chaussée, où il s’est ouvert et abrégé, en devenant atone[125].{54}
La distinction entre l’e final, qui est fermé, et l’e suivi d’une consonne articulée, qui est ouvert, est si marquée et si constante, que quand les infinitifs en -er (é) se lient avec la voyelle suivante, liaison qui se maintient au moins en vers pour éviter l’hiatus, l’e s’ouvre aussitôt, au moins à moitié: tous les efforts des grammairiens, comme Domergue, pour maintenir l’e fermé, ont échoué. Ainsi dans l’hémistiche pour aller à Paris, avec liaison, l’e est intermédiaire entre l’é fermé d’aller et l’è ouvert de colère. Peut-être aussi l’affaiblissement de l’accent contribue-t-il à cette ouverture.
Les finales masculines en -é sont fermées en quelque sorte si nécessairement, que même des finales qui furent longtemps ouvertes—par la volonté des grammairiens beaucoup plus que par une tendance naturelle—ont fini par se fermer de nouveau définitivement: ce sont les articles et pronoms monosyllabiques les, des, ces, et mes, tes, ses[126]. A la vérité, beaucoup d’acteurs, de professeurs, d’orateurs, s’efforcent encore d’articuler lès hommes, et essayent de résister à l’usage universel, mais cette prononciation est absolument conventionnelle. Elle est bonne tout au plus dans le chant, qui a des exigences propres: quand on parle, on ne saurait prononcer mes dans mes sœurs autrement que dans mesdames, où il est certainement fermé. Même après un impératif, le pronom les, devenu tonique, est aussi fermé que l’article dans l’usage universel. Sans doute les poètes continuent à faire rimer donne-les avec poulets ou balais, mais c’est affaire à eux, et on ne voit pas{55} pourquoi les aurait deux prononciations, une en prose, une en vers[127].
II. E final ouvert.—Ainsi le français ignore l’e ouvert final. Il y a pourtant, nous l’avons dit, deux exceptions, non pas pour é tout seul, mais pour l’e suivi de consonnes non articulées.
1º Les mots en -et, assez nombreux, avec ou sans s: gibet, cadet, mets, rets, etc. Il faut excepter encore la conjonction et, qui est toujours fermée, mais qui pourtant semble avoir tendance à s’ouvrir par analogie.
L’e est tellement ouvert dans les mots en -et, qu’il ne l’est pas sensiblement plus dans les mots en -êt[128]: benêt et bonnet, foret et forêt riment parfaitement ensemble. Il est, qui a gardé son s, est de la même famille, mais son e est moyen, même quand il est tonique, à fortiori quand il est atone, c’est-à-dire le plus souvent: qu’est-ce que c’est? c’est lui, ainsi dans c’est vrai, est est moins ouvert que vrai.
Fouet s’est longtemps prononcé foi, mais l’orthographe a réagi sur la prononciation.
2º Un certain nombre de mots en -cès, -grès ou -près, dérivés de mots latins en -cessus, -gressus et -pressus, à savoir: décès, procès, abcès, excès et succès; progrès et congrès; près, après, auprès, exprès, et le substantif cyprès[129]. De plus, sans doute par analogie, grès, agrès et très; enfin dès et profès.{56} Tu es a plutôt l’e moyen, un peu plus ouvert dans folle que tu es que dans tu es folle.
La tendance à fermer l’e final est si marquée en français que, même pour ces deux catégories, -et et -ès, dans beaucoup de provinces on ferme l’e, comme dans mes ou les. Cette prononciation, qui n’est pas nouvelle, est peut-être destinée à triompher un jour de nouveau; en attendant, elle est tout à fait vicieuse, et c’est un des défauts dont il faut se garder le plus.
En parlant de l’e fermé, ou plutôt de l’e final, même ouvert, nous n’avons rien dit de la quantité. C’est qu’elle est la même partout: sans être tout à fait bref, l’e final n’est jamais long; comme l’a final, il est moyen partout, dans succès, cabinet ou même forêt, comme dans aimer, aimé ou aimez. La question est donc sans intérêt[130].
Pourtant les finales féminines en -ée et -ées furent jadis et peut-être même devraient être un peu plus longues que les masculines. Elles ont fait comme les finales en -oie, et nous retrouverons le même phénomène dans les finales en -aie, -eue, -ie, -ue, -oue. Dans toutes ces finales, sauf tout au plus les finales en -ie (et encore!), la distinction d’avec la finale masculine a complètement disparu de l’usage courant: elle ne se maintient plus que dans une prononciation très soutenue, et surtout en vers, où le prolongement du son a pour but de faire encore distinguer, s’il est possible, les rimes masculines des rimes féminines. Ce n’est plus qu’un artifice de diction[131].{57}
Ainsi l’e fermé français n’est jamais long, mais toujours moyen. Au contraire l’e ouvert peut être, suivant les cas, bref, moyen ou long. C’est ce que nous allons voir en étudiant l’e suivi d’une consonne articulée. Cet e, comme nous avons dit, est toujours plus ou moins ouvert[132]. Mais il est surtout beaucoup plus ouvert quand la voyelle est longue que quand elle est brève ou moyenne: ouvert et long sont ici proportionnels[133].
L’ordre adopté pour la voyelle a s’impose également pour l’e.
I. E bref.—Les finales brèves sont celles qui ont une explosive brusque, c, p, t, ou une spirante sourde, f, ch, s.
1º -ec (avec -ech non chuintant ou -eck) et -èque: bec, échec, varech, bifteck, chèque, pastèque[134].
2º -ep et -eppe: julep, steppe. Cèpe, qui n’a qu’un p devant l’e final, est resté plus long et plus ouvert{58} que steppe ou cep: nous retrouverons ailleurs cette différence entre la consonne simple et la consonne double[135].
3º -et et -ète ou -ette: net et nette, sept, diète et miette, cachète et cachette, complète et emplette, secrète et regrette[136].
Naguère encore la finale -ète était moins brève que -ette: il est bien difficile de saisir aujourd’hui une différence entre les mots qu’on vient de lire[137]. Vous êtes s’est lui-même fort abrégé, malgré l’accent circonflexe, surtout devant un mot, parce qu’il perd l’accent: vous êtes fou. En vers pourtant, la finale -ète reste souvent plus longue et plus ouverte, au moins pour rimer avec -ête, et cette ouverture se maintient parfois dans la diction soutenue pour certains mots, comme prophète et surtout poète[138]. Mais quand on dit dans le langage courant{59} les poètes français, il est bien certain que l’e de poète n’est pas plus ouvert que celui de muette.
Couette et bouette s’écrivent aussi coite et boite, et se prononcent ainsi. Quelques-uns prononcent encore foite et foiter pour fouette et fouetter, mais cette prononciation est désormais surannée, presque autant que celle de foi pour fouet: c’est toujours la réaction fâcheuse de l’orthographe sur la prononciation, mais on n’y peut rien[139].
4º -ef et -effe ou -èphe: f, relief, chef, greffe[140].
5º -èche: bobèche, sèche. Malgré l’accent circonflexe, pimbêche a aussi l’e bref. Pourtant il s’écrivait autrefois avec un s[141]; ainsi:
mais il faut croire que l’e s’est abrégé, ou bien cet sch venait de l’allemand, et équivalait au ch français: l’accent circonflexe ne serait donc pas justifié. En revanche on allonge quelquefois l’e dans crèche et brèche, en achevant de l’ouvrir[142].
6º -èce et -esse ou -esce, mais non -ès: la lettre s (écrite aussi esse), nièce et vieillesse, espèce et papesse, noblesse, allégresse, vesce, etc. Les verbes cesse et presse et leurs dérivés ont conservé généra{60}lement un e un peu plus long; les autres se sont abrégés[143].
Quant aux mots en -ès à s articulé, ils ont tous l’e long, comme les mots en -as, dans le même cas; mais, de même que les mots en -as, ils ne sont pas français: ils sont latins, comme palmarès ou facies, ou étrangers, comme londrès ou cortès[144]. L’e n’est bref ici que quand il est suivi de deux s, comme dans express et mess, et ces mots sont aussi étrangers.
Est-ce devrait être long, mais il ne l’est guère, même quand il est tonique: à qui est-ce diffère peu de acquiesce; à plus forte raison quand il ne l’est pas: est-ce à lui? D’autre part l’article pluriel composé archaïque ès (en les) avait autrefois l’s muet et l’e ouvert, comme dans la préposition dès; on prononce aujourd’hui l’s, mais l’e reste bref et n’est qu’à demi-ouvert: bachelier ès lettres. Ces deux mots rentrent donc dans la règle générale.
Pour ce qui est de pataquès, une anecdote bien connue, racontée par Domergue, le tire de la phrase je ne sais pas-t-à-qu’est-ce, pour je ne sais pas à qui{61} c’est[145]. A ce compte, il devrait avoir l’e bref; mais il a suivi l’analogie de tous les mots en ès[146].
II. E moyen.—L’e est un peu moins bref devant une explosive retardée, b, d, et g guttural, devant l, m et n, et devant les consonnes mouillées, ainsi que devant la spirante sonore j (ou g devant e et i).
1º -eb et -èbe: éphèbe, glèbe. On allonge quelquefois les monosyllabes glèbe et plèbe, mais ceci n’est pas d’un bon exemple[147].
2º -ed et -ède: z, remède, possède[148].
3º -eg et -ègue: bègue, grègues[149].
4º -el et -èle ou -elle: l, appel, appelle ou épèle, tel, telle ou attelle, martèle ou immortelle[150]. On voit{62} que la différence entre les formes verbales en -èle et -elle est une simple question d’orthographe, assez ridicule d’ailleurs et souvent douteuse[151].
Pourtant le monosyllabe hèle est généralement long; de même zèle et aussi stèle, qui garde la quantité grecque. Ces mots se prononcent comme ceux qui ont l’accent circonflexe[152].
En revanche, le substantif grêle, autrefois gresle, comme l’adjectif, s’est différencié de lui en s’abrégeant.
D’autre part le pronom elle s’allonge aussi quand il est tonique, mais seulement à la suite d’une préposition: bref ou moyen dans dit-elle, aussi bien que dans elle dit, il paraît long dans pour elle, sur elle, avec elle, etc. De même réelle, à cause de la nécessité de distinguer les voyelles identiques, et quelquefois pelle.
Il y a la même différence entre moelle et poêle qu’entre belle et bêle, mais c’est oua qu’on entend, ouvert dans moelle (mwal) et dans ses dérivés, ainsi que dans moellon, fermé dans poêle (pwâl) et ses dérivés[153].
5º -em et -ème ou -emme: m, harem, sème, dilemme, centième.
Toutefois, dans beaucoup de mots en -ème, sur{63}tout des mots savants, la prononciation soutenue, un peu oratoire, fait l’e aussi long que dans les mots en -ême[154]. On ne perçoit guère de différence entre blême et emblème, carême et théorème, baptême et anathème. De même, en vers, on allonge généralement poème et diadème, surtout à la rime, sans parler de crème ou stratagème[155]. L’étymologie grecque, d’une part, la poésie et la rime d’autre part, et l’enseignement, qui insiste outre mesure sur l’accent grave, ont dû contribuer à amener cette confusion. Les seuls mots, ou à peu près, qui ne soient pas atteints, sont les adjectifs numéraux en -ième, où l’e reste toujours moyen, et surtout sème et ses composés, qui suivent l’analogie des verbes en -eler et -eter. On pense bien d’ailleurs que dans système métrique, l’e ne peut être que moyen, de même que dans les poèmes français[156].{64}
Quant à femme, il se prononçait autrefois fan-me, avec son nasal, comme flan-me. La syllabe s’est dénasalisée de la même manière que celle de flamme, puisque la prononciation était la même, et voilà pourquoi on prononce femme par un a, mais cet a est plus bref que celui de flamme[157].
6º -en et -ène ou -enne: n, cyclamen, ébène et benne, étrenne et gangrène[158]. Mais, ici aussi, sans doute pour les mêmes raisons que -ème, -ène se prononce très souvent comme -êne[159]. Par exemple on voit peu de différence entre rênes et arène, entre gêne et indigène[160]. Les seuls mots, ou à peu près, qui ne soient pas atteints, sont les formes verbales des verbes en -ener et même -éner, qui suivent aussi l’analogie des verbes en -eler et -eter: emmène, égrène, assène, etc., avec aliène, rassérène, réfrène[161]. Mais on allonge parfois jusqu’à ébène et gangrène, ce qui est excessif.
Couenne se prononce encore coine, mais est en voie de s’altérer[162].
7º -ègne, avec trois mots: duègne, règne et im{65}prègne, qui s’allongent quelquefois, mais sans nécessité[163].
8º -eil et -eille[164]: sommeil et sommeille, pareil et pareille, orteil et merveille, sans qu’il y ait aucune distinction entre les deux comme il y en a entre -ail et -aille[165].
On ferme encore l’e dans vieille, comme autrefois, au moins dans la conversation.
9º -ège: piège, collège, abrège, et aussi puissé-je et dussé-je, malgré l’accent aigu, qui se conserve par tradition, mais qui ne saurait empêcher l’e de s’ouvrir dans cette finale[166].
On notera en outre que l’e, en s’ouvrant dans la finale -ège, s’est en même temps abrégé, tandis que l’a s’allongeait dans la finale -age. La spirante sonore j se sépare donc ici de ses sœurs v et z[167].
III. E long.—Voici enfin les consonnes qui achèvent d’ouvrir et allongent tout à fait l’e qui les précède. Il n’y en a plus que trois: r, v et z.{66}
1º -er (avec ou sans consonne) et -ère ou -erre: r, fier, tiers et entière, fer, offert et enferre, clerc, nerfs, vénère et tonnerre. Il n’y a qu’une prononciation pour ver, vers, vert et verre; et, de même que pour la finale -ar ou -are, il n’y a aucune exception[168].
Cette prononciation de la finale -er, avec e ouvert et r sonore, est purement française (ou latine); elle n’est la même pour les mots étrangers en -er que quand ils sont francisés ou à peu près. Ainsi l’anglais placer, spencer, tender, porter, reporter, ulster, revolver, au besoin outsider et starter[169]; l’allemand thaler ou bitter[170]; le hollandais stathouder et polder; le danois geyser; le suédois eider, sans compter vétiver, qui vient du tamoul, et messer, qui vient de l’italien. Tous ces mots s’accommodent parfaitement de notre e ouvert, ou même n’en ont plus d’autres chez nous[171].{67}
Au contraire, beaucoup de mots anglais d’usage peu populaire conservent plutôt le son eur ouvert: canter, clipper, coroner, farmer, for ever, globe-trotter, highlander, over-coat et leader, cover-coat, porter, rally-paper, remember, schooner, settler, stepper, walkover, water. Cutter s’est francisé en cotre. Quaker et même bookmaker font entendre quelquefois la finale ècre[172]. Quant à fox-terrier, il est complètement francisé et identifié au français terrier: fox-terrieur est assez ridicule, même chez les personnes qui savent l’anglais.
2º -ève: fève, brève, grève, sève. On notera que les e de bref et de brève sont presque aux deux extrémités[173].
Toutefois les formes verbales, achève, lève, crève et grève, et leurs composés (et par conséquent les substantifs élève et relève), ont l’e plutôt moyen, suivant l’analogie des verbes de même forme: achète, gèle, sème ou égrène, et cela surtout quand ils perdent l’accent, comme dans relève-t-il[174].{68}
3º -èse, -ez et -èze: dièse, obèse, fez, mélèze et trapèze[175]. Toutefois les verbes pèse et empèse ont l’e moyen, comme lève et crève.
En résumé l’e reste bref, ou tout au plus moyen, devant quinze consonnes, sauf les exceptions, et s’allonge devant trois; et plus il est long, plus il s’ouvre.
Les groupes de deux consonnes que terminent des liquides sont encore moins abondants et sont aussi plus réguliers pour e que pour a.
Ceux dont la seconde consonne est un l sont quatre: -èble, -ècle, -èfle, -ègle (-èple n’existe pas), avec six mots en tout: hièble, siècle (et Thècle), nèfle et trèfle, espiègle et règle. Ces mots correspondent exactement, et appartiennent même, si l’on veut, aux finales en -eb, -ec, -ef et -eg, sauf que leur e est un peu moins bref; mais nulle part il n’est long[176].
Parmi les finales dont la seconde consonne est un r, les plus brèves sont -ècre, -èfre et -èpre: exècre et lèpre[177].
Les mots en -èbre, -èdre, -ègre, ont l’e moins bref: moins bref que -eb, -ed, -eg, moins bref aussi que -ècre, -èfre, -èpre, mais non pas long tout à fait{69} pour cela, sauf en vers, bien entendu, où les poètes se plaisent à prolonger la rime funèbres-ténèbres; mais je ne vois pas que, dans la conversation ordinaire, on prononce célèbre, algèbre ou vertèbre autrement que zèbre[178]. Cèdre s’allonge volontiers en poésie; mais en prose l’e de cèdre est aussi moyen que celui des mots géométriques en-èdre, dièdre, trièdre, etc.[179]. Enfin l’e est également moyen dans allègre, nègre, intègre et pègre (haute et basse).
Il ne reste plus dans cette catégorie que les finales en -ètre ou -ettre et en -èvre, les plus abondantes de toutes, et celles où l’e est le plus bref ou le plus long.
L’e est bref dans mettre et lettre et leurs composés; mais je ne vois pas que mètre se prononce autrement que mettre[180]; et les deux e de pénètre sont, si on le veut, presque identiques. Il faut bien allonger urètre quand Victor Hugo le fait rimer avec prêtre; mais en dehors des cas pareils, -ètre doit être tenu pour pareil à -ettre, de même que complète et emplette, épèle et appelle. La seule différence est la faculté qu’ont les mots en -ètre d’allonger leur finale en cas de besoin[181].
Quant aux mots en -èvre, en principe ils ont l’e long, comme les mots en -ève, mais moins sans doute que les mots en -èse. Et il y a des distinctions{70} à faire[182]: orfèvre et lèvre paraissent avoir l’e plus constamment ouvert que les autres; chèvre l’a beaucoup moins, et aussi sèvre, qui a l’e plutôt moyen, comme lève et crève; plèvre est douteux, et aussi les mots en -ièvre: fièvre, lièvre, mièvre et genièvre, du moins en prose, car en vers on tend à les ouvrir[183].
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Remarque.—Cette observation à propos des vers, déjà faite plusieurs fois, ne veut pas dire du tout qu’il faille en principe prononcer les mots autrement en vers qu’en prose. Et je veux bien qu’il y ait tout de même une prononciation oratoire ou poétique, qui ouvre les e un peu plus que ne fait l’usage courant. Mais c’est de la rime surtout qu’il faut tenir compte, car les poètes font volontiers rimer des mots dont la quantité n’est pas la même. Or il importe beaucoup de distinguer les cas.
Race et grâce, malgré la consonne d’appui, font une rime médiocre et que rien ne peut pallier, car les voyelles diffèrent à la fois de timbre et de quantité, et on ne peut ni allonger et fermer race, ni abréger et ouvrir grâce; de même trône et couronne, rime si fréquente chez Victor Hugo. Fleurette et arrête diffèrent déjà un peu moins; mais il est encore impossible d’identifier les sons, de même que ceux de mettre et maître, et la rime reste médiocre.
Au contraire, les finales qui ont un accent grave sur l’e ont la faculté de s’ouvrir davantage pour se rapprocher de celles qui ont l’accent circonflexe. Or il n’y a pas assez de mots en -êche, -êle, -ême, -êne ou -être, pour que les poètes ne soient pas amenés à{71} les faire rimer avec des mots à accent grave. En ce cas, il faut bien faire quelque chose pour eux. On ne doit donc pas souligner fâcheusement des licences nécessaires, en accentuant la différence de prononciation, mais au contraire rapprocher l’è de l’ê, et en général l’e qui peut s’ouvrir davantage de l’e très ouvert, qui ne peut guère s’ouvrir moins. Par exemple, si le poète fait rimer crèche et prêche, cisèle et zèle, centième et Bohême, gangrène et frêne, pénètre et fenêtre, rimes excellentes d’ailleurs et peu discutables, ce serait le trahir que de ne pas ouvrir l’e partout aussi également que possible, comme il a probablement voulu qu’on l’ouvrît. Et si même il a fait une erreur, il faut pallier cette erreur quand on le peut.
Il résulte aussi de toutes nos observations que le degré d’ouverture de l’e est souvent discutable, et qu’on a le droit de différer d’opinion sur ce point. Il ne faut donc pas attacher à ce détail trop d’importance: on ne sera jamais ridicule parce qu’on l’ouvrira un peu plus ou un peu moins, et il y a des fautes beaucoup plus graves. La faute grave ici consiste à fermer des e qui sont certainement ouverts. On a pu voir que la tendance générale, due peut-être à la poésie, est de les ouvrir, et beaucoup sont ouverts qui jadis étaient fermés, comme ceux des mots en -ège. Or dans beaucoup d’endroits on continue à les fermer: on prononce collége, bonnét et même bônét, achéte et emméne; c’est là une prononciation dialectale, qui est tout à fait vicieuse.
Nous savons déjà qu’en principe l’e atone est moyen dans tous les sens; du moins il n’est jamais complètement fermé, notamment devant un r. Et il{72} n’est pas plus fermé quand il a l’accent aigu que quand il est suivi de deux consonnes: révéler ou dégeler n’ont de vraiment fermé que l’e final, dont les autres diffèrent peu ou prou; il en est de même de desseller ou effréné. Beaucoup de ces e ont été fermés autrefois, notamment tous ceux qui ont l’accent aigu, et particulièrement les préfixes é- et dé- (autrefois es- et des-): élèves, défaire; ils s’ouvrent aujourd’hui de plus en plus, au moins à demi, et plus qu’à demi[184]. Nous avons vu l’e fermé de rez s’ouvrir à moitié dans rez-de-chaussée, aussi bien que celui de pied dans piéton; et quoique l’e généralement fermé de mes, les, des, reste fermé aussi dans les composés, mesdames, lesquels, desquels, etc., il s’ouvre à demi dans messieurs, parce que les composants n’y sont plus reconnus. Inversement, celui de fièvre ou nègre se ferme légèrement dans fiévreux ou négresse.
Toutefois, de même que l’a tonique fermé restait souvent fermé en devenant prétonique par suite de la flexion, de la dérivation ou de la composition, de même l’e tonique ouvert et long reste souvent tel ou à peu près dans les mêmes conditions.
Ainsi l’e prétonique est ouvert et long d’abord quand il a l’accent circonflexe, mais naturellement un peu moins dans pêcher ou pêcherie que dans pêche, beaucoup moins même dans prêter, revêtir ou traîtresse que dans prête, revête ou traître.
Cette conservation de l’e ouvert est d’ailleurs combattue par la tendance que l’e prétonique paraît avoir à se fermer devant une tonique fermée: phénomène d’assimilation ou d’accommodation.{73} Ainsi l’e se ferme tout en restant long dans fêlure, bêtise, têtu et même entêté, malgré l’e ouvert de fêle, bête, tête. Toutefois cette prononciation appartient presque uniquement à la langue courante et familière, et ne serait point admise par exemple en vers[185].
L’e prétonique est encore fermé, sans être proprement long, devant un e muet: fé(e)rie, gré(e)ment.
Beaucoup d’e prétoniques sans accent circonflexe restent aussi ouverts et longs un peu plus qu’à demi: zèle, pierreux ou empierrer, serrer ou serrure, terreau, terrer ou enterrer, verrée, brièvement, grièvement et les adverbes en -èrement rappellent d’assez près zèle, serre, terre, brève, etc. On y joindra perron, je verrai, j’enverrai, la bobinette cherra.
On notera que l’e des verbes en -érer, comme celui des verbes en -arer, est tout à fait moyen, ce qui met une assez grande distance entre libérer et libère, tolérer et tolère; cela tient sans doute à ce que l’e des formes toniques a dû être ouvert et allongé par l’r final, tandis que l’e atone gardait sa quantité normale.
Il en est de même de ferrer, ferrure, guerrier, verrière, et des mots où deux r se prononcent, comme terreur. Par analogie peut-être, des mots comme maniéré ou arriéré ont pris aussi l’e moyen[186]; à for{74}tiori ferrailler, guerroyer, terrasser ou atterrissage, verroterie, etc., où l’e est plus éloigné de la tonique.
Fainéant se prononce fégnan dans le peuple; mais les personnes cultivées ont droit d’articuler fai-né-ant[187].
On a vu plus haut que l’e de femme se prononçait a, et pourquoi. Il en est de même de celui de solennel ou solennité, de rouennais et rouennerie, et des adverbes en -emment, comme fréquemment et ardemment, etc.: dans tous ces mots aussi, le son primitif an s’est dénasalisé en a et en même temps s’est abrégé[188].
Le même phénomène s’est produit dans bien d’autres mots, comme ennemi, passé de en-nemi nasal à a-nemi; mais a-nemi est devenu depuis e-nemi, à cause de l’orthographe. C’est ce qui s’est fait aussi, malgré les efforts désespérés des grammairiens, dans nenni et dans hennir ou hennissement, qui, après être passés de an à a, sont aussi passés de a à e[189].{75}
Dans indem-niser ou indem-nité, il en est de même, et la prononciation indamnité, qui n’est pas rare, sera bientôt aussi surannée que hanir: toujours l’influence de l’orthographe. Cette influence commence même à se faire sentir, non pas peut-être dans solennel, mais du moins dans solennité[190].
Il faut éviter avec soin de traiter l’é de déjà comme un e muet: il est d’jà venu[191].
L’e intérieur latin, qui ne prend pas d’accent, est aussi généralement un e moyen, plus ou moins ouvert[192].
Il en est de même des diphtongues œ et æ: œsophage, œdème, œcuménique, œnophile, ærarium, ad vitam æternam, etc.[193]. Toutefois on ferme œ dans fœtus ou cœcum, æ dans ex æquo ou æquo animo.{76}
Dans les mots étrangers, l’e intérieur, aussi bien que l’e final, n’a pas d’accent aigu dans les cas où nous en mettrions un; mais il se prononce comme s’il l’avait, surtout s’il porte l’accent tonique. Ainsi l’e est à demi ouvert dans impresario ou mezzo, dans brasero, romancero, torero, et aussi dans event, revolver, remember; il est même fermé dans peseta; mais il est muet dans record, qui est complètement francisé, si bien qu’il ne se prononce même pas dans recordman, qui est manifestement étranger[194]. D’autre part, quand l’e intérieur est atone, il est souvent presque muet, surtout en allemand[195].
L’o germanique surmonté d’un tréma se prononce eu en allemand et aussi en suédois. L’œ, par lequel nous le représentons, faute de caractère typographique spécial[196], se francise quelquefois en é dans certains noms propres[197]. D’autres fois, mais rarement,{77} il se décompose en o-ë[198]. Mais le plus souvent il garde le son germanique eu, comme dans fœhn[199].
Dans beaucoup de mots étrangers, surtout allemands, l’e ne sert qu’à allonger l’i qui le précède, comme dans lied, mot savant qui a pu garder sa prononciation originale lîd[200].{78}
L’e double germanique n’est qu’un e fermé long[201].
L’e double anglais, final ou non, se prononce encore i, par exemple dans meeting, sleeping, queen, spleen, keepsake, yankee, pedigree, street, speech ou steeple[202]. Cet i est long; mais nous l’abrégeons souvent, notamment dans keepsake, parce que nous déplaçons l’accent[203].{79}
Ai ou ei, ainsi que ay ou ey, se prononcent généralement comme è ouvert[204].
I. AI final.—Ai final, sans consonne, était jadis fermé comme é. Il ne l’est plus guère aujourd’hui que dans j’ai, mais non pas dans ai-je, qui suit l’analogie des mots en -ège.
A Paris, on continue à fermer la finale dans geai, gai (avec gaie, gaiement, gaieté) et quai, au pluriel comme au singulier; mais cela n’est point indispensable: cela devient même dialectal[205]. D’ailleurs,{80} cette prononciation est probablement destinée à disparaître dans ces mots comme dans les autres. Mai prononcé mé est tout à fait suranné, et aussi incorrect que vrai prononcé vré[206]. Dans je sais, le son fermé, qui remonte sans doute à l’époque où l’on écrivait je sai, n’est guère meilleur aujourd’hui que dans mai[207]. Enfin les futurs, qui jadis se distinguaient des conditionnels (aimerai par é, aimerais par è), ne s’en distinguent plus aujourd’hui que par un effort volontaire, qu’il est inutile de s’imposer[208].
Même les mots anglais en -ay et -ey, qui se prononcent é en anglais, se francisent parfaitement, mais ne le font qu’en s’ouvrant: tramway, jockey, trolley, poney, jersey, comme boghei, transcrit de l’anglais buggy, et parfois écrit boghet ou boguet[209].{81}
Donc, d’une façon générale, ai final est devenu sensiblement identique à ais, qui est très ouvert, quoique le peuple le ferme souvent, à Paris et ailleurs; et l’on peut dire qu’en définitive ai est ouvert à peu près partout et se prononce è, qu’il y ait ou non une consonne, et quelle que soit la consonne, -aid, -ais, -ait, -aix, et aussi -aît; car les mots en -aît, comme les mots en -êt, ne se distinguent guère des autres, et connaît ou paraît, comme benêt ou forêt, ne se prononcent pas autrement que bonnet ou cabaret.
Ainsi entre fais, parfait, portefaix, préfet, profès, il n’y a que des différences d’orthographe; de même entre essai, je sais, décès, français, forçait, corset, entre balai, palais, galet, égalait, legs, trolley, déplaît: les mots de tous ces groupes riment parfaitement ensemble pour l’oreille, et même richement[210].
Comme les finales en -é ou -et, toutes ces finales sont également moyennes pour la quantité. La finale -aie ou -aies s’allonge un peu en vers, mais cette différence est insensible dans l’usage courant: est-ce vrai ou est-elle vraie ne se prononcent pas de deux manières, et le subjonctif j’aie ne diffère de j’ai que par{82} le timbre, c’est-à-dire par l’ouverture[211]. Il faut seulement éviter de changer -aie en -aye (ai-ye).
II. AI suivi d’une consonne articulée.—Suivis d’une consonne articulée, ai ou ei suivent naturellement le sort de l’e dans les cas correspondants, c’est-à-dire qu’étant toujours ouverts, ils peuvent être néanmoins plus ou moins brefs ou longs; mais ils sont quelquefois un peu plus longs que l’e.
1º Devant une sourde, c, t, ch ou s, il y a peu de différence. On ne prononce pas de deux manières échec et cheik, ni estafette et parfaite[212]; de même soubrette et distraite, sèche et seiche[213]; et la différence est mince, s’il y en a une, entre abbesse et bouillabaisse[214]; entre fesse et affaisse, peut-être même entre paresse et paraisse, avec serait-ce, ou encore était-ce et politesse[215].{83}
Toutefois les finales en -aisse, autrefois longues, ont encore une tendance à s’ouvrir plus que les autres: ai est resté certainement long dans baisse, caisse et graisse, et leurs composés; les autres, laisse, naisse, connaisse, paisse, épaisse, sont devenus douteux: notamment quand on dit caisse d’épargne, ou baisse de fonds, ou graisse d’oie, on ne se soucie guère d’allonger aisse[216].
Devant d et j, ai ou ei sont encore sensiblement pareils à è, et raide se prononce comme remède[217]; on ne distingue pas neige et beige de manège et arpège, ni fais-je et vais-je de solfège ou collège. Pourtant aide et plaide s’allongent assez facilement; sais-je aussi.
De même paye, raye, bégaye, grasseye riment très exactement avec oreille et Marseille[218]; baigne, daigne, saigne et châtaigne, aussi bien que peigne, empeigne, enseigne et teigne, et tous les subjonctifs en -aigne et -eigne, ne se distinguent pas davantage de duègne et règne, et s’allongent même moins facilement, sauf tout au plus baigne, daigne, saigne et peut-être craigne, dans la prononciation oratoire[219].
2º En revanche, le mot aile s’est allongé, comme elle après une préposition[220]. Le mot aime aussi, du{84} moins à la rime, mais non pas essaime. Et ces finales n’ont pas d’autres mots.
Les finales -aine et -eine sont au contraire très fréquentes, et celles-là, souvent brèves autrefois, sont aujourd’hui plutôt longues, comme celles de beaucoup de mots en -ène: prochaine rime très exactement avec chêne, comme avec chaîne et Duchesne[221]; de même reine et marraine avec rênes et sirène. Pourtant graine et migraine ont plutôt ai bref ou moyen, et aussi daine (féminin de daim), et bedaine, et peut-être naine[222].
Les finales -air et -aire, -aise et -eize sont longues à fortiori, sans exception, ainsi que le mot glaive[223]. Il n’y a qu’une prononciation pour r, air, ère, hère, erre, aire et haire, et lorsque grammaire avait encore le son nasal, il se confondait avec grand’mère, au moins à partir du XVIIᵉ siècle[224]. De même c’est l’identité de prononciation qui a fait transformer les{85} pantoufles de vair de Cendrillon, qui étaient des pantoufles de fourrure, en absurdes pantoufles de verre.
Il n’y a pas d’avantage de différence possible entre treize, fraise et diérèse, seize, française et diocèse[225].
Les mots faible, aigle et seigle, aigre, vinaigre et maigre ont également la finale longue, plus longue que les mots correspondants en -èble, -ègle et -ègre; toutefois cette quantité ne s’impose ni pour faible ni pour seigle.
Les mots en -aître ont tous l’accent circonflexe[226].
III. AI atone.—Ai tonique long et ouvert garde assez facilement sa quantité, à peu près du moins, en devenant atone: fraîcheur, maigrir, aider, aimer, abaisser, laisser, fraisier, paisible, vous vous tairez, et tous les mots en -airie, rappellent suffisamment fraîche, maigre, aide, etc.; l’orthographe y aide beaucoup, l’r et l’s encore plus peut-être.
Mais les exceptions sont nombreuses. Dans affairé, ai est aussi moyen que dans parfaitement. Même dans gaîté, malgré l’accent circonflexe, ai est à peu près identique à l’e bref, à peine ouvert, de guetter[227]. Ici aussi on peut voir trois degrés différents pour la quantité, par exemple daigne, daigner et dédaigner.
De plus, ai prétonique, comme ê, a une tendance assez marquée à se fermer devant une tonique fermée, mais généralement sans s’abréger; ainsi dans aimer, aisé, laisser, saigner, etc., et même dans plaisir, saisir, épaissir, ou dans aigu, laitue, rainure. Il n’y a lieu ni de lutter contre cette tendance, ni de se croire obligé{86} de s’y conformer; mais elle appartient plutôt à la conversation très familière[228].
Mais voici qui est plus particulier. Aujourd’hui encore, ai se réduit à un simple e muet dans les formes de faire et les mots dérivés où ai atone est suivi d’un s: nous faisons, je faisais, nous faisions, faisant, et aussi bienfaisant et malfaisant, faisable et faiseur, qui doivent se prononcer fesais, fesons, etc., en opposition avec bienfaiteur et malfaiteur, où ai est suivi d’un t.
C’est encore une des bizarreries de notre orthographe; nous écrivons bien je ferai au futur, comme nous prononçons, et non pas fairai, malgré l’identité constante d’orthographe entre le futur et l’infinitif; pourquoi pas aussi bien je fesais? C’est ce que faisait ou fesait Voltaire. Pourquoi l’Académie n’a-t-elle pas suivi son autorité, comme elle s’est décidée à le faire pour les mots en -ais, au lieu de -ois? La conséquence, c’est qu’on se met de plus en plus à prononcer faisais, faisons, et surtout bienfaisant et bienfaisance, comme on écrit, et il y a des chances pour que cette prononciation fautive finisse un jour par prévaloir.
Cette prononciation d’e pour ai a été longtemps aussi la seule correcte pour faisan, faisane, faisandeau, faisander; mais elle tend déjà à disparaître dans ces mots, en attendant qu’elle disparaisse dans les autres.{87}
Le groupe ouai s’est prononcé oi dans certains mots, comme le groupe oue: on disait doirière, comme on disait foiter; mais cette prononciation est aussi surannée aujourd’hui dans douairière que dans souhait et souhaiter, ou dans fouet[229].
IV. Le groupe AIGN.—Il en est du groupe aign comme du groupe oign, non pas partout, mais dans beaucoup de mots; il contenait à l’origine une voyelle simple, a, suivie d’un n mouillé, qui s’écrivait ign[230].
Ceux de ces mots qui ont perdu leur i, ga-(i)gner, monta-(i)gne, a-(i)gneau, compa-(i)gnon, ont sauvé leur prononciation; ceux qui ont gardé leur i, ara-igne, châta-igne se sont altérés, l’i s’étant joint indûment à l’a: arai-gnée, châtai-gne. Tous ces mots se prononcent depuis longtemps comme ils s’écrivent[231].{88}
V. Les mots étrangers.—Nous avons vu les finales anglaises -ay et -ey se prononcer en français comme e ouvert et non fermé; nous ouvrons aussi ai dans bar-maid, cock-tail, mail-coach, daily(-News) ou rocking-chair. Quelques-uns prononcent de même rail ou railway.
Au contraire, bairam se prononce baïram (quelquefois béïram), aï faisant une seule syllabe, comme dans l’allemand kaiser. Mais scheik est francisé en chèc et non en cheïc. Vayvode a été remplacé par voïvode[232].
Le groupe allemand ei est une diphtongue qui se prononce à peu près aï, monosyllabique. On le francise à moitié dans gneiss ou edelweiss, où l’on fait sonner tout au moins une semi-voyelle (eye au lieu de aye). Mais il importe d’articuler nettement et à l’allemande, c’est-à-dire aï ou aye, dans reichstag ou reichsrath, dans vergiss mein nicht, dans leit-motif, zollverein, etc.; et cela vaut mieux également pour edelweiss[233].{89}
Le mot geyser, qui devrait se prononcer comme kaiser (beaucoup, néanmoins, prononcent ka-i-ser, à l’allemande), est un des exemples les plus curieux de l’habitude que nous avons de franciser à demi; le g a gardé le son guttural et la diphtongue ey est restée diphtongue, mais en se francisant par e, et la finale a pris l’e ouvert et long qui est purement français: gheïzèr[234].{90}
Le groupe eu est depuis longtemps une voyelle simple, ouverte et fermée, dont le son se rapproche de celui qu’a l’e muet quand il n’est pas muet[235].
Eu final est fermé partout comme é final, et de plus moyen comme toutes les voyelles finales. Il y a d’ailleurs peu de mots en -eu sans consonne à la suite; une dizaine de mots en -ieu: dieu, lieu, pieu, etc., et une douzaine d’autres en -eu: feu, jeu, etc., avec quelques mots en -eue, où l’e muet ne change rien: lieue, banlieue, queue et les féminins feue et bleue[236].
Avec une consonne non articulée à la suite, il y en a davantage et le son eu y est toujours fermé. Ce sont d’abord et surtout les adjectifs et substantifs en -eux, qui sont fort nombreux, sans compter les pluriels comme dieux et bleus[237]. Il y faut joindre les mots suivants:
1º Le mot nœud, qui devrait naturellement s’écrire et s’est longtemps écrit neu, tout simplement, comme nu.{91}
2º Les pluriels œu(fs) et bœu(fs), et aussi le singulier bœu(f), à Paris du moins, dans l’expression carnavalesque bœu(f) gras, où l’f final est muet devant une consonne, suivant la règle d’autrefois[238].
De plus et surtout, malgré l’affaiblissement de l’accent, l’adjectif numéral neuf devant un pluriel commençant par une consonne: les neu(f) muses, neu(f) cents, neu(f) mille, ainsi que dans neuf heures et neuf ans, où il y a seulement liaison, avec changement de l’f en v; toutefois, dans ces deux expressions, eu tend déjà à s’ouvrir[239].
3º Monsieur, comme messieurs, souvenir de l’époque où l’r avait cessé de se prononcer dans tous les mots en -eur[240].
4º Les formes verbales pleut, meux et meut, peux et peut, veux et veut. Cependant veux et veut tendent parfois à s’ouvrir.
I. EU fermé.—Quand eu est suivi d’une consonne articulée, il est assez généralement ouvert; mais il est encore fermé dans certains cas, et alors il n’est plus moyen, mais long, notamment dans tous les mots en -euse, comme dans les mots en -ase: baigneuse, glaneuse, vareuse, etc.[241]. Ceci est très important, car c’est un des points sur lesquels les prononciations{92} dialectales sont le plus incorrectes, et l’incorrection est bien plus sensible dans -euse que dans -ase.
Outre les mots en -euse, eu tonique avec consonne articulée est encore long et fermé dans les mots suivants:
1º Les onomatopées beugle et meugle; on peut d’ailleurs ouvrir ces mots quand ils riment avec aveugle: cela vaut mieux que de fermer eu dans aveugle.
2º Le mot veule, auquel meule s’est ajouté depuis un siècle, malgré l’étymologie.
3º Le substantif jeûne, que la prononciation aussi bien que l’accent distingue de l’adjectif, jeûne ouvert étant tout à fait incorrect. Mais déjeune, qui n’a plus d’accent, est beaucoup moins fermé, et s’ouvre même un peu trop[242].
4º Les mots en -eute et -eutre, contrairement aux principes ordinaires: meute, bleute, etc., et feutre, calfeutre, neutre, pleutre.
5º Un certain nombre de mots savants ou techniques, à finales uniques ou rares: phaleuce, leude, neume et empyreume[243].{93}
II. EU ouvert.—Partout ailleurs eu tonique est ouvert, avec quelques différences de quantité.
Il est bref, ou tout au plus moyen, quand il est suivi d’une consonne autre que r et v, notamment dans les mots en -euf (sauf les exceptions indiquées plus haut): œuf, neuf, veuf[244]; dans les mots en -eul et -eule (sauf meule et veule): seul, filleul, gueule, veulent[245]; enfin dans l’adjectif jeune. Il n’est guère plus long dans peuple, meuble, esteuble, et même aveugle[246].
Les finales mouillées, -euil et -euille, sont un peu moins brèves: deuil et seuil, feuille et veuille. A cette catégorie appartiennent les mots en -cueil et -gueil, où la présence nécessaire d’un u à côté du c ou du g empêche d’en mettre un second après l’e: accueil, écueil, cercueil, orgueil, et aussi le mot œil, qui s’est longtemps écrit ueil[247].
Les consonnes qui allongent réellement eu ouvert sont seulement r et v, car nous avons vu que les finales en -euse étaient, de plus, fermées[248]. Il ne reste donc plus que les finales suivantes:
1º -eur (avec ou sans s ou t) et -eure ou -eurre: labeur et beurre, cœur et chœur, écœure et liqueur,{94} leurre, leur et leurs, sieur et plusieurs, pleurs et pleure, meurt et meurent, sœur, etc.[249].
Nous avons vu plus haut que monsieu(r) et messieu(rs) faisaient exception, et pourquoi. Cet amuissement de l’r s’est maintenu dans les équipages de chasse à courre, pour le mot piqueu(r), qu’on écrit même quelquefois piqueux; et dans certains milieux de sport aristocratique, ce serait un signe de roture indélébile que de prononcer piqueur comme le vulgaire[250].
2º -euve et surtout -euvre: fleuve et abreuve, œuvre et pieuvre[251].
Nous avons parlé plus haut des prononciations dialectales qui ouvraient eu partout, et notamment dans les finales en -euse. D’autres, au contraire, ferment eu partout, même dans -eur et -euve, et le défaut est tout aussi grave[252].
Remarque.—Il ne faut pas confondre le son eu avec l’u des mots comme gag(e)ure, où un e s’est intercalé dans l’orthographe, entre le g et l’u, pour garder au g le son chuintant du radical[253].
C’est également le son u, et non eu, qu’on a dans le participe (e)u, du verbe avoir, ainsi que dans le prétérit et l’imparfait du subjonctif, j’(e)us, que j’(e)usse: l’e conservé par ces formes faisait diphtongue autrefois dans beaucoup de verbes, comme receu, peu; mais il a disparu partout, depuis que la{95} diphtongue s’est réduite à u, et son maintien dans le seul verbe avoir est assez ridicule[254].
Eu tonique fermé, devenu atone par flexion ou dérivation, se maintient fermé et long dans la plupart des cas: beugler et beuglement, meulière, jeûner, creuser, bleuir et bleuter, deuxième, ameuter, feutrer et calfeutrer, neutralité, lieutenant, et les adverbes en -eusement.
Nous avons vu plus haut eu ouvert suivi d’f se fermer quand f se changeait en v par liaison: neuf ans, neuf heures. Nous retrouvons le même phénomène dans neuvième et neuvaine, où il tend aussi à s’affaiblir. Nous le retrouvons encore, et même plus nettement, dans hareng œuvé et terre-neuvas, malgré l’eu ouvert d’œuf et neuve[255].
Au contraire, bleuet abrège eu, qui même se réduit à u dans bluet. D’autre part, peu s’ouvre sensiblement dans à peu près, encore plus dans peut-être, étant abrégé par le voisinage de la tonique qui est longue. Il devient même si bref et si rapide, qu’il disparaît souvent complètement dans la conversation très familière, comme si c’était un e muet: p(eu)t-êt(re) qu’il est venu[256].
Eu atone est encore fermé en tête des mots, dans{96} eurythmie, où il est suivi d’un r, aussi bien que dans eunuque, euphémisme ou euphonie[257].
Eu est encore fermé dans jeudi, dans meunier, et parfois dans feuillage et feuillée, malgré l’ouverture de feuille; enfin dans des mots techniques ou savants, comme feudiste et feudataire, deutéronome, ichneumon, pneumonie, pseudonyme, teuton et teutonique, et les mots en-eutique et-eumatique[258].
Malgré ces exemples, on peut dire qu’en général eu atone est ouvert, notamment devant un r, mais naturellement plus bref, et par suite moins ouvert, dans abreuver que dans abreuve, dans heureux ou malheureux, fleurdelisé ou effeuiller que dans heur, fleur ou feuille; il reste pourtant ouvert et long, comme la tonique, dans la plupart des verbes en -eurer: beurrer, écœurer, désheurer, leurrer et pleu{97}rer, tandis qu’il est bref dans demeurer, fleurer, effleurer.
Signalons, pour terminer, une faute de prononciation qui ne date pas d’aujourd’hui, que des grammairiens même ont cru devoir autoriser: c’est celle qui consiste à prononcer eil au lieu de euil, à cause de l’orthographe, dans orgueilleux ou enorgueillir, qui, évidemment, ne sauraient se prononcer autrement qu’orgueil. Il est vrai qu’orgueil lui-même est parfois assez altéré; mais ceci est plus extraordinaire, et même assez ridicule. Tout de même, on est surpris d’entendre enorghé-yir jusqu’à la Comédie-Française.{98}
L’o final est fermé, comme é et eu, et moyen, comme a, é et eu: adagio, numéro, domino[259].
L’s non articulé ne saurait ouvrir l’o: chaos, repos, gros, des dominos. Nos et vos eux-mêmes, quoique proclitiques, et par suite dénués d’accent, restent fermés, et leurs o sont même plus longs que les autres.
Il n’en est pas tout à fait de même du t non articulé, quoique les mots en -ot se soient progressivement fermés: sans être assurément ni ouverts ni brefs, ils sont cependant un peu moins fermés en moyenne que les précédents. Je dis en moyenne, car il faut distinguer.
Ceux qui ont une voyelle devant l’o ont toujours l’o fermé, ou à peu près: cahot, idiot, chariot, et, par analogie, fayot, caillot, maillot. D’autres encore font comme eux: mégot, margot, sergot, livarot, paletot, pavot; mais c’est la minorité[260].{99}
La plupart des autres sont souvent beaucoup moins fermés, au moins hors de Paris. Le moins qu’on puisse dire est que leur prononciation est un peu flottante: ainsi jabot, calicot, cachot, fagot, gigot, grelot, mot, canot, pot, pierrot, dévot, et aussi bien leurs pluriels[261]. Sans doute, l’o de ces mots n’est jamais proprement ouvert chez les personnes qui prononcent correctement, mais il arrive souvent qu’il n’est pas fermé non plus, même chez ceux qui ont l’habitude de fermer l’o final. La différence est rendue particulièrement sensible par le voisinage immédiat de mots à son fermé:
Beaux est ici fermé, comme partout: quoiqu’il soit moins accentué que mots, ce qui aurait pu contribuer à l’ouvrir un peu, c’est pourtant lui qui est le plus fermé des deux. La différence est moindre assurément que dans beaux hommes; elle est cependant certaine, et la demi-ouverture de mots entraîne celle de sots[262]. Il se pourrait, d’ailleurs, que le mot mot fût précisément celui qui s’ouvre le plus fréquemment ou le plus facilement, sans qu’il y ait lieu de distinguer comme autrefois entre le singulier et le pluriel. Toutefois, celui-là même n’est jamais ouvert qu’à moitié.{100}
Il n’y a qu’un seul mot en -ot dont l’o soit tout à fait ouvert et bref, mais c’est parce que le t se prononce: c’est dot, la prononciation do étant dialectale.
Il va sans dire que cet o, même fermé, s’ouvre dans les composés, où il cesse d’être tonique, et où, très souvent, le t se lie avec le mot suivant: sot-l’y-laisse, mot-à-mot, pot-à-l’eau, pot-au-lait, pot-au-feu, pot-aux-roses, et même, sans liaison, pot à tabac.
Aux mots en -ot se joignent quelques autres mots à consonne non articulée, dont la finale n’est pas non plus tout à fait ou toujours fermée. Ce sont: broc, croc, avec accroc et raccroc, escroc, galop, sirop, et trop[263]. On notera que trop est presque toujours proclitique, et, par suite, a tendance à s’ouvrir tout à fait: c’est trop juste, ou mieux encore avec liaison: vous êtes trop aimable; aussi est-il bien difficile de ne pas l’ouvrir un peu, même quand il est tonique: j’en ai beaucoup trop. De même l’o est ouvert dans le composé croc-en-jambe, où le c sonne.
Malgré ces restrictions, on peut maintenir néanmoins que le son o final est, en général, fermé ou à peu près, surtout à Paris. Et la tendance est si marquée que, dans les mots raccourcis de la fin, qui se créent précisément à Paris, l’o intérieur, qui était au moins à demi ouvert dans le mot complet, se ferme en devenant final: on peut comparer kilogramme et kilo, typographe et typo. De même mélo, chromo, métro, photo, hecto, aristo, Méphisto, et même auto, malgré le son fermé qui précède l’o[264].{101}
Quand l’o est suivi d’une consonne articulée, il est, comme eu, assez généralement ouvert; mais lui aussi est fermé dans certains cas et, de plus, long.
I. O fermé.—L’o est fermé et long, avant tout, dans tous les mots en -ose, comme eu dans la finale -euse: on peut comparer chose et fâcheuse, dose et hideuse, rose et peureuse; et, de même que pour -euse, c’est un des points sur lesquels il importe le plus de corriger certaines prononciations dialectales, qui ouvrent partout o et eu[265].
A part les mots en -ose, o tonique avec consonne articulée n’est plus fermé et long qu’avec l’accent circonflexe, et dans un certain nombre de mots en -ome, -one, -os et -osse, que nous allons voir dans leurs catégories respectives.
Partout ailleurs l’o tonique est ouvert, mais, comme a, e et eu, avec certaines différences de quantité[266].{102}
II. O ouvert bref.—L’o est naturellement bref devant une explosive brusque, c, t, p, ou une spirante sourde, f, ch, s: roc, coke, baroque, loch et même l(o)och, en une syllabe; dot, radote et carotte; stop, stoppe et métope; sous-off, étoffe et philosophe; roche; rosse et féroce[267].
Il n’y a d’exceptions que pour l’s.
D’abord l’o est long et fermé dans adosse et endosse (de dos), dans grosse et engrosse (de gros), dans fosse (on ne sait trop pourquoi), et aussi désosse (du pluriel os).
Mais surtout les mots en -os demandent un examen particulier. En principe, l’o y est ouvert et bref, mais il y a une tendance manifeste à le fermer et à l’allonger, peut-être par analogie avec les mots en -os à s non articulé. On dit, et on doit dire de préférence: un os, avec o ouvert et en faisant sonner l’s, des o(s), avec o fermé, comme do(s) et gro(s); toutefois, on dit de plus en plus des os avec o fermé et s articulé; et cette prononciation réagit parfois sur le singulier: un os, avec o fermé[268]. D’autre part, les avis sont partagés sur rhinocéros, mérinos, albatros, et même albinos; je pense qu’il vaut mieux fermer l’o dans ces quatre mots[269].{103}
A vrai dire, les mois en -os, dont le nombre s’est fort augmenté, sont empruntés au grec le plus souvent, et la plupart sont des noms propres. Ceux qui n’en sont pas, mots savants, comme pathos, tétanos, peplos, cosmos, ou sphynx atropos, devraient tous avoir l’o bref, en vertu de l’étymologie. Mais cette prononciation, qui est de pure érudition, est en contradiction avec la tendance du français pour les mots en -os. Dès lors, une foule de gens fort instruits, et même sachant du grec (il est vrai qu’ils le prononcent fort mal), ferment l’o sans hésitation, par exemple, dans ce vers de Molière:
Il en est de même pour tétanos, et cette prononciation est peut-être destinée à l’emporter sur la bonne. Elle ne peut, d’ailleurs, choquer que les érudits[270].
III. O ouvert moyen.—L’o est un peu moins bref devant une sonore, soit explosive, b, d, g, soit surtout spirante, j, v (et même parfois z), et devant l, m, n,{104} et gn mouillé: ainsi snob et robe, pagode ou rapsode, grog et drogue; puis col, école, décolle, et même alc(o)ol, réduit à deux syllabes[271]; homme et métronome; micron, matrone et patronne; enfin, horloge, innove et ivrogne[272].
Seules les finales -ome, -one et -oz appellent quelques observations.
1º Autrefois on distinguait les finales -omme et -ome: les mots en -omme, mots de la langue commune, qui sont bien huit ou dix, avaient seuls l’o ouvert[273]; les mots en -ome, mots savants, avaient au contraire l’o fermé, au moins à partir du XVIIᵉ siècle. Cette prononciation était justifiée dans beaucoup de cas par l’étymologie, notamment dans symptôme et diplôme, qui ont pris l’accent; dans idiome et axiome, qui ne l’ont pas pris, et aussi dans brome, chrome, amome, gnome et arome. Est-ce par analogie que tant d’autres suivirent? Toujours est-il que prodrome et hip{105}podrome, tome, atome ou épitome (remplacé depuis par épitomé), nome, économe, et même astronome, et aussi majordome, n’avaient aucune raison de fermer leur o[274]. Ils le fermèrent pourtant, sans doute en qualité de mots savants. Que dis-je? On en vit deux, à o également bref d’origine, qui allèrent jusqu’à prendre l’accent circonflexe: dôme et monôme, avec binôme et polynôme[275]. Ceux-là sont altérés pour longtemps par l’orthographe. Pour les autres, on est revenu en arrière, mais on y a mis le temps, et il en reste encore quelque chose.
Quoiqu’il n’y ait plus guère de divergence sur la prononciation de métronome, astronome, autonome, qui ont certainement l’o ouvert, on trouverait sans peine des vieillards qui ferment encore l’o dans économe; et l’on hésite souvent sur les autres[276]. La tendance à ouvrir est cependant très marquée; et même on voit se produire depuis une génération le phénomène inverse: on avait fermé des o légitimement ouverts; on a ouvert des o légitimement fermés. Amome, ou du moins cinnamome, ne se dit plus guère avec o fermé[277]; gnome et arome ouvrent leur o de plus en plus souvent, et polychrome en{106}core davantage. Je ne vois guère, sans accent circonflexe, que idiome et axiome qui résistent avec succès; et encore ils sont certainement touchés[278].
2º C’est une observation toute pareille qu’on peut faire sur les mots en -one, mots savants ou noms propres, qui autrefois avaient l’o long et fermé, par opposition aux mots en -onne, mots de la langue vulgaire, qui l’avaient bref et ouvert. Ici aussi, l’o fermé pouvait se comprendre dans des mots comme carbone, aphone, polygone, anémone, matrone, mots savants où se conservait la quantité étymologique[279]; ou encore dans automne, autrefois nasal, comme damne; il ne s’expliquait ni dans madone ou belladone, de l’italien donna, ni, et moins encore, dans atone ou autochtone, et pas davantage dans prône et trône, qui ont imité dôme et monôme[280]. Aujourd’hui, à part les mots que l’orthographe a altérés, prône et trône, cette prononciation a disparu à peu près, par assimilation de -one à -onne: sans parler d’anémone et matrone, qu’on ne discute pas, atone ne saurait garder l’o fermé à côté de monotone, ni aphone à côté de téléphone ou saxophone. Carbone et les termes mathématiques de la famille de polygone résistent encore, mais pas pour longtemps[281]. Je ne vois plus avec o long fermé d’une façon assez{107} générale que zone et amazone, cyclone et icone; encore ces mots sont-ils atteints, surtout amazone[282].
3º Pour ce qui est de l’s doux, nous avons vu plus haut que les mots en -ose avaient l’o fermé. Comme il n’y a pas de finale féminine en -oze, il ne reste que les mots en -oz, sur lesquels l’accord n’est pas parfait; mais cette finale appartient exclusivement aux noms propres[283].{108}
IV. O ouvert long.—De même que a, e et eu devant r, l’o est allongé dans -or (avec ou sans seconde consonne non articulée) et dans -ore (ou -orre), tout en restant très ouvert sans exception: or et hors, abord et abhorre, cor, corps, recors, accord, encor et encore, porc, port et pore, tord, tords, tort, retors, store et mentor, ne se prononcent pas de deux manières[284].
Dans les groupes à liquides, l’o est également ouvert. Il est plus ou moins bref ou moyen dans les finales en -ocle et -ocre, -ople et -opre, -otre, -ofle et -ofre, où l’o est suivi d’une sourde: socle et médiocre, sinople et propre, notre et votre, girofle et coffre[285]; il est un peu plus long dans les finales en -oble, -obre et -ogre: noble, sobre, ogre[286].
L’o atone est exactement dans le même cas que l’a: tandis que l’o tonique peut être long en restant ouvert, l’o atone ne peut être long qu’autant qu’il est fermé, et ce n’est pas très fréquent. Ainsi l’o de dore ou dévore, n’étant pas fermé, s’abrège dans dorer ou dévorer.{109}
L’o reste long pourtant, d’abord quand il conserve sur la prétonique l’accent circonflexe de la tonique: enjôler, enrôler (ou enrôlement), frôler, chômer, prôner, trôner, aumônier, ôter, côté, hôtel, prévôté, rappellent sensiblement geôle, rôle, prône, trône, etc., quoique l’accent circonflexe ne soit pas toujours justifié[287].
La prononciation de coteau, dérivé de côte, comme côté, a quelque chose d’irrégulier, car l’o de ce mot est tout à fait bref et ouvert; aussi a-t-il perdu son accent. Il est vrai que beaucoup de gens ouvrent aussi celui de côté (cf. accoter); et même il est assez rare qu’on maintienne fermé celui de côtelette, qui n’a pourtant que deux syllabes pour l’oreille.
A plus forte raison, quand l’accent circonflexe est plus éloigné, l’o reste difficilement fermé: il peut l’être dans fantômatique, qui est savant, et d’ailleurs fort peu usité, et aussi dans Hôtel-Dieu, car hôtel ne peut y changer de nature; mais l’accent d’hôpital, qui est le même mot qu’hôtel, ne sert plus absolument à rien[288].
On ouvre aussi assez généralement l’o de rôtir et de ses dérivés.
Même sans accent circonflexe, l’o reste ordinairement fermé et long dans ossements ou désosser[289];{110} dans dossier, adosser, endosser; dans grosseur, grossir ou grossier; dans fossé[290].
L’o est surtout fermé devant s doux ou z: oseille, groseille, osier, gosier, égosille, rosier, rosée, arrosoir, explosif, corrosif, et tous les verbes en -oser, avec les substantifs en -osion et même -osité, comme arroser, érosion ou générosité[291]. Il est moins fermé dans les mots en -osition, notamment dans préposition. Il est naturellement plus ouvert dans hosanna, mosaïque et prosaïque, et tous les mots qui commencent par pros-, ou même plus généralement par pro-.
L’o prétonique est encore fermé dans momier, momerie et momie, et dans les mots en -otion: lotion, émotion, notion, potion, dévotion[292]. Il est encore à peu près fermé, mais avec tendance à s’ouvrir, dans obus et odeur, et il s’ouvre naturellement dans leurs dérivés, qui sont polysyllabiques. Il est douteux et plutôt ouvert dans toper, dans vomir et ses dérivés, dans à l’orée, dans motus.
Malgré l’étymologie, l’o est tout à fait ouvert et bref dans disponible et poney[293]; de même dans{111} moteur et motrice; il l’est surtout dans les verbes en -orer, et dans les dérivés des mots en -ot, suivant l’analogie des mots en -ote: cahoter, saboter, tricoter, flotter, voter ou votif, et même numéroter; de même abricotier ou idiotisme, tout comme escroquer ou galoper; et encore, peut-être par analogie, malotru ou otage.
Beaucoup de Parisiens ferment l’o dans ovale, mais ceci est purement dialectal, car o est ouvert partout devant v, comme devant r (à part alcôve, bien entendu).
Le souvenir de la quantité latine fera fermer correctement l’o dans variorum ou quorum (en opposition avec décorum ou forum, dont l’o est ouvert et bref); de même dans olim, dans ex voto ou ab ovo, dans le premier o de pro domo, qui est un o final; mais il est ouvert dans factotum et toton, dans soliste, et souvent même dans solo, dans quiproquo, oratorio et sanatorium, et naturellement les polysyllabes qui commencent par dodéca[294].
Remarque.—Par un phénomène d’assimilation que nous avons déjà constaté pour e ou ai, qui se fermaient devant une tonique fermée, la répétition de la même syllabe fait que l’o prétonique est presque aussi fermé que l’o tonique dans bobo, coco, ro{112}coco, dodo, gogo et lolo. Même le premier o de rococo, qui est le même que l’o ouvert de rocaille, tend à se fermer comme les deux autres. Ces mots étant uniquement du style familier, il n’y a pas lieu de réagir ici[295].
Devant une voyelle aussi, l’o tend à se fermer à demi: co-alition, co-habiter, co-efficient, bo-a, clo-aque, oa-sis, poème, assourdiraient leur syllabe initiale, si l’on ne veillait à la distinguer de la suivante; et cette tendance, livrée à elle-même, irait jusqu’à changer o en ou consonne, ainsi que cela s’est fait plus d’une fois, notamment dans moelle[296]. On fera bien d’y résister et d’ouvrir l’o. De plus, on doit prononcer les deux o séparément et ouverts dans quelques mots savants où on les trouve: co-opération, épizo-otie, zo-ologie, etc.[297].
L’o est fermé dans l’anglais home, at home, et l’allemand kronprinz (sans nasale), mais l’r l’a ouvert dans folk lore; il est assourdi en ou dans time is money, ou to be or not to be[298].
L’o double anglais se prononce ou dans coolie, qu’on écrivait jadis couli, fort justement; dans book,{113} arrow-root, foot-ball, groom, sloop, schooner, snowboot, waterproof[299].
L’o double flamand n’est qu’un o long, comme dans vooruit[300].
Le groupe au (ou eau) se prononce généralement comme o fermé[301].
I. AU tonique.—Au final est pareil à o final: radeau, landau ou eldorado, panneau et piano, marteau et in-quarto ne se prononcent pas de deux manières.
Il en est de même quand il y a une consonne non articulée: faux, défaut, échafaud, avec cette différence que -aut (ou -aud) est un peu plus long et surtout plus fermé que -ot[302].
Devant une consonne articulée, tandis que les groupes oi ou ai sont toujours ou presque toujours ouverts, et souvent brefs, comme a ou e,{114} au contraire le groupe au est régulièrement et très également fermé et long comme ô: aube, débauche, émeraude, chauffe, gaufre, sauge, saule, baume, faune, taupe, rauque, cause, fausse et sauce, faute et pauvre.
On ouvre quelquefois sauf, qui devient bref, surtout employé comme préposition, et aussi holocauste, en vertu du principe général des deux consonnes[303].
Mais l’exception capitale, c’est la finale -aur ou -aure: au y est toujours long, plus long que jamais, mais il y est ouvert autant et plus que fermé, car c’est le propre de l’r d’ouvrir les voyelles.
Ainsi au est ouvert d’abord dans saur, qui est pour sor (comme Paul pour Pol), et dans taure, qui est aussi pour tore (comme taureau est pour toreau), car au n’est dans ces mots que par réaction étymologique[304].
Et partout le groupe latin aur serait devenu or si on l’avait laissé faire, ce qui veut dire aussi que partout aur se prononcerait or ouvert, si l’érudition ne maintenait parfois le son o fermé. Ainsi l’usage le plus ordinaire ouvre la finale de centaure et Mi{115}notaure, proches parents de taure, et que les érudits seuls continuent à fermer, et plus encore celle de restaure, sur qui l’érudition n’a pas de prise. La finale -aure s’ouvre même dans des termes techniques, comme ichtyosaure ou plésiosaure[305].
II. AU atone.—Au atone est généralement fermé aussi, surtout quand il est prétonique, sauf devant un r: aubépine, auberge, audace, autel, etc., cauchois, caution, clabauder, chauffer, chausser, faussaire, mauviette, peaussier, etc., et les finales en -auté: cruauté, loyauté. Il est fermé même dans saurien, tauromachie et centaurée, malgré l’r, parce que ce sont des mots savants, et aussi dans vaurien, où le verbe primitif se reconnaît toujours.
Mais les exceptions sont fort nombreuses.
Au atone est ouvert d’abord devant un r, dans taureau, comme on vient de voir, et sauret; généralement aussi dans les futurs et conditionnels d’avoir et savoir[306]; dans aurore, auréole, aurifère ou aurifier[307]; et tout au plus est-il douteux dans laurier (pour lorier), lauréat, lauréole.{116}
En second lieu il tend naturellement à s’ouvrir devant deux consonnes, non seulement dans augment et augmenter, où le phénomène est général, mais souvent aussi dans des mots comme ausculter ou auxiliaire, où il s’impose beaucoup moins, et même dans des mots où il est prétonique: auspice, austère, austral, cauch(e)mar ou encaustique.
Il s’est même ouvert sensiblement aussi devant une seule consonne, dans autoriser et autorité (mais non dans auteur), et surtout dans mauvais, sans parler de rigaudon, qui s’écrit aussi rigodon. D’une façon générale, il tend à s’ouvrir dans quelques mots très usités, d’abord dans les polysyllabes, authentique, automate, autonome, autopsie, cautériser, et aussi dans aumône, où il se distingue ainsi de l’ô qui suit, dans auguste, automne, épaulette (malgré épaule), paupière, ou même naufrage. Toutefois on prononce encore la plupart de ces mots plus correctement en fermant au, aussi bien que dans aujourd’hui, où il est tout à fait incorrect de l’ouvrir[308].
La diphtongue allemande au se prononce comme o fermé quand elle se francise: blockaus[309].{117}
Les voyelles i, u, ou, étant fermées par définition, ne se prononcent pas de deux manières. Les instruments délicats de la phonétique expérimentale constatent bien une petite différence de timbre, mais encore n’est-ce guère qu’entre les voyelles atones et les toniques, celles-ci étant un peu plus fermées[310].
Au point de vue de la quantité, nous ferons les mêmes distinctions que pour les autres voyelles.
L’i final est moyen, seul ou avec consonne non articulée, avec ou sans accent: hardi, crédit, rendit ou rendît, radis, outil, crucifix, riz, jury, Jésus-Christ ont la finale identique. Pis, adverbe, est un peu plus long. D’autre part, dans ui final, la brièveté du premier élément paraît allonger le second: appui, minuit, muid[311].
Parmi les voyelles finales qui peuvent être suivies de l’e muet, l’i se distingue particulièrement, au moins en vers, parce que là ie devient facilement i-ye, et se trouve, par suite, singulièrement allongé:
Mais il y a quelque affectation à prononcer ainsi: il faut laisser cela aux chanteurs. En tout cas, on ne le fait jamais dans l’usage courant, où il est difficile de distinguer par exemple: elle est partie ce matin, de il est parti ce matin, ou mon amie est venue de mon ami est venu. On maintient sans doute une légère différence quand on rapproche un masculin d’un féminin: un ami, une amie, et ce n’est pas grand’chose[313].
Devant la plupart des consonnes articulées, l’i est bref ou moyen: trafic et trafique, pipe, huit, profite et fîtes; riche, captif et calife; vice, visse et vis[314]; diatribe, aride et fatigue; habile, anime, fîmes et cabine. Il est plus long devant g et n mouillé: vertige et indigne; plus encore devant r, s doux et v: rire, mourir, finirent, merise et arrive. Mais surtout, contrairement aux cas des autres voyelles, la finale mouillée -ille, autrefois brève, quand on connaissait l’l mouillé, est devenue longue, depuis qu’on la prononce i-ye.
Même gradation de quantité dans cycle, disciple, gifle, litre et chiffre; libre, hydre, tigre et vivre.
Huile a encore l’i un peu plus long qu’habile, peut-être à cause du groupe ui; mais l’accent circonflexe ne sert plus à rien, non seulement dans les prétérits, fîmes ou fîtes, pareils à tous les prétérits, mais aussi bien dans île, huître, épître et bélître, et souvent même dans dîne. La prononciation oratoire ou poétique appuie également sur abîme et sublime: on voit que l’accent circonflexe n’y est pour rien. On appuie de même sur fils en poésie, et sur bis, mais seulement quand on applaudit.
L’i atone est rarement long; tout au plus est-il moins bref quand il est suivi d’un s doux, comme{119} dans les verbes en -iser. Pourtant l’i long de pire se conserve exceptionnellement dans empirer, contrairement à l’usage des verbes en -rer, qui ont presque tous la prétonique brève, comme admirer.
L’i est également long dans les verbes en -i-er, à l’imparfait et au subjonctif présents, devant les finales -ions et -iez: pri-ions, pri-iez; c’est la seule manière de distinguer ces formes de celles de l’indicatif présent. En fait, on prononce presque priy-yons; mais le nombre des syllabes n’est pas augmenté pour cela[315].
L’i final avec tréma fait une syllabe à part en français: ha-ï, ou-ïe; mais, dans certains mots étrangers, comme le japonais banzaï ou samouraï, il vaut mieux considérer aï ou oï comme des diphtongues, où le tréma sert uniquement à empêcher de prononcer ai (è) ou oi (wa) à la française, sans pour cela séparer l’i[316].{120}
L’i anglais se prononce i dans gin, miss et mistress (missess), dans clipper, pickles (ess) et cricket, dans gipsy, whisky et whig, dans bridge, dans les mots en -ing, etc. D’autre part, on francise encore assez généralement esquire (ki) et rifle, et surtout outsider. Enfin, beaucoup de personnes prononcent encore flirt par i, aussi bien que par eu ouvert, d’autant plus que de flirt nous avons fait flirter: toutefois, la diffusion progressive de l’anglais tend à faire prévaloir fleurte et même fleurter, ce qui est presque aussi absurde qu’interviouver[317].
Mais il y a beaucoup d’autres mots qui ne sauraient être francisés, et on doit se résoudre à donner à l’i de ces mots un son intermédiaire entre aï (ou aye) et aë, notamment dans all ri(gh)t (olraït en deux syllabes), ri(gh)t man at the ri(gh)t place (atzéraïtplèce), hi(gh)life ou hi(gh)lander, times (taïms) et time is money, ou five o’clock[318]. Pourtant rien n’empêche un fantaisiste de s’amuser à faire rimer high life (iglife) avec hiéroglyphe. On peut même se demander si, avec toutes les Chapelleries, Draperies ou Épiceries du high life qu’on trouve partout maintenant, l’obligation d’employer ce mot, imposée à tant de gens qui ne savent pas l’anglais, n’arrivera pas à le franciser tel quel à bref délai.
L’y final, ou intérieur, devant une consonne, n’existe plus en français que dans des noms propres,{121} et naturellement se prononce i. L’y final anglais se prononce i ou e; mais beaucoup de mots en y sont suffisamment francisés pour que ceux qui ne savent pas l’anglais puissent prononcer un i indifféremment et sans scrupule dans brandy, lady, penny, nursery, tilbury, dandy, whisky, tory, gipsy, derby, gentry, garden-party, et clergyman; on prononcera de préférence aï dans dry farming, et cross-country se prononce keuntré[319].
Il est inutile de répéter littéralement pour u et ou ce que nous avons dit pour i.
Ils sont également moyens dans fus, fut, reflux et touffu, dans j’eus, il eut, dans mou, moud, mout, remous, joug, loup et caoutchouc[320].
Brefs ou moyens devant la plupart des consonnes finales articulées, ils sont longs, comme toutes les voyelles, devant r: jour, bravoure, obscur, blessure[321]; devant s doux: épouse, douze, ruse; devant v: louve, étuve, découvre, sauf pourtant les verbes prouve et trouve, qui paraissent plus brefs.{122}
Devant s dur, u et ou ne s’allongent pas, sauf dans le mot tous, quand il est tonique, en opposition avec tou(s) atone, qui est très bref: tous les hommes, il tousse, pour tous, font trois degrés très distincts[322].
Un certain nombre de mots en -ouille ont aussi généralement la finale longue: fouille, rouille, brouille, souille; on y joint quelquefois houille et dépouille[323].
On allonge aussi ordinairement roule et croûte; quelquefois rouge et bouge, du moins en poésie.
L’accent circonflexe se fait encore un peu sentir dans brûle et affûte, beaucoup moins dans flûte, quelquefois dans coûte, goûte, croûte, voûte et soûle, au moins quand ils ne sont pas liés au mot qui suit, car cela coûte cher n’a pas toujours le même son que cela me coûte[324].
La voyelle prétonique reste à peu près longue dans les verbes qui ont l’accent circonflexe, comme brûler, mûrir ou coûter; exceptionnellement aussi dans deux ou trois verbes en -rer: murer, bourrer, fourrer, lourer. Elle est flottante, mais plutôt longue que brève, dans fouiller, rouiller, brouiller, souiller, avec brouillard et quelquefois brouillon, mais non souillon; dans rouiller, rouler, roulure et crouler, et dans la plupart des verbes en -user et -ouser; voire même dans pourrir et les mots en -urie[325].{123}
L’u ne s’entend pas dans l’interjection ch(u)t, où le ch est ordinairement prolongé; chut est donc une orthographe conventionnelle, qui a paru nécessaire pour désigner l’interjection, quand on en fait mention dans une phrase: on entendit plusieurs chut, et aussi pour la rime. On en a fait d’ailleurs le verbe chuter, dont l’u se prononce toujours[326].
L’u se prononce o, ouvert et bref, dans la finale latine -um, suivant la manière française de prononcer le latin, et cela, même dans les mots complètement francisés, comme album, forum, post-scriptum, géranium, etc.; et aussi barnum[327].
On prononce l’u de la même manière à l’intérieur de certains mots composés, d’origine latine, comme triumvirat ou circumnavigation[328].{124}
L’u se prononce encore en o dans rhum et rhummerie.
Dans parfum seul, la finale est restée nasale[329].
L’u se prononce ou dans les groupes -gua- et -qua-, surtout dans les mots d’origine étrangère: nous en parlerons aux lettres G et Q.
D’ailleurs l’u se prononce ou presque partout ailleurs qu’en français[330]. Mais, à part la finale -um, nous le francisons infailliblement en u dans tous les mots étrangers que nous adoptons. Ainsi dans uhlan, où l’u non seulement se prononce u, mais est devenu bref; de même dans trabuco. On peut hésiter pour certains mots, comme négus, qu’on prononce par u et ou, ou bulbul, qu’on prononce plutôt par u; comme puff, dont nous avons fait puffisme et puffiste, alors que nous avions déjà pouff.
Il vaut mieux prononcer ou dans les mots qui ne sont pas certainement francisés, comme l’italien jettatura, furia francese, e pur si m(u)ove, et les termes de musique opera buffa, risoluto, ritenuto, sostenuto, un poco piu, tutti[331]. De même l’espagnol cuadrilla, chulo, fueros, muleta, ayuntamiento et pronunciamiento; l’allemand burg, kulturkampf et landsturm;{125} l’anglais home rule, bull full (au poker), homespun, plumcake. Mais on prononcera: bleu dans blu (e) book et pleum-poudding (plum-pudding)[332].
Quoique l’u anglais se prononce quelquefois ou, il se prononce plus souvent comme eu ouvert: c’est le cas, par exemple, dans club, tub, stud{126}book, rush et struggle for life[333]. Toutefois club était déjà francisé sous la Révolution, et, en histoire, on prononce plutôt club, cleub étant réservé aux cercles plus ou moins aristocratiques qui trouvent ce mot plus élégant que cercle. D’autre part, on le prononce sensiblement comme un o au poker, dans flush et bluff, d’où le verbe bluffer. L’u de gulf-stream se francise aussi en o, sous l’influence de golfe, dont il vient. Enfin budget et tunnel sont francisés complètement depuis longtemps; turf l’est sans difficulté, ainsi que ulster, tilbury, humour, gutta-percha, nurse et nursery; trust lui-même est en voie de l’être.
Ou anglais se prononce aou dans boarding-hous(e) ou clearing-hous(e); mais on se contente généralement de ou, sinon dans stout, au moins dans outlaw et outsider. Il se prononce o dans four in hand.{127}
Quand la consonne n (ou m) est entre deux voyelles, elle se groupe naturellement avec la voyelle qui suit, et celle qui précède reste pure. Mais quand elle s’est trouvée placée dans les mots français à la suite d’une voyelle, devant une consonne autre que m ou n, ou à la fin d’un mot, la voyelle s’est d’abord nasalisée, puis l’n (ou l’m) a peu à peu cessé de se faire entendre (sauf dans le Midi). Il s’est maintenu toutefois dans l’orthographe, comme signe de la nasalisation de la voyelle qui précède: ange, chambre, pin. Ainsi il n’y a plus que trois sons dans enfant, qui en avait six autrefois.
Cette conservation de l’n comme signe orthographique n’est pas sans inconvénient, car on ne sait pas toujours dans quels cas l’n est une consonne, ou un simple signe de nasalisation.
Pas plus que les voyelles fermées, les voyelles nasales ne peuvent se prononcer de deux manières. Une seule différence est à faire, pour la quantité. Quand elles sont finales, elles sont moyennes, comme toutes les autres voyelles: roman, chemin, mouton, aucun; quand elles sont suivies d’une consonne articulée, elles s’allongent très sensiblement, surtout si elles sont toniques: romance, bon-sens, mince, tondre, emprunte; quand elles sont atones, elles sont moins longues: on peut comparer rang, range, et ranger, qui est entre les deux; de même long, longue et longer.{128}
Il y a en français quatre nasales, c’est-à-dire quatre sons distincts qui ne sauraient se confondre; mais un même son nasal peut s’écrire de plusieurs façons. Outre que en se prononce tantôt an, tantôt in, que ain et ein ont le même son que in, il faut ajouter à cela la différence de l’m et de l’n; et si l’on tient compte, en outre, des consonnes non articulées, on obtient pour chacun des quatre sons un très grand nombre de graphies, que l’orthographe a conservées, à propos ou hors de propos.
Pour la voyelle an, voici d’abord roman, amant, flamand, camp, franc, rang, et naturellement leurs pluriels; puis Rouen, différent, différend, hareng, et leurs pluriels; de plus ambition, emmener, temps, exempt ou exempte, sans compter Jean, Caen, Laon, hanter et Henri, ce qui fait bien trente manières d’écrire le seul et unique son an.
Il n’y en a pas moins pour la voyelle in: voici d’abord vin, vins, prévint, vingt, et quatre-vingts, instinct, et même cinq, dans cinq sous; puis sain, saint, sein, seing, essaim, et leurs pluriels, feint, thym, avec vainc et vaincs; de plus, examen, viens et vient; sans compter limpide, syntaxe et Reims; et j’en passe peut-être. Et encore faut-il considérer à part soin ou marsouin, point, poing, et leurs pluriels.
La voyelle on se trouve à son tour dans chiffon, profond, affront, jonc, long, nom, plomb, prompt, et leurs pluriels, et dans romps, sans compter punch; la voyelle un, dans tribun, défunt, parfum, et leurs pluriels, et dans à jeun ou Jean de Meung.
Mais l’n et l’m ne s’emploient pas indifféremment: l’m ne fait généralement que remplacer l’n dans certains cas. En principe, l’m ne peut terminer une nasale qu’à l’intérieur des mots, devant une labiale, b ou p, ou dans le préfixe -em (pour en-) suivi d’un m.{129} Le phénomène se produit même dans des syllabes masculines finales: camp, champ, exempt et temps, plomb, prompt et rompt, ou romps[334].
Il faut y ajouter comte et ses dérivés auxquels on a conservé l’m tout à fait exceptionnellement, devant un t, sans doute pour éviter une confusion avec conte[335].
La prononciation est d’ailleurs exactement la même aujourd’hui, que la consonne qui termine la nasale soit m ou n: camp, champ et temps, camper et ambition, membre, tempe et emmener, nimbe et simple, plomb et nombre, rompre et rompt ou romps, et humble, prononcent leurs nasales exactement comme ange, cintre, ronde ou défunt.
A la fin des mots s’il n’y a pas de consonne à la suite, la voyelle nasale est toujours écrite avec un n, les finales en m ayant perdu le son nasal. Il faut excepter:
1º Dam et au besoin quidam[336];{130}
2º Daim, faim, essaim, étaim[337]; de plus, thym;
3º Nom et ses composés avec dom, qui est le même mot que l’espagnol don[338];
Dans tous les autres mots, l’m final se prononce à part, mais d’ailleurs tous ces mots sont des mots étrangers, prononcés comme ils sont écrits, ou des mots latins: harem, intérim, album, etc.[340].
Outre les finales en m, il y a encore d’autres syllabes qui ont perdu en français le son nasal. On parlera plus loin des finales en -en. Je veux parler ici de certaines syllabes intérieures, où la nasale n ou m était suivie d’un autre n ou m.
Nous avons déjà vu précédemment la nasale primitive se réduire à une voyelle dans fla(m)-me et fe(m)-me[341]. Il en fut de même de beaucoup d’autres mots, notamment gra(m)-maire[342].
Beaucoup de personnes conservent encore, très malencontreusement, le son nasal dans an-née, dans solen-nel et solen-nité, ou dans les adverbes en -amment ou -emment[343]. Dans tous ces mots la décomposition est définitive depuis longtemps; et comme la nasale avait partout le son an, c’est l’a qui a prévalu partout après décomposition; c’est pourquoi impudemment et abondamment{132} se prononcent de la même manière, impudent et abondant ayant la même finale pour l’oreille[344].
Il est resté toutefois quelques spécimens de cette catégorie de nasales. Par exemple, il faut bien se garder de remplacer néan-moins par néa-moins, qui est devenu une prononciation purement dialectale; néant, qui a gardé ici son n à défaut du t, a gardé aussi sa prononciation. Le son nasal s’est maintenu également dans tîn-mes et vîn-mes, formes exceptionnelles et bizarres, dont l’orthographe et la prononciation sont dues à l’uniformité de la conjugaison.
Mais surtout le son nasal s’est maintenu dans les mots de la famille d’en-nui et dans les composés de la préposition en: en-noblir, em-mener, em-ménager, etc., y compris le vieux mot em-mi[345].
Il y a mieux, et voici une observation capitale: la préposition en a gardé parfois le son nasal, non seulement devant n ou m, mais même devant une voyelle, dans des composés d’origine purement française, sans que l’n se soit doublé: en-ivrer. Ce n’est pas sans peine, car le voisinage de mots tels que énigme, énergie, énoncer, tend continuellement à décomposer la préposition. La présence d’un h contribue peut-être à la maintenir dans enherber ou enharmonie qui d’ailleurs ne sont pas d’usage courant[346]. Mais il y a trois mots capitaux, trois mots{133} très usités, trois mots nécessaires, où il est indispensable de maintenir la préposition en avec le son nasal, malgré le voisinage immédiat de la voyelle, sous peine de faire de véritables barbarismes. Ce sont en-ivrer, en-amourer et en-orgueillir, qui doivent se prononcer comme s’en aller, avec nasale et liaison.
Les fautes sur ce point sont si fréquentes que je ne sais trop quel avenir est réservé à ces mots[347]. En-orgueillir se tient encore assez bien[348]; mais que de gens même fort instruits, et même des typographes, vont jusqu’à mettre un accent sur énamourer, voir sur énivrer! Écriture et prononciation également barbares, auxquelles il faut résister de toutes ses forces, aussi longtemps qu’on le pourra.
Passons aux observations particulières à chaque nasale.
I. C’est à la nasale an que se rattachent trois monosyllabes d’orthographe irrégulière: fa(o)n, pa(o)n, ta(o)n. Pour taon, c’est ton et non tan qui s’est prononcé longtemps et se prononce encore dans certaines provinces, mais cette prononciation, admise par Domergue et Mᵐᵉ Dupuis, est aujourd’hui dialectale[349].{134}
Il va sans dire que dans les cas où la dérivation dénasalise la syllabe, c’est l’a seul qui s’entend: pa(o)n et fa(o)n ne peuvent donner que pa(on)ne, pa(on)neau, fa(on)ner, prononcés également sans o[350].
Autre observation sur an: nous nasalisons presque toujours le groupe an, et aussi am intérieur, dans les mots étrangers, même quand ces mots ne sont pas francisés par ailleurs. Il y a là un phénomène général très curieux.
Pour la finale, d’abord, il n’y a guère que les mots anglais en -man qui fassent exception; après avoir nasalisé autrefois drogman, dolman, landamman, avec parmesan et d’autres, nous respectons aujourd’hui, par suite de la diffusion de l’enseignement, et aussi par un certain snobisme, la finale sonore de policeman, clubman, sportsman, etc.[351].
Pour an intérieur, il y a d’abord quelques mots qui sont entièrement francisés: dandy, performance,{135} et même handicap, puisque nous en avons fait le verbe handicaper; de même andante ou andantino, fantasia, franco ou dilettante. Il y a ensuite les mots dans lesquels an seul est francisé: ainsi cant, où nous prononçons le t, contrairement à l’usage français, et cantabile, où nous prononçons l’e final; c’est toujours la demi-francisation. De même landwehr ou landsturm, stand, sandwich ou shak(e)hand, canzone ou banderillero, et aussi warrant, où le t final ne se prononce plus, quoique le w se prononce encore quelquefois ou.
En revanche, on ne nasalise guère an dans canter, highlander ou four in hand, dans fantoccini, bel canto, accelerando, ritardando, tutti quanti, furia francese, lasciate ogni speranza, qui sont trop manifestement étrangers. Ou plutôt on nasalise bien un peu la syllabe, mais en faisant néanmoins sonner l’n, ce qui n’est pas la nasale proprement française[352].
Tramway a pu se franciser sans se nasaliser. Cela tient à ce que le w ayant le son ou, l’m a l’air de sé{136}-parer deux voyelles; mais on entend souvent dans le peuple tran-vè.
Nous passons à en. Ici se pose la question la plus importante peut-être de celles qui concernent les nasales en français: quand en se prononce-t-il an? quand se prononce-t-il in? Car c’est le seul groupe à n final qui se prononce de deux manières, autrement dit qui appartienne à deux nasales. A l’origine, l’e n’avait pu se nasaliser qu’avec le son in, qui correspond phonétiquement à e ouvert et non à i. Mais il semble bien qu’à une certaine époque le groupe en était passé de in à an à peu près partout, et aujourd’hui encore en se prononce normalement an, ainsi qu’on va voir.
Mais les exceptions sont devenues assez nombreuses.
I. EN final.—C’est ici que le son in s’est le plus généralisé. Le changement ou le retour de an à in a dû se produire en premier lieu dans la diphtongue finale accentuée -ien. On la trouve d’abord dans bien, chien et rien, avec tous leurs composés[353]; puis dans mien, tien et sien; enfin dans les formes de venir et tenir, viens, viendra, tiendrait, etc., avec leurs composés, et aussi leurs dérivés: soutien, maintien, entretien. L’altération du son primitif est passée de là à tous les mots où la finale -en, dérivée{137} du suffixe latin -anus, était précédée des voyelles i (et y) ou e: paï-en, moy-en, chréti-en (autrefois de trois syllabes), patrici-en, etc., europé-en, chaldé-en, etc.
Ce ne fut pas sans résistance. Beaucoup de mots, au moins les noms propres, ont hésité longtemps entre an et in. Voltaire, qui faisait parfois des efforts pour rapprocher l’orthographe de la prononciation, et qui écrivait fort judicieusement fesons et bienfesant, écrivait aussi européan. Aujourd’hui il n’y a plus d’hésitation: tous les mots en -éen et -ien ou -yen se prononcent é-in et i-in ou plutôt yin, quoique les poètes s’obstinent à séparer l’i la plupart du temps: tragédien, bohémien, aérien, parisien, etc., etc.[354].
Si nous passons aux autres mots terminés en -en, nous constatons que le son an ne se retrouve plus que dans la préposition en[355]. Il est vrai que dans la plupart des autres (ils ne sont d’ailleurs pas nombreux), la finale n’est plus nasale: ainsi abdomen ou gluten. Ces mots ont subi l’analogie des mots latins ou étrangers, et surtout des noms propres qui sont fort nombreux; nous les retrouverons quand nous parlerons de l’n final. Seul, examen s’est complètement détaché du groupe: sa finale, qui n’avait d’ailleurs jamais perdu complè{138}tement le son in, l’a repris définitivement depuis un siècle[356].
De plus, les poètes ont fait longtemps et font souvent encore rimer hymen avec main; mais comme le mot n’est plus d’usage courant et prend une apparence un peu scientifique, il est fort rare qu’on nasalise sa finale en prose[357].
II. EN tonique suivi d’une consonne.—La finale -ent ou -end, à consonne muette, a partout le son an: prudent, agent, ment, suspend, attend, etc., etc., et même les mots en -ient, même ingrédient, qu’on écorche parfois[358].
Il faut excepter toutefois tient et vient et leurs composés, qui ne peuvent pas se prononcer autrement que les formes voisines de tenir et venir[359].{139}
Il en est de même de -ens, qui en principe se prononce également an dans les mots proprement français, où l’s ne se prononce pas[360]. Mais ces mots sont en fort petit nombre: gens, guet-apens, dépens, suspens, avec le substantif sens, dont l’s se prononce aujourd’hui presque partout, et les formes verbales sens, mens, repens.
Les autres mots sont des mots latins, et sont naturellement prononcés comme en latin, c’est-à-dire que en se nasalise en in et que l’s se prononce (ince): gens, delirium tremens, alma parens, semper virens, horresco referens, d’où, par analogie, labadens, inventé par Labiche. Pourtant le mot technique cens a gardé le son an, sans doute par analogie avec sens et bon sens, qui n’ont jamais varié sur la nasale[361].{140}
C’est aussi an tout court qui sonne dans temps ou hareng[362].
Enfin c’est encore an qu’on prononce toutes les fois que en est suivi d’une syllabe muette: ainsi les finales -ente, -ence ou -ense, -ende et -endre, -emble, -embre, -empe et -emple, etc.[363].
III. EN atone.—Si nous passons à en atone, nous constatons encore que c’est le son an qui est le son propre du groupe dans les mots proprement français.
En tête des mots, il n’y a pas d’exception[364].{141}
A l’intérieur, le son an s’est maintenu non seulement dans les finales -ention, -entiel, etc., mais même dans des mots plus ou moins techniques ou savants qui étaient déjà anciens: d’abord les dérivés de cent, comme centurie ou centurion[365]; par analogie, centaure; puis adventice et adventif, appentis et perpendiculaire, calender et calendrier, commensal, compendieux, dysenterie et lienterie, entité, mendicité, menstrues, septentrion, stipendier, etc. C’est la vraie tradition française[366].
Au contraire, dans les mots plus ou moins savants, plus ou moins techniques, qui sont entrés dans la langue assez récemment, c’est-à-dire depuis la Renaissance, la prononciation moderne du latin a amené l’emploi du son in. Ce sont d’abord des mots purement latins, agenda, pensum, memento, compendium, sensorium, in extenso, modus vivendi[367]; puis les mots tirés du grec, qui commencent par hendéca- ou par pent-, comme pentagone[368]; en outre bembex, rhododendron et placenta, avec mentor et menthol, etc.{142}
En outre appendice et sempiternel, quoique anciens, ont à peu près passé de an à in, sous l’influence du latin appendix et sempiternus, et appendicite, mot savant, qui se prononce fatalement par in, achève l’altération d’appendice. Chrétien a fini aussi par entraîner chrétienté, qui a été longtemps discuté.
D’autres mots flottent déjà, comme adventice ou menstrues. Sapientiaux est exposé à passer de an à in, étant mal protégé par sapience, qui est peu usité, tandis que obédientiel, pestilentiel, et surtout scientifique, le sont beaucoup mieux par obédience, pestilence et science, dont la finale est inaltérable actuellement.
En revanche, quelques mots plus ou moins récents ont pris ou gardé le son an par analogie, ou pour des raisons qui échappent, car une logique parfaite ne préside pas toujours à la répartition des sons.
Pendentif a suivi l’analogie de pendre et pendant; tentacule, celle de tenter et tentative. Tarentelle et tarentule ont suivi Tarente, qui était ancien. Quand Fabre d’Églantine inventa vendémiaire, il le tira du latin vindemia, mais s’il l’écrivit ven et non vin, c’est qu’il voulait en faire un mot populaire comme ventôse, et pour cela le rapprocher de vendange; c’est donc à tort que quelques-uns le prononcent par in[369].
Tous ces mots s’expliquent assez bien. Mais pourquoi stentor avec an à côté de mentor avec in? Je ne sais si stentor est ancien dans l’usage; en tout cas, les grammairiens n’en parlent pas[370]. Pourquoi prononce-t-on épenthèse par an? Pourquoi, à côté de rhododendron prononcé par in, prononce-t-on den{143}drite par an? Que dis-je? A côté de térébinthe, non seulement prononcé, mais écrit par in, on a térébenthine, prononcé par an; et au contraire, de menthe, qui a naturellement gardé le son de son orthographe primitive mente, on a tiré menthol, à qui on a imposé le son in, à titre de mot savant![371].
IV. Les mots étrangers.—On sait que les voyelles nasales appartiennent presque exclusivement au français. Quand on ne francise pas du tout un mot étranger, et il y a des cas où cela n’est guère possible, on doit se garder de nasaliser le groupe en, aussi bien que les autres. Ainsi l’anglais pence, english, great event ou self government, gentry ou même gentleman et remember; de même l’italien lento, a tempo ou senza tempo, rallentando, risorgimento, et aussi l’espagnol ayuntamiento ou pronunciamiento.
Mais si on francise, ne fût-ce qu’à moitié, c’est toujours par la nasale qu’on commence; or en ne peut se nasaliser directement qu’en in, seule nasale correspondant à e. Ainsi dans bengali, dans benjoin,{144} d’où benzine avec ses dérivés; dans effendi; dans farniente (que l’e final soit muet ou non), polenta, vendetta et crescendo[372]. Ainsi encore dans blende et pechblende, qu’on prononce quelquefois par an, à cause de la finale ende; et encore dans spencer. A spencer on devrait joindre tender et challenge, mais l’usage des employés de chemins de fer a définitivement francisé tender par an, évidemment par l’analogie des mots tendre, tendeur et autres, et de son côté challenge a pris le son des finales en -ange, comme venge.
D’autre part, beaucoup de gens prononcent aussi vendetta par an, et cette prononciation s’imposera fatalement un jour[373].{145}
Sur la nasale in, il y a moins à dire[374].
La préposition latine in, qui n’est pas nasale en latin, parce que l’n est final, s’est nasalisée en français devant une consonne, dans les termes qui désignent les formats de livres, in-folio, in-quarto, comme in-douze, in-seize, etc., et le plus souvent aussi in-plano; mais on ne nasalise pas in-octavo à cause de la voyelle, pas plus que in extremis ou in extenso, qui sont en deux mots; pas davantage in partibus, non plus que l’italien in petto.
D’autre part, dans les mots étrangers, c’est le groupe in qui se conserve le mieux en français sans se nasaliser. Ainsi on ne doit pas nasaliser la finale anglaise -ing, sauf dans schampoin(g), qui est tout à fait francisé. Il est vrai que shelling et sterling peuvent encore se prononcer chelin et sterlin sans g, et d’autre part on nasalise encore quelquefois shirting, lasting et pouding (sans parler de meeting) en prononçant le g guttural, mais il semble qu’on cesse peu à peu de{146} nasaliser ces mots. On ne doit pas non plus nasaliser flint-glass, income-tax, mackintosh, kronprinz, hinterland, tchin, khamsin.
On nasalise quelquefois gin, et ordinairement mue(z)-zin, toujours incognito, impresario, peppermint, aquatinte (à côté de aqua-tinta); généralement aussi interview, suffisamment francisé, puisqu’on en a fait interviewer. [375]{147}
Le groupe oin doit se prononcer ouin et non ouan, comme on fait dans certaines provinces, et moindre peut rimer avec cylindre, mais non avec entendre.
J’ajoute que oin est toujours monosyllabe. V. Hugo a cru, et il n’était pas le premier, que les nécessités ou les commodités de la versification l’autorisaient à scinder en deux le mot groin:
Mais alors on est obligé de prononcer gro-in, ce qui altère le mot sensiblement[377]. Ailleurs, il écrit grou-in pour la rime[378]: cela vaut encore mieux; d’autres l’avaient fait avant lui, et quelques personnes prononcent ainsi. Mais c’est une erreur, et, malgré les trois consonnes initiales (grw), groin n’est pas plus difficile à prononcer en une syllabe que bruit, instruit ou croix, qui en ont autant[379]. Voyez Saint-Amant, dans le Melon:
Le groupe ouin, dissyllabe autrefois, est aujourd’hui monosyllabe, comme oin[380].
La nasale on n’a d’intéressant que monsieur, où on, réduit d’abord à o—on dit encore parfois mosieu par plaisanterie—s’est réduit en définitive à un e muet (mesieu) qui, comme la plupart des e muets, disparaît ordinairement dans la prononciation rapide[381].
Nous avons parlé plus haut des mots en -aon, à finale monosyllabique, prononcée an[382].
On final ne se nasalise pas dans quelques mots empruntés au grec: epsilon, omicron, kyrie eleison, gnôthi seauton, etc., ni dans sine qua non ou baralipton, ou les expressions italiennes con brio, con moto, etc.; mais en physique on nasalise micron[383].{149}
La nasale un (ou um) se prononce on dans les mots latins: secundo, conjungo, de profundis; dans rhumb, lumbago et plumbago, dans jungle et junte, et dans punch[384]. Mais pourquoi ponch, qui n’est ni anglais, ni français? et pourquoi ponch à côté de lunch, qui se francise avec la nasale un, si bien que nous en avons fait luncher? Ce sont des mystères que nul ne peut expliquer.
Mais le point capital à propos de la nasale un, c’est de ne pas la prononcer in! On entend trop souvent in jour, in homme. Heureusement ce n’est pas encore chose très fréquente chez les gens qui ont quelque instruction; mais il est peu de fautes plus choquantes.{150}
L’e muet est ainsi nommé parce qu’on le prononce le moins possible, et le plus souvent pas du tout; mais il s’en faut bien qu’il soit toujours muet: s’il l’était toujours, il n’y aurait rien à en dire, et il s’agit précisément de savoir quand il est réellement muet, et quand il ne l’est pas.
Éliminons d’abord ce qui n’est pas dans le sujet proprement dit.
Il y a, d’une part, un cas où l’e dit muet est tellement loin d’être muet, qu’il est même tonique; c’est dans le pronom le précédé d’un impératif: dis-le[386]. L’e dit muet est alors ouvert et bref, moins ouvert, mais aussi bref que eu dans œuf. Et de même toutes les fois qu’il se prononce: il y a, par exemple, une différence très sensible entre le rôt et leur eau, où{151} leur est long et le très bref. C’est encore ainsi qu’il se prononce constamment devant une h aspirée: le haut, ou en épelant: l, e, d, e, tandis qu’on prononce é dans e muet.
On sait, d’autre part, que l’e n’est jamais muet ni devant z final, ni devant deux consonnes, quoique, dans ces cas-là, il ne porte pas d’accent. Nous n’avons donc point à parler non plus de celui-là[387].
Ce n’est pas tout: il y a encore et surtout l’élision, où l’e ne compte plus pour rien du tout. On sait que l’e final s’élide devant un mot commençant par une voyelle, même précédée de l’h muet: l’état, l’herbe, il aim(e) à rire, plein d’honneur, la vi(e) est courte. On voit qu’il n’importe pas que cette élision soit notée par l’écriture[388].
On doit noter ici toutefois, avant de passer outre, un certain nombre d’élisions qui ne se font pas dans l’usage courant, ce qui oblige à prononcer l’e muet: ce sont, la plupart du temps, des hiatus seulement apparents, que la versification elle-même admet ou devrait admettre.
1º On parlera tout à l’heure des semi-voyelles, et notamment du yod. L’y grec appuyé sur une voyelle devient yod, c’est-à-dire consonne, aussi bien en{152} tête que dans le corps des mots, et l’on dit, sans élision, le yatagan, comme la yole. C’est une idée que les poètes acceptent difficilement. V. Hugo, notamment, par crainte de faire un hiatus, ne manque pas de dire l’y-ole ou l’y-atagan; et l’erreur est double, car il fait une élision qui n’est point à faire, et cette élision l’amène à donner aux mots victimes une syllabe de trop. Les poètes devraient bien parler comme tout le monde, et dire le ya-tagan (et les yatagans, sans liaison), comme le yacht, le yak, le yucca, le yod, le youyou, le youtre, car il n’y a là aucun hiatus[389].
2º Le groupe ou initial est également consonne devant une voyelle. Cela n’empêche certainement pas de dire à l’ouest, un(e) ouaille, un(e) ouïe. Mais devant oui pris substantivement, on n’élide ni le, ni de, pas plus qu’on ne lie un, les, ces, etc., ou qu’on ne remplace ce par cet, même en vers, malgré l’hiatus apparent:
Il est vrai qu’on dit fort bien, familièrement, je crois qu’oui; mais cette élision ne s’impose pas toujours, et les poètes eux-mêmes s’en abstiennent sou{153}vent. Ainsi, La Fontaine, dans un vers de Clymène, souvent cité:
On dit aussi plus volontiers le ouistiti que l’ouistiti, quoiqu’on fasse fort bien la liaison dans un ouistiti ou des ouistitis.
Pour ouate, l’usage est flottant. Il est vrai qu’on dit plus ordinairement aujourd’hui de la ouate que de l’ouate, malgré une tendance fâcheuse à revenir à l’ancienne prononciation: scrupule de purisme fort déplacé, qui se manifeste, paraît-il, chez certains médecins et chez les premières des grandes maisons de couture. Mais dire la ouate n’empêche pas du tout de faire l’élision de l’e muet: un(e) ouate, plein d’ouate, sont généralement usités[392].
3º L’habitude d’isoler les noms de nombre, qui commencent généralement par des consonnes, fait qu’on traite souvent comme les autres ceux qui commencent par des voyelles, un et onze, et aussi huit, dont l’h, naturellement muet, ne s’est aspiré (et encore pas toujours) que par suite de cette convention spéciale[393]. On dit donc le onze et le onzième, et non pas l’onze et l’onzième, témoin la complainte du Vengeur:
On n’a probablement jamais dit une lettre de l’onze, et pas souvent sans doute à l’onzième siècle, quoiqu’on trouve cette façon de parler dans Th. Corneille[394]. Pourtant on dit à peu près indifféremment le train de onze heures ou le train d’onze heures; et Littré écrira dans son dictionnaire: bouillon d’onze heures.
Ceci est un cas spécial, qui permet même la liaison du t du verbe être: on dit presque uniquement il est onze heures avec liaison, et c’est la seule liaison qu’on fasse avec onze; l’élision d’onze heures en est la conséquence naturelle. Mais on ne dirait pas avec Corneille, l’œuvre d’onze jours[396].
L’élision est beaucoup plus libre avec un qu’avec onze. Cependant, on dira uniquement le un, soit pour numéroter, soit pour dater, en opposition avec l’un, où un n’est plus le nom du nombre[397]. On dit aussi fort bien livre un, chapitre un, comme chapitre onze, quoiqu’on élide parfois dans ces deux expressions, et qu’on dise plutôt pag(e) un et pag(e) onze. On{155} dit de même, le huit, livre huit, chapitre huit, quoiqu’on dise quarant(e)-huit, et que mill(e) huit cents soit identique à mil huit cents.
4º Enfin, on dit aussi le uhlan et non l’uhlan. C’est peut-être pour des raisons d’euphonie; mais on dira tout aussi bien du uhlan, qui n’est pas plus harmonieux que l’uhlan, et V. Hugo lui-même a osé risquer cet hiatus nécessaire:
Ce mot est donc traité comme s’il avait un h aspiré sans qu’on sache pourquoi (en allemand: ulan).
Nous venons d’examiner les cas où l’e muet ne s’élide pas devant une voyelle. Il y en a un où il s’élide encore en réalité devant une voyelle, mais en apparence devant une consonne: c’est quand on désigne par leurs noms les sept consonnes dont l’articulation est précédée d’un e: l’f, l’h, l’l, l’m, l’r, l’s, l’x, plein d’m, beaucoup d’r, etc.; mais on dira au contraire suivi ou précédé de r ou s, comme de a ou i, parce que les lettres sont ici comme des mots qu’on cite; de même je crois que r ou s..., comme je crois que a..., ou je dis que x....
Ces questions étant éliminées, arrivons au vrai sujet, l’e muet.
Sur ce point, un certain nombre de philologues font grand état, depuis une vingtaine d’années, d’une prétendue loi des trois consonnes, qui dominerait toute la question de l’e muet; cette loi peut se formuler ainsi:
Lorsqu’il n’y a que deux consonnes entre deux{156} voyelles non caduques, elles ne sont jamais séparées par un e muet; mais lorsqu’il y en a trois ou plus, il reste (ou il s’intercale) un e muet après la seconde, et de deux en deux, s’il y a lieu[399]. Ainsi la f’nêtre, mais un’ fenêtre, et qu’est-c’ que j’ te disais.
A vrai dire, l’auteur commence par déclarer que sa «loi» ne vaut, à Paris, que «pour le français de la bonne conversation», et non pour «le parler populaire», et il oppose ça ne m’ fait rien, qui est, dit-il, populaire, à ça n’ me fait rien. Mais alors on se demande ce que c’est qu’une loi phonétique régissant un parler qui doit avoir, qui ne peut pas ne pas avoir quelque chose d’artificiel, au moins sur certains points, et à laquelle se dérobe précisément le parler le plus naturel, le plus spontané, celui qui, en principe, obéit le plus rigoureusement aux lois phonétiques. D’autre part, on se demande en quoi veux-tu te l’ver est plus populaire et de moins «bonne conversation» que veux-tu t’lever? Et moi-même, ai-je dit on se d’mande ou on s’ demande? L’auteur traite ici les monosyllabes absolument comme les autres e muets, ce qui est une grave erreur. Il reconnaît d’ailleurs plus loin que les monosyllabes mettent à chaque instant sa «loi» en défaut.
Mais, même à l’intérieur des mots, «sa loi» n’est pas plus sûre, et il doit reconnaître que les liquides, l et r, y font de perpétuels accrocs.
D’abord les groupes de trois consonnes ne sont pas rares, quand la seconde est une muette ou explosive (b, c, d, g, t, p), ou une fricative (f, v), suivie d’une liquide, l ou r, ces groupes étant presque aussi faciles à prononcer qu’une consonne seule: arbre, ordre, pourpre, tertre, astre, terrestre, etc. Ils ne sont guère plus rares quand la seconde consonne est un s:{157} lorsque, obscur, texte (tecste) ou expédier. On peut même avoir quatre consonnes consécutives, si les deux conditions sont réalisées simultanément, comme dans abstrait, extrême ou exprimer. Et jamais on n’a éprouvé le besoin d’intercaler un e muet après la seconde ou la troisième consonne de ast(e)ral ou abst(e)rait, pas plus que dans un’ planche.
Les innombrables mots du type chapelier, aimerions, aimeriez, contredisent aussi la «loi», en maintenant l’e muet entre les deux consonnes, si l’on n’en voit que deux dans ces mots, ou plutôt après la première, et non la seconde, si, comme il convient, on prend l’i pour une troisième consonne.
D’autre part, il y a des phénomènes que l’auteur n’a point aperçus. Je ne parle pas des mots du type achèt’rai, qui maintiennent l’e après la première consonne: on pourrait me dire que cette prononciation est artificielle. Mais pourquoi dit-on uniquement échev’lé, quand la «loi» exigerait éch’velé[400]? Pourquoi, à côté de pell’terie, ou plutôt pel’t’rie, avec trois consonnes, a-t-on papet’rie, avec maintien du premier e muet, qui même devient le plus souvent un e à demi ouvert?
Ainsi nous ne nous embarrasserons pas de cette fausse loi. Nous constaterons, si l’on veut, qu’il y a là une tendance très générale, nécessaire même, en français, du moins, et qui se manifeste certainement dans la pluralité des cas[401]. Mais une tendance n’est{158} pas une loi. Nous nous bornerons donc à examiner sans prévention les faits, dont la variété est presque infinie, et nous nous efforcerons d’y mettre le plus d’ordre et de clarté que nous pourrons, sans méconnaître qu’on peut différer d’avis sur beaucoup de points de détails.
I. Dans les mots isolés.—A la fin des mots pris isolément, ou s’il n’y a rien à la suite, l’e non accentué est réellement muet, c’est-à-dire qu’on ne l’entend plus[402]. Les instruments délicats de la phonétique expérimentale peuvent bien en constater encore l’existence après certaines consonnes ou certains groupes de consonnes (je ne parle pas de la consonne double, qui compte comme simple); mais alors il est involontaire, car ces instruments le constatent, après les consonnes dont je parle, aussi bien quand il n’est pas écrit que quand il est écrit; autrement dit, est, point cardinal, et la finale -este se prononcent de la même manière, tout aussi bien que beurre et labeur, mortel et mortelle, sommeil et sommeille[403].{159}
Nous avons vu au cours des chapitres précédents que la présence même de l’e muet après une voyelle finale ne change plus rien ni au timbre ni à la quantité de la voyelle qui précède, au moins dans la conversation courante. Il y a exception pour la rime, mais ceci est voulu, et par suite artificiel[404]: on ne parle ici que de la prononciation spontanée[405].
Ce n’est pas tout. Quand la consonne qui précède l’e muet final est une liquide, l ou r, précédée elle-même d’une explosive ou d’une fricative, la prononciation populaire supprime souvent la liquide avec l’e: du suc(re), du vinaig(re), datent de fort loin, mais cette prononciation n’est plus admise dans la bonne conversation. Pourtant mart(r)e a fini par avoir droit de cité.
II. Devant un autre mot.—Considérons maintenant l’e muet final dans un mot suivi d’un autre mot.
Si le second mot commence par une voyelle ou un h muet, nous savons que l’e s’élide. Mais si le second mot commence par une consonne (autre que l’h aspiré), l’e muet n’en tombe pas moins: el(l)’ m’a dit[406].
Le phénomène est le même si les consonnes qui se rencontrent sont pareilles: el(l)’ lit[407].{160}
L’e tombe encore s’il y a deux consonnes en tête du second mot: el(l)’ croit, el(l)’ scandalise, un’ statue.
Toutefois l’e se prononce, si le mot suivant commence par r ou l, suivi d’une diphtongue: il ne mange rien[408]. On dit même, sans élision, qu’il devienne roi, les trois consonnes nrw s’accommodant mal ensemble, tandis qu’on dit avec élision, si j’ crois, qui, pourtant, réunit quatre consonnes, jcrw: nous verrons plus d’une fois que la liquide ne peut figurer dans un groupe de trois consonnes réelles que si elle est première (lorsque) ou troisième (si j’ crois) et non seconde[409].
Ici encore ce n’est pas tout. Si l’e muet final est lui-même précédé de deux consonnes différentes devant la consonne initiale du mot suivant, en principe l’e se prononce: reste là, pauvre femme, Barbe-bleue. Mais il s’en faut bien que le phénomène soit général.
D’une part, on dit fort bien, en parlant vite: rest’ là.
D’autre part, devant un autre mot encore mieux qu’isolément, la prononciation populaire, ou simplement familière, supprime à la fois, et depuis des siècles, l’e et la liquide qui précède, l ou r, à la{161} suite d’une muette ou explosive ou d’une fricative: pauv’ femme, bouc’ d’oreille.
Ce phénomène affecte surtout l’r; et on peut dire que l’r tombe régulièrement dans maît’ d’hôtel, maît’ d’étude, maît’ de conférences, où il est rare qu’on le fasse sonner; cela est même tout à fait impossible dans telle expression uniquement familière, comme à la six quat(re) deux. Dès longtemps, les grammairiens ont constaté et apprécié diversement cet usage avec les mots notre, votre et autre. Aujourd’hui cette prononciation n’est jamais considérée comme tout à fait correcte. Elle est, il est vrai, seule usitée dans la conversation courante, mais non dans la lecture, ni simplement quand ou parle à quelqu’un à qui l’on doit des égards, et devant qui on ne veut pas se négliger: je citerai, comme exemples plus particulièrement probants, Notre Père, qui êtes aux cieux, ou Notre-Dame. On dit aussi uniquement quatre-vingts.
Ajoutons que la présence d’un s après l’e muet ne change rien à l’élision, et pas davantage celle de nt dans les troisièmes personnes du pluriel: j’aim(e) bien, tu aim(es) bien ou ils aime(nt) bien, la ru(e) de Paris ou les ru(es) de Paris, tombait dru ou tombai(en)t dru, ont des prononciations identiques[410].{162}
I. Entré voyelle et consonne.—Entre une voyelle et une consonne, l’e muet ne se prononce plus depuis bien longtemps, et, pour ce motif, il est tombé dans un grand nombre de mots, sans qu’on puisse savoir pourquoi il s’est maintenu dans les autres. Aussi n’y a-t-il pas de raison pour prononcer gai(e)ment, qui a gardé son e, autrement que vraiment, qui a perdu le sien. D’ailleurs, quand l’e s’est maintenu, on peut le remplacer à volonté dans la finale -ement (substantifs et adverbes) par un accent circonflexe sur la voyelle qui précède: gai(e)ment ou gaîment, remerci(e)ment ou remercîment, dénou(e)ment ou dénoûment, dénu(e)ment ou dénûment.
Mais ceci pourrait faire croire que la voyelle qui précède l’e est réellement allongée par lui; en réalité, elle ne l’est pas plus ici qu’à la fin des mots, et la prononciation est la même partout, avec ou sans accent, avec ou sans e, dans remerci(e)ment et poliment, dans assidûment et ingénu(e)ment[411].
Le même phénomène se produit avec la finale -erie précédée d’une voyelle: soi(e)rie, qui a gardé son e, se prononce comme voirie ou plaidoirie, qui ont perdu le leur; sci(e)rie est identique à Syrie, et l’u est à peu près le même dans furie, qui n’a jamais eu d’e, tu(e)rie, qui a gardé le sien, ou écurie, qui l’a perdu[412].{163}
Enfin, le cas est encore le même dans les futurs et conditionnels des verbes en -ier et -yer, ceux-ci changeant régulièrement leur y en i devant l’e muet: j’étudi(e)rai, je balai(e)rai, j’aboi(e)rai, j’appui(e)rai. Tout au plus y a-t-il ici cette différence, que l’e, qui ne peut pas disparaître, allonge assez facilement la voyelle précédente, surtout dans les mots de deux syllabes: je pai(e)rai, je ne ni(e)rai pas; dans les autres, l’allongement tend aussi à disparaître.
Les verbes en -ayer ou -eyer, quelques-uns du moins, ont gardé la faculté de conserver leur y dans les mêmes temps, et aussi au présent, je pay(e), je pay(e)rai. En ce cas, on entend une consonne de plus, le yod, comme dans sommeil et sommeil(le)rai; mais on n’entend pas davantage l’e muet[413]. Cette faculté est complètement perdue pour les verbes en -oyer: flamboyent, qu’on trouve dans Leconte de Lisle, en trois syllabes:
est presque un barbarisme[414]. De telles formes ne valent pas mieux que soyent ou ayent, qu’on entend parfois dans le peuple[415].
II. Entre consonne et voyelle.—Entre une consonne et une voyelle, comme devant une voyelle en tête du mot, l’e muet n’est plus qu’un résidu inutile d’anciennes diphtongues, conservé malencon{164}treusement dans quelques formes du verbe avoir: (e)u, j’(e)us, j’(e)usse, dans ass(e)oir, dans à j(e)un[416].
Il en est de même dans le groupe eau: (e)au, tomb(e)au, ép(e)autre, etc.[417].
Ou bien l’e muet n’est qu’un simple signe orthographique destiné à donner à la gutturale douce g, devant les voyelles a, o, u, le son qu’elle a normalement devant e et i, c’est-à-dire celui de la spirante palatale douce, j: mang(e)a, g(e)ai, afflig(e)ant, g(e)ôlier, pig(e)on, gag(e)ure[418].
III. Entre deux consonnes.—Entre deux consonnes, dont la première peut être indifféremment simple ou double, l’e muet tombe régulièrement, à condition que les consonnes ainsi rapprochées puissent s’appuyer sur deux voyelles non caduques, une devant, une derrière; ainsi dans ruiss’ler ou chanc’ler, aussi bien que dans app’ler ou ép’ler (où pl font un groupe naturel); de même dans gab’gie, épanch’ment[419], command’rie, échauff’ment, jug’ment,{165} longu’ment, mul’tier, raill’rie, parfum’rie, ân’rie, group’ment, craqu’ment, dur’té, honnêt’ment, naïv’té, et même lay’tier, aussi bien que dans prud’rie, moqu’rie ou pot’rie[420].
On voit qu’il n’est pas du tout nécessaire qu’il y ait affinité entre les consonnes[421]. Mieux encore: l’e muet tombe aussi, comme entre deux mots, même si les consonnes sont identiques: honnêt’té, là-d’dans, extrêm’ment, verr’rie, trésor’rie, serrur’rie[422]. Quelques personnes répugnent à laisser tomber l’e après{166} gn mouillé; mais c’est une erreur: renseign’ra ou renseign’ment se prononcent comme pill’ra ou habill’ment, car la difficulté n’est pas plus grande.
Toutefois, quand l’e muet est suivi d’une liquide qui s’appuie sur les finales -ier, -iez et -ions, il se prononce ordinairement: bachelier, chandelier, chapelier, muselière, hôtelier, etc.; de même, appelions, appeliez (avec e muet et non e fermé), aimerions, aimeriez[423].
Ce qui empêche l’e muet de tomber devant ces finales à liquide, c’est que, s’il tombait, il arriverait ici ce qui est arrivé aux mots tels que meurtr-ier, ouvr-ier, tabl-ier, voudr-ions, voudr-iez, où les groupes de consonnes que terminent l ou r ont diérésé les finales -ier, -ions, -iez, en -i-er, -i-ons, -i-ez[424]. Or, le français aime encore mieux conserver{167} une diphtongue que de laisser tomber un e muet; et alors plutôt que d’avoir chandli-er ou chapli-er, on préfère articuler l’e muet[425].
Exceptionnellement, l’e muet tombe dans bourr’lier, parce que rien ne s’y oppose: c’est ainsi qu’on a, sans diérèse, ourl-iez ou parl-iez[426].
En revanche, on prononce assez généralement l’e muet dans centenier ou souteniez, et même dans un denier[427].
D’autre part, si l’e muet est précédé de deux consonnes différentes, en principe il ne tombe pas non plus, puisque le français tolère mal trois consonnes de suite: ainsi fourberie, supercherie, débordement, bergerie, aveuglement, fermeté, ornement, escarpement, propreté, appartement.
A vrai dire, là même, quand on parle vite, il y en a bien quelques-uns qui tombent encore, toutes les fois qu’il n’y a pas incompatibilité entre les consonnes; et si cela est impossible après une liquide, comme dans propreté, cela peut se faire par exemple dans appart’ment ou pard’sus, et surtout quand l’e{168} muet sépare les groupes br, cr, etc., comme dans fourb’rie, étourd’rie ou lampist’rie; mais cette prononciation n’est plus considérée comme correcte, et quand on parle posément on ne l’emploie pas.
IV. Dans la syllabe initiale.—En tête des mots, l’e muet se prononce en principe, faute d’appui en arrière pour la consonne initiale: belette, refaire, tenir; mais aussi, que devant le mot il y ait un son vocal, l’e tombe aussitôt, dans les mêmes conditions qu’à l’intérieur du mot: la b’lette, à r’faire, vous t’nez, à côté de pour refaire, ou il tenait. Naturellement, s’il y a une finale muette devant la muette initiale, c’est la finale qui cède la place, car l’e muet final tombe, toutes les fois qu’il peut: ell’ tenait ou ell’ tenaient, et jamais elle t’nait[428].
D’ailleurs, même sans un son vocal placé devant le mot, l’e muet de la syllabe initiale tombe encore assez facilement dans la conversation courante, pourvu qu’il y ait affinité suffisante entre les consonnes qui l’enferment: b’lette ou rat, rat ou b’lette se disent presque aussi facilement l’un que l’autre, à cause du groupe naturel bl. On dit aussi très bien, v’nez ici ou c’la fait, avec spirante initiale; avec l ou r, m ou n, c’est beaucoup moins commode: m’nez moi, r’mettez-vous, sont durs et moins généralement employés. On dira moins encore c’lui-là, parce qu’il{169} y aurait en tête du mot trois consonnes qui ne s’accommodent pas[429].
Pendant que je parle de l’e muet de la syllabe initiale, je dois mettre le lecteur en garde contre la tendance qu’on a parfois à le fermer mal à propos. Cette tendance n’est pas nouvelle, car un très grand nombre de mots ont vu un e fermé se substituer à leur e muet initial au cours des siècles; par exemple, crécelle, prévôt, pépie, séjour, béni, désert, péter ou pétiller, etc. Quelques lecteurs peuvent encore se rappeler que l’archaïsme desir (d’sir, d’sirer) faisait jadis les délices de Got, et qu’il était de tradition à la Comédie-Française; pourtant l’Académie avait donné un accent à ce mot depuis 1762[430]. Rébellion a aussi pris l’accent, malgré l’e muet de rebelle et se rebeller. Plus récemment, réviser et révision ont fait de même, ainsi que tétin, tétine ou téton[431]. Retable tend manifestement à céder la place à rétable, formé sans doute par l’analogie malencontreuse de rétablir, et que les dictionnaires admettent aujourd’hui, concurremment avec retable[432].
En revanche, les dictionnaires écrivent encore{170} uniquement avec e muet refréner, seneçon, chevecier et brechet, qu’on prononce presque toujours avec un e fermé. Breveté paraît les suivre de près[433]. Quoique la prononciation de vedette et besicles avec e muet soit encore loin d’avoir disparu, il est probable que védette et bésicles l’emporteront prochainement. Enfin céler est en voie de remplacer celer, sous l’influence de recéler, qui a pris l’accent, probablement par l’analogie de recel.
D’autres mots sont aussi touchés, mais beaucoup moins jusqu’à présent: les personnes qui parlent correctement ne disent pas encore ou ne disent plus déhors pour dehors (comparez dedans), ni dégré, sénestre, gélinotte (de geline) ou frélon, ni enfin réfléter, malgré réflecteur[434].
Il est vrai qu’on entend bien souvent régistre, et, par suite, enrégistrer et enrégistrement, même dans la bouche de personnes fort instruites; et l’on pourrait croire que cette prononciation est aussi en voie de remplacer l’autre, si nous n’avions précisément une administration qui porte ce nom, et qui ignore l’é fermé: c’est un obstacle sérieux à sa diffusion et à sa prépondérance.
J’ajoute que secret a donné, à tort ou à raison, secrétaire et non sécretaire, qu’on entend parfois, concurremment avec secretaire ou sécrétaire, toutes formes encore fort peu admises[435].{171}
Il nous reste à examiner un cas particulier.
On sait que l’e suivi d’une consonne double n’est pas un e muet. Il y a à cela quelques exceptions. Il a paru nécessaire de doubler l’s dans dessus et dans dessous, et après le préfixe re-, pour éviter que l’s ne prît le son du z entre deux voyelles; mais cela n’a rien changé à la nature du préfixe, qui est toujours re-, avec e muet: ressaisir, ressasser, ressaut, ressembler, ressemblance, ressemeler, ressemelage, ressentir, ressentiment, resserrer, resserrement, ressort, ressortir, ressource, ressouvenir et quelques autres, et aussi ressac, par analogie ou confusion d’étymologie. Si l’on dit ressusciter par é fermé, c’est parce que le mot vient directement du latin resuscitare, et non du français susciter. On prononce de même ressuyer, qui est composé d’essuyer. Mais prononcer un é fermé dans ressembler ou ressource est une faute très grave.
Ces e muets peuvent même et doivent tomber comme les autres: il est sans r’source, tu r’sembles et tu me r’essembles, concurremment avec tu m’ressembles.
La prononciation de l’e muet se maintient aussi dans cresson et cressonnière, au moins à Paris et dans une partie de la France du Nord, quelquefois même dans besson[436].{172}
Ceci est un phénomène qui se produit d’abord dans certains mots composés, et alors le traitement de l’e muet dépend des circonstances. Il est clair que, dans arrière-neveu, c’est le premier e qui ne compte pas. Mais les mots de cette espèce sont presque tous des composés d’entre et contre, dont l’e est soutenu par le groupe tr; c’est donc le premier e qui se maintiendra: s’entre-r’garder, contre-v’nir, contre-m’sure. Cependant, dans entrepreneur ou entreprenant, il faut bien les prononcer tous les deux, et je crois bien que dans entretenir, et surtout contrepeser, c’est encore le second qui se prononce le plus complètement.
Il peut arriver d’autre part, et ceci est plus intéressant, qu’à la suite d’une première syllabe muette, la dérivation transforme une syllabe accentuée en atone contenant un e: papetier, papeterie.
1º Si l’un de ces e muets se prononce nécessairement, la question est tranchée: ainsi, pal’frenier, où le second e est soutenu par le groupe fr, car frn serait impossible[437]. De même, mais inversement, bufflet’rie, marquet’rie, parquet’rie, mousquet’rie, où c’est le premier e qui est maintenu; mais on notera que l’e devient généralement mi-ouvert dans tous ces mots, soit par analogie avec tablett’rie et coquett’rie, qui ont deux t, soit sous l’influence de marquète, parquet, mousquet[438].{173}
2º Si aucun des deux e muets ne se prononce nécessairement, l’appui manque à la fois en avant pour l’un et en arrière pour l’autre. En ce cas, la tendance populaire étant de faire tomber le plus d’e possible, et de préférence le premier qu’on rencontre, c’est souvent le premier qui tombera, et au besoin les deux. On dit, quelquefois, pell’terie, pan’terie, grèn’terie, louv’terie, suivant l’analogie de pell’tier, pan’tier, grèn’tier, louv’teau; mais on dit mieux encore, ou du moins plus souvent, et même presque toujours, pell’t’rie, pan’t’rie, gren’t’rie, louv’t’rie, grâce au groupe naturel tr[439].
D’autres fois, c’est le second e qui tombe, pour des raisons diverses: échev’lé, par exemple, a gardé l’e qui se prononce dans chev’lu, où il est initial[440]; on dit de même ensev’lir. Mais dans ce cas l’e conservé prend parfois le son de l’e mi-ouvert: ainsi on prononce généralement caquèt’erie, sous l’influence de caquet ou caquète; bonnèt’rie et briquèt’rie, sous l’influence de bonnet et briquette, en concurrence avec celle de bonn’tier, et briqu’tier; et surtout papèt’rie, plutôt que papet’rie[441]. Même l’e de brevet, qui se prononçait déjà nécessairement dans brevet, à cause du groupe br, prend très souvent le son de l’e mi-ouvert dans brev’té[442].{174}
On remarquera que, dans breveté, les deux e muets étaient en tête du mot, comme dans seneçon et chevecier: c’est ce qui explique l’e mi-ouvert qu’on donne à ces mots, comme on l’a donné à chénevis. En dehors de ces exemples, ce cas ne se présente que dans un très petit nombre de mots, chevelu et chevelure, devenir, et une dizaine de verbes de formation populaire, avec préfixe re- et non ré-, comme dans tous les mots qui ne viennent pas directement du latin: recevoir, redemander, redevoir, regeler, rejeter, relever, remener, retenir, revenir, avec leurs dérivés[443]; de plus, quelques formes verbales de refaire et reprendre. Voyons ce qui arrive à ces mots.
Il est clair que si le mot est en tête d’un membre de phrase ou à la suite d’une consonne, c’est re qu’on prononce, sans d’ailleurs en modifier le timbre: rev’nez, il rev’nait. Si le mot est précédé d’un son{175} vocal, on a le choix: si vous rev’nez ou si vous r’venez; le second est plus populaire et plus conforme à la tendance générale que nous avons signalée tout à l’heure. D’ailleurs, nous verrons un peu partout que re- initial est une des syllabes où l’e est le plus caduc, apparemment par suite du grand usage qu’on en fait: c’est probablement une question de sens plutôt qu’une question de phonétique. Néanmoins, il est peut-être plus correct de prononcer le premier e, comme s’il n’y avait rien devant le mot. En tout cas, c’est toujours le premier qui se prononce dans chev’lu et chev’lure, et c’est peut-être en partie pour cela qu’on prononce échev’lé et non éch’velé. Dans les formes comme reprenez, reprenais, c’est le second e qui se prononce nécessairement, et par conséquent les deux, quand le mot ne s’appuie sur rien: vous r’prenez, mais reprenez vos papiers.
Mais voici qui est plus extraordinaire: il y a deux verbes qui commencent par trois syllabes muettes, à savoir redevenir et ressemeler. Dans ces deux mots, le second e ne tombe jamais, peut-être parce qu’il rappelle et représente le premier e de devenir et de semelle; par suite, le troisième e tombe toujours; quant au premier, il peut tomber après un son vocal; mais on trouve plus élégant de le conserver. Ainsi, vous redev’nez est plus distingué; vous r’dev’nez, plus populaire, avec ses deux e qui tombent sur trois. Et peut-être les puristes seraient-ils tentés de dire vous red’venez, pour ne laisser tomber que l’e du milieu; mais c’est là une prononciation affectée, qu’on doit absolument s’interdire; quant à ress’meler, il ne s’est peut-être jamais dit.
J’ai réservé jusqu’ici les monosyllabes, le, ce, je, me, te, se, de, ne et que, pour les considérer à part,{176} parce qu’ils ont un peu plus d’importance que les syllabes muettes ordinaires.
I. Un monosyllabe seul.—Le monosyllabe seul est traité en thèse générale comme les syllabes muettes initiales, et non comme les syllabes muettes finales. Ainsi l’e se maintient en principe dans je dis et tombe dans si j’ dis, et même si j’ crois, malgré les quatre consonnes, et même si j’ joue, malgré la répétition du même son, tandis qu’il reparaît dans car je dis[444]. On dit de même, la rob’ me va, à ce rien, à ce roi, à ce ruisseau, pas de scrupules[445].
Mieux encore: si le monosyllabe est précédé d’une finale muette qui se prononce nécessairement, lui aussi se prononce en même temps le plus souvent: je veux entendre le discours[446].
Toutefois, ici encore, dans la conversation courante, les trois monosyllabes je, ce et se, dont la consonne est une spirante, s’élident assez facilement, même sans appui antérieur: s’ laver les mains, j’ sais{177} bien, c’ qu’on a fait[447]. Mais cette prononciation n’est point indispensable; elle est surtout très peu admissible avec les autres monosyllabes: l’ métier, n’ fais rien, qu’ tu es sot, réclament un appui antérieur; on ne dit guère même qu’ réclames-tu, malgré le groupe cr. Il en résulte seulement qu’on pourra dire: je veux entendre c’ qu’on dit, à côté de entendre ce qu’on dit, avec dre à peine sensible. En fait, on dit presque toujours je veux entend’ ce qu’on dit, et même, entend’ c’ qu’on dit, à cause de la spirante médiane, comme on dit fort correctement tu demand’ c’ qu’on dit, avec double élision, l’s médian permettant la consonne triple.
Mais il y a un cas particulier à considérer: le monosyllabe suivi d’une syllabe initiale à e muet. Dans ce cas, il y a hésitation. La tendance à laisser tomber le premier e se manifeste souvent: on l’ devine, pas d’ retraite, si tu t’ relèves, sont aussi usités, quoique moins élégants, que on le d’vine, pas de r’traite, où si tu te r’lèves; mais du moins on a le choix, tandis que plus haut on disait uniquement ell’ tenait, et jamais elle t’nait, elle n’étant pas un monosyllabe. D’autre part, en tête de phrase, il faut bien dire le r’pas et non l’ repas.
Avec l’s médian, on peut avoir ici encore une double élision: tu n’ s’ras pas reçu[448].{178}
II. Deux monosyllabes consécutifs.—S’il y a deux monosyllabes de suite, il faut presque toujours que l’un des deux tombe, et c’est généralement le premier, sauf empêchement: si j’ te prends est infiniment plus usité que si je t’ prends. Mais, naturellement, on est obligé de dire, en tête de phrase, ne m’ bats pas, à côté de si tu n’ me bats pas; et je t’ prends est peut-être mieux reçu que j’ te prends, quoique moins usité.
Surtout on dit à peu près toujours fais attention à c’ que tu dis, et non à ce qu’ tu dis, qui est affecté; on va même, nous venons de le voir, grâce à l’s médian, jusqu’à pour c’ que tu dis, avec c’ que tu dis, écrir’ c’ que tu dis, car dans l’assemblage si fréquent ce que, c’est toujours ce qui s’efface devant que; et si les sons paraissent trop durs, on prononcera à la fois ce et que, comme plus haut dans parce que, plutôt que de sacrifier que. Il semble que ce soit une loi générale que que ne tombe jamais devant une consonne, quand il est précédé d’une autre syllabe muette[449].
Au contraire, le est généralement sacrifié au monosyllabe qui précède, quel qu’il soit: on me l’ donne, on te l’ donne, si je l’ savais, sont certainement plus usités et considérés comme plus corrects que on m’ le donne, on t’ le donne, si j’ le savais. C’est probablement parce que me, te, je, pourraient être remplacés par des mots inélidables, nous, vous, tu: on vous l’ donne, si tu l’ savais, tandis que le est toujours le, et toujours élidable, outre qu’on a une très grande habitude de l’élider par ailleurs.
D’autre part, je et de l’emportent aussi généralement sur ne, quand rien ne s’y oppose: si je n’veux pas, comme si tu n’veux pas, et non si j’ne veux{179} pas[450]; de même je promets de n’pas sortir et non d’ne pas sortir, sans doute à cause de la fréquence du groupe n’pas. Toutefois on sera bien obligé de dire je promets d’ne rien manger, pour le même motif que l’e se maintient dans chapelier ou mangeriez, ou dans à ce rien.
Et maintenant, s’il y a concurrence entre que et je, ou entre que et de, c’est encore que qui l’emporte de préférence: on dit il est certain que j’viens et non qu’je viens, et plutôt que d’fuir est préféré à plutôt qu’de fuir, qui est plus familier.
On voit donc qu’il y a une véritable hiérarchie entre les monosyllabes: au sommet, que, puis je; au plus bas degré le, suivi de la muette initiale des mots, et en dernier lieu de la muette finale, celle-ci ne se prononçant que quand il est impossible de faire autrement.
Dernière observation: deux monosyllabes peuvent aussi être suivis d’un mot commençant par une syllabe muette. En ce cas, c’est elle qui s’élide de préférence quand elle peut; on dira donc il fut content d’ne r’trouver personne, et même, familièrement, j’ne r’grette rien, aussi bien que j’le r’grette ou j’me d’mande: c’est ici l’e du milieu qui se maintient, comme nous allons le voir avec trois monosyllabes, et qui se maintient d’autant mieux que le troisième e est plus faible[451]. Et si le premier monosyllabe est obligé de se prononcer, on les prononce donc tous les deux: on dit au sortir de ce ch’min, plutôt que de c’chemin; ell’ ne me r’vient pas, plutôt que ell’ ne m’revient pas, qui se dit aussi.{180}
III. Trois monosyllabes consécutifs.—S’il y a trois monosyllabes de suite, quelques puristes prononcent le premier et le troisième: si je t’le dis; mais tout le monde prononce en général le second seul: si j’te l’dis, et même au besoin j’te l’dis, sans si, comme tout à l’heure j’le r’grette. Tout ce qu’ je dis est particulièrement affecté, et tout c’ que j’dis est la seule prononciation usitée; et si pour écrir’ c’ que j’dis paraît trop dur, nous savons déjà qu’on prononce ce avec que, c’est-à-dire les deux e médians, plutôt que d’élider que: pour écrir’ ce que j’dis, pour prendr(e) ce que j’remets (ou c’que j’remets, ou c’ que je r’mets).
Toutefois, ne étant subordonné à je et de, on dira si je n’le dis pas plus correctement que si j’ne l’dis pas; et en tête de phrase on disait bien j’ne r’grette rien, à cause de la faiblesse de re initial, mais on ne dirait pas j’ ne l’sais pas, et pas davantage j’ne l’regrette pas, avec ou sans si, mais uniquement je n’le r’grette pas. En revanche, la prédominance de que sur je fait qu’on peut dire c’que j’demande aussi bien que c’que je d’mande, et même c’est c’que j’regrette.
D’autre part, si, sur trois monosyllabes, que est en concurrence avec je, c’est celui des deux qui est médian qui l’emporte; on a donc c’est qu’je n’sais pas, et non c’est que j’ne sais pas, à côté de c’est c’que j’sais bien. On voit même je médian se maintenir à côté de que obligé: il est sûr que je n’sais pas, et non que j’ne sais pas, malgré il est sûr que j’te crains peu. Mais que reprend sa primauté, s’il y a une muette initiale supplémentaire, et qu’il faille choisir: c’est que j’ne r’viens pas est plus usité que c’est qu’je n’reviens pas.
IV. Plus de trois monosyllabes consécutifs.—S’il y a plus de trois monosyllabes de suite, avec ou sans syllabe muette antérieure ou postérieure, il{181} y aura certainement dans le nombre que, et même ce que, ou bien je, sinon les deux; dès lors la prédominance de que, ou, le cas échéant, celle de je, et d’autre part l’effacement ordinaire de le et ne, détermineront aisément le choix, ou même couperont la série en deux ou trois membres, où que fera l’effet d’une tonique, et aussi je, le cas échéant: si je n’te l’dis pas, si je n’me l’demande pas, c’est c’que j’me d’mande, c’est c’que j’me r’demande.
On voit qu’en général les e élidés alternent avec les autres. Mais ici encore, bien entendu, que et je pourront être prononcés à côté l’un de l’autre. Ainsi l’on dira aussi bien, et même mieux, c’est c’que je r’demande, que c’est c’que j’red’mande, et nécessairement c’est c’que je n’te d’mande pas et c’est c’que je n’te r’demande pas, tu veux t’instruir’ de c’que je n’sais pas, parc’que (ou puisque) je n’te l’fais pas dire, tu réclam’ c’que je n’te r’mets pas, parce que je n’te le r’mets pas[452].
On notera que, dans ce dernier exemple, on peut prononcer jusqu’à cinq e muets sur sept, dont trois de suite; le plus fort écrasement en laissera encore trois debout, dont que et je de suite: parc’ que je n’t’ le r’mets pas, car ni que ne peut s’élider après parce, ni je devant ne.
On avait ici sept e muets de suite; en voici huit et même neuf: tiens-moi quitt’ de c’que je n’te r’mets pas, et tu t’lament’ de c’que je n’te le r’mets pas (ou je n’te l’remets pas, ou plus souvent je n’t’le r’mets pas).
De toutes ces considérations il résulte qu’il y a souvent plusieurs façons de prononcer les mêmes{182} phrases, même sans parler des cas où l’on tient à mettre en relief une syllabe particulière. D’une façon générale les e muets, quels qu’ils soient, peuvent tomber en plus ou moins grand nombre, suivant les personnes, suivant les lieux, et surtout suivant l’allure du débit. On parle plus rapidement qu’on ne lit: la lecture conservera donc des e muets que la langue parlée laisse tomber. On parle ou on peut parler dans la conversation plus rapidement que dans un discours: la conversation rapide ou simplement négligée écrase donc une foule d’e muets qui se conservent partout ailleurs. Mais alors on arrive facilement à des incorrections que rien ne peut justifier.
C’est le défaut des phonéticiens, et surtout des phonéticiens étrangers, de recueillir précieusement les façons de parler les plus négligées, pour les offrir comme modèles; et alors on voit des étrangers s’évertuer consciencieusement à reproduire dans un discours étudié et lent des formes de langage que la rapidité du débit pourrait seule excuser: cela est ridicule. Ces phénomènes se produiront toujours assez tôt et spontanément, quand la connaissance de la langue sera parfaite et qu’on en fera un usage habituel et constant.
Ainsi tout à l’heure nous citions parce que réduit à pasque: ces choses-là se constatent, mais ne doivent pas s’imiter volontairement.
On a vu aussi que, dans la prononciation populaire ou simplement négligée, la chute de l’e muet entraîne souvent celle de l’r: vot’ père, quat’ jours, un maît’ d’anglais, pour entend’ le discours. C’est également pour permettre à l’e muet final de tomber qu’on supprime l’l dans quelque; mais ce n’est que dans une conversation très familière qu’on dit que’qu’chose, ou que’qu’fois. On va plus loin: on dit couramment c’t homme, qui au temps de Restaut était considéré comme correct, et même {183}c’t un fou, où l’on fait tomber non pas un e muet, mais un e ouvert; comme dans s’pas, pour n’est-pas, et même pas? tout court; et l’on dit encore p’têt’ bien (ou ben), où ce n’est plus un e qui tombe, mais eu, assimilé à l’e muet, sans compter la finale re: tout cela est-il à recommander? Le peuple, et même les gens les plus cultivés en disent bien d’autres: qu’ est qu’ c’est qu’ça, ou même simplement c’est qu’ça, ou encore qu’ça fait, sans parler de ou ’st-c’ que c’est, ou plus brièvement où qu’c’est. Car on parle uniquement pour se faire comprendre, et avec le moins de frais possible: c’est le principe de moindre action, qui s’applique là comme ailleurs. Mais d’abord ce n’est peut-être pas ce qu’on fait de mieux; ensuite on ne dit pas cela partout, ni à tout le monde; enfin, quand on parle ainsi, on n’a nullement la prétention de fournir un modèle à suivre.
On voit que l’écueil de la prononciation, relativement à l’e muet, c’est l’abus des élisions. Mais le contraire se produit aussi parfois. Comme deux consonnes tendent à maintenir l’e muet devant une troisième, il arrive aussi qu’elles en appellent un qui n’existe pas! Il n’est pas rare d’entendre prononcer lorseque, exeprès, Oueste-Ceinture, ourse blanc, qui rappellent bec ed gaz[453]. Évidemment l’est de Paris est difficile à prononcer, à cause des deux dentales qui se heurtent: on est obligé de les fondre à peu près en une seule. D’autre part le français répugne à commencer les mots par deux consonnes, si la seconde n’est pas une liquide; de là la formation de mots tels que esprit, é(s)chelle, é(s)tat, qui ont gardé ou perdu leur s après addition de l’e;{184} mais il faut éviter d’augmenter le nombre de ces mots en disant une estatue, ou d’intercaler un e dans s(e)velte[454].
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* *
Nous ne pouvons pas terminer ce chapitre sans dire un mot de la question des vers, dont l’e muet est un des charmes les plus sensibles, comme aussi les plus mystérieux. L’e muet est une des caractéristiques les plus remarquables de la poésie française. Aussi les principes que nous venons de développer ne sauraient-ils en aucune façon s’appliquer à la lecture des vers, qui exige un respect particulier de l’e muet.
Voici un vers de l’Expiation, de V. Hugo:
On laissera les acteurs articuler neuf syllabes, comme si c’était une phrase de Thiers: ici il en faut douze, si l’on peut. L’e muet d’empereur est le seul qui évidemment ne puisse pas se prononcer, car il est de ceux qu’on ne devrait pas écrire; s’ensuit-il qu’il faille le laisser tomber complètement? En aucune façon: l’oreille doit en percevoir la trace, ne fût-ce qu’un demi-quart d’e muet; il suffira même d’appuyer un peu plus sur la syllabe précédente pour faire sentir à l’oreille qu’il y a là quelque chose comme une demi-syllabe. Et sans doute cela est difficile; mais les autres n’offrent aucune difficulté. Les e de revenait doivent se prononcer pleinement tous les deux, et quand à celui de lentement, on peut aisément le faire sentir plus que celui d’empereur: le sens même ne l’exige-t-il pas?{185}
Voici un vers d’une toute autre espèce, qui ne peut, pas être dit non plus de n’importe quelle manière:
Le premier élément je veux doit être suivi d’une pause; le second a quatre syllabes dont il sera bon de prononcer la première et la troisième, contrairement à l’usage courant[456]; le second hémistiche doit se diviser en deux parties égales avec un accent fort sur que; ou si l’on accentue sur par, il faudra faire sentir tous les e muets.
Dans cet autre vers de V. Hugo:
qui aurait huit syllabes en prose rapide, tous les e muets doivent être prononcés, sauf le dernier, qu’on doit encore sentir à moitié; et je dis sentir plutôt qu’entendre, le prolongement du son ai et aussi de l’m suffisant à marquer l’existence de la muette qui suit.
Il est bien vrai que les poètes ne manient pas toujours l’e muet avec l’art et la prudence qu’il faudrait, et qu’ils mettent souvent le lecteur à de rudes épreuves. Il ne faut pourtant pas les trahir, même s’ils le méritent parfois[458].{186}
On se rappelle que les trois voyelles extrêmes, i, u, ou, quand elles sont suivies d’autres voyelles, font presque nécessairement diphtongue avec elles, et, se prononçant très rapidement, doivent être tenues pour des consonnes autant que pour des voyelles.
Quand le groupe est précédé d’une autre voyelle, il n’y a pas de discussion possible, et la synérèse entre les deux dernières est nécessaire et manifeste: na-ïade, plé-ïade, pa-ïen, fa-ïence, a-ïeux, ba-ïonnette[459].
Si au contraire le groupe est précédé d’une consonne, il y a alors une très grande différence à faire entre la prose et la poésie, car les poètes s’en tiennent encore aujourd’hui, dans la plupart des cas, à des traditions de plusieurs siècles, qui remontent aux origines latines, et par suite ils ne comptent guère comme diphtongues que les diphtongues étymologiques. Or il n’y en a plus que deux en français: ié et ui. Encore ie et ui ne sont-ils pas diphtongues partout étymologiquement: aussi ie est-il diphtongue pour les poètes dans pied, mais non dans épi-é; dans dieu, mais non dans odi-eux; dans rien, mais non aéri-en; ui est diphtongue pour eux dans{187} puits, mais non ru-ine, dans bruit, mais non ingénu-ité[460].
Les poètes admettent encore les diphtongue ions et iez dans les imparfaits et les conditionnels, mais point ailleurs: ils distinguent ainsi les imparfaits alliez, mandiez, des présents alli-ez, mendi-ez, etc., les imparfaits portions, inventions, etc., des substantifs porti-ons, inventi-ons[461].
En dehors de ces cas, les diphtongues sont rares chez eux: les groupes ia, io, iu, fournissent à peine quelques exceptions courantes, comme diable ou pioche; de même les autre groupes, commençant par u et ou: ainsi duègne et oui.
Nous n’insisterons pas sur la question, ceci n’étant pas un traité de versification, mais il importait que le lecteur fût averti que dans ces rencontres les vers doivent très souvent se prononcer autrement que la prose.
La plus importante et la plus fréquente des semi-voyelles, et celle qui se forme le plus facilement, c’est celle qui provient de l’i: dans cette fonction elle s’appelle yod, et sa prononciation se marque commodément par y.{188}
I. Après une consonne.—Le groupe ia est assez fréquent, et se trouve par exemple dans un grand nombre de finales: -ia, -iable, -iaque, -iacre, -iade, -iaffe, -iage, etc. Le groupe ie n’est pas moins fréquent. Mais quel que soit le groupe, ia, iai ou ian, ié, iè, ien ou ieu, io, ion ou iu, partout c’est ya, yai, yé, etc., qui se prononcent, même si l’i appartient étymologiquement à la syllabe précédente, ce qui d’ailleurs est le cas ordinaire: mar-yage, byais, or-yent, ép-yer, nyèce, coméd-yen, pluv-yeux, ag-yoter, pass-yon, bin-you, op-yum.
Toutefois, si l’i appartient à un préfixe qui garde son sens plein, la séparation est maintenue: anti-alcoolisme, archi-épiscopal.
D’autre part, il ne faut pas non plus qu’il y ait dans la prononciation même un obstacle à la formation de la diphtongue. Ainsi il est clair que lier ou nier en tête d’une phrase se prononceront difficilement en une syllabe.
Mais surtout la synérèse est impossible, quand l’i est précédé soit de l’u consonne, soit, et plus encore, de l’un des groupes à liquide finale, bl, br, cl, cr, etc. L’i (ou y) reste donc nécessairement voyelle dans des mots comme qui-étisme, et surtout maestri-a, dry-ade, tri-ait, fabli-au, oublier, pri-ère, Adri-en, oubli-eux, bri-oche, tri-omphe, Bri-oude, stri-ure ou atri-um. Mieux encore: on sait qu’à la suite des mêmes groupes, les diphtongues originelles ont dû se décomposer avec une nécessité qui s’est imposée aux poètes eux-mêmes, dans les mots tels que meurtri-er, sabli-er, devri-ons, devri-ez[462].{189}
Mais on notera ici un phénomène remarquable: dans tous les mots où l’i reste ainsi rattaché à la syllabe précédente, il se développe spontanément entre l’i et la syllabe qui en reste séparée, un yod, qui s’ajoute à l’i: qui-étisme, bri-oche et meurtri-er se prononcent en réalité qui-yétisme, bri-yoche, et meurtri-yer, de même que plus haut nous avons vu la finale i-e prolongée aboutir à i-ye: la vi-ye[463]. Que dis-je? pour distinguer l’imparfait du présent dans les verbes en i-er, tandis que vous étudi-ez se prononce ordinairement étud-yez, étudi-iez se prononce en réalité étudiy-yez[464]. Daign-iez, dont le cas est pareil, est même fort difficile à prononcer.
II. Décomposition de l’y grec entre deux voyelles.—Nous avons dit que l’i est assez rare entre deux voyelles dans le corps d’un mot. L’y grec y est au contraire assez fréquent. Il se produit alors une décomposition de l’y grec en deux i, qui appartiennent à des syllabes différentes; et alors le premier altère ou diphtongue la voyelle précédente, tandis que le second devient semi-voyelle: payer ou grasseyer se prononcent pai-yer et grassei-yer; royal se prononce roi-yal; fuyard se prononce fui-yard.
Il est évident que roi ne peut pas s’accommoder de ro-yal, ni fuir de fu-yard. Mo-yen, qu’on entend encore parfois, est tout à fait suranné et détestable,{190} malgré les efforts de Littré[465]; vo-yons ou a-yant, qu’on entend aussi, sont peut-être encore pires; savo-yard et bru-yant, qui ne sont pas rares, ne sont guère meilleurs; écu-yer serait plus justifié, mais il y a beau temps qu’il est passé à écui-yer.
Mais voici un phénomène plus curieux: l’y grec se décompose même à la fin du mot, le second i faisant syllabe à lui seul, dans pays (pè-i), et par suite payse, paysan, paysage, dépayser, malgré la consonne articulée qui suit. Il en est de même devant l’e muet, dans abbaye (abè-i), qui a ainsi quatre syllabes, si on compte la muette. On prononce d’ailleurs abè-yi aussi souvent que abè-i; mais on dit plus généralement pè-i, pèi-se, pè-isage[466].
J’ajoute qu’ici aussi, bien entendu, la décomposition de l’y grec n’empêche pas la formation de deux yods dans les imparfaits et subjonctifs en -ions et -iez: fuyions, fuyiez se prononcent en réalité fuiy-yons, fuiy-yez.
Cette décomposition de l’y grec entre deux voyelles est en français une règle très générale. On y trouve cependant un certain nombre d’exceptions qu’il faut indiquer: je veux dire des mots qui ne décomposent pas l’y grec, mais gardent intacte la voyelle qui le précède[467].{191}
1º L’a reste intact dans le populaire fa-yot, dans ta-yon et ta-yaut, qui s’écrit aussi taïaut, dans bra-yette, qui est plutôt braguette (mais non dans brayer ou brayon), et dans ba-yer aux corneilles, qui devrait être bai-yer (comparez bouche bée, béant): une confusion s’est faite avec bailler depuis fort longtemps, contre laquelle il est impossible de réagir[468].
L’a se maintient aussi dans coba-ye, cipa-ye, ba-yadère et papa-yer, qui sont des mots d’origine étrangère, ainsi que dans l’expression exotique en paga-ye[469].
2º L’o reste intact dans bo-yard et go-yave, mots étrangers, et dans cacao-yère, pour conserver le simple cacao, mais non dans voy-ou, qui vient de voie, ni dans savoy-ard, qui vient de Savoie, ni dans les mots en -oyau, où la prononciation par o est devenue exclusivement populaire[470].{192}
3º L’u reste intact dans gru-yer, mot étranger, ordinairement aussi dans thu-ya, qui est dans le même cas; de plus dans bru-yère, qui a peut-être été maintenu par le nom propre La Bru-yère, et dans gru-yère, qui est aussi originellement un nom propre.
La tendance à décomposer l’y dans les mots français est si forte qu’on prononce quelquefois thui-ya et que gru-yère lui-même, nom propre francisé en nom commun, est parfois articulé grui-yère, malgré la difficulté; mais c’est assez rare. Avec l’u, c’est plutôt le phénomène contraire qui se produit, c’est-à-dire qu’on paraît tendre parfois à revenir de ui à u.
Ainsi le mot tuyau, peut-être sous l’influence de gru-yère, est en voie de perdre sa prononciation correcte; sans doute, même en dehors des puristes, il y a encore beaucoup de gens, des femmes surtout, qui prononcent tui-yau; mais la prononciation populaire tu-yau est aujourd’hui répandue partout et paraît devoir prévaloir[471].
De même tu-yère. On altère parfois jusqu’à bruyant, qui vient de bruit, sans doute par l’analogie de bru-yère; mais je ne pense pas que bru-yant, qui est fort incorrect, puisse se généraliser[472].{193}
On peut ajouter ici que le mot alleluia, quoiqu’il n’ait point d’y grec, se prononce le plus généralement allelui-ya, comme le latin quia.
III. Changement de l’Y grec en I.—Une autre modification s’est faite à la prononciation de l’y grec dans les verbes en -ayer, -oyer, -uyer; ou plutôt il s’est changé en i simple devant un e muet, au présent, au futur et au conditionnel, d’où disparition du yod: noi(e), noi(e)ra, noi(e)rait[473].
Seuls les verbes en -eyer ont gardé partout l’y grec; mais grasseyer est le seul qui soit répandu.
Les verbes en -ayer, qui sont fort rapprochés des précédents, hésitent souvent entre deux formes et deux prononciations: pai(e) et pai(e)ra, ou paye (pai-ye) et payera (pai-yera). Au futur et au conditionnel, l’i l’emporte sans conteste, et si l’on dit encore rai-yera ou pai-yera, on ne dit plus effrai-yera, plus guère essai-yera ou balai-yera. Au présent, l’y grec se maintient un peu mieux: j’essai-ye et surtout je rai-ye sont fort usités; je balai-ye ou je pai-ye le sont moins, mais sont encore très corrects[474].{194}
Ce phénomène a complètement disparu des verbes en oyer, et des formes comme noye ou flamboye sont tout à fait inusitées, malgré le voisinage de noyons et flamboyons. Il est vrai qu’on entend encore assez souvent dans le peuple soye (soi-ye) et soyent, sans doute par analogie avec soyons, soyez; mais cette prononciation est extrêmement vicieuse, d’autant plus qu’on écrit sois et soit au singulier; et quoiqu’on écrive assez sottement aie et aies, comme voie, avec des e muets, la prononciation ai-ye ou voi-ye, qu’on entend parfois, n’est pas moins condamnable aujourd’hui[475].
IV. L’I ou Y grec initial devant une voyelle.—L’y grec initial devant une voyelle est toujours consonne: yacht, yatagan, et les poètes eux-mêmes ont bien de la peine à le séparer[476].
On peut considérer le groupe il y a comme un cas particulier de ce fait général: ce n’est qu’en vers que il y a peut compter pour trois syllabes; mais quand on parle, on n’en fait que deux, quoiqu’il y ait trois mots[477].
Le phénomène est le même pour il y eut, il y aura et toute la conjugaison, et aussi pour la conjugaison de il y est. Le phénomène est même bien plus mar{195}qué encore pour ça y est, où y se trouve entre deux voyelles, cas identique à celui de na-ïade ou go-yave[478].
Quant à l’i, on ne le trouve en tête des mots que dans quelques mots savants d’origine latine, où l’usage ordinaire, à défaut des poètes, en fait aussi une consonne: ïambe, iode, ionique, iota, iule et leurs dérivés. En revanche, l’adverbe hi-er a deux syllabes depuis le XVIᵉ siècle, et ne doit pas se prononcer yer, sauf en vers, quand la mesure l’exige; tout au plus peut-on dire avantyer, et ce n’est nullement nécessaire[479]. Il n’en est pas de même du groupe initial hiér- (hiéroglyphe, hiérarchie), qui ne fait deux syllabes qu’en vers et encore pas toujours[480].{196}
Pour terminer sur ce point, nous ajouterons que la prononciation actuelle des ll mouillés les assimile complètement au yod, par exemple dans taille, abeille, fille, etc., qui se prononcent ta-ye, abe-ye, fi-ye; d’où il résulte que les finales de prier et briller se prononcent exactement de la même manière: pri-yer, bri-yer[481].
Le gli italien est dans le même cas que les ll mouillés. Enfin gn mouillé diffère peu de ny: les finales de daigner et dernier sont à peu près identiques. Nous reviendrons sur tous ces points dans les chapitres consacrés aux consonnes[482].
Les autres semi-voyelles nous arrêteront moins.
Les groupes de voyelles qui commencent par u, à savoir ua, uai, ué, uè, uei, ui, uin, et même uon, sont aussi des diphtongues en général dans l’usage courant, sinon en vers; et l’on sait que le groupe ui est généralement diphtongue, même en vers. Ainsi u fait fonction de consonne dans per-sua-der, s-uaire, insi-nuant, sué-dois, impé-tueux, fuir, juin et même nous nous ruons[483].
Pourtant le phénomène est moins constant que dans les groupes qui commencent par i.{197}
D’abord l’u est parfois suivi lui-même d’un groupe où i est semi-voyelle, auquel cas l’u doit rester distinct, comme dans tu-ions, tu-iez[484].
Mais surtout deux consonnes différentes quelconques suffisent généralement ici pour empêcher la synérèse, par exemple dans argu-er, sanctu-aire ou respectu-eux, et presque tous les mots en -ueux, aussi bien que dans obstru-er, conclu-ant, conclu-ons, flu-ide, bru-ine et dru-ide, où figurent les groupes connus cl, br, etc.
Toutefois la diphtongue étymologique s’est maintenue, même en vers, malgré les mêmes consonnes, dans autrui, dans pluie et truie, dans bruit, fruit et truite, dans détruire, instruire et construire[485]; elle s’est diérésée seulement dans bru-ire, bru-issant, bru-issement, qui sont plutôt des mots poétiques, et même dans ébru-iter. Euphu-isme, mot savant, n’a pas subi la synérèse, non plus que du-o.
L’u est semi-voyelle à fortiori, même en vers, quand il se prononce dans les groupes qua, que et qui, gua, gue et gui; mais il ne garde le son u que devant e et i: questeur, aiguille; il prend le son de la semi-voyelle ou devant a: équation, guano[486].
Il va sans dire que, dans juin, l’u ne doit pas prendre le son ou, comme il arrive souvent (cela arrive parfois même dans puis). Quelques-uns prononcent jun, ce qui est encore pis; d’autres même prononcent juun sans s’en apercevoir! Juin doit se prononcer comme il est écrit, mais en une seule syllabe.{198}
Enfin il faut éviter avec soin de réduire ui à u dans menuisier ou fruitier, comme de le réduire à i dans puis ou puisque.
Les groupes de voyelles qui commencent par ou, à savoir oua, ouai, ouan, oué, ouè, ouen, oueu, oui, ouin, et même ouon, sont également diphtongues dans l’usage courant, sinon en vers, et même plus facilement que ceux qui commencent par u. Ainsi ou fait fonction de consonne dans des mots comme ouail-les, couen-ne, douai-re, jouer, mouette, joueuse, fouine ou baragouin et, nous jouons[487]; et la synérèse n’est guère empêchée que par les groupes de consonnes bl, br, etc., dans des mots tels que flou-er, trou-er, trou-ait, trou-ons, prou-esse, éblou-ir, qui ne sont pas très nombreux[488].
Pourtant des mots comme bou-eux et nou-eux subissent mal la synérèse, et le discours soutenu, qui se rapproche du vers, l’évite souvent dans des mots tels que jou-er, lou-er, comme aussi tu-er. Il faut y ajouter naturellement les formes comme jou-ions, jou-iez, qui sont dans le même cas que tu-ions, tu-iez.
On sait que le w anglais est précisément la consonne que nous représentons par ou: ainsi dans whist ou tramway, mais ces deux mots sont les seuls mots de la langue, noms propres à part, où le w conserve régulièrement le son ou[489].{199}
Nous venons de voir ou semi-voyelle quand l’u se prononce dans les groupes qua et gua. Nous avons vu aussi que la diphtongue oi représentait en réalité oua ou wa; et il en est de même de oin qui est identique à ouin.
La prononciation de oi et oin en une seule syllabe est même si facile que les groupes de consonnes bl, br, etc., ne produisent jamais ici la diérèse, pas plus dans groin, malgré Victor Hugo, que dans croix ou emploi[490].
Il arrive aussi parfois que l’o s’assourdit en ou même devant une voyelle autre que in. Cela est nécessaire dans joaillier, qui, malgré son orthographe, est apparenté à joyau, et il n’y a que les poètes pour obliger le lecteur à scander jo-aillier. Mais le phénomène se produit parfois même dans oasis ou casoar, qu’on prononce facilement ouasis et casouar, quand on parle un peu vite[491].
Autrefois, notamment au XVIᵉ siècle, cet assourdissement de l’o en ou était un phénomène général; jusqu’à la Révolution, poète et poème, où Boileau avait rétabli définitivement la diérèse en vers, se prononcèrent en prose et dans l’usage courant pouème et pouète. Mais cette prononciation ne saurait aujourd’hui être admise[492].{200}
Je rappelle que moelle, moelleux, moellon, poêle, poêlon, devraient s’écrire par oi[493]. De même on a respecté l’orthographe adoptée, à tort ou à raison, pour go-éland (en breton gwélan) et pour go-élette (autrefois goualette); mais ici l’orthographe a réagi sur la prononciation, surtout en vers, et l’on est bien obligé de séparer l’o.{201}
Quoique nous ayons établi au début de ce livre un classement des consonnes, qui nous a été fort utile pour l’étude des voyelles, nous suivrons ici l’ordre alphabétique, qui paraît plus pratique, en mettant ch après c, et l’n mouillé (gn) à la suite de l’n.
Mais avant de passer à l’étude particulière des consonnes, quelques observations générales ne seront pas déplacées.
Avant tout, nous devons constater une fois pour toutes, pour n’y pas revenir à chaque instant, un phénomène d’ordre général, qui est le changement spontané de certaines consonnes[494].
Pour prendre l’exemple le plus simple et le plus aisé à constater, on croit prononcer obtenir, mais on prononce en réalité optenir; pour prononcer exactement obtenir, il faudrait un effort qu’on ne fait jamais, pas plus en vers qu’en prose, pas plus en discourant lentement qu’en parlant vite. Ce phénomène s’appelle accommodation, ou même assimilation[495].{202}
Ceux qui ont fait un peu de grec connaissent bien ce phénomène: quand une muette, leur dit la grammaire, est suivie d’une autre muette, elle se met au même degré qu’elle. Dans obtenir, la labiale douce b, suivie de la dentale forte t, se change en la labiale forte p; elle s’accommode à la consonne qui suit, et cela spontanément et nécessairement, par le jeu naturel des organes[496].
En français, ce phénomène est extrêmement général.
D’abord, une muette ne s’accommode pas seulement à une autre muette, comme dans obtenir, où la douce devient forte, et anecdote (anegdote) où la forte devient douce, mais aussi bien à une spirante, comme dans tous les mots commençant par abs- (aps) ou obs- (ops) et même subs- (sups, sauf devant i).
D’autre part, une spirante aussi peut s’accommoder soit à une autre spirante, comme dans transvaser (tranzvaser) ou disjoindre (dizjoindre), soit à une muette, comme dans rosbif (rozbif), Asdrubal (azdrubal) ou disgrâce (dizgrâce).
Il est vrai que ces heurts de consonnes sont assez rares dans les mots français; mais cette accommodation passe aussi bien par-dessus l’e muet, toutes les fois que l’e muet peut tomber, comme dans paquebot (pagbot) ou médecine (métsine), dans clavecin (clafcin) ou nous faisons (vzons), dans crévecœur (crefkeur), rejeton (rechton), naïveté (naïfté), ou le second (lezgon)[497].
Mais tout ceci se fait normalement, dans le langage le plus soutenu et le plus lent. Dans le langage très rapide, on en voit bien d’autres, car l’accommodation s’y fait même entre des mots différents. Le b devient p dans qu’exhibes-tu là? et inversement le p devient b dans Philippe de Valois; le d se change en t dans et ainsi de suite, et le t se change en d dans vous êtes insensé (cette fois, c’est l’s final, prononcé uniquement pour la liaison, et prononcé doux, qui détermine le changement); de même encore g devient k, et k devient g, dans on navigue chez nous (ikch) et chaque jour (agj)[498].
Même phénomène pour les spirantes: on peut comparer grave cela (afs) avec griffes aiguës (ivz), voyages-tu? (acht), avec tache de vin (ajd), rose pourpre (osp), avec est-ce bien? (ezb). Le langage tres rapide rapproche même des muettes ou des spirantes identiques, changeant par exemple une dentale forte t en dentale douce d devant un autre d, et ceci est l’assimilation proprement dite: vous êtes dur (edd), il galope bien (obb), je ne navigue qu’ici (ikk), tu brises ce pot (iss), je mange chez vous (chch), etc. On va plus loin encore: dans la prononciation populaire, ou simplement familière, qui supprime non seulement l’e muet, mais aussi l’r qui précède, à la suite d’une muette ou d’une spirante, on arrive à un maître d’hôtel (aidd) ou une pauvre femme (auff).
Les appareils de là phonétique expérimentale ont même constaté une assimilation plus extraordinaire encore, par-dessus une voyelle sonore. Dans les mots couché sous un pin, il arrive que le premier s se rapproche sensiblement du second[499].{204}
Tous ces phénomènes sont spontanés et involontaires. Aussi doivent-ils rester tels, et par conséquent ne se produire que dans un débit très rapide. Ils sont extrêmement curieux pour le savant, mais ne doivent être étudiés qu’à un point de vue purement scientifique. Je ne puis que répéter ici ce que j’ai dit à propos de l’e muet: les phonéticiens étrangers recueillent précieusement ces phénomènes pour les offrir à l’étude de leurs compatriotes, ayant pour principe unique: cela est, donc cela doit être[500]. Ils ne se doutent pas que beaucoup de façons de parler ne sont acceptables que lorsque et parce que personne ne s’en aperçoit, mais qu’elles sont ridicules, quand elles sont voulues et manifestes. Il faut parler naturellement. On n’a pas besoin d’effort pour prononcer un p dans obtenir: on le prononce nécessairement, et, par suite, il est toujours légitime. Mais on ne met pas nécessairement un s doux dans est-ce bien; on doit donc prononcer le c naturellement, et ne jamais faire effort pour prononcer autre chose que c, même quand on parle vite: il se change toujours assez tôt en z, sans qu’on s’en aperçoive, ni celui qui parle, ni celui qui écoute, et c’est alors seulement que le phénomène devient légitime.
De ce phénomène spontané on peut rapprocher un autre phénomène qui se produit aussi spontané{205}ment: c’est le redoublement de la première consonne, dans certains mots sur lesquels on veut appuyer, surtout dans l’interjection: mmisérable! inssensé! Si la première consonne est suivie d’un r, c’est l’r qui se redouble; il est ttoujours là à grratter. On voit que ce redoublement est un phénomène analogue à l’accent oratoire, et qui coïncide généralement avec lui[501].
Première observation: les consonnes finales, qui autrefois se prononçaient toutes, comme en latin, ont peu à peu cessé en grande majorité de se prononcer[502]; toutefois, depuis un siècle, grâce à l’orthographe, beaucoup ont reparu de celles qui ne se prononçaient plus. Il y a notamment quatre consonnes finales qui se prononcent aujourd’hui régulièrement; ce sont les deux liquides: l et r, avec f et c.
En second lieu, les consonnes intérieures se prononcent aussi presque toutes aujourd’hui. Ce n’est pas qu’il n’y ait encore beaucoup d’exceptions; mais leur nombre tend toujours à diminuer, et toujours par l’effet de la fâcheuse réaction orthographique, due surtout à la diffusion de l’enseignement primaire[503].{206} Depuis qu’une foule de mots sont appris par l’œil avant d’être appris par l’oreille, on les prononce naturellement comme ils sont écrits. Et puis il y a là aussi l’effet naturel d’un pédantisme naïf et inconscient; car enfin, quand on prononce sculpeter, lègue ou aspecte, cela ne prouve-t-il pas qu’on a fait des études, et qu’on sait l’orthographe? Aussi les plus coupables dans cette affaire sont encore ceux, journalistes ou hommes de lettres, qui s’opposent par tous les moyens à la réforme de l’orthographe. Quant à ceux qu’on appelle dédaigneusement les «primaires», ils sont plus excusables: sachant bien qu’il ne dépend pas d’eux d’écrire comme on parle, ils parlent comme on écrit! Nous verrons, chemin faisant, les altérations que la langue a déjà subies ou subira encore, par le fait de notre orthographe.
Enfin, il y a la question des consonnes doubles: Quand se prononcent-elles doubles ou simples[504]? Cette question doit être étudiée à propos de chaque consonne, dans un intérêt pratique; mais il y a encore là un phénomène d’ordre général, dont il faut dire un mot d’avance.
Il va sans dire que la question ne se pose qu’entre deux voyelles non caduques, appuis nécessaires des deux consonnes en avant et en arrière: col-laborer. Et en effet, à la fin d’un mot, ou devant un e muet, qui tombe régulièrement, la question ne se pose plus: djin(n), bal(le), ter(re), dilem(me), al(le)mand se prononcent nécessairement comme si la consonne était simple[505].{207}
Or, entre voyelles non caduques, la règle générale est que, dans les mots purement français, et d’usage très courant, la consonne double se prononce simple: a(l)ler, do(n)ner; et il y en a souvent deux ou même trois dans le même mot, comme a(s)suje(t)ti(s)sant ou a(t)te(r)ri(s)sage. On ne devrait donc prononcer les deux consonnes que dans les mots tout à fait savants, où l’on peut, à la rigueur, conserver légitimement la prononciation attribuée à l’original sur lequel ils sont calqués: col-lapsus, com-mutateur, septen-nat, ir-récusable, proces-sus, dilet-tante[506].
Malheureusement l’emphase naturelle de l’accent oratoire a étendu cette prononciation à beaucoup d’autres mots, comme hor-reur ou hor-rible. Et surtout le pédantisme encore s’en est mêlé. Beaucoup de gens ont cru voir un signe certain d’éducation supérieure, d’instruction complète, dans cette prononciation réputée savante, qui est celle du latin et du grec. Aussi s’est-elle étendue progressivement. Aujourd’hui encore on voit très bien qu’elle gagne de plus en plus, et atteint beaucoup de mots fort usités qu’elle devrait respecter, parce qu’ils n’ont rien de nouveau ni de savant[507]. Elle respecte encore{208} assez généralement les muettes ou explosives, à cause de la difficulté que produit l’occlusion complète que la bouche doit subir en les prononçant, comme dans ap-parat; elle atteint beaucoup plus les spirantes (f et s sont d’ailleurs les seules qui se répètent), car elles ne présentent pas cet inconvénient, mais surtout l, m, n, r, les quatres liquides des grammairiens grecs. Ainsi, de tous les mots commençant par ill, imm, inn-, irr-, et qui, presque tous, sont privatifs, il n’y a plus qu’i(n)nocent et ses dérivés immédiats qui soient à peu près respectés, et dans la plupart des mots on prononce toujours les deux consonnes, à moins qu’on ne parle très vite[508].
Il faut dire en effet que cette prononciation dépend beaucoup du plus ou moins de rapidité de l’élocution: entre les mots où on ne prononce jamais qu’une consonne et ceux où on en prononce toujours deux, il y en a beaucoup où on en prononce tantôt une, tantôt deux, suivant qu’on parle plus ou moins vite. D’ailleurs, en cas d’hésitation, il sera bon de se pénétrer de ce principe qu’on ne fera jamais une faute grave en prononçant une consonne simple quand l’usage est de la prononcer double, tandis qu’on peut être parfaitement ridicule en la prononçant double quand elle doit rester simple, comme de dire don-ner ou nous al-lons.{209}
NOTE SUR LA PRONONCIATION DU LATIN
Puisque la prononciation latine est en cause dans ce cas plus qu’ailleurs, on nous saura peut-être gré de réunir ici, en tête des consonnes, les règles spéciales qui la concernent, et qui sont disséminées un peu partout dans le livre, avec les exemples nécessaires.
En principe, nous prononçons le latin, à tort ou à raison, plutôt à tort, à peu près comme le français. Nous ne l’en distinguons que dans un petit nombre de cas, dont l’énumération n’est pas longue.
On a vu déjà précédemment comment nous prononçons les voyelles: que l’e ouvert ou fermé n’a pas d’accent, que l’u ne sonne jamais ou, que um se prononce toujours ome (même après un o), et que un se prononce toujours on, sauf dans hunc, nunc et tunc, et les mots commençant par cunct-.
Les nasales sont identiques à celles du français, sauf qu’il ne peut y en avoir que devant une consonne, et non en fin de mot, et que en a toujours le son in, notamment dans la finale -ens.
On a vu aussi que les seules diphtongues latines, æ, œ et au, sont prononcées comme les voyelles é et o. Il en résulte que devant æ et œ, le c et le g gardent le même son qu’en français devant e.
Nous faisons aussi de fausses diphtongues avec l’u, après g ou q, mais seulement devant a, e (ou æ) et i: l’u se prononce u devant e et i, et ou devant a, tandis que devant o et u il ne compte pas.
Ch a toujours le son guttural.
Il n’y a jamais de son mouillé, ni pour gn, ni pour ll.
Ti devant une voyelle est sifflant, comme en français, sauf en tête des mots, ou après s ou x.
Les consonnes finales s’articulent toujours: c’est ce qui fait qu’il n’y a point de nasales à la fin des mots.
Cette prononciation est d’ailleurs détestable, et peut-être le jour n’est-il plus éloigné où on en adoptera une autre, un peu moins française, mais plus latine.
A la fin des mots, le b, très rare dans les mots proprement français, ne s’y prononce pas: plom(b), aplom(b), surplom(b), et autrefois coulom(b)[509].
Il se prononce dans les mots étrangers, qui sont naturellement beaucoup plus nombreux, comme: nabab, baobab, cab, naïb, snob, rob, club, tub, rhumb, etc.[510].
Dans radoub, le b ne devrait pas davantage se prononcer, et les gens de métier ne le prononcent pas; mais la vérité est qu’ils emploient fort peu ce mot, se contentant du mot bassin; ils laissent ainsi le champ libre à ceux qui n’apprennent ce mot que par l’œil, et qui naturellement articulent le b: ce sont de beaucoup, aujourd’hui, les plus nombreux.
Dans le corps des mots, le b se prononce aujourd’hui partout devant une consonne. On fera bien de veiller à ne pas le changer en m dans tomb(e) neuve, et plus encore à ne pas le supprimer dans obstiné et obstination[511].{211}
Le b double, assez rare, compte pour un seul à peu près partout: a(b)bé, sa(b)bat, ra(b)bin, et aussi bien ra(b)bi, qui est le même mot au vocatif. On n’en prononce deux que dans deux ou trois mots savants: gib-beux et gib-bosité, peut-être ab-batial ou sab-batique; encore n’est-ce pas indispensable[512].{212}
1º Le C final.
Le c est une des quatre consonnes qui se prononcent aujourd’hui normalement à la fin des mots:
I. Après une voyelle orale, d’abord, le c final sonne généralement: cognac, bac, lac, sac, bec, sec, avec, trafic, public, choc, bloc, roc, bouc, duc, caduc, suc, etc.[513].
La plupart de ces mots sont d’ailleurs des mots plus ou moins techniques ou étrangers, des substantifs verbaux, des adverbes, ou des mots où le c a reparu après éclipse, par analogie avec le plus grand nombre[514].
Contrairement à la majorité des mots, mais conformément à la règle des consonnes finales, le c est devenu ou resté muet dans un certain nombre de mots suffisamment populaires: dans estoma(c) et taba(c), et dans cotigna(c), moins usité, où il tend à se rétablir[515]; dans cri(c), machine; dans bro(c), cro(c), accro(c), raccro(c) et escro(c); dans caoutchou(c)[516].{213}
Pendant longtemps la prononciation familière a volontiers omis le c d’avec devant une consonne: ave(c) moi, ave(c) lui: cette prononciation est aujourd’hui dialectale, et on la tourne même en ridicule.
Le c d’arsenic, qui s’était amui, s’est aussi généralement rétabli[517].
Au pluriel, le c sonne aussi bien qu’au singulier, les deux nombres ayant pris peu à peu avec les siècles une prononciation identique[518]. Même dans le pluriel échecs, qui s’est longtemps écrit échets, au sens de jeu, la suppression du c est tout à fait surannée, le pluriel s’étant à la fin, là aussi, assimilé au singulier.
Toutefois le c ne sonne pas devant l’s dans la(cs) et entrela(cs).
Le k ou le q joints au c final n’y ajoutent rien: colbac(k), biftec(k), stic(k), boc(k), etc.[519].
II. Après une voyelle nasale, le c final est resté muet: ban(c), blan(c), flan(c) et fran(c), vain(c) et convain(c), jon(c), ajon(c) et tron(c)[520].
Le cas de donc est particulier. En principe, le c n’y sonne pas non plus. Toutefois, si le mot est en tête d’un membre de phrase, pour annoncer une conclusion (je pense, donc je suis), et, d’une façon générale, si l’on veut souligner le mot pour une raison quelconque, on prononce le c (ainsi que dans adonc et onc). En dehors de ces cas, on l’articule rarement, même quand il termine la phrase: laissez don(c).{214} Surtout on ne l’articule pas devant une consonne: vous êtes don(c) bien riche? Devant une voyelle, il est encore correct ou élégant de le lier: où êtes-vous donc allé? Mais cela même n’est pas indispensable.
Le c de zinc, se prononce toujours, mais il sonne comme un g. On n’a jamais su pourquoi; car autrefois, c’était le g final qui s’assourdissait en c, comme toutes les sonores finales; or, c’est justement le contraire qui se fait ici. Mais c’est un fait contre lequel les efforts des grammairiens n’ont pu prévaloir[521].
III. Après une consonne articulée, le c final sonne généralement: talc, arc, turc, fisc, musc[522]. Il sonne même aujourd’hui dans les composés arc-bouter et arc-boutant ou arc-doubleau, quoi qu’en disent les Dictionnaires, qui retardent sur ce point: telle est du moins la prononciation des architectes. Il faut seulement éviter arque-boutant.
Toutefois, il ne se prononce pas encore dans mar(c), résidu: eau-de-vie de mar(c); ni dans mar(c), poids: au mar(c) le franc[523].
Le c ne sonne pas davantage dans cler(c)[524].{215}
De plus, le c de porc, qui ne sonnait plus nulle part depuis longtemps, ne sonne toujours pas à la cuisine ou chez le charcutier: on n’y achète pas du porc frais, mais du por(c) frais, du por(c) salé, etc. Si au contraire on veut désigner l’animal lui-même, on rétablit volontiers le c, même au pluriel: un troupeau de por(cs) ou de porc(s), mais surtout au singulier: un porc, et plus encore si l’on prend le mot au figuré dans un sens injurieux. Le c sonne également dans le composé porc-épic.
2º Les mots en-CT.
Les mots en -ct demandent un examen particulier, car leur histoire est complexe et n’est pas terminée.
1º Dans tact, intact, contact, et dans compact, il semble que ct s’est toujours prononcé. Exact, plus populaire, a tendu à perdre le c ou le t, ou les deux; et si l’on ne prononce plus exac(t) ni exa(c)t, on entend encore exa(ct); pourtant exact a fini par l’emporter, et sans doute on ne reviendra pas en arrière[525].
2º Parmi les mots en -ect, les mots direct et indirect, correct et incorrect ne paraissent pas avoir jamais perdu leurs consonnes finales, non plus que le mot savant intellect, sans parler de l’anglais select. Il n’en est pas de même des autres.
Abject et infect ont flotté longtemps, avec préférence pour le son è, avant de reprendre définitivement ct[526].{216}
Restent les mots en -spect: aspect, respect, suspect, circonspect. Ils ont longtemps flotté aussi entre trois ou quatre prononciations, et La Fontaine, pour rimer avec bec, n’hésite pas à écrire respec et circonspec[527]. La prononciation par t seul a complètement disparu, mais les prononciations par c ou ct ont encore l’espoir de vaincre. La seconde, par ct, admissible peut-être pour suspect, est certainement la plus mauvaise pour aspe(ct) et respe(ct); l’autre, par c seul, est admissible en liaison, et même tout à fait générale dans respec(t) humain; mais, en dehors de la liaison, je crois qu’on peut encore provisoirement la condamner, et s’en tenir à respe(ct), aussi bien qu’à aspe(ct), circonspe(ct), et même suspe(ct)[528].
En revanche, le c et le t se prononcent également dans suspecte et circonspecte: sur ce point, il n’y a pas de discussion.
Il ne faut pas assimiler aux autres mots en -spect le mot technique anspec(t), terme de marine, qui n’a pris un t dans l’orthographe que par une fausse analogie avec les autres: c’est le seul mot où le c doive toujours se prononcer, et toujours seul.{217}
3º Parmi les mots en -ict, le c et le t se prononcent encore dans strict et district, et naturellement dans l’anglais verdict et convict, mais non dans ami(ct), terme de liturgie, qui n’est guère employé que par des gens du métier, ce qui est une garantie contre l’altération.
4º Les mots en -inct ont flotté longtemps, comme les mots en -ect, avant de perdre leurs consonnes finales. Mais distinct et succinct les ont reprises au cours du dernier siècle, et sans doute ne les perdront plus: succin(ct), et par suite succinte, sont surannés. Au contraire, instin(ct) résiste fort bien sans c ni t, et l’on doit encore condamner instinc(t)[529].
3º Le C intérieur.
Dans le corps des mots, le c n’a le son guttural que devant a, o, u, et devant une consonne: calibre, décoller, reculer, action, instinctif, et même arctique, où le c amui s’est rétabli; il a le son sifflant devant e et i: ceci, décence, cygne, larcin[530].
On donne au c le son sifflant devant a, o, u, au moyen d’une cédille; mais aucun artifice ne lui donne le son guttural devant e et i, sauf le changement de eu en œu, dans cœur (c’est-à-dire l’addition ou le maintien d’un o), et d’autre part l’addition ou le maintien d’un u dans le groupe cueil (keuil): cueillir, accueillir, etc.[531]. Partout ailleurs le c est remplacé dans ce rôle par qu dans les mots français, par k ou ck dans les mots étrangers, comme jockey[532].{218}
Devant une consonne, le c intérieur sonne aujourd’hui partout, même après une nasale, comme dans sanctuaire, sanction ou sanctifier[533].
Le c ne prend pas le son du g seulement dans zinc; il le prend aussi dans second et tous ses dérivés (même dans le latin secundo), qui devraient s’écrire avec un g, comme on le fait en d’autres langues[534].
Le c a eu longtemps aussi le son du g dans reine-Claude[535]; mais il a peu à peu repris le son de la forte sous l’influence de l’écriture, et le son du g y devient aujourd’hui populaire ou dialectal.
Ajoutons pour terminer qu’un grave défaut à éviter dans la prononciation du c consiste à mouiller le c initial, par exemple dans cœur, qu’on entend quelquefois sonner presque comme kyeur.
Le c double se prononce comme un c simple devant a, o, u, et devant l ou r, dans les mots d’usage courant:{219} a(c)cabler, a(c)caparer, ba(c)calauréat, a(c)climater, a(c)créditer, a(c)croc, e(c)clésiastique, o(c)casion, su(c)comber, etc.; les deux c peuvent se prononcer dans ec-chymose, oc-clusion et oc-culte, et, si l’on veut, bac-chante, humeurs pec-cantes, impec-cable, peccadille et pec-cavi; encore n’est-ce pas indispensable, sauf dans le latin pec-cavi[536].
Devant e et i, ils se prononcent toujours tous les deux, le premier guttural, le second sifflant: ac-cident, vac-cin, ac-cès[537]; au contraire sc se réduit ordinairement à un s ou un c seul: ob(s)cène, s(c)ie[538].
Devant les mêmes voyelles e et i, quand le c est suivi de qu, on ne prononce qu’une gutturale: a(c)quitter, a(c)quérir, à fortiori be(c)queter ou gre(c)que[539].
Devant e et i toujours, le c italien reste sifflant, si le mot est suffisamment francisé, comme dans gracioso, concetti, ac-celerando (trop voisin d’ac-célérer pour se prononcer autrement) et quattrocentiste[540].{220} Autrement, et surtout quand il est double, il se prononce tch: dolce, sotto voce, a piacere, furia francese, fantoccini[541]. Pour sc, le son de ch suffit, sans t: crescendo (chèn), lasciate ogni speranza.
Czar se prononce gsar plutôt que csar; mais c’est là une mauvaise graphie, due sans doute à la fausse étymologie cæsar; ce mot, qui en polonais s’écrie car, doit se transcrire et se prononcer tsar[542].{221}
Le son normal de ch en français n’a guère de rapport avec le son du c, qui est le son de ch en latin; mais, étant donné l’ordre suivi dans ce chapitre, sa place normale est pratiquement ici. D’ailleurs ch prend souvent le son du c, même en français.
1º Le CH final.
A la fin des mots, ch appartient presque uniquement à des mots étrangers, et garde presque partout le son du c guttural: krac(h), varec(h) et loc(h), et aussi yac(ht)[543].
Il garde pourtant le son chuintant du français dans match et tzaréwitch, dans chaouch, tarbouch et farouch, dans lunch et punch francisés[544].
Ch est muet dans almana(ch), où la réaction orthographique n’a pas encore réussi à le rétablir, le mot étant trop populaire, et connu par l’oreille encore plus que par l’œil, comme estoma(c) et taba(c)[545].
2º Le CH intérieur.
Dans le corps ou en tête des mots proprement français, ch a naturellement le son chuintant devant une{222} voyelle; chuintante forte, bien entendu, et non chuintante douce: il faut se garder de prononcer ajète pour achète, comme il arrive trop souvent à Paris[546].
Toutefois, dans un très grand nombre de mots plus ou moins savants, et notamment des mots tirés du grec, ch a gardé, parfois même il a repris, après l’avoir perdu, le son que nous lui donnons en latin, c’est-à-dire celui du c guttural.
I. Devant a, o, u.—Devant les voyelles a, o, u, le phénomène ne souffrait pas de difficultés, parce que l’oreille était accoutumée au son guttural du c devant ces voyelles. Par suite:
1º On prononce ca (ou can) dans gutta-perc(h)a et les mots en -archat, dans c(h)aos, c(h)alcédoine, c(h)alcographie, bacc(h)anale et bacc(h)ante, dans arc(h)ange, arc(h)aïque, troc(h)anter, euc(h)aristie, sacc(h)arifère; mais non dans fil d’archal, qui est français et très ancien[547].
2º On prononce co dans éc(h)o; dans tous les mots commençant par chol- et chor-, comme c(h)oléra, c(h)orus, c(h)oral, etc., avec c(h)œur, et leurs dérivés ou composés, comme anac(h)orète; dans psyc(h)ologie[548], calc(h)ographie, inc(h)oatif, batrac(h)omyomachie, dic(h)otomie, bronc(h)opneumonie ou bronc(h)otomie (malgré bronche et bronchite), dans arc(h)onte et péri{223}c(h)ondre et quelques autres mots moins répandus; mais non dans maillechort (tiré des noms propres français Maillot et Chorier), ni dans vitchoura, où tch représente le polonais cz[549].
3º On prononce cu dans catéc(h)umène ou isc(h)urie[550].
II. Devant e et i.—Devant e et surtout devant i, le phénomène est moins régulier, parce que l’oreille n’était pas habituée jadis chez nous au son guttural devant ces voyelles, et que même le ch grec, ou le ch latin venu du grec, s’y prononçait, au XVIᵉ siècle, comme le ch français. Aussi la francisation du ch en son chuintant était-elle générale autrefois devant e et i.
Toutefois beaucoup de mots, même francisés complètement, ont pris depuis le son guttural, comme les mots grecs ou latins correspondants, non sans beaucoup de fluctuations et d’incertitude.
1º Devant un e muet, le son chuintant s’est maintenu partout, dans archevêque, bronches ou aristoloche, comme dans marchepied, broncher ou brioche. Il en est de même dans la finale -chée: trachée, archée, trochée, aussi bien que bouchée ou nichée[551].
Mais on prononce aujourd’hui ké dans achéen, manichéen ou eutychéen[552]; dans archéologie et arché{224}type; dans cheiroptères (keye), chélidoine, chélonien, chénisque et chénopode; dans lichen, épichérème, orchestre et chétodon; dans trescheur ou trécheur et dans trachéotomie (malgré trachée). En revanche, on chuinte dans cachexie et cachectique, aussi bien que dans chérif et chérubin[553].
2º C’est surtout pour le groupe chi que la question est délicate, car cette syllabe est beaucoup plus fréquente que la syllabe che, et il n’est pas toujours facile d’indiquer l’usage le plus répandu.
En général, les mots savants d’usage ancien ont gardé le son chuintant: non seulement chimie, chimère ou chirurgie (et très souvent chiromancie), mais tous les mots en -archie ou -machie, avec entéléchie et branchie[554]; de même tous les mots en -chin et{225} -chine, en -chique, -chisme et -chiste: c’est ainsi que Bacc(h)us ou psyc(h)ologie, qui ont le son guttural, n’empêchent nullement bachique ou psychique de chuinter[555].
En tête des mots, le préfixe archi- fait de même partout. Seul le mot archiépiscopal, étant plus récent, s’est prononcé arki, au moins depuis Ménage, et les dictionnaires continuent à l’excepter; mais il a fini par suivre l’analogie des autres, au moins dans l’usage le plus ordinaire, et c’est bien à tort que beaucoup de personnes se croient encore obligées de suivre les dictionnaires[556].
On chuinte encore dans rachis (d’où rachitique) et arachide, dans kamichi, letchi et mamamouchi, dans chibouque et bachi-bouzouck, dans chimpanzé, enfin devant y grec, dans chyle, chyme et ses composés et diachylon[557].
En revanche, on prononce aujourd’hui ki dans beaucoup d’autres mots savants, généralement les plus récents et les moins usités; d’abord dans les mots en -chite (sauf bronchite, à cause de bronche et bronchial), dans le chi grec, dans trichinose (malgré trichine, qui par suite tend à devenir trikine), dans achillée le plus souvent (malgré Achille), dans chiragre, chirographaire et souvent chiromancie (malgré chirurgie), dans orchis et orchidée, brachial et bra{226}chiopode, ischion, et aussi dans brachycéphale, conchyliologie, ecchymose, trachyte, et, le plus souvent, pachyderme et tachygraphie, sur lesquels on hésite encore[558].
Ajoutons ici, pour en finir avec les mots français, que, devant les consonnes, le ch est toujours d’origine savante et garde partout le son guttural. Ces consonnes sont les liquides, l, m, n, r, et parfois s et t: c(h)lore, drac(h)me, tec(h)nique, c(h)rétien, fuc(h)sine, ic(h)tyologie[559].
*
* *
Le ch anglais se prononce tch en principe: speech, sandwich, mail-coach, rocking-chair et steeple-chase; de même l’espagnol chulo, cachetera ou cachucha. On francise pourtant le ch dans chester, comme dans chinchilla et chipolata, souvent aussi quand il est final comme dans speech ou sandwich[560].{227}
Le groupe étranger sch a partout le son du ch français: ha(s)chi(s)ch, scotti(s)ch, kir(s)ch ou (s)chabraque, (s)chlague et (s)chnick, et (s)chibboleth, et même p(s)chent qu’on prononce aussi pskent[561].
Le son chuintant de ce groupe est si connu qu’il est passé même à des mots d’origine grecque (devant e et i), où il n’est pas justifié du tout: (s)chéma ou (s)chème, (s)chisme et (s)chiste auraient dû se prononcer par sk, comme nous prononçons schola cantorum, eschare, ou l’italien scherzo[562].{228}
A la fin des mots, le d est muet dans les mots français ou tout à fait francisés. Ces mots se terminent presque tous en -and, -end (prononcé an) et -ond, comme gourman(d), défen(d) ou fécon(d); en -aud et -oud, comme chau(d) et cou(d); en -ard, -erd, -ord et -ourd, comme regar(d), per(d), accor(d) et sour(d), tous avec ou sans s[563].
C’est par un abus tout à fait injustifié qu’on prononce parfois le d de quan(d) devant une consonne, comme s’il y avait une liaison, c’est-à-dire avec le son d’un t[564].
Parmi ces finales, seule la finale -and comprend quelques mots étrangers où le d se prononce: hinterland, stand[565].
Pour les autres finales, le d est également muet dans les mots proprement français; mais ils sont peu nombreux: pie(d), longtemps écrit pié, et sie(d),{229} avec leurs composés; nœu(d), lai(d) et plai(d), poi(ds) et froi(d), ni(d) et mui(d), avec palino(d), et, par analogie, l’anglais plai(d), qui n’a pas de rapport avec l’autre.
A part plai(d), le d final se fait entendre dans tous les mots étrangers: lad, oued, caïd, celluloïd, lloyd, li(e)d, zend, éphod, yod, kobold, talmud et sud, avec le latin ad[566].
Dans le corps des mots, le d autrefois tombait devant une consonne[567]. Il a revécu progressivement dans un certain nombre de mots où l’orthographe l’a conservé, comme adjuger, adjudant, adjoindre, adversaire, adverbe, admirer, etc., si bien que le d intérieur n’est plus muet nulle part, pas plus dans les mots français que dans les mots étrangers, comme bridge, landgrave, landsturm, etc., sauf peut-être fel(d)spath[568].{230}
Dans mad(e)moiselle, le d tombe facilement quand on parle vite, mais ce n’est pas correct; quant à mamzelle, c’est un peu familier ou même impertinent.
Le d double, assez rare, se prononce double dans ad-denda et quid-dité, dans ad-ducteur et même, si l’on veut, dans red-dition[569]; mais non dans des mots d’usage aussi courant que a(d)dition et a(d)ditionner, quoiqu’on l’y ait prononcé double autrefois.{231}
L’f est une des quatre consonnes qui se prononcent aujourd’hui normalement à la fin des mots, notamment dans les mots en -ef, -euf, et surtout -if, ceux-ci très nombreux[570].
Les exceptions sont rares.
1º Il y a d’abord cle(f), qui peut aussi s’écrire clé. C’est le seul mot dont l’f final ne se prononce jamais: pourquoi l’écrit-on encore[571]?
2º On prononce sans f che(f)-d’œuvre, mais l’e reste ouvert: c’est un reste de la prononciation ancienne qui supprimait l’f devant une consonne. L’f s’est rétabli dans chef-lieu.
3º De plus on prononce encore au pluriel œu(fs) et bœu(fs), reste de la prononciation des pluriels, car autrefois on disait également des habits neu(fs). Même au singulier, si l’on ne dit plus, sans f, du bœu(f) salé, un œu(f) frais, un œu(f) dur, comme on faisait encore assez généralement il n’y a pas cent ans, on dit toujours le bœu(f) gras, nouveau reste de la prononciation qui supprimait l’f devant une consonne. Mais je crois bien que cette prononciation est en voie{232} de disparaître. Je ne sais ce que durera bœu(f) gras, mais il me semble bien que l’f est destiné à se rétablir partout, un jour ou l’autre, dans les pluriels œu(fs) et bœu(fs), car on voit très bien le mouvement de réviviscence de l’f se continuer. Beaucoup de personnes déjà ne prononcent œu(fs) qu’à la suite d’un s doux: trois œu(fs), douze œu(fs), quinze œu(fs), par analogie sans doute avec les œu(fs), des œu(fs), dont la prononciation ne peut pas s’altérer facilement; mais elles disent avec l’f quatre œufs, huit œufs, combien d’œufs, un cent d’œufs. Cette distinction, d’autant plus curieuse qu’elle est naturellement involontaire, est sans doute l’étape qui nous mènera un jour à prononcer l’f partout, car œu(fs) et bœu(fs) sont presque aujourd’hui les seuls mots qui se prononcent encore au pluriel autrement qu’au singulier; et sans doute il est temps que cela finisse[572].
4º Dans cerf, où l’amuissement de l’f a été général jusqu’à une époque toute récente, l’f a revécu quelque peu aujourd’hui, même au pluriel. Cer(f) et même cer(fs) seront peut-être un jour surannés; dès maintenant il semble qu’ils ne sont admis qu’en vénerie, dans le style très oratoire, et en poésie, surtout pour la rime. Cer(f)-volant continue à se passer d’f; il lui serait, du reste, difficile de faire autrement.
5º L’évolution de nerf est beaucoup moins avancée. Au pluriel on prononce encore uniquement ner(fs), et je ne crois pas qu’on ait jamais dit encore une attaque de nerf(s). Au singulier, cela dépend des cas, et il faut distinguer le sens propre du figuré; car il y a fort longtemps qu’on dit par exemple: ce style a{233} du nerf; on dira même: cet homme a du nerf ou manque de nerf, voire même le nerf de la guerre ou le nerf de l’intrigue; mais ceci est déjà moins général. Quant au sens propre, quoi qu’en disent les dictionnaires et les livres, c’est encore ner(f) qui l’emporte, et de beaucoup, non seulement chez le boucher, où l’on ne se plaint pas d’avoir du nerf dans sa viande, mais aussi bien à l’amphithéâtre, où le mot ner(f) a un sens fort différent. Nerf viendra certainement, mais n’est pas encore venu. A fortiori prononce-t-on encore ner(f) de bœuf, sans parler de ner(f) foulé ou ner(f)-férure, qu’on pourrait difficilement prononcer d’une autre manière.
6º Enfin il y a encore l’adjectif numéral neuf. Nous avons vu[573] qu’on prononce encore neu(f) fermé dans certains cas. Mais, de même que pour bœuf ou cerf, ces cas se sont fort réduits. Le phénomène a lieu, non pas devant une consonne, comme on le dit souvent, mais devant un pluriel commençant par une consonne[574]. Ainsi les personnes qui savent le français disent encore le plus généralement neu(f) sous, les neu(f) premiers, neu(f) fois neuf, dix-neu(f) cents, neu(f) mille; mais, avec f sonore et eu ouvert, le neuf mai, comme le neuf de cœur, neuf par neuf, en voilà neuf de faits, de même que page neuf, ou j’en ai neuf. On peut même distinguer au besoin trois Japonais et neu(f) Chinois, de trois panneaux japonais et neuf chinois, parce qu’il y a ellipse ici entre neuf et chinois. Ce n’est donc pas la consonne seulement qui détermine la prononciation neu, ni même proprement le pluriel,{234} mais le lien étroit qui existe entre neuf et le mot suivant, lien qui ne se réalise qu’avec un pluriel, c’est-à-dire par la multiplication de l’objet par neuf.
C’est un des points sur lesquels on se trompe le plus dans la prononciation courante. Beaucoup de personnes disent encore le neu(f) mai; mais cette prononciation est surannée; elle se maintient encore çà et là, parce que le lien semble étroit entre le chiffre et le nom du mois, mais ce lien est fort loin d’être aussi étroit qu’avec un pluriel: on sait bien ou on doit savoir que neuf mai est en réalité une abréviation de neuvième (jour du mois) de mai, ou neuf de mai; c’est pourquoi l’f s’y prononce depuis longtemps déjà.
En revanche d’autres prononcent neuf sous, avec eu ouvert et f sonore: erreur encore plus grave, mais qui, hélas! tend fort à se répandre, et qui les conduit naturellement à prononcer avec f dix-neuf-cents, au lieu de dix-neu(f)-cents, qui est encore seul correct, dix-neuf multipliant cent.
Il est d’ailleurs fort possible que pour neuf, comme pour œuf et œufs, le mouvement commencé soit destiné à s’achever, et que le son de l’f soit destiné à s’imposer partout un jour ou l’autre; mais nous n’en sommes pas là, et il y a encore une prononciation spéciale, seule correcte provisoirement, pour les adjectifs numéraux suivis d’un pluriel: on doit s’y tenir. Ce qui est le plus surprenant, c’est que ceux qui disent neuf cents avec f sont généralement ceux-là même qui disent neu(f) mai sans f!
Cette prononciation de neuf sans f est naturellement réservée aux pluriels commençant par une consonne, par la raison bien simple que devant une voyelle il se produit un phénomène de liaison. Mais ici encore il y a une remarque à faire. En principe, cette liaison devrait maintenir le son eu fermé, avec changement de f en v, phénomène qui était général{235} autrefois[575]. A vrai dire, le phénomène n’a pas complètement disparu, mais il ne s’est maintenu que dans neu(f) vans et neu(f) vheures; ailleurs on prononce généralement neuf ouvert, comme partout[576].
Dans le corps des mots, l’f ne se met plus devant une consonne[577].
L’f double final se prononce comme un f simple, le double f intérieur aussi: a(f)faire, a(f)faissé, a(f)fiche, a(f)franchi, en e(f)fet, o(f)fice, su(f)fire, di(f)férence. Toutefois, comme nous avons affaire ici à une spirante, la prononciation des deux f, devenue plus facile, est une tentation à laquelle on ne résiste pas toujours, et on les prononce volontiers dans quelques mots savants: af-fixe et suf-fixe, af-fusion, ef-fusion, dif-fusion (mais non dif-fus), suf-fusion, ef-florescence, dif-fringent et dif-fraction, suf-fète; on hésite même pour des mots comme affabulation, diffluent, effluve, diffamer, effervescence, cause efficiente, effraction; enfin l’accent oratoire sépare volontiers les f dans af-famé, af-fecté, af-féterie, af-firmer, af-folant, ef-faré, ef-féminé, ef-flanqué, ef-fréné, et même ef-froyable, et quelques autres[578].{236}
1º Le G final.
A la fin des mots, le g ne se prononce pas dans les mots français. D’ailleurs il ne s’est guère maintenu dans l’écriture que dans deux cas: d’une part dans bour(g) et ses composés, avec faubour(g)[579]; d’autre part après une nasale: ran(g), san(g) ou san(g)sue, étan(g) et haren(g); sein(g), vin(gt) et ses dérivés, coin(g), poin(g), vieux oin(g), lon(g) et lon(g)temps[580].
En dehors de ces deux cas, il y a encore trois mots français qui ont un g final, et ce g ne devrait pas davantage s’y prononcer: ce sont doi(gt), jou(g) et le(gs).
Pour doi(gt), il n’y a pas de discussion, le mot étant appris par l’oreille et non par l’œil.{237}
Mais beaucoup de gens prononcent jougue, et depuis fort longtemps l’Académie a autorisé cette prononciation. Je crois cependant que la majeure partie des gens instruits continue à préférer jou(g), au moins devant une consonne, ou en fin de phrase[581].
Je crois aussi, malheureusement, que la prononciation du g est encore plus fréquente dans le(gs), orthographe déplorable d’un mot qui devrait s’écrire lais, du verbe laisser, dont il vient: il est fort à craindre que la prononciation lègue ne finisse par s’imposer un jour ou l’autre, malgré l’usage ordinaire des hommes de loi et des professeurs de droit, de même que s’est établie l’orthographe legs, par une fausse analogie avec léguer[582].
Le g final ne se prononce pas non plus dans quelques finales nasales étrangères, où il sert seulement à marquer la nasalité, ou bien qui se sont francisées: mustan(g), oran(g)-outan(g), parpain(g), shampoin(g), et, si l’on veut, shellin(g) et sterlin(g)[583].{238}
Le g final se prononce dans les autres mots étrangers: dans drag, thalweg, wigh, bog, grog, toug, etc., ainsi que dans l’onomatopée zigzag et le populaire bon zig; dans erg et iceberg; dans rotang, ginseng et gong, peut-être à tort; dans l’onomatopée dig din don et la plupart des mots anglais en -ing: browning, pouding, skating, meeting, etc. La prononciation exacte de cette finale anglaise est peut-être difficile aux Français; mais il ne s’agit pas ici de prononcer de l’anglais: il s’agit d’accommoder au français une finale qui reste connue comme étrangère, et garde une allure exotique[584].
2º Le G devant une voyelle.
Dans le corps ou en tête des mots, devant une voyelle, le g n’a le son guttural que devant a, o, u: galon, brigand, gorille, gonfler, figure; il a le son{239} chuintant devant e et i: génie, gentil, gingembre, agir, gymnase[585]. Les deux sons sont réunis dans gigot ou gigantesque[586].
On doit cependant pouvoir donner au g le son chuintant devant a, o, u, et le son guttural devant e et i.
I.—On donne au g le son chuintant devant a, o, u, par l’intercalation d’un e qui ne se prononce pas: mang(e)a, mang(e)aille, mang(e)ons, mang(e)ure (de vers), g(e)ai, roug(e)ole, pig(e)on, nag(e)oire, etc.[587].
Ce procédé bizarre a amené plus d’une confusion. Ainsi l’e de g(e)ôle, qui d’ailleurs n’est pas artificiel, mais qui aurait pu disparaître, puisqu’il ne se prononçait plus[588], conduit encore beaucoup de gens à prononcer gé-ôle, comme s’il y avait un accent aigu sur l’é, cela parce que g(e)ôle a été remplacé dans{240} l’usage courant par prison, et que le mot est de ceux qu’on apprend par l’œil et non par l’oreille; et naturellement gé-ôle amène souvent gé-ôlier.
Autre exemple, pire peut-être, et dû à la même cause: depuis que le mot gag(e)ure a cédé la place dans l’usage courant au mot pari, beaucoup de personnes ont cru reconnaître dans le mot écrit la finale -eure, et la prononciation par eure est extrêmement répandue. Elle n’en est pas plus acceptable, car le suffixe -eure n’existe en français que dans quelques féminins de comparatifs de formation ancienne: meill-eure, pri-eure, min-eure, maj-eure, et ceux des adjectifs en -érieur; mais les substantifs ne connaissent que le suffixe -ure: blesser-blessure, brocher-brochure, coiffer-coiffure, peler-pelure, couper-coupure, etc.; d’où, étant donné le procédé orthographique, gager-gag(e)ure, verger-verg(e)ure (du papier), manger-mang(e)ure (de vers), et charger-charg(e)ure (terme de blason)[589].
II.—D’autre part on donne au g le son guttural devant e et i, y compris l’e muet, par l’addition d’un u, qui ne se prononce pas plus que l’e de pigeon: guerre, guérir, fatiguer, narguer, guirlande, guider, guimpe, ligue, dogue.
Ce procédé n’est guère moins contestable, car il amène d’autres confusions. Il y a, en effet, des mots où l’u ainsi placé appartient au radical, comme dans aiguille, et doit se prononcer, tout en faisant diphtongue d’ordinaire avec la voyelle; et alors comment savoir si l’u de -gué- ou -gui- se prononce? Celle des deux prononciations qui était la plus fréquente, c’est-à-dire ghé et ghi, ne pouvait manquer d’attirer{241} l’autre. Aussi est-ce ghé et ghi, et non gué et gui, qu’on aurait dû écrire, pour éviter les confusions.
Il faut donc que nous recherchions les cas où l’u se fait entendre dans les groupes gué et gui.
Mais auparavant je dois faire une observation: c’est qu’il faut éviter désormais de mouiller le g guttural, aussi bien que le c, par exemple de dire à peu près ghyamin ou ghyerre pour gamin ou guerre: la distinction que Nodier établissait à ce point de vue au profit des voyelles é et i a cessé d’être admise dans la prononciation correcte.
3º Le groupe GU devant une voyelle.
I.—Devant un e, l’u ne se prononce à part en français que dans le verbe argu-er, et devant l’e muet final des quatre adjectifs féminins aiguë, ambiguë, contiguë, exiguë, et des deux substantifs besaiguë et ciguë. On voit que cet e, quoique muet, porte un tréma pour marquer la prononciation de l’u.
Dans le verbe argu-er, le suffixe étant naturellement -er, l’u appartient au radical, qui est le même que dans argu-ment. Les gens de loi savent très bien qu’on prononce argu-er, j’argu-e, nous argu-ons, j’argu-ais, comme tu-er, je tue, etc.; mais que de gens, voire des professeurs, articulent argher, comme narguer, j’arghe, il arghait!
On a mis parfois un tréma dans j’arguë, il arguë, comme dans ciguë, ambiguë, et cette orthographe, qui épargnerait beaucoup d’erreurs, devrait être la seule correcte.
Partout ailleurs les groupes gue et gué se prononcent ghe et ghé: guenille, guérir, draguer, etc.[590].{242}
II.—Devant un I le cas est bien plus grave, parce que -gui- est plus fréquent que -gué-. Aussi la plupart des u qui devraient se prononcer ont cessé de le faire, depuis un temps plus ou moins long.
Aiguille et aiguillon, avec leurs dérivés, sont les derniers mots d’usage courant qui aient conservé la prononciation de l’u. Encore faut-il faire une distinction. Aiguille paraît trop commun pour être altéré facilement: c’est un de ces mots qu’on apprend par l’oreille et non par l’œil. Et pourtant aighille n’est déjà pas sans exemple. Quand à aiguillon, il est déjà, hélas! très fréquemment altéré en aighillon, étant moins populaire ou moins général qu’aiguille; pourtant on peut lutter encore pour la prononciation correcte, soutenue qu’elle est par le voisinage d’aiguille.
Outre ces deux mots, on prononce ui naturellement dans ambiguïté, contiguïté, exiguïté, comme dans tous les mots en -uité (u-ité chez les poètes); et enfin dans quelques mots savants, consanguinité ou sanguification, linguiste et linguistique, inextinguible, inguinal, onguiculé et unguis, ou des mots purement latins, comme anguis in herba[591].
Partout ailleurs on prononce ghi aujourd’hui, notamment en tête des mots: guichet, guimauve, guitare, etc.[592]; de même, malgré le latin, dans anguille{243} et dans les mots de la racine de sang (sauf consanguinité et sanguification): sanguin et consanguin, sanguine, sanguinaire, sanguinolent; aussi dans béguine et béguin, et dans aiguière[593]; enfin dans aiguiser, le dernier des mots de cette catégorie dont l’orthographe a altéré la prononciation.
Il est vrai que quelques puristes soutiennent encore aiguiser par u, mais presque tout le monde aujourd’hui prononce aighiser, et nul n’a raison contre tout le monde. Ce mot a peut-être résisté plus longtemps au sens figuré, plus littéraire et plus restreint que le sens propre; mais là même il a dû céder au courant, et il faut renoncer à réagir[594].
III.—Ce n’est pas tout. Les groupes gua et guo ne sont pas français, sauf dans les verbes en -guer, où l’u se conserve partout, pour l’unité de la conjugaison: navigua, naviguons, naviguait. Il suit de là que, hors ce cas, gua ne se prononce pas ga: il se prononce goua (gwa), comme en latin, tout en faisant diphtongue, bien entendu. Ainsi dans jaguar et couguar, dans guano, iguane et alguazil, et même dans lingual. Pourtant l’u a cessé de se prononcer{244} dans aiguade, aiguail ou aiguayer, et aussi dans paraguante, qui est d’ailleurs passé de mode.
Quant à -guo-, même en latin, il se prononce go: disting(u)o[595].
4º Le G devant une consonne.
Les consonnes devant lesquelles on rencontre quelquefois g en français sont les liquides, l, m, n, r, et d ou g[596].
Les groupes gl et gr n’offrent pas de difficultés.
Devant un m ou un d, le g se prononce toujours; il ne s’y trouve d’ailleurs que dans des mots d’origine savante, comme amygdale ou augmenter[597].
Devant n, la question est moins simple, car le français gn n’est normalement qu’un n mouillé[598]. Aussi le groupe gn est-il mouillé presque partout, notamment devant un e muet, sans exception, et même dans les mots d’origine savante, pourvu qu’ils soient suffisamment répandus, comme magnétisme, depuis Mesmer. On a même longtemps mouillé un{245} mot latin comme agnus, parce qu’il était fort usité. Il en résulte qu’on ne sépare le g de l’n que dans quelques mots savants moins usités, ou des mots étrangers, notamment en tête des mots: gneiss; gnome et gnomique, gnomon et gnomonique, avec physiognomie; gnose et gnostique, avec diagnostic, géognosie, recognition et incognito, celui-ci par confusion, car il est italien, et on le mouille encore quelquefois, comme en italien; de plus, dans mag-nificat et ag-nus, mots latins; dans ag-nat et mag-nat, dans cog-nat, et cog-nation, dans stag-nant et stag-nation, dans reg-nicole et inexpug-nable, dans ig-né et tous les mots commençant par igne- et igni-; souvent aussi dans lig-nite (mais non ligneux) et dans pig-noratif[599]. Dans magnolia, on mouille encore, mais la cacophonie de nyolya est en voie de séparer l’n du g[600].
Il ne faut pas séparer le g de l’n dans d’autres mots, même d’apparence plus ou moins savante, comme cognassier, désignatif, imprégnation, magnésie ou même magnifier.
Enfin le g double, devant une consonne, se prononce comme un seul g: a(g)glomérer, a(g)glutiner, a(g)graver; mais on peut aussi prononcer les deux. Devant e ou i, on a naturellement un g guttural, puis un g chuintant: sug-gérer[601].{246}
*
* *
Dans les mots italiens non francisés, le g simple ou double se prononce dj devant i, par exemple dans a giorno, dramma giocoso ou risorgimento; mais appogiature est francisé, puisqu’il n’a même pas l’orthographe italienne[602].
On prononce de même dj dans giaour et gentry; mais on peut prononcer indifféremment gentleman par jan ou djen, quoique man ne soit jamais nasal, et gin par jin nasal ou djin non nasal; on francise encore à volonté gipsy et bostangi.
Gh est proprement le g guttural étranger devant e et i, et quelquefois ailleurs: ghetto, sloughi, yoghi[603]. On ne l’entend pas dans high, right, dreadnought[604].
Le gli italien n’est pas autre chose qu’un l mouillé, c’est-à-dire chez nous un y, et ne fait pas syllabe à part; mais nous avons complètement francisé, en y ajoutant une syllabe, imbrogli-o et vegli-one[605].{247}
1º L’H final ou intérieur.
Après une voyelle finale, l’h allongeait la voyelle dans quelques mots étrangers; mais nous avons vu que le phénomène n’est plus guère sensible chez nous[606]. Il l’est davantage dans le corps des mots, où l’h peut encore parfois fermer et allonger la voyelle qui précède; mais ce sont aussi des mots étrangers: ohm, fœhn[607].
Après une consonne, sauf le groupe français ch, étudié plus haut, l’h ne change rien généralement au son de cette consonne: ainsi kh égale k partout; quant au g, l’h ne fait que lui rendre le son guttural devant e et i; th égale t pour nous, rh égale r.
Dans le Midi, lh et nh représentent l et n mouillés.
D’autre part, sch allemand et sh anglais ou russe ont le son du ch français[608].
Tous ces groupes se prononcent à la fin des mots, sauf ch final dans almana(ch), et gh final ou devant t en anglais[609].
2º L’H initial, muet ou aspiré.
Mais ce n’est pas après une autre lettre, voyelle ou consonne, c’est en tête des mots que l’h joue un rôle{248} intéressant en français. Il est vrai que ce rôle a été contesté. Et assurément l’h dit muet ne sert absolument à rien et aurait dû disparaître depuis longtemps de l’orthographe, ou plutôt n’aurait jamais dû y être introduit sous prétexte d’étymologie.
Mais quoi qu’on en dise, il n’en est pas de même, de l’h aspiré. J’avoue que, d’aspiration proprement dite, il n’y en a plus guère depuis plus d’un siècle. Pourtant il y en a certainement une dans quelques onomatopées ou exclamations comme ha, hé, hola, hom, hue; il y a aussi aspiration entre oh! oh! et ah! ah! quoique ici l’h soit final et non initial, et aussi, par emphase, quand on exprime un sentiment violent: je le hais, c’est une honte. Mais ce n’est pas tout: même sans accent oratoire, il y a toujours l’interdiction absolue de l’élision et de la liaison, et par suite l’obligation de l’hiatus, qui est une caractéristique assez remarquable.
Il est parfaitement vrai qu’on prononce il est hardi ou des homards sans plus d’aspiration que dans il est allé à Paris ou alvéole; mais tout de même, tant qu’on dira il est hardi ou des homards sans liaison, et par suite avec hiatus, tant qu’on dira le hameau ou la hotte sans élision, et par suite encore avec hiatus, et cela en vers comme en prose, par nécessité, tant qu’on distinguera, par la liaison, en eau de en haut, les auteurs de les hauteurs, etc., aussi longtemps l’h jouera son rôle, à moins qu’on ne le remplace par un autre signe diacritique, ce qui est parfaitement inutile[610].{249}
Je sais bien que ces finesses n’appartiennent pas à la langue populaire, et que même les erreurs nombreuses que fait le peuple en cette matière montrent bien la répugnance instinctive qu’il a pour l’h aspiré: si la langue était livrée à elle-même, l’h aspiré deviendrait promptement identique à l’h muet. Mais ces erreurs, les gens instruits ne les font pas, et c’est la langue des gens instruits qu’on enseigne ici.
Il y a donc en français un h aspiré. Toutefois nous sortirions de notre sujet pour entrer dans le domaine de la grammaire ou de la lexicographie, si nous énumérions ici les mots dont l’h est aspiré. D’ailleurs, les dictionnaires sont là pour renseigner sur ce point, s’il en est besoin. Il convient toutefois d’énoncer la loi générale qui domine ici les faits, en indiquant les exceptions essentielles.
3º La loi de l’H initial.
La loi est celle-ci: l’h est muet quand il est d’origine latine ou grecque, aspiré ailleurs, et surtout quand il est d’origine germanique.{250}
I.—L’h est muet quand il vient du latin: (h)abile, (h)abit, (h)erbe, (h)omme et (h)umain, (h)ospice, (h)ôtel, (h)umeur, etc.; à fortiori dans quelques mots qui ne devraient point avoir d’h, n’en ayant point en latin: (h)eur, (h)ermine, (h)ièble, (h)uile, (h)uis, (h)uître[611].
Il n’y a donc pas lieu d’aspirer (h)ameçon, (h)allucination ou (h)altères, ni (h)iatus, malgré le sens, ni (h)irsute, ni (h)oir et (h)oirie, ni enfin les dérivés d’(h)uile[612].
L’h est tout aussi muet quand il remplace, très inutilement, l’esprit rude du grec, notamment dans tous les mots qui commencent par hecto-, hélio-, hémi-, hémo-, hepta-, hétéro-, hexa-, hiéro-, hippo-, homo-, etc., et tous ceux qui commencent par hy-[613].
Il y a aujourd’hui une tendance très marquée à aspirer l’h dans (h)y-ène; mais il n’y a à cela aucune raison; et si l’(h)yène paraît dur avec diphtongue, il est assez simple de dire l’(h)y-ène, comme Victor Hugo, conformément à l’étymologie grecque, tout comme on dit l’(h)y-acinthe et non le hyacinthe; cela vaut certainement mieux que la hyène, ou des hyènes sans liaison[614].{251}
II. L’h qui n’est pas latin ou grec est presque toujours aspiré.
Il l’est d’abord dans nombre d’exclamations ou d’onomatopées sûres ou probables, ou même simplement prises pour telles, haleter, han, hennir, hisser, hola, hoquet (qui a peut-être altéré hoqueton), houp, hourra, huer, etc. L’h n’est pas aspiré dans hallali.
Il l’est surtout dans un grand nombre de mots (une centaine de racines) d’origine germanique. On y voit figurer en majorité le haut et le bas allemand[615].
On y trouve aussi l’anglais, avec handicap ou héler; les dialectes scandinaves, avec hauban, hisser et hune; le néerlandais avec happer, hêtre, hie, hobereau, houblon et houille, et vingt ou trente racines d’origine inconnue, qui ont toutes les chances d’être germaniques, ne pouvant être latines ou grecques[616].
4º Les exceptions.
Il y a, avons-nous dit, des exceptions. Cette distinction entre ces deux catégories de mots, mots latins et mots germaniques, est si certaine et si caractéristique que c’est précisément et uniquement{252} l’influence des mots germaniques qui a fait aspirer l’h de certains mots d’origine latine, par l’effet d’une fausse analogie: ainsi harpon a été altéré probablement par harpe, huguenot par Hugues, huppe par l’allemand aussi, et surtout tous les mots de la famille de haut, qui ne devraient point avoir d’h, par l’allemand hoch, quoique l’origine latine de haut ne soit pas douteuse[617].
Il y a encore d’autres aspirations irrégulières qui s’expliquent plus ou moins bien. Ainsi, parmi les mots qui viennent du grec, on trouve halo, peut-être par euphonie pour éviter l’(h)alo, comme on dit le hulan; et encore halurgie et harpye, quoique (H)arpagon ait l’h muet.
On dit aussi, sans doute par euphonie, la hiérarchie; mais l’h de ce mot est muet par ailleurs, et généralement aussi dans (h)iérarchique, toujours dans (h)iérophante, (h)iéroglyphe ou (h)iératique.
On s’explique assez bien l’aspiration dans hors qui vient du latin, parce que l’h remplace un f[618]; et aussi dans voilà le hic[619].
Dans harceler et hargneux, il y a peut-être une espèce d’onomatopée. Hérisser ou hérisson ont pu s’aspirer aussi à cause du sens. D’autres aspirations s’expliquent difficilement[620].{253}
Enfin il y a des racines qui ont pris un caractère hybride, tantôt aspirées, tantôt non.
1º Huit n’a même pas d’h en latin[621]. Il s’est aspiré pourtant, mais seulement en qualité de nom de nombre, comme un et onze, afin de s’isoler nettement des mots voisins, comme tous les noms de nombre: le un, le deux, le sept, le huit, le onze, le huitième, la huitaine; de même chapitre huit et livre huit, quoiqu’on dise page (h)uit; de même encore trois huit sans liaison. Toutefois huit n’est plus aspiré quand il n’est pas initial; ainsi on fait la liaison dans dix-(h)uit par s doux comme dans dix hommes et l’on prononce vingt-(h)uit comme quarant(e)-(h)uit où l’e s’élide; de même mill(e)-(h)uit cents[622].
2º L’h de héros s’est aspiré aussi par une sorte d’euphonie, et sans doute pour éviter la confusion ou plutôt le calembour que la liaison aurait faite au pluriel avec les zéros. Mais tous les autres mots de la même racine, (h)éroïque, (h)éroïsme, (h)éroïne, (h)éroïde, ont gardé l’h muet qu’ils tenaient du latin.{254}
3º Le mot (h)uis, qui a l’h muet, comme son dérivé (h)uissier, s’aspire dans l’expression huis clos.
4º Inversement, hanse, de l’ancien haut allemand, a gardé son h aspiré, car on ne saurait dire l’(h)anse; mais on dit, avec élision ou liaison, la ligue (h)anséatique, les villes (h)anséatiques.
5º De même héraut, probablement de même origine que hanse, a gardé aussi son h aspiré; mais (h)éraldique et (h)éraldiste ont l’h muet, parce qu’ils nous sont venus par l’intermédiaire de formes latines[623].{255}
Le j, qui n’est autre que i consonne, transformé en chuintante douce ou sonore, ne se trouve jamais à la fin des mots[624].
Dans le corps des mots et surtout en tête, il est toujours devant une voyelle et se prononce devant toutes comme g devant e et i[625].
Le j étranger n’est non plus que l’i consonne, mais il se prononce le plus généralement comme un yod; ainsi dans l’italien jettatura ou dans le hongrois el jen[626].{256}
En anglais et dans quelques autres langues, il se prononce comme dj: ainsi dans banjo[627].{257}
Le k n’est pas autre chose qu’un c guttural, dont le son ne change pas. Mais ce n’est pas une lettre proprement française, pas plus que latine d’ailleurs, le français ayant adopté, après le latin, c et qu pour noter le même son.
Le k intérieur ou final est toujours étranger: moka.
A la fin des mots, le k se prononce toujours, comme ailleurs: ainsi mark[628]; mais il s’ajoute presque toujours au c, au moins après une voyelle, sans d’ailleurs modifier le son; ainsi de beefsteak nous avons fait bifteck, avec addition d’un c.
On trouve exceptionnellement un k devant un e muet dans coke[629].
Les mots qui commencent par k sont d’origine étrangère ou tirés du grec, comme képi, knout ou kilogramme[630].{258}
1º L’L final et les mots en il.
La lettre l est une de celles qui se prononcent en français à la fin des mots.
Les finales en -al et en -el notamment sont très nombreuses et n’offrent point d’exceptions[631].
Les finales en -eul, -ol et -oil n’en ont pas davantage[632].
Parmi les finales en -oul et -ul, il faut excepter pou(ls) et soû(l), qu’on écrit aussi saoul très mal à propos, et cu(l), avec ses composés gratte-cu(l), torche-cu(l), cu(l)-blanc, cu(l)-de-jatte, cu(l)-de-bouteille,{259} cu(l)-de-sac, cu(l)-de-lampe, cu(l)-de-poule, etc.[633].
Les finales en -ail, -eil, -euil, et -ouil (y compris œil et les mots en -cueil et -gueil) ont un l mouillé par l’i: émail, corail, soleil, pareil, deuil, fauteuil, accueil, orgueil, fenouil, etc.[634]. Rail seul se prononce quelquefois rèl à l’anglaise[635].
Restent les finales en -il après une consonne, qui appellent quelques observations.
D’abord le pronom il. Ce mot avait amui son l depuis le XVIᵉ siècle, sauf en liaison, bien entendu. C’est un phénomène assez curieux qu’à cette époque on écrivait a-il et on prononçait ati.
Ni le XVIIᵉ siècle, ni le XVIIIᵉ n’ont rétabli cet l dans la prononciation courante, et le XVIIIᵉ siècle n’a cherché à le rétablir que dans le discours soutenu. Restaut reconnaît qu’il ne se prononce pas ailleurs. Depuis Domergue, les grammairiens veulent qu’on le prononce partout; mais dans l’usage courant et familier: où va-t-i(l), i(l) vient s’entendent presque uniquement à côté de il a. L’enseignement seul maintient cet l dans la lecture et dans le langage soigné.
Les autres mots en -il se divisaient autrefois en deux catégories: les mots à l simple et les mots à l mouillé.
I.—Les mots à l simple ont gardé leur l dans la prononciation ou l’ont repris s’ils l’avaient perdu. Ce sont: l’adjectif numéral mil; des adjectifs venus d’adjectifs latins en -ilis, puéril, viril, volatil, subtil, bissextil, vil, civil; le vieux pronom cil; des substantifs{260} également venus du latin: fil (avec profil et morfil), sil, exil, pistil; et quelques mots étrangers, anil, toril, alguazil, avec béryl[636].
II.—Les mots à l mouillé, d’origines variées ou inconnues, se sont au contraire tous altérés. Car autrefois l’l final unique se mouillait fort bien[637]; mais cette prononciation a disparu progressivement, soit par l’affaiblissement du son mouillé, qui a amené la chute de la consonne, soit par changement de l’l mouillé en l simple[638]. Cette seconde catégorie se divise donc elle-même en deux groupes:
1º Dans la plupart des mots, on ne prononce plus l’l depuis longtemps: ce sont bari(l), charti(l), cheni(l), courbari(l), courti(l), couti(l), douzi(l) ou doisi(l), feni(l), fourni(l), fraisi(l), fusi(l), genti(l), nombri(l), outi(l), sourci(l), et plus récemment persi(l), malgré le voisinage de formes mouillées toujours usitées, comme barillet, outiller, fusiller, sourciller, etc.[639].
Genti(l), qui appartenait d’abord à la première catégorie, à l sonore (latin gentilis), est passé ensuite à la seconde, avec l mouillé, après quoi il a également amui son l[640]; toutefois, au singulier de gentilhomme, un yod est demeuré nécessairement entre l’i et l’o (gentiyom).{261}
2º Au contraire, cil, pénil, brésil, tortil (pour tortis, sous l’influence de tortiller), ont passé au groupe des mots à l non mouillé; péril aussi, quoiqu’il y ait encore quelques exceptions; avril de même, après s’être prononcé avri au XVIIᵉ siècle, et avriy au commencement du XIXᵉ.
Il n’y a plus d’hésitation que pour quatre substantifs: babil, grésil, gril et mil (avec grémil). Non qu’on puisse y conserver le son mouillé, ou plutôt le yod, car il s’y entend de moins en moins, et ne saurait tarder à disparaître, malgré le voisinage de formes mouillées, comme babiller, grésiller, griller: la seule question est de savoir s’ils se prononceront définitivement avec ou sans l, car les deux coexistent. Il est probable que le son il l’emportera dans mil et babil, comme dans péril et avril. Mais grési(l), et surtout gri(l), sans l, paraissent avoir des chances sérieuses[641].
2º L’L intérieur.
Dans le corps des mots, l’l se prononce aujourd’hui partout, notamment dans poulpe, soulte et indult, où il a revécu, grâce à l’orthographe, après une éclipse plus ou moins longue[642]. Il faut excepter fi(l)s et au(l)x, pluriel de ail[643]. Je ne parle pas de{262} au(l)ne, qui a cédé la place à aune, ni de fau(l)x, graphie assez ridicule pour faux, adoptée néanmoins par V. Hugo et quelques poètes, de ceux qui prétendent aussi écrire lys pour lis[644].
Dans le parler populaire ou simplement rapide, l’l intérieur tombe souvent, mais il sera bon de faire un petit effort pour le conserver. Ainsi, dans les mots en -lier, le peuple fait souvent tomber l’l, et prononce par exemple escayer, et surtout souyer, et cela depuis des siècles; de même bi-yeux et mi-yeu, pour bi-lieux et mi-lieu, un yard pour un liard. Il faut éviter avec soin cette prononciation, et ne pas confondre sou-lier avec souiller (souyé), quoique ces mots puissent parfaitement rimer ensemble[645].
Il n’en est pas tout à fait de même de que(l)qu’un, et surtout que(l)qu(e)s-uns, que(l)qu’ chose, et que(l)qu’ fois, qu’on entend le plus ordinairement dans la conversation courante, et cela depuis des siècles. Cette{263} prononciation, parfaitement conforme au génie de la langue, qui admet mal le groupe lq, ne saurait être condamnée rigoureusement; mais ce n’est tout de même pas une raison pour la conseiller à l’exclusion de toute autre, comme le font les phonéticiens purs?
Où ira-t-on, si l’on entre dans cette voie? On dit aussi, dans la conversation, capab(le), impossib(le), discip(le), muf(le), au moins quand on parle vite, et surtout devant une consonne, nous l’avons vu à propos de l’e muet, et même quelquefois sans cela. Mais que ne dit-on pas? On dit non seulement c(el)a, qui est admis, mais c(el)ui qui et c(el)ui-ci[646]; et aussi j(e l)ui ai dit, et même j(e lu)i ai dit; et non seulement i(l) vient, ou ainsi soit-i(l), mais aussi e(lle) vient ou e(lle) n’ vient pas (voire a vient!); et aussi que(l) sale métier, et (il) y a du bon, et (il n’)y en a plus (ou pus); et non seulement s’i(l) vous plaît, mais s’i(l v)ous plaît[647], et s’(il v)ous plaît, et même s’(il) te plaît et s’(il vous) plaît. Tout cela est admissible, ou du moins tolérable, à la grande rigueur. Mais va-t-on le conseiller aussi[648]?
Assurément, si l’on disait toujours que(l)qu’ fois, il faudrait bien en passer par là, et nos phonéticiens auraient raison; mais il s’en faut bien qu’on le dise toujours, pas plus qu’on ne dit toujours çà pour cela: ces choses-là dépendent des lieux et des personnes à qui l’on parle. De telles formes sont donc simplement tolérables dans la conversation familière, mais nullement à proposer comme modèles[649].{264}
3º L’L double après un i.
L’l double se prononce, suivant les cas, de trois manières, comme un l simple, comme deux l, et comme l’l mouillé: c’est-à-dire bien entendu le yod.
Quand l’l double est final, il se prononce simple, comme les autres consonnes, même après i: bil(l) et mandril(l), comme footbal(l) ou atol(l). C’est donc une erreur de mouiller mandril(l).
Quand l’l double n’est pas final, sa prononciation dépend d’abord de la voyelle qui précède, suivant que cette voyelle est ou n’est pas un i, car si c’est un i, l’l double est généralement mouillé.
L’l double est d’abord mouillé, sans exception, dans les groupes -aill-, -eill-, -euill-, -ouill-, à commencer par les finales muettes en -aille, -eille, -euille et -ouille, qui correspondent aux finales masculines en -ail, -eil, -euil, -ouil: écaille et bataille, abeille et oseille, feuille et cueille, grenouille, etc. Il en est de même dans le corps des mots, aussi bien qu’à la fin, d’autant plus que le groupe -ill- intérieur dérive presque toujours d’une finale mouillée[650].
Ainsi l’addition de l’i entre l’une des voyelles a, e, ou et l’l double supprime toute hésitation. C’est pourquoi la prononciation de nouille, autrefois écrit noule, a pu se fixer au son mouillé, tandis que {265}semoule, longtemps mouillé, est retourné au son oule non mouillé, par réaction orthographique et faute d’i.
Le cas est moins simple quand le groupe -ill- n’est pas précédé d’une voyelle, car alors l’i se prononce, et la question de savoir si l’l double est mouillé reste entière.
I. Les finales muettes en ILLE.—Ces finales sont presque toutes mouillées, comme les finales en -aille, -eille, -euille et -ouille, étant donné que les finales non mouillées sont presque toutes en -ile avec un seul l. Pourtant il y a des exceptions, quoiqu’elles tendent progressivement à disparaître, par l’effet de l’analogie[651].
1º Commençons par les verbes. On peut dire que scinti(l)le non mouillé ne se défend plus guère; mais il n’y a pas si longtemps qu’il a mouillé ses l, et l’on conserve toujours à côté de lui scintil-lation, où les deux l sont distincts.
Nous assistons actuellement à la transformation de osci(l)le et vaci(l)le en osciye et vaciye, qui est bien près d’être achevée, surtout pour vaci(l)le, quoique oscil-lation et vacil-lation soient aussi à peu près intacts. On doit encore conseiller osci(l)le; on peut même conseiller vaci(l)le, mais il ne faut pas se dissimuler que ce seront bientôt des archaïsmes. Et naturellement la conjugaison entière de ces verbes se trouve altérée de la même manière par réaction analogique.{266}
Il y a encore un autre verbe qui est déjà touché légèrement, c’est titi(l)le.
Le seul verbe qui résiste absolument, parce qu’il est d’usage très courant, et même populaire, et appris par l’oreille autant que par l’œil, c’est disti(l)le; on ne prononce même généralement qu’un l dans disti(l)ler, et, par suite, disti(l)lerie et disti(l)lation.
2º En dehors des verbes, la prononciation non mouillée n’est guère plus répandue dans les finales en -ille. Cette prononciation ne se maintient que dans trois ou quatre mots extrêmement usités, ou, au contraire, dans un certain nombre de noms plus ou moins savants.
Les mots savants sont protégés précisément par un emploi assez restreint, ou du moins peu populaire: papi(l)le, pupi(l)le, si(l)le, sci(l)le, baci(l)le, vertici(l)le, codici(l)le et myrti(l)le[652]. Les dictionnaires y ajoutent encore fibri(l)le, mais ils feront bien de se corriger sur ce point. Pupi(l)le lui-même est déjà très atteint, et myrti(l)le n’est pas assez rare pour se défendre encore bien longtemps.
Mais, d’autre part, les mots d’usage tout à fait général et très courant se conservent plus sûrement encore que les mots savants, étant appris par l’oreille et non par l’œil; seulement ici ils sont tout juste trois, à savoir: deux adjectifs, mi(l)le et tranqui(l)le[653], et un substantif, vi(l)le, avec vaudevi(l)le, dont l’étymologie est toujours contestée[654].{267}
II. Le groupe ILL intérieur.—La finale en -ille étant mouillée presque partout, toutes celles qui se rattachent plus ou moins à celle-là le sont également: fusillade et outillage, sémillant ou brillanter (avec castillan et sévillan), corbillard ou babillarde, gaspiller, habillement et artillerie, billet ou fillette, torpilleur et périlleux, pavillon, etc., et tous leurs dérivés.
Ont encore l’l double mouillé quelques mots à finales plus rares: tillac, cabillaud, gentillesse, tilleul et filleul, grillot, tous les mots qui commencent par quill-, ou encore des dérivés comme billebaude, et aussi billevesée, sur qui les avis se partagent, bien à tort[655].{268}
On peut y joindre l’l double espagnol, notamment la finale -illa; malheureusement, à côté de manzanilla, guérilla, cuadrilla ou banderillero, qu’on prononce d’ordinaire correctement, on a trouvé plus savant et plus distingué de séparer les consonnes dans chinchil-la (qui devient souvent chinchi-la) et camaril-la: c’est une grave erreur, dont on pourrait bien aussi se corriger, puisque l’espagnol est toujours là[656].
On remarquera que la finale -ier, qu’on trouve dans un assez grand nombre de mots à la suite de l’l double mouillé, ne change plus rien à la prononciation, qui est la même que si la finale était -er, de même qu’après gn: ainsi quincaillier, écaillière, vanillier, mancenillier, cornouillier, à côté de oreiller, et poulailler, qui avaient aussi un i, et l’ont perdu, tandis que les autres gardaient le leur. Au contraire, les finales verbales -ions et -iez ajoutent un yod aux ll mouillés, sans quoi il pourrait y avoir confusion de temps: nous travaillions se prononce donc nous travay-yons, à côté du présent trava-yons[657].
D’autre part, on a pu voir qu’il n’y avait point de finales mouillées après la voyelle u. Mais en -uille, cas particulier de -ille, nous connaissons déjà aiguille. On retrouve le même groupe ui suivi de l’l double{269} mouillé dans cuiller, et il est surprenant que l’i ne se soit pas détaché de l’u dans ce mot[658].
Au contraire, c’est u qui se change en ui, très malencontreusement, et depuis bien longtemps, dans ju-illet, où l’i ne devrait servir qu’à mouiller les ll, comme dans les finales en -euille et -ouille. Ce qui le prouve bien, c’est que beaucoup de personnes prononcent encore juliet, qui est le faux mouillage: ce sont les mêmes qui prononcent alieurs. Mais la vraie prononciation est ju-yet[659].
En somme, le groupe -ill- est mouillé à peu près partout à l’intérieur des mots; les exceptions sont les suivantes:
1º Les dérivés de vi(l)le, tranqui(l)le et mi(l)le, à savoir: vi(l)lage, vi(l)lette, avec vil-la et vil-légiature, où sonnent deux l, comme dans les mots latins; tranqui(l)lité, tranqui(l)liser, tranqui(l)lement; mi(l)lier, mi(l)liard, mi(l)lième, mi(l)lion, et aussi, par analogie, bi(l)lion, tri(l)lion, etc., avec mil-lénaire, mil-lésime, mil-limètre, etc., où sonnent aussi deux l[660].{270}
2º D’autre part, deux l sonnent aussi, par conséquent sans mouillure, dans pénicil-lé, verticil-lé, sigil-lé, et les mots en -illation et -illaire: scintil-lation, capil-laire (et capil-larité), ancil-laire, etc.; dans pusil-lanime, dans achil-lée et achil-léide[661].
3º De plus, en tête des mots, le préfixe il- reste distinct devant un l: il-luminé, il-légitime, etc.; tout au plus peut-on réduire les deux l à un, si l’on veut, dans illustration, mais, en tout cas, on ne mouille jamais.
4º On ne prononce qu’un l simple dans li(l)liputien, qui a peu de chances de se mouiller, et dans vi(l)lanelle, qui est évidemment protégé par l’analogie de vi(l)le et vi(l)lage[662].
4º L’L double ailleurs qu’après un i.
Après une voyelle autre que i, l’l double fait comme les autres consonnes, et se prononce comme un seul ou comme deux, suivant que le mot est plus{271} ou moins usité. C’est le principe général, déjà vu ailleurs. Mais ici, la prononciation double l’emporte de beaucoup, et de nos jours plus qu’autrefois, soit que les mots soient plus savants, soit que l’habitude plus répandue du latin fasse conserver les ll, comme nous les conservons en latin[663]. Il n’y a rien d’ailleurs d’absolu, nous l’avons dit, et l’on prononce un l ou deux dans beaucoup de mots, suivant qu’on parle plus ou moins vite.
C’est après un a que l’l double se réduit encore le plus souvent à un. Cela est indispensable dans a(l)ler, a(l)leu, a(l)liance, a(l)lo, a(l)longer, a(l)lotir, a(l)lumer, ba(l)let, ba(l)lot, ba(l)lant, ba(l)lon, ca(l)leux (à côté de cal-losité); da(l)ler, fa(l)loir, ga(l)lon, ha(l)lali, insta(l)ler, va(l)lée, va(l)lon, et leurs familles. Il n’y a aucun inconvénient à en faire autant dans des mots aussi usités que a(l)laiter, a(l)lécher, a(l)louer, et même a(l)legro ou a(l)legretto, voire a(l)légresse, a(l)léguer, a(l)léger, ha(l)lucination, et quelques autres, encore que les deux l s’y prononcent le plus souvent[664].
Après e, o, u, y, les deux l se maintiennent mieux qu’après a.
Après e, ils ne se réduisent guère que dans ce(l)lier, ce(l)lule, exce(l)lent, et, si l’on veut, dans pe(l)licule, rebe(l)lion et libe(l)lé[665].{272}
Dans les mots commençant par col-, les deux l ne se réduisent régulièrement que dans co(l)ler, co(l)lège, co(l)let, co(l)lier, co(l)line, co(l)lation, et leurs parents, mais non pas dans les expressions savantes col-lation des grades ou col-lationner des registres. Il n’y a d’ailleurs aucun inconvénient à y joindre co(l)lègue, co(l)lodion ou co(l)lyre, et quelques autres. On prononce aussi uniquement do(l)lar, fo(l)let, mo(l)let, mo(l)lir et mo(l)lusque, et même, si l’on veut, so(l)licitude[666].
Après u, ils ne se réduisent pas, sauf tout au plus dans pu(l)luler, si l’on veut, ou ébu(l)lition[667].
Après y, notamment, pour le préfixe syl-, la réduction est aussi rare que pour le préfixe il-.
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Si la tendance populaire, fort naturelle, était ici de réduire les deux l à un seul, en revanche, il y a une autre tendance, également populaire, mais très fâcheuse, qui consiste au contraire à doubler l’l après un pronom: je ll’ai vu, tu ll’as dit, j’ te ll’ai dit. C’est sans doute par analogie avec il l’a vu, il l’a dit[668]. C’est un des plus anciens et des plus graves défauts de la prononciation parisienne, d’autant plus grave qu’il est extrêmement difficile à corriger.{273}
En tête des mots, on trouve aussi l’l double dans certaines langues, et c’est l’l mouillé; mais lloyd se francise avec l simple, non mouillé[669].
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On a vu, plus haut, que lh représentait dans le Midi l’l mouillé. Ce groupe n’est pas passé dans le français; c’est donc le hasard seul qui a rapproché ces deux lettres dans phil-(h)ellène ou phil-(h)armonique, où ils appartiennent à des éléments différents et ne sauraient se mouiller. On ne mouille pas non plus sil(h)ouette, qui vient d’un nom propre[670].
Note complémentaire.—On a vu que il se prononçait partout i autrefois, sauf devant une voyelle. C’est ce qui explique une faute d’orthographe qui était très fréquente alors (on la trouve dans Bossuet), et qui consistait à écrire qui pour qu’il. On ne répétera jamais assez que c’est précisément à cette faute qu’est due la fortune d’une phrase fameuse de La Bruyère, qui nous paraît toujours surprenante et qu’on imite perpétuellement: depuis plus de six mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent. La Bruyère voulait dire et qu’ils pensent, pas autre chose: sa syntaxe, comme celle de tous ses contemporains, démontre sans contradiction possible que, pour justifier et qui, il eût fallu au moins une épithète à hommes.{274}
1º L’M simple.
On a vu, au chapitre des nasales, qu’à la fin des mots l’m ne faisait jadis que nasaliser la voyelle précédente. Cette prononciation, purement française, a disparu progressivement. A part un petit nombre de mots[671], la prononciation étrangère ou latine a prévalu, les mots terminés en m étant en effet presque tous étrangers ou latins: l’m final y est donc séparé de la voyelle, et, par suite, s’y prononce: madapolam, harem, intérim, album[672].
Dans le corps des mots, l’m ne nasalise la voyelle qui précède que quand il est suivi lui-même d’une labiale b ou p, ou dans le préfixe em- (pour en-), suivi d’un m: ambition, em-mener, simple, nymphe, compte, etc., et aussi comte et ses dérivés[673].
Devant toute autre consonne, l’m se prononce à part: hamster, décemvir, triumvirat[674].{275}
D’autre part, dans le groupe mn intérieur, l’m avait cessé autrefois de se faire sentir, par assimilation de l’m avec l’n[675]. Cette prononciation, qui a disparu dans la plupart des cas, s’est maintenue dans da(m)ner et ses dérivés, ainsi que dans auto(m)ne, parce que le groupe am ou om s’est d’abord nasalisé: on entend parfois encore dan-ner. Mais on prononce aujourd’hui l’m et l’n dans indem-ne, indem-niser ou indem-nité[676], ainsi que dans autom-nal, mot savant, aussi bien que dans calom-nie, am-nistie, om-nibus et tous les mots récents[677].
Le peuple laisse volontiers tomber l’m dans les mots en -asme et -isme: cataplasme, catéchisme, rhumatisme; c’est une paresse dont il faut se garder avec soin[678].
2º L’M double.
L’m double, entre voyelles non caduques, subit toujours la distinction des mots très usités et des mots plus ou moins savants. Mais ici, plus qu’ailleurs, il y a lieu de faire attention à la voyelle qui précède.
On sait déjà qu’après e initial (même devant un e muet), le premier m ne fait que nasaliser la voyelle: c’est le préfixe en qui se maintient en assimilant son n à l’m qui suit: em-mancher, em-ménager, em{276}mener, etc., et par suite rem-mener, etc.[679]. Mais on prononce deux m dans em-ménagogue, mot savant et récent. On n’en prononce qu’un dans les adverbes en -emment (aman), mais deux dans gem-mation et pem-mican[680].
Après a, i et u, à part les adverbes en -amment, il est très rare qu’on ne prononce pas les deux m, sans doute parce que la plupart des mots sont des mots savants. Épigra(m)me même n’empêche pas épigram-matique. Ga(m)ma est devenu gam-ma. Il n’y a plus guère que enfla(m)mer, qui résiste absolument, et gra(m)maire, qui résiste encore à moitié, mais on dit plutôt gram-mairien, et à fortiori gram-matical, sans parler d’inflam-mation. C’est à peine si on réduit encore parfois, quand on parle vite, les deux m d’im-mense, im-mobile, im-moler, im-mortel; mais pour tous les autres mots en im-, à peu près jamais[681].
Cas particulier: beaucoup de personnes nasalisent le préfixe im- dans im-mangeable et im-manquable. Assurément cela est soutenable, mais je ne crois pas que cette prononciation puisse prévaloir, par la raison qu’on ne nasalise pas le préfixe im- dans im-mobile ou im-modéré, ni aucun autre de même formation. Sans doute il y a une différence, en ce que les autres mots sont tirés la plupart de formes latines et gardent la prononciation latine, tandis que ces deux-là sont formés directement sur des mots fran{277}çais, devant lesquels on met le préfixe. Mais inébranlable, ineffaçable, et beaucoup d’autres, sont dans le même cas, sans qu’on ait jamais songé à maintenir la nasale, comme on la maintient par exemple avec liaison dans enorgueillir. Il n’y a pas plus de raison pour prononcer in-mangeable que pour prononcer in-neffaçable, et il est très naturel que ces deux mots suivent l’analogie, comme tous les autres[682].
Reste la voyelle o, dont le cas est tout différent. Il y a en effet un certain nombre de mots en -omme très usités, dont les dérivés et composés, très usités aussi, ont dû conserver le son de l’m unique: co(m)ment, ho(m)mage, po(m)mier, po(m)made, so(m)met, so(m)mier, so(m)mmeil, etc., et les verbes no(m)mer, so(m)mer, asso(m)mer, conso(m)mer, avec asso(m)moir. Mais déjà som-mité ne se réduit plus guère; on dit souvent aussi som-maire et plus encore som-mation[683].
Il reste encore, outre do(m)mage, les mots composés avec com-. Ici, il y a un peu plus de mots d’usage général que de mots plus ou moins savants: on prononce un m dans co(m)mander, co(m)mencer, co(m)mère, co(m)merce, co(m)mettre, co(m)mis, co(m)mode, co(m)mun et même co(m)mende et tous{278} leurs dérivés[684]; on en prononce deux dans com-mémorer et ses dérivés, incom-mensurable, com-minatoire, com-modat, com-modore, com-motion, com-mittimus, com-muer, com-mutateur; de plus en plus aussi, malgré l’usage antérieur, dans com-mensal, com-menter, com-mentaire, com-misération, souvent même dans com-mandite, malgré co(m)mander.
Toutefois les musiciens prononcent co(m)ma et non com-ma. Pour commissure et commissoire, comme on ne peut pas doubler à la fois l’m et l’s, il y a hésitation, mais on double plutôt l’s: co(m)mis-sure.{279}
1º L’N simple.
L’n est la consonne nasale par excellence.
A la fin des mots, elle continue à n’être en français que le signe orthographique de la voyelle nasale: -an, -en, -in (-ain, -ein-, -oin) -on, -un.
Il n’y a d’exceptions à peu près françaises que les finales en -en après consonne, finales autrefois nasales comme les autres, et même en an, puis en in, mais où l’n s’est séparé de la voyelle sous l’influence de l’enseignement du latin, ces mots ayant un aspect latin: lichen, éden, pollen, cyclamen, hymen (sauf parfois à la rime), spécimen, abdomen, dolmen, etc. De tous les mots de cette finale, français ou étrangers, examen est le seul qui ait conservé ou plutôt repris chez nous uniquement le son nasal[685].
En dehors des mots français en -en après consonne, l’n final précédé d’une voyelle ne se prononce que dans des mots et dans des noms propres étrangers: en -en aussi d’abord[686]; puis en -man[687]; en{280} -in, avec des noms allemands en -ain et -ein[688]; enfin quelques mots savants et beaucoup de noms étrangers en -on[689]. La finale -oun ne peut pas être nasale[690].
Les finales en n suivi de c ou g, de t ou d ou d’s, prononcés ou non, sont également nasales, sauf les troisièmes personnes du pluriel, dont la finale est muette, sauf aussi la plupart des mots anglais en -ing et quelques noms étrangers en -ens ou -ent[691].
Dans le corps des mots, l’n n’est distinct en français que devant une voyelle[692].
Dans doña, señor, señora, malagueña, même sans le tilde qui le surmonte, il faut mouiller l’n: dogna, segnor. De même dans cañon[693].{281}
2º L’N double.
On a vu que l’n double conserve le son nasal suivi d’n simple dans les composés du préfixe en-, comme en-noblir, et dans les mots de la famille d’en-nui. Ailleurs, entre voyelles non caduques, l’n double a le son de l’n simple sans nasale, notamment après o dans les finales en -onner[694] ou -onnaire, et toutes celles qui se rattachent aux mots en -on et -onne, aussi bien que celles qui se rattachent aux mots en -en, comme doye(n)né, moye(n)nant, chie(n)ner.
L’n double ne se prononce double que dans des mots plus ou moins savants, à savoir:
1º Dans les mots commençant par ann-, sauf a(n)neau, a(n)née, a(n)niversaire, a(n)noncer et ses dérivés, et, si l’on veut, a(n)nuel, a(n)nuaire, a(n)noter et a(n)nuler; dans can-nibale, tyran-nique et tyran-niser, hosan-na, tan-nique et britan-nique;
2º Dans en-néagone, bien-nal, décen-nal ou septen-nat et autres de même famille; dans pen-non, pen-nage et empen-né, fescen-nin ou anten-nule, mais non dans he(n)né ni dans te(n)nis;
3º Dans les mots commençant par inn-, sauf i(n)nocent et sa famille, et, si l’on veut, i(n)nombrable; dans cin-name et cin-namome, min-nesænger et pin-nule;
4º Dans con-nexe et ses dérivés, con-nivence et prima don-na; dans sun-nite[695].{282}
L’N mouillé.
On sait que l’n mouillé est représenté en français par gn (ny à peu de chose près). On a vu au chapitre du G dans quels cas le g faisait une consonne distincte[696]. On a vu aussi aux chapitres de OI et AI comment l’i s’était détaché du groupe ign, signe primitif de l’n mouillé, pour se joindre à l’a ou à l’o qui précédait, remplaçant Monta-ign-e par Montai-gn-e et po-ign-ard par poi-gn-ard[697].
La prononciation de gni mouillé est assez difficile, étant à peu près nyi: il faut éviter cependant de faire entendre compa(g)nie[698], si(g)nifier, et surtout ma(g)nifique.
Les livres maintiennent encore si(g)net non mouillé; mais ce résidu d’une prononciation désuète ne peut manquer de disparaître par l’effet de l’analogie, le mot étant de ceux qu’on apprend plutôt par l’œil[699].{283}
Si le groupe gn est suivi du suffixe ier, le son est le même que si le suffixe était seulement er: guign-ier, Régn-ier.
Nous ajouterons que gn mouillé n’est jamais initial en français, sauf dans quelques mots de la langue populaire: gnaf (que quelques-uns écrivent gniaf), gnon ou gniole, gnangnan, gnognote et gnouf.{284}
A la fin des mots, dans les mots français ou entièrement francisés, le p, qui d’ailleurs y est assez rare, est ordinairement muet: dra(p), et aussi sparadra(p)[700], cam(p) et cham(p), galo(p), siro(p) et tro(p), cou(p) et beaucou(p), lou(p) et cantalou(p)[701].
Il n’y a d’exceptions que dans cap et cep[702]; naturellement aussi les interjections hop, hip, houp.
Le p se prononce naturellement dans les mots d’origine étrangère, handicap, jalap, hanap, salep, julep, midship, bishop, stop, croup et group[703].
Le p est encore muet dans tem(ps) et printem(ps), dans exem(pt), dans rom(ps) ou rom(pt) et leurs composés, dans prom(pt) et dans cor(ps).
Dans le corps des mots, devant une consonne, le p se prononce aujourd’hui. Il était muet autrefois dans les mots les plus usités, surtout devant un t[704]. Il est encore muet devant t dans un grand nombre de mots:{285}
1º Ba(p)tême et tous les mots de la famille[705]. Peut-être dit-on quelquefois baptismal, non sans une nuance de pédantisme, mais on dit toujours les fonts ba(p)tismaux;
2º Se(p)t, se(p)tième et se(p)tièmement, mais non les autres dérivés, qui sont tirés directement du latin, et gardent le p comme en latin, y compris septembre, septante et septentrion, par réaction étymologique[706];
3º Exem(p)ter, mais non exemption;
4º Com(p)te et tous ses dérivés, avec ceux de prom(pt), y compris com(p)tabilité et prom(p)titude;
5º Scul(p)ter et sa famille, malgré Domergue;
Dans che(p)tel (che et non ché), on commence à prononcer le p même dans les facultés de droit, et cela fait ché et non plus che.
Pour dompter et indomptable, la pratique et les opinions sont fort partagées. Depuis longtemps la tradition est pour imdom(p)table et surtout dom(p)ter, mais je crains fort que le p, admis mal à propos par l’Académie, ne finisse par prévaloir.
On ne supprime plus le p dans présomption, présomptif, présomptueux, consomption, symptôme, ni devant aucun autre t.
C’est le p qui conserve le mieux, quand il est double, la prononciation de la consonne simple. Il fut un temps où il n’y avait pas d’exceptions, mais nous n’en sommes plus là[707].{286}
Il y a d’abord ap-pendice et ap-pendicite, ap-pétence et ap-pétition, ap-pogiature et lip-pitude, et les composés commençant par hipp-[708].
De plus, les mots très nombreux qui commencent par ap-, op- et sup-, si peu savants qu’ils soient, sont déjà très touchés. Des mots comme a(p)pliqué ou a(p)porter sont actuellement intangibles; mais on double fréquemment le p dans ap-pâter, sinon dans a(p)pât, dans ap-préhender, dans ap-préciable et ap-proprier (moins dans a(p)proprié), et surtout dans op-probre, par emphase, et dans sup-puter, qui a l’air savant. On le double parfois même, et ceci est plutôt à éviter, dans ap-parier, ap-pauvrir, ap-pointer, ap-pontement, ap-préhension, op-portunité, voire, par emphase toujours, dans op-primer ou op-presser, parfois même dans sup-planter, sup-pléer ou sup-plique[709].
On sait que ph a partout le son de l’f: ce n’est qu’une graphie prétentieuse, à laquelle d’autres langues ont renoncé fort judicieusement[710].{287}
1º Le Q final.
Le q n’est final que dans coq et cinq.
Dans coq, il ne s’est pas toujours prononcé[711]; il n’y a plus d’exceptions aujourd’hui.
Dans cinq, au contraire, on l’a toujours prononcé (c’est la règle générale des noms de nombre), sauf, bien entendu, devant un pluriel commençant par une consonne: j’en ai cinq, le cinq mai, page cinq, cinq pour cent, cinq sur cinq, et aussi, par liaison, cinq amis, mais cin(q) francs, cin(q) cents, cin(q) mille, les cin(q) derniers[712].
2º Le groupe QU.
Dans le corps des mots, le q est toujours séparé de la voyelle qui sonne par un u, qui, en principe, ne s’entend pas[713]. Devant e et i, notamment, le c étant devenu sifflant devant ces voyelles, le rôle de la gutturale est régulièrement dévolu au groupe qu,{288} la lettre k étant peu française: éq(u)erre, q(u)estion, q(u)itter, et toutes les finales en -que.
Autrefois on adoucissait cette gutturale, comme le g, devant e et i, au point qu’on arrivait à le mouiller, et Domergue distingue nettement entre qu’il et tranquille. Cet usage n’est plus apprécié aujourd’hui, et on fera bien de l’éviter, comme pour le g[714].
De toute façon, l’u qui suit le q ne se prononce pas plus en français devant e et i que devant a et o. Toutefois, il y a encore un certain nombre de mots plus ou moins savants tirés du latin, et le plus souvent d’origine récente, où il se prononce (jamais pourtant devant un e muet); il fait alors fonction de semi-voyelle.
I. Devant E.—L’u se conserve devant e dans déliquescence, liquéfier et liquéfaction—à côté de liq(u)ide et liq(u)eur—, questeur et questure, et équestre[715].
Mais ce dernier mot est bien près de passer à ékestre, comme ont fait avant lui éq(u)erre et séq(u)estre, et tant d’autres, y compris q(u)érimonie et q(u)ercitron. D’autre part, likéfier est employé plus ou moins depuis deux siècles, et même, à l’origine, l’Académie ne connaissait pas d’autre prononciation. Enfin kesteur est loin d’être rare.
Opposons-nous à ces prononciations fautives, mais soyons bien convaincus que qué est destiné à devenir ké partout, un jour ou l’autre[716].{289}
II. Devant I.—L’u se conserve mieux dans -qui- et -quin- que dans -que-, sans doute parce que les exemples en sont restés plus nombreux.
Il est vrai qu’il ne se prononce pas non plus dans quelques mots plus ou moins savants, comme q(u)iproquo, jusq(u)iame ou aq(u)ilon, ni même dans aq(u)ilin ou sq(u)irre, ni dans une partie des mots commençant par équi-, ni dans les finales -quin et -quine, qui sont francisées jusque dans basq(u)ine ou race éq(u)ine.
En revanche, on prononce l’u:
1º Dans le latin quid, a quia, requiem, etc., avec quibus, quitus et même quidam (autrefois kidan);
2º Dans équiangle, équidistant, équimultiple, mots savants, et même équilatéral, à côté d’éq(u)ilibre, éq(u)inoxe, éq(u)ité, éq(u)ivaloir, éq(u)ivalent—autrefois éq(u)ipollent—et éq(u)ivoque;
3º Dans équisétique et équitant: quant à équitation, ce mot est dans le même cas qu’équestre, étant déjà à peu près passé à éq(u)itation;
4º Dans quiet, quiescent, quiétisme et quelquefois encore quiétude, à côté de inq(u)iétude; mais il est difficile que inkiétude n’entraîne pas définitivement kiétude;
5º Dans une partie des dérivés du latin quinque, car ne prononce pas l’u dans q(u)ine, q(u)inaire et q(u)inola, dans q(u)inconce et q(u)inquenove, dans q(u)int, q(u)inte et q(u)inze et leurs dérivés naturels, y compris q(u)intessence—et autrefois le populaire henriq(u)inq(u)iste—; mais on le prononce dans{290} quinquagénaire et tous les mots commençant par quinque—sauf q(u)inq(u)enove—, dans quintette, quintidi, quintil, quinto et même quintuple, qui est souvent écorché;
6º Dans obséquiosité et obséquieux[717]; dans obliquité et ubiquité; dans sesquialtère et quiddité;
7º Dans l’espagnol conquistador, qui a gardé l’u, à côté de q(u)ipos, liq(u)idambar et basq(u)ine, qui l’ont perdu, sans compter q(u)ina, q(u)inine ou q(u)inquina[718]. Ajoutons esquire, quand on le prononce à l’anglaise (eskouay’r).
III. Devant O et A.—Quoique le groupe qu ne soit proprement utile dans les mots français que devant e et i, on le trouve aussi devant o et a, où il s’est conservé du latin, dans des mots plus ou moins savants, comme q(u)alité, q(u)otient, à côté de carré, casser, carême, qui sont d’origine populaire. Mais du moins -quo- se prononce toujours co[719]. Au contraire, -qua- se prononce coua (kwa) dans un certain nombre de ces mots, incomplètement francisés:{291}
1º Dans le latin quater ou quatuor, sine qua non, exequatur, à côté de q(u)asi, q(u)asiment, q(u)asimodo, francisés depuis le moyen âge le plus reculé; à côté de partie aliq(u)ante, francisé lui-même aussi comme q(u)ant et ses dérivés;
2º Dans aquafortiste (et aqua-tinte, de l’italien), aquarelle, aquarium et aquatile, qui ont réagi sur aquatique, francisé autrefois;
3º Dans adéquat, équateur, équation, équatorial, mais non dans reliq(u)at;
4º Dans une partie des dérivés du latin quatuor, car nous ne prononçons pas l’u dans des mots aussi complètement francisés que q(u)adrille, q(u)art, q(u)artaut, q(u)atre, q(u)atorze, q(u)arante, et leurs dérivés naturels, y compris éq(u)arrir; mais nous le prononçons ou dans quadragénaire, et tous les mots commençant par quadr-[720], y compris quadrige, mais non q(u)adrille, dans quartette (de l’italien), quartidi, quartil et in-quarto, dans quaterne et quaternaire[721];
5º Dans loquace et loquacité, qu’on écorche parfois; dans quassier et quassia amara, colliquatif et colliquation; dans squameux et desquamation;
6º Enfin, dans quelques mots étrangers, squale, square, quaker et quakeresse, quartz et quartzeux, quattrocento, quattrocentiste et tutti quanti[722].{292}
1º L’R simple.
L’r, comme l’l, se prononce aujourd’hui régulièrement à la fin des mots. On l’articule partout, sauf dans monsieu(r) et messieu(rs), et dans la plupart des mots en -er. Ainsi char, cauchemar, boudoir, asseoir, clair, offrir, désir, zéphir, chaleur, amour, trésor, obscur, etc.[723].
Pour les mots en -er, il faut distinguer les cas avec précision.
L’r final est muet:{293}
1º Dans les innombrables infinitifs en -er[724];
2º Dans les innombrables substantifs et adjectifs terminés par le suffixe -ier: premie(r), menuisie(r), régulie(r), foye(r), etc., etc., et l’adverbe volontie(rs)[725];
3º Dans les substantifs et adjectifs en -cher et -ger, parce qu’en réalité ils appartiennent à la même catégorie que les précédents, ayant été autrefois en -chier et -gier: ils sont une trentaine environ, comme arche(r), dange(r), lége(r)[726].{294}
L’r final est au contraire sonore en principe dans les mots en -er (infinitifs à part) qui n’ont pas le suffixe -ier, et ne l’ont jamais eu, ce qui veut dire qu’ils ne sont non plus ni en -cher ni en -ger. Mais ici, les mots proprement français sont en petit nombre. Ce sont des mots où -er appartient au radical même du mot:
1º L’adverbe hier, et les adjectifs fier, tiers et cher, malgré l’i et le ch[727];
2º Fer et enfer, mer et amer, ver et hiver;
3º Les formes de quérir et de ses composés: j’acquiers, tu acquiers, requiers, conquiers, etc.[728];{295}
4º Le mot cuiller, autrefois cuillie(r), qui s’est joint à ce groupe après beaucoup d’hésitation;
5º Les mots qui sont proprement latins, quoique francisés: liber, cancer, pater, éther, magister, auster, etc., et tous les mots étrangers, francisés ou non: bitter, chester, eider, kreutzer, messer, placer, etc.[729].
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Quand le groupe er est suivi d’une consonne, même muette, et notamment d’un t, l’r n’est plus final, mais intérieur, et s’y prononce comme partout: dans haubert, offert, clerc, nerf, perd ou perds, comme dans bavard, part, je pars, corps, bourg, etc. Il n’y a d’exception que pour ga(rs)[730].
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On a vu au chapitre de l’e muet, que l’r final suivi d’un e muet tombe facilement avec l’e devant une consonne dans la prononciation rapide, quand{296} il est précédé d’une muette ou d’une des spirantes f et v: maît(re) d’hôtel. C’est une prononciation dont il ne faut pas abuser. Elle est certainement admissible dans la conversation familière, entre deux mots comme ceux-là; elle est surtout fréquente avec notre, votre et quatre: vot(re) cheval, quat(re) sous; encore faut-il excepter, comme on l’a vu, Notre-Dame, le Notre Père, où le respect a maintenu l’r, et quatre-vingts, où le besoin de clarté a joué le même rôle. Mais, dans la lecture, il vaut mieux conserver l’r partout.
La chute de l’r est particulièrement incorrecte quand la finale muette n’est pas suivie d’une consonne: du suc(re), du vinaig(re), encore qu’ils datent de fort loin, sont certainement à éviter[731].
Me(r)credi a été autrefois très correct, et Vaugelas l’approuvait[732]. Les grammairiens se sont longtemps battus là-dessus, mais la diffusion de l’instruction primaire a rétabli définitivement l’r, sans pourtant faire disparaître entièrement me(r)credi. Je ne saurais trop vivement déconseiller aujourd’hui cette prononciation, car on a une tendance à la tourner en ridicule, ainsi que celle qui double l’r dans mairerie, pour mairie[733].
2º L’R double.
Les deux r se prononcent toujours dans les futurs et conditionnels de trois verbes en -rir: quérir, courir et mourir, et leurs composés[734]. Ce qui a dû contri{297}buer tout au moins à les maintenir, c’est qu’ils empêchent la confusion du futur avec l’imparfait: je cou-rais, je cour-rai. En revanche, c’est une faute très grave que de ne pas laisser l’r simple dans les futurs ve(r)rai, enve(r)rai, pou(r)rai, et leurs conditionnels, et aussi, la bobinette che(r)ra, toutes formes pour lesquelles il n’y a pas de confusion possible: on se contente d’allonger la voyelle qui précède.
Ce cas spécial étant mis à part, l’r double se prononce assez généralement comme un seul, beaucoup mieux que ne font l ou m.
1º Cela est particulièrement sensible après un a. Les composés qui commencent par ar-, notamment, ne font entendre qu’un r, sauf quelquefois, par exemple, dans ar-racher, ar-rogance, ou ar-roger[735]. On n’y peut guère ajouter que des mots comme far-rago ou mar-rube, qui sont à peine français, et, trop souvent, nar-ration, nar-rateur, inénar-rable, et même nar-rer, qui auraient pu être respectés.
2º Après e, l’r double est un peu plus atteint qu’après a. Ainsi, quoique fe(r)rer, fe(r)raille et tous les autres ne laissent entendre qu’un r, on en prononce quelquefois deux dans fer-rugineux, qui a un air plus savant. Dans tous les dérivés de terre, et ils sont nombreux, on n’entend qu’un r, et pourtant on en prononce parfois deux dans ter-restre, et même dans le vieux mot ter-raqué. Malgré ve(r)rue, ve(r)ruqueux reste douteux. Inte(r)roger et inte(r)rompre sont à peu près intacts; mais on entend souvent inter-rogation, inter-ruption, inter-rupteur, à côté d’inter-règne. Des mots d’usage très courant, et qui{298} n’ont aucune apparence savante, sont parfois atteints. Ainsi les deux r d’aber-ration, er-rata ou er-ratique, ont réagi sur er-roné, er-rer et même er-reur[736]. De même ter-roriser, ter-roriste, ter-rifier, ont réagi sur ter-rible et même ter-reur, où l’emphase d’ailleurs explique ou excuse le double r[737].
3º Nous savons que les mots commençant par ir- font entendre les deux r, même ir-riguer et ir-riter, qui n’ont pas le sens privatif. Toutefois, i(r)riter ou i(r)ritation sont encore parfaitement corrects. On dit naturellement cir-rus, cir-ripède et pyr-rhique.
4º Parmi les mots commençant par cor-, on ne prononce qu’un r dans co(r)ridor, co(r)riger ou inco(r)rigible, co(r)royer et co(r)roi, ordinairement aussi dans co(r)respondre et ses dérivés et dans co(r)rompre. Mais ces derniers mots sont déjà atteints depuis longtemps, surtout dans le participe cor-rompu, et l’on entend généralement deux r dans tous les mots où figure le radical corrupt-; de même dans ceux où figure le radical correct- (avec cor-régidor), en outre dans cor-rélatif, cor-roborer, cor-roder ou cor-rosif. D’autre part, on dit fréquemment hor-reur, hor-rible et abhor-rer, par emphase, comme ter-reur et ter-rible, et toujours hor-ripiler. On dit aussi tor-réfier et tor-ride; et tor-rentiel réagit parfois même sur tor-rent. Je ne parle pas de mots tels que bor-raginées ou por-rection. On notera que l’r reste pourtant{299} simple, même dans des mots savants comme hémo(r)ragie ou hémo(r)roïdes.
5º Après ou, l’r simple se maintient: cou(r)roie, cou(r)rier, cou(r)roux, pou(r)rir. Encore cou(r)roucé n’est-il pas intact[738].
6º L’r simple se maintient aussi tant bien que mal, plus mal que bien, dans résu(r)rection; plus mal encore dans insu(r)rection, presque plus dans concur-rent et ses dérivés. On dit naturellement scur-rile, sur-rénal et vase mur-rhin[739].{300}
1º L’S final.
A la fin des mots, en principe, l’s ne se prononce plus en français depuis fort longtemps. Pour l’s du pluriel, notamment, il n’y a pas d’exceptions[740].
Les exceptions sont, au contraire, assez nombreuses pour l’s qui n’est pas la marque du pluriel, et alors il a toujours le son dur ou sourd.
1º Après un a, il y a très peu d’exceptions dans les mots proprement français. Je n’en vois même que deux: l’une pour le monosyllabe as, terme de jeu, et par suite ambesas: la prononciation a(s) est purement dialectale; l’autre pour les interjections las, hélas, qui n’en font qu’une. Quant à atlas, stras, hypocras, ce sont en réalité des noms propres.
Les autres exceptions sont des mots grecs, latins ou étrangers: Deo gratias, per fas et nefas, habeas corpus, pancréas, lias et trias, flint glas, christmas, papas, lépas, upas, lampas (s’humecter le), madras, abraxas, alcarazas, vasistas, ou le provençal mas[741].
On hésite aujourd’hui pour vindas, autrefois guin{301}das, d’ailleurs peu usité; mais on ne prononce plus l’s, ni dans les noms d’étoffes, jacona(s), lampa(s), ginga(s) ou dama(s), celui-ci malgré l’étymologie; ni dans balandra(s), sassafra(s), matra(s) ou tétra(s), ni enfin dans pampa(s), où l’s n’est que la marque du pluriel, dans un mot d’ailleurs francisé[742].
Après oi, l’s ne se prononce jamais: boi(s), parfoi(s), courtoi(s), etc. L’s même de troi(s), longtemps sonore, comme la consonne finale de tous les noms de nombre, a fini par s’amuir.
2º Après un e, l’s ne se prononce que dans pataquès, altération de pat-à-qu’est-ce[743]; dans des mots{302} latins ou grecs: facies, aspergès, hermès, palmarès, herpès, faire florès, népenthès; dans les mots étrangers: aloès et cacatoès[744], kermès, xérès, londrès, cortès[745].
On ne doit donc pas plus prononcer l’s dans profè(s) que dans progrè(s), succè(s) ou prè(s). Il se prononce aujourd’hui, à grand tort d’ailleurs, dans ès lettres, ès sciences et autres expressions analogues, où figure un pluriel[746].
Après ai, comme après oi, l’s ne se prononce jamais: jamai(s), j’aimai(s), etc.[747].
3º Après un i, les exceptions sont plus nombreuses qu’après a ou e.
L’s s’est maintenu ou définitivement rétabli depuis plus ou moins longtemps dans maïs, jadis, fi(l)s et lis (y compris fleur de lis le plus souvent, malgré l’Académie); dans métis, cassis, vis (substantif) et tournevis[748]. La prononciation de ces mots sans s est tout à fait surannée; on ne peut plus la conserver que pour les nécessités de la rime, et encore![749].{303}
Les autres mots où l’s se prononce sont des mots grecs ou latins: bis (ne pas confondre avec l’adjectif), ibis, de profundis, volubilis, in extremis, tamaris, iris, ex libris, corylopsis, oasis, mitis, gratis, myosotis; ou des mots étrangers: maravédis (et encore pas toujours), tennis, et les vieux jurons gascons cadédis ou sandis[750].
On peut y joindre spahis. Les dictionnaires ont conservé spahi, qui est assurément plus correct, étant un doublet de cipaye, et Loti s’en est contenté; mais l’armée d’Afrique a souvent dit spahis; c’est un fait, et comme il convient d’appeler les gens comme ils s’appellent eux-mêmes, je crois qu’on peut dire spahis plutôt que spahi, malgré l’autorité de Pierre Loti[751].{304}
4º Après eu, l’s final ne se rencontre que dans des mots grecs et il s’y prononce; mais il n’y a de nom commun employé parfois que basileus[752].
5º Après o, le seul mot de la langue vulgaire où l’s se prononce est os; encore n’est-ce tout à fait correct qu’au singulier[753].
Les autres mots où l’s se prononce sont parfois d’origine latine, comme salva nos ou nescio vos, ou étrangère: albatros, puis albinos et mérinos, pluriels devenus singuliers, ainsi que le gascon escampativos[754].
Presque tous sont d’origine grecque: atropos, paros, cosmos, tétanos, rhinocéros, ithos et pathos, lotos et autres mots savants[755].
6º Après ou, l’s se prononce dans le monosyllabe tous, non suivi de l’article ou d’un substantif devant{305} lequel l’article est sous-entendu, autrement dit quand tous est accentué: ils viendront tous, tous viendront, un pour tous et tous pour un, tous debout et même tous soldats, soldats étant ici une apposition; on dira au contraire tou(s) les hommes, ou tou(s) soldats qui...
Cette distinction très nette empêche toute confusion entre ils ont tous dit et ils ont tou(t) dit, ils sont tous fiers et ils sont tou(t) fiers, ils savent tous ce qu’on a dit et ils savent tou(t) ce qu’on a dit; mieux encore, entre nous connaissons tous les livres de... et nous connaissons tou(s) les livres de...
L’s se prononce aussi dans les mots arabes burnous et couscous, et dans négous, écrit aussi négus[756].
7º Après un u, l’s final se prononce surtout dans un très grand nombre de mots latins ou qui peuvent passer pour tels: angelus, cactus, calus, carolus, chorus, convolvulus, crocus, détritus[757], eucalyptus, fœtus, hiatus, humus, in manus, in partibus, lapsus, mordicus, omnibus, papyrus, orémus, prospectus, rébus, rictus, sénatus-consulte, sinus et cosinus, typhus, virus, etc., dans blocus et négus, mots étrangers, sans parler des mots familiers qui se sont formés sur l’analogie des mots latins, comme laïus, motus, olibrius, quitus ou rasibus, avec gibus.
Dans les mots proprement français, l’s ne se prononce pas[758]. Obus lui-même, où l’s se prononce{306} régulièrement avec le son doux (obuse), peut-être par l’analogie d’obusier, s’est si bien francisé que dans l’armée on prononce régulièrement obu, qui est donc devenu la meilleure prononciation. La seule prononciation qui ne vaille rien du tout, c’est obusse.
Pourtant l’s se retrouve dans deux ou trois mots.
Quoique l’s d’abu(s) ne se prononce pas, le monosyllabe us paraît avoir repris assez généralement le sien, sans doute en qualité de monosyllabe réduit à une voyelle, et pour s’élargir un peu; mais ce mot ne s’emploie guère que dans l’expression us et coutumes, où la liaison se fait tout aussi bien avec un s doux: u(s) zet coutumes.
D’autre part, la prononciation de plus est assez délicate et assez variable.
On ne prononce jamais l’s dans la négation ne... plu(s): je n’en veux plu(s) et de même sans plu(s)[759]; ni dans les comparatifs ou superlatifs: plu(s) grand, le plu(s) grand, plu(s) justement, j’ai plu(s) fait que vous ne pensez, une plu(s)-value; ni devant de, dans tous les sens: plu(s) de monde, plu(s) d’amour; ni quand il est répété: plu(s) j’en ai, plu(s) j’en veux, ou opposé à moins: plu(s) j’en ai, moins j’en veux, ou ni plu(s) ni moins[760].
Mais quand plus est suivi immédiatement de que, on prononce volontiers l’s, sauf après pas ou d’autant: pas plu(s) que vous, d’autant plu(s) que je ne sais si..., mais j’ai fait plu(s) ou plus que vous ne pensez, j’ai cinq ans de plu(s) ou de plus que lui.
On le prononce aussi quand plus est séparé par que d’un adjectif ou d’un adverbe: plus que content, à côté de plu(s) content; plus qu’à moitié, à côté de plu(s) d’à moitié; mais surtout on prononce régulière{307}ment et nécessairement l’s de plus-que-parfait, malgré la résistance de beaucoup d’instituteurs et d’institutrices: plu(s)-que-parfait est tout à fait suranné.
On prononce également l’s dans les opérations de l’arithmétique ou de l’algèbre: le signe plus, deux plus deux égalent quatre, plus par plus donne plus.
Enfin, d’une façon générale, sauf dans ne... plu(s) et de plus en plu(s), il y a une tendance à prononcer l’s quand plus est final. A vrai dire, rien de plu(s) vaut mieux que rien de plus, sans doute à cause de la négation; et dans le style tragique, je te dirai bien plu(s), il y va de bien plu(s), semblent encore s’imposer; mais on dira très bien, surtout dans le langage familier, il y a plus ou trois jours au plus; on dira même nécessairement: plus... un lit, et même, quoique moins bien, de plus... un lit, ou de plus, je n’en crois rien, ou encore après mille ans et plus, sauf en vers, s’il y a une suite:
L’analogie de plus s’est exercée sur sus, dont on prononce souvent l’s dans en sus, comme dans en plus. Mais à part l’expression en sus, le mot est généralement suivi de a, ce qui amène une liaison; il en résulte que beaucoup de personnes prononcent courir sus avec l’s, mais c’est une prononciation discutable[761].{308}
8º Après les voyelles nasales, l’s final n’est pas moins muet qu’après les voyelles orales: dan(s), céan(s), san(s), gen(s), repen(s), consen(s), plain(s), étein(s), tien(s), vien(s), moin(s), aimon(s), etc. Il faut donc éviter moinsse avec le plus grand soin, et aussi gensse[762].
Pourtant le mot sens a repris peu à peu son s dans presque tous les cas: bon sen(s) ou contresen(s), qui ont résisté longtemps, ont à peu près disparu[763]; sen(s) commun lui-même, qui s’est conservé plus longtemps et tient encore, sans doute parce que la prononciation de l’s y est entravée par la consonne qui suit, est déjà néanmoins fort atteint, et sans doute destiné à disparaître. Il ne restera bientôt plus que sen(s) dessus dessous et sen(s) devant derrière, qui justement sont sans rapport avec sens[764].
On prononce également l’s dans mons pour monsieur, dans le mot savant cens, dans le vieux mot ains, et dans les mots latins où en sonne in: gens, delirium tremens, sempervirens, etc., sur l’analogie desquels Labiche a formé labadens[765].{309}
9º Après les consonnes, il faut distinguer, suivant la consonne qui précède.
Quand l’s est séparé de la voyelle par une consonne non articulée, il ne se prononce pas non plus: ga(rs), la(cs) et entrela(cs), poi(ds), le(gs) et me(ts), pui(ts), pou(ls), tem(ps) et défen(ds), rom(ps) et fon(ds), cor(ps) et remor(ds)[766].
Ceux même qui prononcent à tort le g de le(gs) ne vont pas jusqu’à prononcer l’s. La seule exception est fi(l)s, que nous avons vu à l’i.
En revanche, à part cor(ps), le groupe final ps se prononce toujours entier, parce qu’il n’appartient pas à des mots proprement français: laps et relaps, schnaps, reps, seps, biceps, princeps, forceps, éthiops et anchilops.
On articule aussi intégralement rams et aurochs (aurox). On notera seulement la tendance qui se manifeste, notamment chez Victor Hugo, à remplacer aurochs par auroch: en ce cas, le pluriel se prononce{310} comme le singulier; mais c’est aurochs qui est le vrai mot[767].
D’autre part, quand l’s est séparé de la voyelle par un r, l’r se prononce toujours[768]; mais l’s ne se prononce pas: univer(s), alor(s), toujour(s), ailleur(s), etc. Il faut éviter avec grand soin de prononcer alorsse, quoiqu’on prononce l’s dans le composé lorsque. Le substantif cour(s) se prononce de même sans s.
Il y a pourtant trois exceptions: le mot mars a repris son s depuis longtemps[769]; les mots mœurs et ours ont repris le leur au dernier siècle, et il n’est plus possible de le supprimer qu’en vers, pour l’harmonie, et surtout quand la rime l’exige[770].{311}
2º L’S intérieur.
Dans le corps des mots, l’s se prononce presque toujours, mais quand il se prononce, il est tantôt dur ou sourd, ce qui est le son normal, tantôt doux ou sonore.
I.—Devant une consonne, l’s se prononce partout en principe, et toujours ou presque toujours avec le son dur: les s qui ne se prononçaient pas ont en effet disparu de l’orthographe. Il se prononce ainsi même à la fin des mots: fisc, busc, musc et les mots en -st[771].
Mais tous ces mots où l’s se prononce devant une consonne sont en réalité des mots d’emprunt, ou bien des mots que l’orthographe a altérés en y restaurant un s autrefois muet[772].{312}
Par analogie, l’s se prononce depuis longtemps même dans lorsque, presque, puisque, malgré l’étymologie lor(s), prè(s), pui(s), parce que les éléments se sont fondus en un mot unique, comme dans jusque; mais tandi(s) que n’est pas dans le même cas, les composants étant encore distincts: il vaut donc mieux éviter d’y prononcer l’s.
L’s se prononce aussi dans susdit, qui s’écrit en un seul mot, mais non dans sus-tonique et sus-dominante, qui s’écrivent en deux. Il me paraît choquant dans susnommé et susmentionné, qui pourraient bien se prononcer comme les précédents.
Dans les mots composés commençant par les articles les et des ou l’adjectif possessif mes, ces monosyllabes sont demeurés distincts, et l’s ne s’y prononce pas: le(s)quels, de(s)quels, me(s)dames[773].
Il y a aussi un mot simple où l’s intérieur, muet devant une consonne, a été conservé dans l’écriture, probablement par oubli, tous ceux qui étaient dans le même cas ayant été éliminés: c’est cheve(s)ne, résidu singulier d’une orthographe disparue[774].{313}
Aux mots commençant par un s suivi d’une sourde, c, p, t, le peuple, surtout dans le Midi, ajoute volon{314}tiers l’e prosthétique des grammairiens: estatue. Cela n’est sans doute point à imiter[775].
Dans le groupe sc, qu’on ne trouve que dans les mots relativement récents ou qui ont repris des lettres abolies, les deux consonnes se prononcent sans difficulté devant a, o, u: es-cargot, es-compte, scolaire, sculpture.
Devant e et i, on entend généralement deux s: as-cète, trans-cendant, las-cif, res-cinder[776].
Toutefois on ne peut entendre qu’un s en tête des mots: un s(c)eau, une s(c)ie[777]. On n’entend qu’un s aussi (ou un c) à l’intérieur d’un certain nombre de mots: d’abord ob(s)cène et ob(s)cénité, où il est difficile de faire autrement; puis fa(s)cé, de fa(s)ce, terme de blason[778]; de(s)cendre et ses dérivés; con(s)cience et ses dérivés, quoiqu’on entende généralement deux s dans es-cient, pres-cience et cons-cient; enfin di(s)ciple et di(s)cipline avec ses dérivés; et l’on peut encore y joindre, si l’on veut, a(s)censeur et a(s)cension{315} (surtout la fête), di(s)cerner et di(s)cernement, su(s)ceptible et su(s)citer.
Nous avons vu déjà que l’s prenait naturellement le son doux du z, par accommodation, devant une douce, b, d, g, v et j: sbire et presbyte, pélasgique et disjoindre, transgresser, svelte ou transversal. C’est là un phénomène spontané pour lequel il ne faut aucun effort, aucune étude[779]. L’s prend souvent aussi le même son dans les mots en -isme comme rhumatisme (izme) ou même en -asme; mais ceci s’impose beaucoup moins[780].
II. Entre consonne et voyelle, l’s est encore dur en principe.
Il est dur notamment après un r: sur-seoir et sur-sis (et non surzis), traver-sin, subver-sif, etc.; mais il est doux dans jersey[781].
Il est doux entre l et a, dans balsamique et les mots de cette famille[782].
On a vu que l’accommodation changeait le b en p dans les mots qui commencent par abs- et obs-, et aussi subs-, mais sauf devant i. En effet, dans subsister, l’accommodation paraît être plus souvent{316} régressive, c’est-à-dire que c’est la seconde consonne qui s’accommode à la première: subzister plutôt que supsister, et de même subzistance, sans doute par l’analogie de désister, exister et résister, dont nous allons parler dans un instant[783].
Il en est de même le plus souvent dans subside et subsidiaire[784].
Au contraire, c’est le b qui se change normalement en p dans abside et dans subséquent[785].
III. Entre deux voyelles dont la première n’est pas nasale, l’s prend régulièrement le son doux, quelle que soit l’étymologie: rose, vase, cytise, basilique, vasistas, philosophe, misanthrope, etc.[786]. Il prend le son doux même dans les préfixes à s final dés- et més-, et cela peut passer pour une liaison naturelle: dés-unir, dés-armer, més-user, més-intelligence, etc.[787]. Pourtant l’s est resté dur dans dys-enterie et dys-entérique[788].
L’s prend encore le son doux, et ceci pourrait surprendre, dans dé-signer et se dé-sister (sans parler de désoler), et généralement après les préfixes ré- et pré-: ré-server et pré-server, ré-sider et pré-sider, ré-solution, ré-sonance, ré-sumer et pré-sumer, pré{317}sage, pré-somption, etc. Cela tient à ce que, dans ces mots, le simple a disparu, ou bien il est resté avec un sens très différent: dans les deux cas, le composé est traité comme un mot simple.
Il en est de même du mot abasourdir, où l’élément sourd a pu être méconnu, et par l’absence d’un préfixe usité, et à cause du sens abstrait qu’a pris le mot.
Néanmoins, l’s reste dur dans certains cas, avec ou sans préfixe, et beaucoup plus souvent qu’on ne croit:
1º Après les préfixes pré-, ré- et dé- eux-mêmes, dans pré-séance et pré-supposer, sans doute parce qu’ici le simple est trop connu pour s’altérer; dans pré-su (le mot est dans Pascal); dans ré-section et ré-séquer, dé-suet et dé-suétude, qui gardent la prononciation du latin.
2º Et cette fois sans exception, à la suite de toute une série de préfixes qui restent toujours distincts du mot principal: a-, dans a-septique, a-symétrie ou a-symptote; para-, dans para-sélène et para-sol (malgré l’s doux de para-site, vieux mot dont le simple n’existe pas); contre- et entre-, dans contre-sens, contre-seing, contre-signer et contre-sol, s’entre-secourir ou s’entre-suivre, et entre-sol; anti-, dans anti-social ou anti-septique; co- et pro-, dans co-seigneur, co-signataire, co-sinus ou co-sécante, et pro-secteur; uni-, bi- et tri-, proto- et deuto-, etc., dans uni-sexuel et une foule de composés chimiques, botaniques ou même mathématiques[789]; plusieurs autres encore, qui marquent également le nombre, surtout dans le vocabulaire grammatical: mono-syllabe et mono-syllabique, tétra-syllabe, déca-syllabe, etc., poly-syllabe et poly-synodie, pari-syllabique et impari-syllabique[790].{318}
3º Dans quelques mots composés à éléments mal soudés, quoique liés dans l’écriture: tournesol et girasol, soubresaut, havresac, vraisemblable et vraisemblance, présalé, vivisection, gymnosophiste, idiosyncrasie, petrosilex, sanguisorbe, etc.[791].
4º Dans quelques mots simples, exclusivement savants et techniques, où l’on conserve la prononciation d’origine, comme thésis ou basileus.
5º Dans une onomatopée comme susurrer, susurrement, que les dictionnaires altèrent fort mal à propos[792].
6º Enfin dans quelques mots étrangers plus ou moins employés, l’adoucissement de l’s entre deux voyelles étant propre au français: ainsi le grec kyrie eleison, ou l’italien impresario, à demi francisé d’ailleurs, puisqu’on nasalise im[793]. Pourtant l’s s’est adouci dans l’espagnol brasero et l’italien risoluto ou fantasia, apparemment par l’analogie de brasier, résolution, fantaisie[794].{319}
IV. Entre une voyelle nasale et une autre voyelle, l’s reste dur, parce qu’autrefois l’n se prononçait: anse, penser, pension, encenser, insigne, considérer, etc., et même insister, malgré l’s doux de résister et des autres.
Toutefois, avec le préfixe trans-, on a encore un phénomène de liaison, comme avec dés- et més-, et c’est un z qu’on entend, sans exception, dans transalpin, transaction, transatlantique, transiger, transit, transitaire, transitif, transition, transitoire, transhumer et transhumance.
Mais l’s du substantif transe est nécessairement dur, comme dans toutes les finales en -anse, et il se maintient encore dur tant bien que mal dans transi et transir, très fréquemment altérés par le voisinage de transit. Transept a aussi l’s dur, étant pour transsept[795].
On entend quelquefois, mais à tort, l’s doux dans in-surrection, par analogie avec résurrection.
Enfin l’s est doux dans nansouk[796].{320}
3º L’S double.
L’s double final se prononce comme l’s dur, mais il abrège la voyelle qui précède: ray-grass, mess, express, miss, etc.
L’s double intérieur, qui n’a jamais le son doux, représente d’abord assez souvent un s simple, qu’on a doublé après un e dans certains composés, uniquement pour empêcher que le son doux ne remplace mal à propos le son dur, entre deux voyelles.
Nous avons vu tout à l’heure qu’après é fermé on se contentait souvent d’un seul s en pareil cas, malgré le danger d’adoucissement: pré-séance, dé-suet; mais on écrit avec deux s, et peu de logique, pre(s)sentir et pre(s)sentiment[797].
Après un e muet, un seul s a suffi encore, dans quelques composés cités plus haut, comme entresol, havresac ou soubresaut; mais on met deux s à re(s)saut et à re(s)sauter, et partout après le préfixe re-, dans les mots de la langue écrite: re(s)sembler, re(s)sentir, re(s)sort, re(s)source, etc.[798], ainsi que dans de(s)sus et de(s)sous, sans compter re(s)susciter, dont l’e est fermé. Je ne sais si cet emploi de l’s double après le préfixe re- est très heureux, car s’il fait respecter le son de l’s, en revanche il fait altérer malencontreusement à beaucoup de personnes la pronon{321}ciation de l’e muet lui-même, et le mal n’est guère moindre[799].
Il va sans dire que dans tous ces mots, que l’e soit fermé ou muet, on ne peut prononcer qu’un seul s, puisque l’s ajouté n’y est en quelque sorte qu’un signe orthographique conventionnel, destiné à maintenir le son dur ou sourd.
Mais on peut aller plus loin, et dire qu’en français, d’une façon générale, entre deux voyelles, l’s simple est un s doux et l’s double un s dur.
Cette distinction très nette a peut-être contribué à maintenir généralement la prononciation d’un s simple quand il y en a deux. Toujours est-il que l’s double se prononce simple beaucoup plus souvent que les liquides l, m, n, r, malgré la tendance générale que nous avons signalée si souvent. Il est rare qu’on prononce deux s dans les mots d’usage courant, qui sont très nombreux, et peut-être même ne l’a-t-on jamais fait dans les mots tels que a(s)seoir, pa(s)sage, va(s)sal, ma(s)sacre, e(s)sai, e(s)suyer, me(s)sie, me(s)sage, i(s)su, bo(s)su, fau(s)saire, bou(s)sole, hu(s)sard, etc. L’s reste simple notamment dans tous les composés de des-, comme de(s)saler, de(s)serrer, de(s)souder, et dans tous les mots en -seur, -sion, -soir ou -soire, quelle que soit la voyelle précédente: embra(s)seur, oppre(s)seur, régi(s)seur ou endo(s)seur, pa(s)sion, pre(s)sion, commi(s)sion ou percu(s)sion, pre(s)soir ou acce(s)soire.
Il y a pourtant des exceptions, cela va sans dire aussi notamment pour les préfices as- et dis-[800].{322}
1º Le préfixe as- étant plus populaire que savant, dans tous les composés, sauf as-similer et ses dérivés, on devrait ne prononcer qu’un s[801]. Toutefois, je ne vois guère que a(s)saut, a(s)sembler et a(s)semblage, a(s)seoir, a(s)siéger, a(s)siette et a(s)sise, a(s)sez, a(s)surer et ses dérivés, qui soient à peu près intacts. Les plus atteints sont as-sagir, as-sainir, as-sécher, as-séner (pour a(s)sener), as-sentiment, as-sermenté, assertion, as-servir, as-sidu et as-siduité, as-signer et as-signation, as-sombrir, as-somption, as-sonance, as-sourdir, as-souvir et as-sumer. Mais pas plus dans ceux-là que dans les autres, il n’est indispensable de prononcer deux s.
2º Au contraire, le préfixe dis- étant expressément un préfixe savant, les composés font entendre généralement deux s. Il n’y a d’exception incontestable que pour di(s)siper et ses dérivés et di(s)soudre[802]; mais on fera bien de prononcer aussi avec un seul s di(s)solu[803], di(s)serter et di(s)sertation, di(s)simuler et di(s)simulation[804], voire même di(s)séminer, di(s)sension ou di(s)sentiment, ces mots étant d’un usage fort général[805].
3º Aux préfixes as- et dis- on peut ajouter intus- et trans-, dans intus-susception, trans-sudation ou trans-substantiation.
4º Il n’y a plus qu’un certain nombre de mots plus{323} ou moins savants où l’on prononce deux s: as-sa fœtida, pas-sible et impas-sible, pas-sif et ses dérivés (sauf en grammaire) et pas-siflore, clas-sification et quelquefois clas-sique, et aussi juras-sique[806];—tes-sère et pes-saire, es-sence (au sens figuré) et ses dérivés, inces-sible et immarces-sible, et les composés en pres-sible; congres-siste et progres-siste, qui, avec proces-sus, réagissent sur progres-sif, proces-sif et quelques mots en-essif; mes-sidor, ses-sile, pes-simiste et pes-simisme, et au besoin es-souflé ou es-saimer;—les mots en is-sible et leurs dérivés, et, si l’on veut, les mots en is-sime et is-simo, avec commis-soire, fis-sipare et fis-sipède, et bys-sus, auxquels on joint quelquefois fis-sure et bis-sextile;—enfin glos-saire, os-sature, os-sification, os-suaire et quelquefois os-seux, avec fos-sile et opos-sum[807].
*
* *
Nous savons que le groupe anglais sh équivaut au ch français à toute place: shelling, shocking ou shampoing, english, mackintosh ou stockfish[808]. A la vérité fashion se prononçait aussi bien fazion à la française, que facheune, à l’anglaise, et de même{324} fashionable; mais ces deux mots sont tout à fait tombés en désuétude.
C’est aussi au ch français que correspondent le groupe germanique sch[809], le danois sj, le polonais sz et l’s hongrois[810].{325}
1º Le T final.
A la fin des mots, le t, comme l’s, en principe ne se prononce pas: acha(t), avoca(t), étroi(t), bonne(t), livre(t), tombai(t), crédi(t), peti(t), calico(t), tripo(t), prévô(t), défau(t), ragou(t), institu(t), cha(t)-huan(t), vacan(t), accen(t), événemen(t), sain(t), poin(t), fron(t), défun(t), dépar(t), concer(t), transpor(t), meur(t), accour(t), etc., etc.[811]. Les exceptions sont même beaucoup plus rares que pour l’s parmi les mots proprement français. Naturellement elles affectent surtout des monosyllabes, qui sont en quelque sorte renforcés ou élargis par cette prononciation.
1º Après a, il n’y a que les adjectifs fat et mat, avec les termes d’échecs mat et pat; adéqua(t) et immédia(t) n’en sont plus, ni opia(t), quoique l’Académie ait encore maintenu le t en 1878.
Il faut ajouter cependant les mots latins, exeat, fiat, stabat, magnificat, vivat, qui ne sont pas en voie de se franciser dans la prononciation; on entend bien parfois des viva(ts), mais c’est une fâcheuse analogie, amenée sans doute par le pluriel[812].
Après oi, il n’y a rien, pas plus doi(gt) que adroi(t) ou pourvoi(t). Toutefois, quand soit est employé seul,{326} on fait volontiers sonner le t, pour renforcer le mot, comme on l’a déjà vu ailleurs.
2º Après e, il n’y a que net, fret et se(p)t.
Pour net, il ne saurait y avoir de discussion[813].
Pour fret, tous les dictionnaires maintiennent fre(t). Ils pourraient peut-être se corriger, parce que la marine marchande ignore absolument cette prononciation: or quel est l’usage qui doit prévaloir ici, sinon précisément celui de la marine marchande?
Enfin, pour se(p)t, il faut naturellement dire sè devant un pluriel commençant par une consonne: se(pt) sous, se(pt) cents, se(pt) mille[814]. Malheureusement nos cuisinières, marchands et comptables ne connaissent guère d’autre prononciation que se(p)t, en toute circonstance, sous le fallacieux prétexte que l’on pourrait confondre se(pt) sous et se(pt) cents avec seize sous et seize cents! Et leur prononciation a passé peu à peu de la cuisine à la salle à manger, du comptoir au salon. Essayons encore de réagir si nous pouvons, mais je crains fort qu’il ne faille bientôt céder sur ce point[815].
A net, fret et se(p)t on fera bien de ne pas ajouter juillet, pas plus qu’alphabet, la prononciation du t dans ces mots étant surannée ou dialectale. Quant à{327} cet, il ne s’écrit que devant une voyelle, et nécessairement il se lie.
On prononce naturellement le t dans quelques mots latins ou étrangers: et cetera[816], hic et nunc, hic jacet, licet, tacet, claret, et water-closet; mais débe(t) et place(t) sont francisés depuis fort longtemps; croque(t), cricke(t), ticke(t) le sont aussi, et même pick-pocke(t), et souvent water-close(t)[817].
Après ai, il n’y a pas d’exceptions, sauf une tendance très marquée à faire sentir le t du substantif fait, au singulier, surtout quand il est final ou accentué: en fait, au fait, par le fait, voie de fait, voici le fait, il est de fait, je mets en fait, je l’ai pris sur le fait, c’est un fait, et même c’est un fait constant, c’est le fait d’un honnête homme, le fait de mentir, le fait du prince; mais on ne doit jamais faire sentir le t au pluriel, ni dans fait divers, singulier identique au pluriel, ni dans en fait de ou tout à fait.
3º Après i, le t sonne encore presque toujours dans les mots qui viennent de mots latins en -itus et -itum: coït, introït, obit, bardit, aconit, rit (même mot que rite), prétérit, prurit et transit; mais on a cessé généralement de le prononcer dans subi(t) aussi bien que dans gratui(t). Il en est de même dans ci-gî(t). On le{328} prononce encore le plus souvent dans granit, mais grani(t) se répand.
On le prononce aussi, naturellement, dans huit, avec la seule restriction, toujours la même, des pluriels commençant par des consonnes: page huit, in-dix-huit, le huit mai, et aussi, par liaison, huit hommes, mais hui(t) sous, hui(t) cents, hui(t) mille[818].
Enfin il doit toujours sonner dans les mots latins, francisés ou non, dans accessit, satisfecit et même déficit, malgré l’usage de quelques personnes, aussi bien que dans incipit, sufficit, explicit, exit et affidavit, ainsi que dans vooruit et dead-heat[819].
4º Après o, le t ne sonne plus aujourd’hui que dans dot, où il ouvre l’o, bien entendu. Cette exception paraît venir de ce que le mot avait autrefois deux formes, un masculin do(t) et un féminin dote (cf. aubépin et aubépine); le féminin se serait ici conservé avec l’orthographe du masculin. C’est d’ailleurs le seul mot en -ot qui soit féminin. Quoi qu’il en soit, la prononciation do(t) est aujourd’hui particulière au sud-ouest[820].
5º Dans les finales -aut et -ault, le t ne sonne jamais[821]; pas davantage dans -eut, ni dans -out et -oult,{329} les mots étrangers, lock-out, vermout, knout, raout et stout, mais non racahou(t).
Surtout il ne doit pas plus sonner dans (a)oû(t) que dans debou(t), malgré l’usage de quelques provinces[822].
6º Après u, le t final sonne toujours dans un certain nombre de mots savants: azimut, cajeput, occiput, sinciput et comput, avec ut et caput; quelquefois aussi, mais à tort, dans scorbu(t) et précipu(t); de plus, dans les interjections chut et zut, et dans les monosyllabes lut, rut et brut[823]. La province y ajoute généralement un autre monosyllabe, but, malgré débu(t), mais à Paris on prononce toujours bu(t)[824].
7º Après les voyelles nasales (les mots en -ant et -ent sont particulièrement innombrables), le t ne sonne pas plus en français qu’après les voyelles orales, même si une autre consonne s’intercale, comme dans exem(pt), vin(gt), prom(pt), rom(pt), corrom(pt), interrom(pt).
Il a longtemps sonné dans ving(t), comme sonnaient l’s et l’x de trois et deux, conformément à l’usage de tous les noms de nombre; c’est aussi incorrect aujourd’hui que le serait cente pour cen(t), qui ne semble pas avoir jamais été dit. Toutefois le t de vingt sonne encore dans vin(g)t et un, par liaison, et aussi dans vin(g)t-deux, vin(g)t-trois, etc., malgré la con{330}sonne qui suit, soit par un souvenir de vin(g)t et deux, vin(g)t et trois, où se faisait la liaison, soit plutôt par analogie avec trente-deux, quarante-quatre, cinquante-sept, etc. Mais il ne sonne pas dans quatre-vin(gt)-un, -deux, -trois, etc., et cela se comprend: s’il sonnait par exemple dans quatre-vingt-trois, ce serait quatre fois vingt-trois, et non quatre fois vingt plus trois; il y a des siècles que cette distinction a été faite inconsciemment. Il est vrai que tous ces t, devant deux, deviennent nécessairement des d: vind deux; ce n’est pas une raison cependant pour prononcer vin(g)te-deux[825].
Le t sonne encore dans quelques mots étrangers, comme cant ou pippermint[826].
8º Restent les consonnes. Le t ne sonne pas après un r: écar(t), exper(t), ressor(t), cour(t), et aussi heur(t), où il a longtemps sonné; spor(t) lui même est francisé, et dog-car(t) à peu près; mais flirt garde son t, même quand on le francise[827]. En revanche, le t sonne après et avec les consonnes c, l, p, s.
Pour les mots en -ct, nous avons vu plus haut qu’il ne fallait plus excepter que les mots en -spect, ami(ct) et instin(ct), mais non exact, abject, verdict, district, succinct et distinct, ni aucun autre[828].{331}
Les mots en lt ne sont pas des mots français: cobalt, malt, smalt, spalt, veldt, volt, sauf le vieux mot moult, et indult, où l’orthographe a rétabli la prononciation disparue de lt[829].
Si des mots en pt nous éliminons se(p)t, examiné tout à l’heure, où le p ne sonne pas, et les mots en -empt et -ompt, où ne sonnent ni p ni t, il reste trois ou quatre mots savants où les deux consonnes se prononcent: rapt, qui a longtemps flotté, concept, transept et abrupt[830].
Le groupe final st se prononce dans quelques mots, la plupart étrangers: hast (armes d’), ballast, to(a)st, est et ouest, lest, zist et zest, whist, ost et souvent compost. Il est muet dans le verbe e(st)[831].
Ajoutons pour terminer que l’h après le t final, qui d’ailleurs est toujours d’origine étrangère, ne change{332} rien en français au son du t; mais naturellement le t suivi d’un h se prononce toujours: feldspath, aneth, zénith, mammouth, luth et bismuth[832].
2º Le T intérieur et le groupe TI.
Dans le corps des mots, le t se maintient difficilement entre deux consonnes, si la dernière n’est pas un r, comme dans astral. Aussi est-il devenu muet dans as(th)me et as(th)matique, is(th)me et is(th)mique, et même pos(t-s)criptum et parfois pos(t)dater: c’est toujours la répugnance du français à prononcer trois consonnes consécutives qui ne s’accommodent pas ensemble, et c’est ordinairement celle du milieu qui est alors écrasée entre les autres, à moins qu’elle ne soit un s[833].{333}
Dans les mots en -iste, comme dans les mots en isme, le peuple laisse volontiers tomber la syllabe finale: artis(te), anarchis(te). Il dit de même prétex(te) ou insec(te): paresse de langage, qu’il faut éviter.
L’h ne change rien au t, bien entendu: t(h)éâtre, t(h)on, t(h)ym, at(h)ée, got(h)ique, etc.
*
* *
Mais la question la plus intéressante concernant le t intérieur est celle de son traitement devant l’i suivi d’une voyelle.
La règle générale n’est pas douteuse: Devant un i suivi d’une autre voyelle, le t prend le son de l’s dur[834].
Cette règle s’applique notamment à la plupart des mots en -tie et -tien, à presque tous les mots en -tiaire, -tiel, -tieux, -tion, avec tous leurs dérivés, et à une foule d’autres mots: suprématie, inertie, béotien, tertiaire, torrentiel, ambitieux, nation, national, etc., et aussi bien nuptial, gentiane, spartiate, patient, patience, satiété, pétiole, etc., etc.[835]
En réalité cette prononciation nous vient tout simplement de la prononciation adoptée depuis des siècles, à tort ou à raison, pour le latin[836]. Aussi appartient-elle essentiellement à des mots d’origine{334} savante, tandis que les mots d’origine populaire conservent en principe le son normal du t, notamment quand l’i fait diphtongue étymologiquement avec un e, comme dans pitié.
On peut dire pourtant que la prononciation sifflante est la règle générale, d’abord parce que les mots de formation savante sont les plus nombreux, ensuite parce que les mots nouveaux ont ordinairement suivi l’analogie des précédents, et que les mots isolés qui sont restés en dehors de la règle tendent souvent à s’y soumettre. On constate même ce phénomène curieux d’une prononciation d’origine savante devenant populaire, et altérant par cela même d’autres mots savants, faute de pouvoir altérer les mots les plus usités.
J’ajoute qu’il est plus facile d’énumérer les exceptions que les cas où la règle s’applique, ainsi qu’on le fait parfois, non sans beaucoup d’omissions.
Les exceptions sont d’ailleurs nombreuses, et il y en a de toutes les sortes. On se rappelle la réponse de Nodier à Dupaty, qui prétendait qu’entre deux i le t avait toujours le son de l’s: «La règle est sans exceptions,» répondait-il à Nodier. Et Nodier de répliquer, du tac au tac: «Mon cher confrère, prenez picié de mon ignorance, et faites-moi l’amicié de me répéter seulement la moicié de ce que vous venez de dire.» Ceci se passait à l’Académie, où l’on peut croire que les rieurs ne furent pas pour Dupaty. Mais ce n’était là qu’un exemple, et il y a d’autres exceptions même entre deux i, sans compter les autres combinaisons, qui sont multiples[837].{335}
I.—Il y a d’abord deux catégories de mots qu’il faut éliminer, parce que la prononciation sifflante est impossible ou à peu près. Ce sont:
1º Tous les mots dans lesquels le t est déjà précédé d’une sifflante, s ou x, ce qui empêche absolument le t de s’altérer, aussi bien en latin qu’en français: bastion, question, immixtion (une douzaine de mots en -tion); dynastie, modestie, amnistie (une douzaine de mots en -tie); bestial, bestiole, vestiaire, etc., etc.[838].
A cette catégorie appartiennent aussi étiage, châtier et chrétien avec sa famille, autrefois estiage, chastier et chrestien.
2º Tous les imparfaits et subjonctifs présents, où le t ne peut pas changer le son qu’il a dans les autres formes: étais, étions, étiez, portais, portions, portiez, que nous mentions, que vous mentiez, etc.[839].
De plus, pour le même motif, les participes féminins des verbes en tir: sorti, sortie, anéanti, anéantie, etc., avec les substantifs de formation française dérivés des mêmes verbes: rôtie, garantie, partie, sortie, et le féminin d’apprenti[840].{336}
II.—Voici maintenant toute la collection des mots d’origine populaire où -ti- est suivi d’un e, et où le groupe ie est une diphtongue étymologique, le latin ayant à la place une voyelle unique, devant laquelle le t n’a pas pu s’altérer. Ce sont:
1º Les trois substantifs en -tié: pitié, moitié, amitié, avec inimitié[841];
2º Les adjectifs et substantifs en -tier ou -tière, à suffixe -ier, féminin -ière, comme entier ou héritier, jarretière ou tabatière: ils sont près de deux cents[842];
3º Les mots qui ont le suffixe -ième, à savoir septième, huitième, vingtième, etc., avec quantième ou pénultième[843];{337}
4º Les formes verbales de tenir et ses composés, tient ou contient, détiendra on maintiendrait, avec les dérivés entretien, maintien, soutien[844];
5º Enfin les mots tiède, tiers et tien, où le t est initial, et antienne, où il ne l’est pas[845].
III.—Il y a encore un certain nombre de mots d’origines diverses.
1º Voici d’abord trois mots en -tie: ortie, d’origine populaire[846]; sotie, dérivé populaire de sot, qui avait deux t autrefois comme sottise, et qui a gardé sa prononciation en devenant savant; enfin tutie, qui ne vient pas du latin[847].{338}
Épizootie est encore flottant[848].
2º Voici quelques mots plus ou moins savants, où ti- a résisté à l’analogie et a gardé la prononciation du grec: d’abord éléphantiasis ou étiologie, sans compter tiare; d’autre part tous les mots où le t est séparé de l’i par un h, ce th étant grec: sympat(h)ie, pyt(h)ie, corint(h)ien; de sorte qu’ici non seulement l’h ne change rien au t, mais aide à le conserver intact[849].
Pourtant la tendance générale est telle que le mot chrestomat(h)ie a été fortement altéré et l’est encore assez généralement; mais la prononciation correcte de ce mot savant, qui n’est pas latin, est tie et non cie, et les jeunes professeurs commencent à la restaurer.
3º Il y a encore les mots qui ont un préfixe en -ti, à savoir: d’une part le mot centiare, qui a gardé devant le mot are la prononciation uniforme du préfixe centi-, quoiqu’une diphtongue s’y soit formée dès le principe; d’autre part les mots commençant par le préfixe anti-, comme antialcoolisme, où il n’y a point de diphtongue.
4º Restent quelques mots populaires d’origine inconnue: galimatias, qu’une étymologie fantaisiste a rattaché à Mathias; étioler, étiolement, qui se rattachent peut-être à éteule; et aussi l’espagnol patio[850].{339}
Cette énumération, qu’on trouvera ici pour la première fois, fut longue sans doute, mais celle des mots où le t est sifflant l’eût été davantage, et peut-être même impossible, en tout cas beaucoup plus difficile à classer méthodiquement[851].
3º Le T double.
Le t double se prononce encore simple assez généralement, et autrefois il n’y avait point d’exception.
Parmi les mots commençant par att-, qui sont fort nombreux, il n’y a guère qu’at-tique et at-ticisme où l’on soit à peu près obligé de prononcer deux t[852]; mais il faut avouer que cette prononciation commence à atteindre fortement beaucoup d’autres mots où elle ne s’impose nullement, comme at-tenter, at-tentif, at-ténuer, at-terrer, at-tester, at-tiédir, at-titré, at-titude, at-touchement, at-traction, at-tributif, at-trister, at-trition.
Cette prononciation est plus correcte dans bat-tologie, intermit-tent et intermit-tence, commit-timus et commit-titur, gut-tural et gut-ta-percha; mais elle atteint aussi depuis plus d’un siècle d’autres mots,{340} comme sagit-taire, lit-téraire, lit-téral, lit-térature, lit-toral et pit-toresque.
Elle est d’ailleurs légitime dans les mots qui viennent de l’italien, où les deux consonnes se prononcent régulièrement: concet-ti, vendet-ta, jet-tatura, dilet-tante, libret-to et libret-tiste, grupet-to, tut-ti et sot-to voce, et aussi dans gut-ta-percha. Mais on ne prononce plus qu’un t généralement dans ghe(t)to et confe(t)ti, qui se sont popularisés, souvent aussi dans larghe(t)to[853].
On ne prononce jamais qu’un t dans sco(t)tish[854].{341}
Le v s’appelait autrefois u consonne, et ne se distinguait pas typographiquement de l’u[855].
Du v simple il n’y a rien à dire, sinon qu’il faut éviter de le supprimer devant oi, et de dire (v)oiture, (v)oilà, la(v)oir, au r(ev)oir[856].
Le v allemand se prononce f; mais cela ne nous intéresse guère que pour les noms propres non francisés[857].
Le v a aussi le son de l’f à la fin des noms slaves, surtout après un o, où il est souvent double[858].
Le w n’est pas français. Mais le w germanique se prononce comme le v français, ainsi que celui du polonais redowa[859].{342}
Le w anglais demande plus d’attention.
En principe, devant une voyelle, il a le son de la semi-voyelle ou: water-closet ou waterproo373 , wattman, warf, whist, whig, wisky, wigwam, workhouse, swell, tramway, railway, sandwich[860]. Mais quand il se francise, c’est presque toujours en v; ainsi il est complètement francisé en v dans wagon et ses dérivés, à peu près dans warrant et ses dérivés, souvent aussi dans waterproof, quoiqu’on ne francise pas oo, et dans water-closet ou wattman. S’il s’est francisé définitivement en ou dans whist, c’est parce que le mot ne s’est pas répandu dans le peuple; mais tramway a beaucoup de peine à se franciser tout à fait avec le son ou, qui pourtant semble l’emporter[861].
Nous avons réduit aw à au dans outlaw, lawn-tennis, tomahawk, drawback[862].
Nous avons accepté pour l’anglais ew la prononcia{343}tion iou; ainsi pour mildew, qui eut la chance d’être appris par l’oreille et non par l’œil; mais nous l’écrivons beaucoup mieux mildiou, comme il convient. Interview se prononce indifféremment viev ou viou, et le premier finira sans doute par s’imposer, ne fût-ce qu’à cause du dérivé interviewer, pour lequel la prononciation viou-ver est assez ridicule[863].
L’anglais ow se prononce comme o fermé dans bo(w)-windo(w), ro(w)ing, arro(w)-root, sno(w)-boot, et quelquefois co(w)-boy (pour caouboï); d’autre part nous réduisons facilement ow à ou dans clown, teagown, cowpox ou browning[864].{344}
1º L’X final.
A la fin des mots français, l’x n’est plus généralement qu’un signe orthographique qui tient simplement la place d’un s[865]. Aussi ne se prononce-t-il pas plus que l’s du pluriel, notamment après u, dans tous les mots en -aux, -eux, -oux, au singulier comme au pluriel: fau(x), veau(x), aïeu(x), heureu(x), dou(x), genou(x), etc., etc.[866]. Il n’y a même pour ceux-là aucune exception, pas même pour deu(x), dont l’x s’est amui, comme l’s de troi(s), quoiqu’il se soit conservé dans six et dix, dont nous allons parler[867].
L’x final ne se prononce pas davantage dans pai(x), fai(x) et ses composés, ni dans les mots en -oix[868].
Il ne se prononce pas non plus dans pri(x), perdri(x) et crucifi(x), ni dans flu(x), reflu(x), influ(x)[869].{345}
On vient de voir que l’x final se prononce par exception dans les noms de nombre six et dix, comme se prononcent les consonnes finales de cinq, sept, huit, neuf; mais ceci demande des explications.
D’abord cet x devrait s’écrire s, comme autrefois, car il a conservé ici le son de la langue vulgaire, où il a toujours sonné comme un s: j’en ai six, page dix, Charles dix, le six mai, le dix août.
En second lieu, il faut excepter, bien entendu, suivant la règle des adjectifs numéraux, les cas où six et dix sont suivis d’un pluriel commençant par une consonne: di(x) francs, si(x) sous, si(x) cents, di(x) mille[870].
Mais d’autre part, si le pluriel commence par une voyelle, ce n’est encore pas le son normal de l’s qu’on entend; car il se produit alors simplement un phénomène de liaison, d’où il résulte que l’s est doux[871]. De là la différence qu’il y a entre six hommes (si-zom) et six avril (si-savril): le nom du mois n’étant pas multiplié, dix et six se prononcent dis et sis devant avril, août, octobre, comme devant mai, juin ou septembre. A vrai dire, on prononce souvent si zavril comme si zhommes, comme on dit aussi entre si zet huit, mais ce sont des abus de liaison; au pis aller, pour six et huit, on peut choisir entre le son dur et le son doux, tandis que pour six hommes on n’a pas le choix: l’s est nécessairement doux.{346}
On fait aussi la liaison par analogie, et quoiqu’il n’y ait pas multiplication, dans dix-huit (dizuite) et ses dérivés.
Par analogie avec dix-huit, on prononce également un s doux dans dix-neuf, comme on prononce le t dans vingt-quatre ou vingt-neuf.
Dans dix-sept, l’x garde le son de l’s dur à cause de l’autre s qui suit: dis-sète; d’ailleurs, quand on parle vite, on dit facilement di-sète, l’s double se réduisant à un, comme dans tous les mots populaires[872].
On prononce de même avec un s dur les termes de musique six-quatre ou six-huit, quoiqu’il y ait multiplication, parce qu’en réalité ce n’est pas quatre et huit qui sont multipliés, mais seulement les notes représentées par ces chiffres, de sorte que les deux chiffres qui indiquent la mesure restent toujours distincts; sizuit est donc encore un abus de liaison, d’ailleurs très tolérable.
Comme six et dix, coccyx se prononce avec un s simple, au moins par euphonie[873].
En dehors de six, dix et coccyx, quand l’x final se prononce, il se prononce cs. Mais cela n’a lieu que dans des mots grecs, latins ou étrangers, comme index, silex ou sphinx[874].{347}
2º L’X intérieur.
Dans le corps des mots, l’x se prononce en principe cs devant une voyelle comme devant une consonne: d’abord dans les finales muettes, axe, rixe, sexe[875]; et aussi bien dans laxatif, axiome ou maxime, lexique ou sexuel, fixer ou luxure, comme dans textuel, bissextil ou mixture[876].
Mais en réalité tous ces mots sont des mots d’emprunt, et il en reste beaucoup d’autres où l’x ne se prononce pas ou pas toujours cs[877].
D’abord nous retrouvons l’s dur simple de la prononciation populaire dans soixante et ses dérivés, où l’x étymologique a été rétabli après coup, comme dans six et dix[878].{348}
Nous retrouvons aussi l’s doux de la simple liaison dans les dérivés de deux, six et dix: deuxième, dixième, sixième, sixain se prononcent comme deu(x) hommes ou si(x) hommes[879].
Mais surtout les mots qui commencent par ex ou x demandent un examen spécial.
On notera en premier lieu que devant une consonne sifflante, c’est-à-dire devant ce ou ci ou devant un s, la seconde partie de l’x se confondant nécessairement avec le son qui suit, le son ecs se trouve réduit à ec: ec-cellent, ec-centrique ou ec-sangue[880].
Au contraire, devant une consonne non sifflante, on a une tendance naturelle, quand on parle vite, et même sans cela chez le peuple, à réduire ecs, non à ec, mais à es: estrême, escuse, espress[881].
Cette tendance doit être combattue en général, notamment quand il n’y a qu’une consonne, comme dans escuse, autrefois correct. Elle est plus admissible dans les mots commençant par excl- ou excr-, comme exclamation ou excrément, mais là même elle est familière et médiocrement correcte[882].
D’autre part et surtout, devant une voyelle, ex- initial (ou hex-) s’adoucit régulièrement en egz. Par exemple: exalter, exhaler, exécuter, exiger, exotique,{349} exubérant, hexamètre, etc., et, par suite, inexigible ou inexact; il faut y ajouter sexagénaire et sexagésime, et peut-être aussi sexennal[883]. Seuls exécration et exécrable sont très souvent prononcés avec cs, par emphase.
Cette tendance à adoucir l’x après l’e initial est si forte qu’elle atteint chez nous jusqu’à la prononciation du latin. On croit même qu’elle a commencé par le latin. En tout cas, il ne nous suffit même pas de dire exeat ou exercitus avec gz: même une expression latine composée comme ex æquo, qui ne peut guère s’altérer en latin, s’altère en français, où nous la traitons comme un substantif: un ex æquo, des ex æquo, et par suite comme un mot simple. Ex abrupto s’altère beaucoup moins souvent[884].
En tête des mots, l’x ne garde le son de cs que parce que les mots, d’ailleurs en très petit nombre, sont savants et d’un usage restreint: xérasie, xérophagie, xiphoïde, xylographie; encore devient-il gz très souvent dans xylophone, qui est un peu plus connu[885].{350}
3º Le Z
Le z final, dans les mots proprement français, est dans le même cas que l’x: il remplace simplement un s, même quand il représente étymologiquement ts[886]. Aussi ne se prononce-t-il pas plus que l’s ou l’x, notamment dans toutes les secondes personnes du pluriel: aime(z), aimie(z), aimerie(z), etc.
Il ne se prononce pas davantage dans le mot sonne(z), qui est en réalité un impératif, ni dans les substantifs ne(z) et bie(z), disparu devant bief, ni dans l’adverbe asse(z) et les prépositions che(z) et re(z), de re(z)-de-chaussée[887].
On voit que le z final muet suit généralement un e; mais le z ne se prononce pas davantage dans ra(z) de marée, ni dans ri(z); et si, en France, on le pro{351}nonce ordinairement dans ranz des vaches, en Suisse on prononce ran, et on doit y savoir comment ce mot se prononce[888].
Le z final se prononce dans gaz et dans fez; mais ce sont des mots étrangers[889].
Le z final allemand, avec ou sans t devant, se prononce ts: quartz, kronprinz[890].
Et même tz après l se réduisent le plus souvent à un s: eau de sel(t)z[891].
On n’entend également qu’un s dans ruolz.
Dans le corps ou en tête des mots, le z français a{352} toujours le son d’un s doux devant une voyelle: zèle, zone, bronzé, topaze, rizière, etc.
Il en est de même du z, simple ou double, des mots étrangers, quand nous les francisons: lazarone, scherzo, pou(z)zolane, mue(z)zin, souvent aussi ra(z)zia ou la(z)zi[892].
Quand nous ne francisons pas les mots étrangers, le z allemand se prononce ts[893].
Le z italien, simple ou double, se prononce quelquefois aussi ts, comme dans grazioso, plus souvent dz: piazza, piazzetta, lazzi, mezzo, mezzanine, pizzicati[894].
L’espagnol plaza se prononce plaça.{353}
On vient de voir de quelles manières différentes peuvent se prononcer à l’occasion les mêmes lettres, sans compter les cas où elles ne se prononcent pas du tout. Nous allons, pour récapituler ce chapitre, faire rapidement l’inverse, et montrer de combien de manières s’écrit chez nous chacun des sons que nous employons.
On a déjà vu les innombrables graphies des voyelles nasales; ceci achèvera de faire admirer comme il convient la logique de notre orthographe. Cette fois nous suivrons l’ordre rationnel qui est sans inconvénients.
Parmi les explosives, les labiales b et p et les dentales d et t se bornent à pouvoir s’écrire simples ou doubles, tout en se prononçant simples: habit et abbé, râper et appel, adieu et addition, bâtir et battre. Elles peuvent aussi s’interchanger: absent devient apsent et médecine devient metsine. Tout cela est peu de chose et, si le reste y ressemblait, notre orthographe serait une pure merveille[895].
Mais pour les gutturales, c’est une autre affaire: la gutturale forte ou sourde s’écrit c dans raconter, cc dans accord, ch dans chrétien, k dans képi, ck dans bock, kh dans khédive, q dans coq, qu dans quatre, cq dans Jacques, cqu dans becqueter, x dans excès ou Xérès, et même g dans Bourg, sans compter qu’elle fait ordinairement la moitié de l’x; la gutturale douce ou sonore s’écrit g dans grave, gg dans aggraver, gu dans gueule, gh dans ghetto, c dans second, parfois même ch dans drachme, ou qu dans aqueduc, et fait la moitié de l’x dans exemple.
De même, parmi les spirantes, nous retrouvons un{354} peu plus de simplicité dans les fricatives et les chuintantes: les fortes s’écrivent seulement de quatre manières: f, ff, ph ou v, et ch, sh, sch ou j: fait, effet, phare, crè(v)e-cœur, et chat, shako, schisme, rej(e)ter; les douces n’en ont que trois: v, w ou f, et j, g ou ge: vague, wagon, neuf ans, et enjôler, rougir, geôle, sans compter tach(e) de vin.
Mais les sifflantes se rattrapent: la forte s’écrit s dans sel, ss dans assez, c dans ceci, ç dans reçu, sc dans scie, t dans patience, x dans soixante, z dans quartz, sans compter qu’elle fait presque toujours la seconde moitié de l’x, quand l’x se prononce, et aussi la seconde moitié du z, quand on le prononce ts; la douce s’écrit z dans zèle, zz dans pouzzolane, s dans raison, x dans deuxième, et fait la seconde moitié de l’x dans exemple.
Les sons de l, m, n, r se bornent à s’écrire par une lettre ou par deux; r devient aussi rh dans rhum.
Enfin l mouillé s’écrit ll dans bille, ill dans paille, l simple dans gentilhomme, lh dans Milhau, gli dans Broglie. L’n mouillé se contente de gn dans agneau ou ign dans oignon, et au besoin ni dans panier, sans parler de ñ dans doña.
Assurément, dans cette multiplicité de signes employés un peu partout pour les mêmes sons (et j’en ai peut-être oublié), il y en a beaucoup qui ne peuvent pas être évités. D’autres ne sont pas gênants. Mais on conviendra qu’une certaine simplification ne ferait de mal à personne et que la langue surtout s’en porterait beaucoup mieux, étant soustraite ainsi à de graves dangers d’altération.
Les langues doivent s’altérer, ou, si l’on aime mieux, évoluer avec les siècles, c’est fatal; mais en vérité est-ce le rôle des meilleurs écrivains de les y aider en s’obstinant à défendre une prétendue orthographe, qui serait la plus ridicule du monde, si la primauté sur ce point n’appartenait à l’anglaise?{355}
Quelques considérations préliminaires.
Au début du XVIᵉ siècle, toutes les consonnes finales se prononçaient partout, sauf devant un mot commençant par une consonne, quand les deux mots étaient liés par le sens[896].
Au contraire, à partir du XVIIᵉ siècle, les consonnes ont généralement cessé peu à peu de se prononcer dans l’usage ordinaire, sauf devant une voyelle (ou un h muet), quand les mots étaient intimement liés par le sens. Je dis dans l’usage ordinaire, parce que les consonnes sont tombées beaucoup moins vite dans la prononciation oratoire et dans celle des vers, surtout à la rime. D’ailleurs, même dans l’usage courant, les consonnes ne sont pas tombées dans tous les mots. D’autre part, beaucoup de consonnes tombées ont reparu et reparaissent encore grâce à l’orthographe: ne faut-il pas parler comme on écrit? Mais alors c’est tout ou rien: ou bien la consonne se prononce toujours, ou bien elle ne se prononce jamais.
Il y a pourtant des consonnes qui ont continué a se prononcer seulement devant une voyelle, dans certains cas: ce qui reste de cette prononciation, c’est ce qu’on appelle communément liaison. La consonne{356} finale ainsi prononcée sert phonétiquement d’initiale au mot suivant[897].
Les liaisons sont encore très usitées en vers, d’abord parce que la poésie est essentiellement traditionnaliste, ensuite parce qu’en vers elles ont pour but et pour effet d’empêcher l’hiatus, que la plupart des poètes évitent encore avec soin. Aussi n’est-il pas impossible que la poésie devienne un jour comme le Conservatoire ou le Musée des liaisons; elle les conserverait comme elle conserve tant d’autres choses surannées, en prosodie, en vocabulaire, en syntaxe.
Dans la prose, et surtout dans la conversation ordinaire, on en fait infiniment moins. Un certain nombre pourtant sont encore obligatoires. D’autres seraient ridicules ailleurs qu’en vers.
D’ailleurs un grand nombre de liaisons sont facultatives et dépendent souvent du goût de chacun. Mais elles dépendent encore davantage des circonstances: il est évident qu’on en fait plus en lisant qu’en parlant, parce qu’en lisant on recherche la correction du langage, tandis qu’en parlant on ne cherche qu’à se faire comprendre avec le moins d’effort possible; on en fait plus aussi dans un discours suivi, pour le même motif, que dans une conversation familière.
D’une façon générale, les professeurs en font plus que les gens du monde, à cause de l’habitude qu’ils en ont; les instituteurs en font trop, non pas tant peut-être en parlant qu’en enseignant à lire, car ils{357} ne savent pas toujours que, même en lisant, il y en a qu’on ne fait pas.
Mais les acteurs surtout en abusent étrangement, soit sous prétexte de correction, soit parce qu’ils s’imaginent qu’ils se font mieux comprendre, et cela à la Comédie-Française comme ailleurs, plus qu’ailleurs, hélas! et dans la comédie en prose aussi bien que dans la tragédie. Pourtant ils devraient comprendre que, dans la comédie, un personnage qui ne parle pas comme tout le monde est ridicule; et la tragédie même, comme tout théâtre en vers, est assez artificielle par elle-même pour qu’on n’y ajoute pas encore des artifices surannés, quand il n’y a pas nécessité[898].
*
* *
Avant d’entrer dans le détail des liaisons, nous indiquerons quelques règles générales.
On sait déjà que la liaison est interdite (aussi bien que l’élision, car les deux vont presque toujours ensemble) devant un h aspiré. Elle l’est également dans d’autres cas dont voici l’énumération[899]:{358}
1º Devant les noms de nombre un et onze: les numéro(s) un et deux, sur le(s) une heure[900]; no(s) onze enfants, aprè(s) onze heures, Loui(s) onze; et, quoiqu’on dise régulièrement il es(t) tonze heures, avec liaison, cas spécial, on dira pourtant ils étai(ent) onze ou ils son(t) onze[901];
2º Devant l’adverbe oui: je di(s) oui; pour un oui, pour un non[902];
3º Devant les interjections: ce(s) ah! ce(s) oh! et en général quand on cite un mot isolé, qu’on isole précisément en ne liant pas[903];
4º Devant uhlan, et devant les mots commençant par un y grec suivi d’une voyelle, parce que cet y fait alors fonction de semi-voyelle: de(s) uhlans, de(s) yachts, de(s) youyous.
De plus il ne peut y avoir de liaison qu’entre des mots liés par le sens, parfois même très étroitement. Il ne saurait donc y avoir de liaison, en principe,{359} même dans la lecture, par-dessus un signe de ponctuation.
Il va sans dire aussi que les liaisons, étant conservées, en principe, dans une intention d’harmonie, et notamment pour éviter les hiatus, ne sauraient être maintenues dans les cas où elles produisent à l’oreille un son plus désagréable que ne serait l’absence de liaison.
En outre, il n’y a plus aujourd’hui de liaison proprement dite pour les quatre liquides grecques, l, m, n, r, sauf d’une part le cas des nasales, qui sera étudié spécialement, et d’autre part trois ou quatre adjectifs en -ier, surtout premier et dernier, quand ils sont devant un substantif, suivant une loi que nous étudierons plus loin: premie(r) racte, dernie(r) racte. Il y a bien encore les infinitifs en -er, mais ils se lient de moins en moins en prose, sauf la prose oratoire, et cette liaison sera bientôt réservée exclusivement à la poésie[904]. Même laisse(r)-aller ne se lie pas.
On se rappelle qu’ici, en cas de liaison, l’e s’ouvre à demi, comme dans premier et dernier: mangè(r) ravec plaisir, donnè(r) raux pauvres, etc.[905].
Ces cas étant éliminés, il ne reste plus que les muettes et les spirantes.
Enfin, tandis que les consonnes finales qui se prononcent toujours gardent aujourd’hui devant une voyelle le même son que devant une consonne (le lis est blanc), au contraire celles qui ne se prononcent{360} qu’en liaison, ou dans des cas limités, peuvent s’altérer, les muettes ne se liant qu’avec le son de la forte, p, k, t, tandis que les spirantes ne se lient en principe qu’avec le son de la douce, v et z[906].
1º Les labiales et les gutturales.
Les labiales ne se lient pas, sauf le p des adverbes beaucoup et trop devant un participe ou un adjectif, ou devant la préposition à. Il y conserve son articulation normale, étant une forte: il a beaucou(p) pappris, il y a beaucou(p) pà faire, tandis qu’on ne fait pas de liaison dans il y a un cou(p) à faire; de même j’ai tro(p) pà dire, je suis tro(p) pému. Encore ces liaisons ne sont-elles pas tout à fait obligatoires dans la conversation, sauf peut-être la dernière, à cause du lien étroit qui est entre les mots.
On dit aussi: qui tro(p) pembrasse mal étreint, à cause de l’inversion qui appuie trop sur embrasse; mais on ne peut plus dire tro(p) pest trop, et ce n’est guère qu’en vers qu’on peut prononcer c’est dire beaucou(p) pen peu de mots, ou encore beaucou(p) pont cru.
En vers, on peut même encore lier coup: par un{361} cou(p) pimprévu, mais seulement avec un adjectif, et cela prend un air assez archaïque. On ne saurait aller plus loin, et l’on dira toujours, même en vers, un plom(b) assassin, un cham(p) immense, le cam(p) ennemi, un dra(p) usé, voire même un lou(p) affamé, et à fortiori du plom(b) et du fer.
Les gutturales ne se lient pas beaucoup plus: le cri(c) est lourd, fran(c) et net, blan(c) et noir, et aussi bien du blan(c) au noir, de flan(c) en flanc, l’étan(g) est vide, et aussi bien un étan(g) immense, n’admettent plus la liaison, même en vers.
Toutefois on peut encore lier, même en prose, le c de l’adjectif franc devant un substantif: un fran(c) kétourdi, et on lie toujours les expressions composées fran(c) karcher, fran(c) kalleu] et à fran(c) kétrier. Ceci permettra peut-être de lier en vers:
mais c’est tout juste, et taba(c) kà priser ne saurait plus guère passer aujourd’hui, et moins encore il me convain(c) kassez.
Quoique le c de croc isolé ne se lie jamais, on le lie nécessairement dans cro(c)-ken-jambe (avec ouverture de l’o), les mots composés étant généralement traités comme des mots simples, où toutes les consonnes se prononceraient normalement[909].
Dans les mots en -spect, c’est le c qui se lie, mais on ne le lie en prose que dans l’expression insépa{362}rable respe(ct) khumain, tandis qu’en vers la liaison est encore acceptable partout:
Le g ne se lie plus dans l’usage courant que dans l’expression composée san(g) ket eau. Dans la lecture, on y ajoute san(g) khumain, san(g) kartériel, en vers seulement san(g) kimpur.
On peut aussi lier en vers ou dans le style oratoire le g de ran(g): ran(g) kélevé, mais non pas cependant ran(g) kauquel! De même celui de lon(g):
Mais en prose on prononce sans liaison même une expression composée comme de lon(g) en large.
On voit qu’en liaison, comme nous l’avons dit, la gutturale douce devient forte[912].
On fait aussi entendre le g de jou(g) et celui de le(gs) devant une voyelle, cette fois sans le changer en c, mais ceci est plutôt un fait de prononciation qu’un phénomène de liaison.
A l’intérieur d’oran(g)-outan(g), malgré la règle générale, il n’y a pas de liaison.{363}
D’autre part, avec cler(c) et por(c), et les mots en er(g) et our(g), la liaison est inutile, puisqu’il n’y a pas d’hiatus à éviter[913].
Les dentales, d et t, se lient infiniment plus que les autres muettes, et ceci va nous permettre d’énoncer quelques principes généraux[914]. Naturellement, vu le nombre des liaisons, c’est ici surtout qu’intervient le goût personnel, et beaucoup de liaisons qui sont nécessaires en vers sont facultatives dans le langage courant, où l’hiatus est fréquent; mais il y a aussi des liaisons qui sont interdites partout ou obligatoires partout.
I. Les verbes.—Il y a d’abord l’innombrable catégorie des formes verbales, troisièmes personnes et participes.
Pour les troisièmes personnes autres que celles en -ent, et même pour aient ou soient, traités comme ait et soit, la liaison est encore très souvent obligatoire. Plus les formes sont usitées, plus la liaison est nécessaire: par exemple l’emploi de formes comme est ou sont, avait ou ont, sans liaison, est certainement incorrect, surtout si ce sont des auxiliaires, comme dans ils on(t) taimé[915]. De même devant l’infi{364}nitif: il veu(t) taller, il vi(t) tentrer, ou encore il veu(t) ty aller, il veu(t) ten avoir. On lie également, et plus nécessairement encore, quand il y a inversion du verbe et du sujet: di(t)-til, que per(d)-ton?
Hors ces cas, la liaison est moins nécessaire: il pein(t) tavec feu, ou il pren(d) tun livre, ou ils mangeaien(t) tet buvaient, ne sont pas aussi indispensables que il e(st) tà Paris; pourtant ce sont encore les seules formes qui soient admissibles, quand on veut parler correctement.
Il en est de même pour les finales muettes en -ent: on dit assez facilement et de plus en plus, ils mange(nt) un morceau et recommence(nt) à travailler; mais ils mange(nt) tun morceau, ils aime(nt) tà rire, deux noires vale(nt) tune blanche sont encore des façons de parler beaucoup plus correctes, sans qu’on y puisse relever le moindre pédantisme.
Il n’y en a aucun non plus à lier les participes, surtout les plus employés: ceci est fai(t) tavec soin, est encore fort usité, et d’une diction plus soignée que fai(t) avec soin; de même ils étaient là mangean(t) tet buvant, encore que ce ne soit pas indispensable.
II. Adjectifs et adverbes.—Il y a ensuite la catégorie également innombrable des adjectifs et des adverbes. Mais ici encore il faut distinguer.{365}
Dans le langage parlé, l’adjectif se lie à peu près uniquement, mais obligatoirement, avec le substantif qui le suit; seulement on ne peut mettre devant le substantif, dans la langue courante, qu’un très petit nombre d’adjectifs généralement courts. C’est d’abord cet et tout, qui se lient toujours, étant toujours devant le substantif: ce(t) thomme ou tou(t) thomme; puis quelques autres, dont la place peut varier: gran(d) thomme, sain(t) thomme, parfai(t) thonnête homme, secon(d) tacte; de même encore ving(t) thommes ou cen(t) thommes. Cette liaison est donc en somme assez restreinte, car une expression comme froi(d) thiver appartient déjà au langage écrit; en parlant, on dit plutôt hiver froid. En tout cas, la liaison est nécessaire dans cette construction, parce que le lien y est plus étroit entre les mots ainsi placés, l’adjectif étant en quelque sorte proclitique et s’appuyant sur le substantif[916].
Si l’adjectif n’est pas devant son substantif, il ne se lie plus guère qu’en vers, pour éviter l’hiatus, ou tout au plus dans la lecture. Dans le langage parlé, on dira bien encore, si l’on veut, j’ai froi(d) taux pieds, parce qu’il y a là comme une expression toute faite où froid devient substantif, puisqu’on dit de même le froi(d) taux pieds. Mais on ne dit pas le chau(d) taux pieds; on dira donc j’ai chau(d) aux pieds, malgré l’hiatus de deux voyelles identiques; on dit même sans liaison chau(d) et froid, qui est pourtant une expression composée, mais composée de deux substantifs; on dira donc à fortiori alternativement{366} chau(d) et froid; et de même presque uniquement il est gran(d) et fort, un sain(t) a pu seul..., le secon(d) est venu[917].
En revanche la préposition à requiert ordinairement la liaison de l’adjectif devant son complément, à cause du lien étroit qui les joint: tou(t) tà vous, prê(t) tà sortir[918].
De même que l’adjectif se lie au substantif, l’adverbe de manière se lie nécessairement à l’adjectif. C’est d’abord tout, bien entendu; par exemple il est tou(t) tautre; de même vraimen(t) taimable, tendremen(t) taimé, tout à fai(t) textraordinaire.
On dit de même encore commen(t) tallez-vous? à cause du lien intime qui unit les mots; et la liaison n’est pas moins indispensable dans quan(t) tà, comme elle se faisait autrefois dans quan(d) tet quand.
Quand le lien est moins intime, l’adverbe se lie encore, mais moins nécessairement: partou(t) toù vous serez, tan(t) til est beau, tellemen(t) ton est serré; de même pour autant ou tantôt répétés, pour aussitôt, bientôt, souvent, cependant; mais on lie nécessairement dans aussitô(t) taprès ou bientô(t) taprès.
La négation point se lie toujours, étant inséparable de ce qui la suit: je ne t’ai poin(t) taimé!
De même le pronom relatif dont et la conjonction quand: quan(d) til viendra, don(t) til est. De même ou à peu près les prépositions avant, pendant, devant et autres, avec leurs régimes: avan(t) tun jour, pendan(t) tun jour, devan(t) tune femme[919].{367}
III. Les substantifs.—Les liaisons que nous venons d’examiner sont à peu près les seules. Par conséquent les substantifs en principe ne se lient plus, sauf en vers, bien entendu. Et encore, même en vers, le d ne se lie guère: un nœu(d) assorti, le ni(d) est vide, blon(d) ardent s’imposent partout et toujours. Que dis-je? Le petit cha(t) test mort, si cher aux ingénues de la Comédie-Française, a bien de la peine à passer. Sans doute c’est ainsi que Molière prononçait; mais aujourd’hui on se demande s’il ne vaudrait pas mieux éviter l’hiatus avec une pause, ou simplement laisser l’hiatus.
Quant au langage courant, il ne lie plus guère ni d ni t, même quand le substantif est suivi de son adjectif. Ceci permet de distinguer par exemple un savan(t) tAllemand, où savant est adjectif, et un savan(t) allemand, où savant est substantif, distinction qu’on ne fait pas en vers, quand on dit:
En prose on évitera tout au plus l’hiatus de deux voyelles identiques: en quel endroi(t) tavez-vous vu; encore cette liaison convient-elle mieux à la lecture qu’à la conversation[921].
Tout lui-même, qui se lie si facilement, et même si nécessairement, ne se lie plus dans le langage courant, quand il est substantif: le tou(t) et la partie, le tou(t) est de savoir, tandis que le pronom indéfini sujet se lie toujours: tou(t) test fini.{368}
Toutefois, ici encore, la préposition à, je ne dis plus requiert, mais admet régulièrement la liaison, nous avons droi(t) tà cette faveur.
De plus la liaison reste nécessaire, comme partout, dans les mots ou expressions composés: d’abord, naturellement, celles où entre le mot tout; puis d’autres, comme gue(t)-tapens, pon(t) taux ânes, mo(t) tà mot, po(t) tà eau, po(t) tau lait, po(t) tau feu, po(t) tau noir, po(t) taux roses[922]; et aussi peti(t) tà petit, de hau(t) ten bas, d’un bou(t) tà l’autre, bou(t) tà bout, bu(t) tà but, de bou(t) ten bout, de bu(t) ten blanc, de fon(d) ten comble, de momen(t) ten moment, de poin(t) ten point[923]; et même accen(t) taigu, et c’est un droi(t) tacquis. Et ainsi pied, qui avait perdu son d, et pour lequel Malherbe et Ménage n’acceptaient aucune liaison, a repris celles de pie(d) tà terre, de pie(d) ten cap, et même pie(d) tà pied; et l’on distingue avoir un pie(d) tà terre (logement) et avoir un pie(d) à terre (sens littéral).
En revanche, cha(t) échaudé ou cha(t) en poche ne sauraient passer pour des mots composés, et la liaison ne s’y fait plus guère, malgré Littré. Elle n’est même plus indispensable dans au doi(gt) et à l’œil, pas plus que dans mon(t) Etna, mon(t) Hécla ou mon(t) Œta, où elle est seulement possible[924].
IV. Après un R.—Mais il y a surtout une catégorie de liaisons qu’il importe absolument d’éviter,{369} en vers aussi bien qu’en prose: c’est celle des finales où le t est précédé d’un r; ou plutôt la liaison s’y fait si naturellement par l’r, qu’on n’a nul besoin d’en chercher une autre, qui est depuis longtemps condamnée.
C’est une chose dont on ne convaincra pas facilement la plupart des comédiens! Et je ne parle pas seulement des chanteurs, qui ne croiraient pas vibrer suffisamment s’ils ne criaient pas Mor(t) tà l’impie! La tradition est pareille à la Comédie-Française, mais elle n’en est pas meilleure, et prendre par(t) tà, qu’on y entend, ne saurait pas plus passer que par(t) tà deux, qui serait grotesque.
De même, avec un d, bavar(d) impudent, regar(d) effaré, abor(d) aimable, sour(d) et muet, et aussi bien avec un t, art exquis ou même ar(t) oratoire, un quar(t) au moins, un rempar(t) infranchissable, déser(t) immense, por(t) ouvert, ver(t) et bleu, et à fortiori le sor(t) en est jeté, ne sauraient admettre de liaison en aucune circonstance et sous aucun prétexte.
Même si l’adjectif est devant le substantif, mieux vaut ne pas lier: un for(t) avantage, un cour(t) espace de temps. Il en est de même des verbes: il par(t) au matin, il conquier(t) un empire, il est mor(t) avant l’âge.
Ainsi la règle est presque absolue aujourd’hui et on n’y fait plus que fort peu d’exceptions.
L’usage s’est généralisé peu à peu de lier le t de l’adverbe fort, par analogie avec trop, tant et les autres; on dit donc aujourd’hui généralement for(t) thabile ou for(t) taimable, mais jamais le for(t) tet le faible, ni le plus for(t) ten est fait, ni même for(t) ten gueule[925].{370}
On lie aussi le t, bien entendu, dans les formes interrogatives, qui d’ailleurs sont de moins en moins usitées: par(t)-til? d’où sor(t)-til? On peut même dire cela ne ser(t) tà rien, pour éviter la cacophonie de rarien, mais jamais qui ser(t) tà table.
Enfin on dit généralement de la mor(t) taux rats, pour le même motif[926].
C’est à peu près tout. Je ne conseille même pas plus par rappor(t) tà et de par(t) tet d’autre, qui se disent très souvent, que de par(t) ten par(t), qui est devenu fort rare, ou bor(d) tà bord, mor(t) tou vif, souffrir mor(t) tet passion, à tor(t) tet à travers, qui ne se disent jamais.
On ne dit pas non plus du nor(d) tau midi; mais beaucoup de personnes disent nor(d)-dest et nor(d)-douest, sans doute par analogie avec sud-est et sud-ouest. Cette assimilation, d’ailleurs fort ancienne, est extrêmement contestable, car le d de sud se prononce toujours, et celui de nor(d) jamais; aussi le d de sud reste-t-il d dans sud-ouest, fort légitimement; mais à quel titre le d de nord peut-il se prononcer d dans nor(d)-ouest ou nor(d)-est? Sans doute il est possible de traiter le mot composé comme un mot simple, et il est vrai que les marins disent aussi nordet, par analogie avec sudet; mais en revanche ils disent noroit, et même suroit, ce qui est remarquable. Je conclus qu’il vaut mieux prononcer nor(d)-ouest, ce qui entraîne à peu près nécessairement nor(d)-est.
1º Les chuintantes et les fricatives.
Les chuintantes, n’étant jamais muettes à la fin d’un mot, n’ont pas de liaisons.{371}
Les fricatives n’en ont pas davantage. Pourtant il y a une exception, reste de l’ancienne liaison de l’f avec changement en v[927]. Voici dans quel cas. Nous avons vu que neuf se prononçait neu fermé sans f devant un pluriel, ce qui doit amener régulièrement une liaison si ce pluriel commence par une voyelle. Or, dans cette liaison, l’f devrait se changer en v, comme dans neuvaine et neuvième. Mais ce phénomène ne se retrouve guère en réalité que dans deux expressions, d’ailleurs extrêmement usitées, et qui pour ce motif se conservent intactes: d’une part, neu(f) vans, dix-neu(f) vans, etc., d’autre part, neu(f) vheures. C’est à peu près tout: à peine peut-on dire neu(f) vhommes; en tout cas il est bien difficile aujourd’hui de dire neu(f) vœufs ou neu(f) venfants; c’est pourquoi, devant la plupart des pluriels commençant par une voyelle, la liaison, si c’est une liaison, se fait généralement par f; plus exactement, on prononce neuf, comme si le mot qui suit n’était pas un pluriel: neuf amis, et même neuf années, à côté de neu(f) vans[928].
2º Les sifflantes, S, X, Z.
Restent les sifflantes, s et z, et aussi x, partout où il remplace l’s, c’est-à-dire partout où il ne se prononce pas.
Le cas des sifflantes est au moins aussi important que celui des dentales, et demande à être aussi étudié de près.{372}
Là encore il y a beaucoup de liaisons qui, nécessaires en vers, sont facultatives en prose, d’autres qui sont encore obligatoires partout ou interdites partout.
De plus, les principes généraux sont sur beaucoup de points les mêmes que pour les dentales, ce qui nous permettra de passer plus rapidement sur ces points.
J’ajoute que la liaison se fait toujours en s doux ou z: c’est un cas particulier de la prononciation de l’s entre deux voyelles. Le phénomène est si général et si nécessaire, que l’s dur qui sonne à la fin des mots s’adoucit couramment devant une voyelle, quand les mots sont liés par le sens: on dit beaucoup moins fi(ls) sunique que fi(ls) zunique[929].
I. Les différentes espèces de mots.—Comme pour le t, les substantifs en principe ne se lient guère qu’en vers ou dans la lecture; je parle bien entendu des substantifs singuliers, le pluriel étant l’objet d’un examen spécial.
Même des expressions aussi courantes que la voix humaine, le temps est beau, ou même un avis important, qu’on peut encore lier si l’on veut, s’emploieront plutôt sans liaison dans la conversation courante[930].
La liaison n’est plus guère nécessaire que dans les{373} expressions toutes faites, comme pa(s) zà pas, au pi(s) zaller, de temp(s) zen temp(s), de temp(s) zà autre, en temp(s) zet lieu, do(s) zà dos, do(s) zau feu et ventre à table, ou encore la pai(x) zet la guerre, pour éviter un hiatus désagréable. En revanche, il y a des substantifs qui n’admettent jamais aucune liaison, comme noix, nez ou riz: ne(z) aquilin, ne(z) au vent, nez à ne(z), ri(z) au lait.
On peut même dire que tous les noms propres sont dans ce cas: c’est à peine si l’on pourrait dire, dans la conversation, Pari(s) zest grand.
Les adjectifs se lient aussi dans les mêmes conditions que pour le t, mais il y en a beaucoup moins. On dira donc bas zétage toujours, ou encore gras zà lard; mais ba(s) zet profond dans la lecture seulement, ba(s) et profond dans la langue parlée.
Il en est de même encore pour les verbes. Dans les formes les plus courantes, la liaison est indispensable, et l’on ne conçoit guère les formes des verbes être et avoir sans liaison. Et pourtant elle est déjà moins indispensable dans l’usage à la suite de nous avons et vous avez qu’avec les monosyllabes du singulier, je suis, tu es, tu as, et aussi nous sommes, vous êtes; elle est même moins indispensable après tu as qu’après tu es[931].
Elle est encore évidemment nécessaire devant y et en toniques: va(s)-zy, alle(z)-zy, et même avec e muet: songe(s)-zy bien, donne(s)-zen[932].
La liaison est un peu moins nécessaire, mais c’est{374} encore la prononciation correcte, comme pour le t, devant y et en atones, et devant un infinitif: je veu(x) zaller, je veu(x) zy aller ou vous aime(z) zà rire; moins encore dans tu va(s) zen Suisse, ou en est préposition. Pourtant beaucoup de personnes diront très naturellement si tu va(s) zà Paris, pour éviter l’hiatus désagréable de deux voyelles identiques, mais ce n’est point indispensable; pas davantage dans je rend(s) à César ou rende(z) à César. On parlera plus loin des formes à e muet suivi d’un s.
La liaison est encore nécessaire avec les prépositions monosyllabiques, dans, dès, sans, chez, sous, devant leurs régimes[933]: dan(s) zun jour, san(s) zamour, che(z) zelle, sou(s) zun arbre; elle est un peu moins indispensable avec après ou depuis. Elle est réservée à la lecture avec ci-inclus, non compris ou même hormis, tout à fait inusitée avec hors, vers, envers, à travers, dont nous parlerons tout à l’heure.
La liaison doit se faire aussi correctement avec les mots négatifs pas, plus, jamais, si peu qu’ils soient liés au mot suivant: je n’aime pa(s) zà boire, nous n’irons plu(s) zau bois, jamai(s) zon a vu; de même avec les adverbes de quantité plus, moins, très, assez, portant sur le mot qui suit: plu(s) zaimable, moin(s) zil en fait, et même, en vers, asse(z) zet trop longtemps.
Elle se fait naturellement dans des expressions composées, comme de mieu(x) zen mieux, de plu(s) zen plus, de moin(s) zen moins, voire même, si l’on veut, d’ore(s) zet déjà, sans parler de vi(s)-zà-vis.
D’autres adverbes, comme autrefois, parfois, quelquefois, désormais, longtemps, puis, se lient encore très correctement, mais plutôt dans la lecture.
La conjonction mais se lie fort bien aussi, même{375} par-dessus une virgule, car les conjonctions monosyllabiques, à moins qu’on ne veuille produire un effet spécial, ne se séparent guère des mots qui les suivent:
II. Les pluriels.—Mais le rôle principal de la liaison ici, celui qu’elle paraît devoir jouer pendant longtemps encore, c’est de marquer le pluriel. Sur ce point, elle ne fléchit guère.
C’est pour cela que les articles pluriels, les, des, aux, ainsi que ces, les adjectifs possessifs ou indéfinis, mes, les, ses, nos, vos, leurs, certains, plusieurs, etc., les adjectifs numéraux, deux, trois, six, dix, quatre-vingt, se lient encore sans exception, devant un substantif, bien entendu, même précédé de son adjectif: le(s) zamis, ce(s) zhommes, certain(s) zauteurs, plusieur(s) zautres personnes, deu(x) zaimables personnes, et même deu(x) zix(x) ou troi(s) zem (m), et aussi, avec double liaison, ce(s) zaimable(s) zenfants.
Ces liaisons sont si nécessaires que le peuple ajoute volontiers quatre à deux, trois, six et dix: le bal des Quat(re) zArts et même par quatre zofficiers.
Que dis-je? L’expression entre quat(re) zyeux a été l’objet de nombreuses discussions, beaucoup de grammairiens, et notamment Littré, l’ayant admise. Et il est certain que entre quatre yeux est difficile à prononcer, mais entre quat’yeux serait encore plus facile que entre quat’zyeux; ce n’est donc pas pour son euphonie que cette expression s’est répandue. En réalité, ce n’est même pas une question de liaison: l’expression vient tout simplement de ce que{376} pour le peuple le mot œil n’a pas d’autre pluriel que zyeux, et non yeux, qu’il ignore[935].
Si ces mots ne sont pas suivis d’un substantif, la liaison ne se fait plus dans la conversation: ainsi plusieur(s) ont prétendu, où plusieurs devient pronom; de même deu(x) et deux quatre, troi(s) et trois six, ceu(x) et celles, toutes liaisons qui se font fort bien dans la lecture. On peut bien lier aussi troi(s) zavril, quoique ce soit tout autre chose que troi(s) zans; mais ce sera uniquement pour éviter un hiatus désagréable; et l’on dira plus naturellement deu(x) avril, sans liaison.
Les pronoms personnels nous, vous, ils, elles, et même les, devant les verbes ou devant en et y, sont à peu près dans la même situation que les adjectifs devant les substantifs. Aussi lie-t-on nécessairement: nou(s) zavons dit, je vou(s) zai vu, elle(s) zont fait, elle(s) zen ont, elle(s) zy vont, je le(s) zattends.
Mais quand ces mots ne sont pas dans cette position, ils ne se lient plus dans la conversation: pour vou(s) et pour nous, donne-le(s) à mon père; donne-le(s) zà mon père semble tout à fait prétentieux. Eux lui-même ne se lie pas devant le verbe, parce qu’il n’est pas proclitique comme ils: eu(x) ont été à Paris. Toutes ces liaisons se font naturellement dans la lecture.
Il va sans dire que l’adjectif se lie avec le substantif qui le suit, puisque cette liaison se fait déjà au singulier; mais même les mots qui ne se lient pas au singulier, adjectifs ou substantifs, peuvent se lier au pluriel: grand(s) zet forts, les saint(s) zont dit, les second(s) zont fait, et aussi des gen(s) zâgés.
Et ceci pourra servir à l’occasion à marquer une différence de sens, car on distinguera correctement{377} un marchand de drap(s) zanglais, où anglais est l’épithète de draps, et un marchand de drap(s) anglais, où anglais est l’épithète de marchand.
Cette liaison est particulièrement nécessaire dans les mots ou expressions composées qui n’ont pas de singulier comme Cham(ps)-zÉlysées ou Éta(ts)-zUnis[936].
Il y a toutefois des mots qui ne pourraient pas supporter la liaison: on a vu des match(s) admirables[937]. Mais la tendance générale est si forte qu’on ajoute parfois l’s doux même à l’s dur: les mœurs zantiques, ce qui mène à mœurse zantiques.
En pareil cas, c’est l’s dur qui doit prévaloir, bien entendu: puisque l’s final sonne partout, il doit sonner devant une voyelle comme devant une consonne. On dira donc de préférence des our(s) saffamés, puisqu’on ne dit plus des our(s), et de même des fil(s) saimables.
On préfère cependant tou(s) zensemble, pour éviter la cacophonie de sansan. L’s de tous a d’ailleurs une tendance à s’adoucir devant une voyelle, ne fût-ce que par analogie avec celui de tou(s) atone et proclitique, qui est forcément doux: à tou(s) zégards, ceci étant un cas ordinaire de liaison.
Et voici encore une remarque curieuse. De ce que les substantifs et adjectifs qui ne se lient pas au singulier peuvent se lier au pluriel, il résulte cette conséquence inattendue, que les mots qui ont déjà un s final au singulier, et qui, au singulier, ne se lient pas dans la conversation, peuvent le faire au pluriel: un ca(s) intéressant, des ca(s) zintéressants, un repa(s) excellent, des repa(s) zexcellents[938].{378}
On voit même l’s s’intercaler et se lier nécessairement dans genti(ls)zhommes, soit parce qu’il ne fait qu’un mot, soit par analogie avec grand(s) zhommes[939].
La liaison est également nécessaire quand une des conjonctions et, ou, unit deux substantifs sans article entre eux; et cela non seulement dans les expressions toutes faites qui ont un article en tête, comme les pont(s) zet chaussées, les voie(s) zet moyens, les voie(s) zet communications, mais même entre deux substantifs quelconques sans aucun article, comme vertu(s) zet vices, leçon(s) zou devoirs, vin(s) zet liqueurs: outre que le lien est ainsi plus étroit, la liaison est nécessaire pour marquer le pluriel en l’absence d’article.
Quand il y a deux articles, la liaison avec la conjonction reste correcte, mais n’est plus nécessaire. On peut donc dire les messieur(s) zet les dames, ou plus simplement les messieur(s) et les dames, tout comme messieur(s) un tel et un tel[940].
Au contraire, les mots composés ordinaires, j’entends ceux qui ont un singulier[941], sont traités comme les mots simples, et ne peuvent marquer leur pluriel qu’à la fin. Ainsi l’s intérieur du pluriel, quand il y en a un, et même s’il n’y en a pas d’autre, ne s’y prononce jamais, le pluriel se prononçant alors comme le singulier. On dira donc, sans exception, des orang(s)-outangs, des char(s)-à-bancs, et tout aussi bien des ar(cs)-ken-ciel, des cro(cs)-ken{379}jambe, des por(cs)-képics, des gue(ts)-tapens, des po(ts)-tau-feu, la consonne c ou t de ces mots, qui en fait sert d’initiale à la seconde syllabe, ne permettant pas l’introduction de l’s[942].
On dira même de préférence les du(cs) ket pairs, parce que duc(s) zet pairs ferait supposer qu’il s’agit de deux catégories distinctes. On dira de même sans liaison des moulin(s) à vent, des ciseau(x) à froid, des salle(s) à manger[943]. Dans l’exemple de salle(s) à manger, nous retrouvons encore la question de l’e muet, qu’il faut traiter à part.
III. L’S après l’E muet.—En principe, l’e muet a une tendance naturelle à s’élider sans liaison, quand il est suivi d’un s. Il est même assez rare que le peuple fasse la liaison de l’s après un e muet; il va jusqu’à dire elle(s) ont fait ou vous ête(s) un brave homme.
Pourtant l’s du pronom elles ne peut pas correctement ne pas se lier. Il en est de même, nous l’avons dit, des impératifs devant en et y: donne(s)-zen, songe(s)-zy bien; et aussi des formes verbales monosyllabiques si usitées, sommes et êtes: nous somm(es) zamis, vous ête(s) zun brave homme.
Il y a encore deux formes verbales pareilles, dites et faites, qui sont dans le même cas: dite(s) zun mot, vous faite(s) zun beau travail; on est peut{380}être un peu moins exigeant pour dites que pour faites, mais ce n’est qu’une nuance[944].
On ne peut pas non plus ne pas lier l’adjectif pluriel placé devant le substantif: jeune(s) zannées. On liera même très bien le substantif pluriel avec l’adjectif qui suit: les Inde(s) zoccidentales, les Pyrénée(s)-zOrientales, qui sont d’ailleurs un mot composé, les femme(s) zanglaises[945]; et l’on pourra distinguer aussi une fabrique d’arme(s) zanglaises, où l’épithète qualifie armes, et une fabrique d’arme(s) anglaise, où l’épithète qualifie fabrique.
On dira aussi, sans article, homme(s) zet femmes, femme(s) zou enfants, sage(s) zet fous, et la liaison restera possible avec l’article, sans être nécessaire.
De même, on peut dire à la rigueur deux livre(s) zet demie. Pourtant il n’est guère admis de dire deux heure(s) zet demie: cette prononciation a un air prétentieux, ou témoigne du moins d’une certaine recherche, qui n’est pas exempte d’un pédantisme inconscient, et l’on fera mieux de dire deux heures et demie, comme une heure et demie; quant à dire deux heure(s) zet quart ou deux heure(s) zun quart, je ne crois pas qu’on s’y risque beaucoup, non plus qu’à dire entre onze heure(s) zet midi ou trois heure(s) zaprès: ce serait presque ridicule, alors qu’on dit correctement trois an(s) zaprès. On ne dit pas davantage des pompe(s) zà vapeur, sans parler des maître(s) zès arts, qui est imprononçable.
On dira même moins souvent ou moins facilement dans la conversation: ces homme(s) zont fait leur devoir que: ces gen(s) zont fait leur devoir.{381}
On voit que la liaison de la syllabe muette avec s, au pluriel, est plus restreinte dans la langue parlée que celle de la syllabe tonique. Même dans la lecture ou le discours, elle est souvent évitée comme désagréable à l’oreille, et il y a une foule de cas où elle ne peut se faire qu’en vers. Mais là elle est naturellement indispensable, sans quoi les vers seraient faux:
A vrai dire, les poètes mettent quelquefois le lecteur à de rudes épreuves, jusqu’à Racine lui-même:
Encore peut-on se tirer d’affaire ici par une pause après promesses; mais alors le vers paraît clocher, parce que l’e muet a l’air de s’élider. Ce sont des pauses qu’il faut éviter autant que possible, et l’on n’hésitera pas à dire, par exemple:
car le mot hélas! se lie assez bien à ce qui précède. Il y a d’ailleurs des pauses qui ne sont guère possibles, comme dans
où la liaison de flèches demande de la délicatesse[950].
Si l’s même du pluriel ne se prononce pas toujours volontiers dans l’usage courant après un e muet, il en{382} est de même à fortiori pour celui de la seconde personne du singulier, à part l’impératif suivi de en ou y. Car on est bien obligé de dire songe(s)-zy ou donne(z)-en, puisque l’s a été mis là exprès pour cela. Ou plutôt l’s a été prononcé là avant qu’on ne l’écrivît; mais on dit de préférence sans liaison: tu aime(s) à rire, tu chante(s) à ravir.
Sans doute, tu chante(s) zà ravir irait encore assez bien en vers; mais que dire de Tu lâche(s) zOscar, que Victor Hugo a mis dans la Forêt mouillée?
D’autre part, quand Lamartine écrit dans la Mort de Socrate:
il fait une faute d’orthographe, c’est certain, et il en a fait beaucoup de pareilles; mais peut-être a-t-il mieux aimé la faire que d’écrire Me caresse(s) zencore, qui était facile. On se demande lequel des deux valait le mieux. Tout bien considéré, je crois que les poètes auraient mieux fait d’élider franchement et par principe, malgré l’s, toutes ces secondes personnes de première conjugaison.
Quant à l’s des noms propres, il est vraiment impossible de le prononcer, même dans la lecture ou le discours; si on ne le prononce pas après une consonne ou une voyelle simple, ce n’est pas pour le prononcer après un e muet: imagine-t-on Versaille(s) zest superbe, George(s) zOhnet ou Charle(s)-zAlbert?
Ces liaisons étaient sans doute possibles autrefois, mais il y a longtemps, et aujourd’hui les poètes eux-mêmes préfèrent supprimer l’s. Voici par exemple deux vers d’Aymerillot, où Victor Hugo avait le choix:
Ni bon, ni en n’étaient indispensables; mais dans le premier vers, le poète n’a pas voulu d’une liaison qui contredisait si catégoriquement l’usage universel, et peut-être a-t-il ajouté bon uniquement pour l’éviter; dans le second, il a mieux aimé, ayant le choix, supprimer l’s que de supprimer en[951].
Victor Hugo, Edmond Rostand font généralement de même pour l’adverbe certes. Suivant les besoins du vers, Molière écrit certe ou certes, et grâce ou grâces.
IV. L’S après un R.—Enfin, de même que pour le t, il importe particulièrement d’éviter la liaison de l’s précédé d’un r, sauf deux cas: d’une part, dans un mot composé, comme tier(s)-zétat, traité comme un mot simple[952]; d’autre part, au pluriel.
Et encore, au pluriel, il faut distinguer.
On dira uniquement plusieur(s) zenfants et diver(s) zauteurs, parce que l’adjectif est devant le substantif, et aussi des jour(s) zheureux, pour éviter une ca{384}cophonie. Mais déjà on pourra dire au choix des part(s) zégales, à cause du lien qui existe entre les mots, ou des part(s) égales, comme au singulier; de même des ver(s) zadmirables ou des ver(s) admirables.
Et l’on dira plutôt des cor(s) anglais, parce que cor anglais est presque un mot composé, qui se prononce au pluriel comme au singulier; de même, à fortiori, des cuiller(s) à café, des fer(s) à repasser, des ver(s) à soie[953].
Si l’usage a fait prévaloir, du moins parmi les spécialistes, art(s) zet métiers, art(s) zet manufactures, c’est que ce sont là comme des mots composés dont le singulier n’existe pas, ce qui rappelle le cas de Cham(ps)-zÉlysées.
On dira encore fort bien: aveugles, sourd(s) zet muets, tous guérissaient, parce qu’il s’agit de catégories différentes, mais on dira les sour(ds) et muets, comme au singulier, et aussi les sour(ds) et les muets, les bavar(ds) aiment à..., ses discour(s) ont quelque chose de...
Telles sont les distinctions qu’on peut faire au pluriel. Au singulier, c’est plus simple: il n’y a pas de distinctions à faire. On dira uniquement un ver(s) admirable, comme une par(t) égale, et de même à fortiori l’univer(s) est immense, et cela où que ce soit, en vers comme en prose, puisqu’il n’y a pas d’hiatus à éviter, ni de vers qui fussent faux sans cela. La liaison ici est non seulement inutile, puisque l’r se lie naturellement avec la voyelle qui suit, mais de plus prétentieuse, n’étant plus employée nulle part. Il y a beau temps déjà que Legouvé, dans son Art{385} de la lecture, raillait le corp(s) zensanglanté d’un certain avocat.
On ne fait même pas de liaisons dans des expressions qui pourraient passer pour composées, comme corp(s) et âme ou corp(s) à corps ou prendre le mor(s) aux dents[954].
On n’en fait pas davantage dans les verbes: je par(s) aujourd’hui, tu sor(s) avec moi.
Avec l’adverbe toujours, la liaison, de moins en moins fréquente, est encore admise ou tolérée, même en parlant, sans doute en souvenir du pluriel qui est dans le mot. Mais les prépositions hors, vers, envers, à travers ne doivent pas plus se lier que les autres mots, même dans une expression toute faite, comme enver(s) et contre tous. Il y a peu de liaisons plus désagréables, je dirais presque plus désobligeantes, que celle de ver(s) zelle[955].
Je rappelle, pour terminer, que les liaisons les plus correctes, si elles ne sont pas absolument indispensables, doivent être évitées, même dans la lec{386}ture, si elles produisent une cacophonie. Or, c’est avec l’s que le cas se produit le plus facilement. Ainsi tu a(s) zôté est parfaitement correct: tu le(s) zas est indispensable; mais tu le(s) za(s) zôtés est inadmissible; on dira donc tu le(s) a(s) ôtés, la seconde liaison n’étant pas indispensable comme la première.
En résumé, nous n’avons trouvé jusqu’ici de liaisons importantes et vivantes qu’avec le son du t ou de l’s doux. Il y en a encore une, moins importante, mais très curieuse, c’est celle de l’n dans les finales nasales, l’m ne se liant jamais.
Les finales nasales se liaient autrefois, comme toutes les consonnes, et par suite ne faisaient pas en vers les hiatus qu’elles font aujourd’hui pour nous[956].
Aujourd’hui la liaison des nasales est réduite{387} presque uniquement aux adjectifs placés devant le substantif, cas essentiel, comme on l’a vu, en matière de liaison. Or les adjectifs qui peuvent être à cette place sont en somme assez peu nombreux, surtout en prose.
La plupart des adjectifs qui peuvent se lier sont en -ain: certain, hautain, lointain, humain, prochain, soudain, souverain, vain et vilain, avec plein, ancien et moyen. Mais la liaison offre ici un phénomène très remarquable, car la nasale se décompose, et c’est le son du féminin qu’on entend: certai-nauteur, un vai-nespoir, un vilai-nenfant, en plei-nair, le moye-nâge, un ancie-nami, et même au prochai-navertissement; et en vers, ou dans le style oratoire, un certai-nespoir, un soudai-nespoir, ou encore:
On dit de même un mie-nami, un sie-nami, expressions d’ailleurs assez rares[958].
On conçoit que l’existence du féminin a singulièrement facilité, ou peut-être, pour mieux dire, a seule permis cette décomposition. On se rappelle d’ailleurs que la voyelle orale qui correspond phonétiquement au son in n’est pas i, mais bien è, ce qui facilite encore la décomposition: in devient è très naturellement[959].{388}
Il est vrai que quelques personnes lient sans décomposer: plein nair; mais c’est encore une erreur, qui provient uniquement du fétichisme de l’orthographe, et du besoin de prononcer les mots comme ils sont écrits. Ou peut-être est-ce un respect scrupuleux d’anciennes traditions: l’abbé Rousselot a remarqué que cette prononciation se rencontre de préférence dans certains milieux traditionalistes et réactionnaires.
En tout cas, elle est presque aussi surannée que an-née, solen-nel ou ardem-ment prononcés avec des nasales[960].
Naturellement on dira sans liaison: vain et faux, ancien et démodé, etc., l’adjectif n’étant pas devant un substantif.
Il y a encore quelques autres adjectifs qui sont dans le même cas que les adjectifs en -ain.
Il n’y en a point en -an, et cette finale ne doit jamais se lier.
En -on, il y a bon, et le phénomène est exactement le même: un bo-nélève, et non un bon nélève[961]; alors qu’on dit bon à rien, bon à tirer, sans liaison.
L’exemple de bon est suivi par mon, ton, son, qui sont aussi des adjectifs, et sont traités comme si leurs féminins étaient monne, tonne, sonne: mo-nhabit, to-namour, so-nesprit[962].{389}
Le cas des adjectifs en -in est plus délicat, car -in fait au féminin -ine, qui ne correspond pas phonétiquement au masculin. Pourtant la grande diffusion des cantiques de Noël a répandu et imposé l’expression divi-nenfant. Par analogie, on dira très correctement divi-nAchille, divi-nUlysse, divi-nHomère; mais ici la décomposition de la nasale s’impose moins absolument, quoique la liaison soit également indispensable. C’est d’ailleurs le seul adjectif en -in qui puisse se décomposer: malin esprit ou fin esprit se lieront donc au besoin sans décomposition; mais je pense qu’esprit malin et surtout esprit fin vaudraient beaucoup mieux[963].
On peut dire de -un la même chose que de -in: le féminin ne correspond pas phonétiquement au masculin[964]. Néanmoins l’adjectif un s’est longtemps décomposé comme les autres, et Littré disait encore u-nhomme. Cette prononciation a disparu à peu près complètement, à Paris du moins, chez les personnes instruites. Cela tient sans doute à ce que des confusions de genre se sont produites. Par exemple le peuple faisait u-nomnibus du féminin. Dès lors les personnes instruites ont craint peut-être qu’on ne les accusât de faire féminins des noms masculins, et{390} l’usage s’est établi de faire la liaison sans décomposer: un nhomme, un nami, un nun[965].
On dit aussi un nà un, et même, si l’on veut, l’un net l’autre[966]; mais on dit sans liaison un ou deux, et même un et un font deux, l’un est venu, l’autre est resté; et à ving et un nans, où ans est multiplié par ving et un, on opposera vingt et un avril, où avril n’est pas multiplié[967].
Aucun a fait exactement comme un, dont il est composé, et conserve aujourd’hui le son nasal en se liant devant un substantif: un nhomme, aucun nhomme. On dit aussi d’un commun naccord, ou encore chacun nun, qui évite un hiatus désagréable, et même, en géométrie, chacun nà chacun; mais, à part ces expressions, on lie très rarement chacun et quelqu’un, et seulement dans la lecture.
Outre les adjectifs, il y a encore cinq ou six mots invariables qui se lient: les pronoms indéfinis en (pronom ou adverbe), on et rien, l’adverbe bien et la préposition en, parfois même l’adverbe combien. Ces mots-là aussi se lient sans se dénasaliser, tout simplement sans doute parce qu’ils n’ont pas et ne peuvent pas avoir de féminin: ainsi je n’en nai pas, s’en naller, on na dit, je n’ai rien naccepté, rien nà dire, rien nautre, vous êtes bien naimable, ou bien nà plaindre, bien nentendu, c’est bien nà vous de..., en nAsie, en nargent, en nétourdi, en naimant; et aussi, mais moins nécessairement, combien navez-vous de...?[968].{391}
Naturellement, pour que la liaison puisse se faire, il faut que le lien entre les mots soit suffisant, car on dira sans liaison donnez-m’en un peu, parlez-en à votre père, a-t-on été, je n’ai rien aujourd’hui, rien ou peu de chose, nous sommes bien ici, bien et vite, combien y a-t-il d’habitants à Paris? et cela même en vers, au moins dans les premiers exemples.
Mieux encore: il arrive que on est traité comme une sorte de nom propre, et en ce cas il ne se lie pas. Ainsi, à une phrase telle que on na prétendu que..., il sera répondu, sans liaison: On est un sot, comme on dirait Caton est un grand homme.
*
* *
En somme, et tout bien considéré, on a pu voir que même en prose, même dans la conversation la plus courante, il se fait encore un assez grand nombre de liaisons, dont certaines sont absolument indispensables. Il est même à noter que, pour quelques liaisons qu’on faisait autrefois et que nous ne faisons plus, en revanche la diffusion de l’enseignement a rétabli dans l’usage courant de la conversation beaucoup de liaisons que le XVIIᵉ siècle et le XVIIIᵉ n’y faisaient déjà plus. Au XVIIᵉ siècle, les personnes les plus instruites disaient couramment sans liaison, d’après le témoignage des meilleurs grammairiens, cités par Thurot: vene(z) ici, je sui(s) assez bien, voyon(s) un peu, avez-vou(s) appris, des cruauté(s){392} inouïes, des tromperie(s) inutiles, et même d’inutile(s) adresses; et encore commen(t) avez-vous dit, i(ls) doive(nt) arriver, nous somme(s) allés; toutes façons de parler qui subsistent plus ou moins dans le langage de la bonne compagnie, celle qui, par tradition, garde, dans la conversation comme dans les manières, cette simplicité qui est une de ses élégances.
Il nous faut répéter, pour conclure, ce que nous avons dit maintes fois dans cet ouvrage: le parler des gens du monde n’est pas celui des professeurs, des acteurs, et, en général, des gens qui font profession de la parole, avocats, hommes politiques, etc.
Molière avait bien remarqué ces nuances, comme il se voit par les recommandations qu’il adresse à l’un des comédiens de l’Impromptu de Versailles: «Vous faites le poète, vous, et vous devez vous remplir de ce personnage, marquer cet air pédant qui se conserve parmi le commerce du beau monde, ce ton de voix sentencieux, et cette exactitude de prononciation qui appuie sur toutes les syllabes, et ne laisse échapper aucune lettre de la plus sévère orthographe.»
Depuis le temps de Molière, et pour diverses raisons, les façons de parler prétentieuses qu’il raillait si bien ont gagné du terrain, et elles ont atteint des classes sociales qui, jusqu’à présent, en étaient exemptes. Mais, aujourd’hui comme autrefois, le dire de l’abbé d’Olivet reste vrai: «La conversation des honnêtes gens est pleine d’hiatus volontaires qui sont tellement autorisés par l’usage que, si l’on parlait autrement, cela serait d’un pédant ou d’un provincial.»
a, b, c, e, f, g, i, l, m, o, p, q, s, t, u, v, y.
-a, 18.
-ab, -abe, 23.
-able, -âble, 30.
-abre, 32.
-ac, 21, 212.
-ace, -âce, 22.
-ache,-âche, 22.
-acle, -âcle, 30.
-acre, -âcre, 31.
-act, 215.
-ad, -ade, 24.
-adre, 31-32.
-af, -afe, 22.
-afle, 30.
-afre, -âfre, 31.
-ag, 24.
-age, 29.
-agne, 26.
-agre, 31.
-ague, 24.
-ah, 19.
-ai, 79.
-aï, 119.
-aid, 81, 229.
-aide, 83.
-aie, 56, 81.
-aigne, 83.
-ail, 26, 259.
-aile, 83.
-aille, 26, 28, 264.
-ailler, -ailleur, etc., 35-36.
-aime, 83-84.
-ain, 344.
-ainc, 213.
-aine, 84.
-aing, 236-37.
-ains, 308.
-air, -aire, 84, 292.
-airie, 85.
-ais, 81, 302.
-aise, 84.
-aisse, 83.
-ait, 81, 327.
-aite, 82.
-aître, 85.
-aix, 344.
-ak, 45.
-al, 24, 258.
-ale, -âle, -alle, 24.
-am, 24, 129-131, 274.
-ame, -âme, -amme, 24.
-amment, 276.
-an, 25, 134.
-anc, 213.
-and, 135, 228.
-ane, -âne, -anne, 25-26.
-ang, 236-238.
-ans, 303-309.
-ant, 135, 228, 329.
-ap, 21, 284.
-ape, -âpe, -appe, 21.
-aphe, 22.
-aple, 31.
-apre, -âpre, 31.
-aque, -âque, 21.
-ar, 28, 292.
-ard, 28, 228.
-are, -arre, 28, 29.
-archat, 222.
-archie, 224.
-aron, -arron, 36.
-art, 28, 330.
-as, 19-20, 23, 300-301.
-ase, 29.
-aser, -asif, etc., 34, 36.
-asme, 275, 315.
-ass, -asse, -âsse, 22.
-asser, 34.
-assion, 38.
-at, 19, 45, 325.
-ate, -âte, -atte, 19, 45.
-ateur, -ation, -atif, 38.
-atre, -âtre, 31.
-atrice, -ature, 38.
-au, 113, 116.
-aube, -auce, etc., 114.
-aud, 113, 229.
-aude, -auffe, etc., 114.
-auld, 229, 261.
-ault, 268, 328.
-aur, -aure, 114-15.
-aut, -aute, 113-14, 328.
-auté, 115.
-aux, 344.
-ave, 29.
-avre, 32.
-ay, 80.
-aye, 28, 83, 191.
-ayer, 163, 191, 193.
-az, -aze, 29, 350-51.
-berg, 67, 236, 238.
-bourg, -burg, 236, 238.
-burn, -burns, -bury, 126.
-chée, -chéen, 223.
-cher, 293-94.
-chi, 226.
-chin, 224.
-chine, -chique, -chisme, -chiste, 225.
-chite, 225.
-cueil, 93, 259.
-é, 52.
-e latin ou étranger, 52, 75-76.
-è, 54.
-eb, -èbe, 61.
-èble, -èbre, 68.
-ec, -ecq, -ecque, 57, 212.
-èce, 59-60.
-èche, -êche, 59.
-ècle, -ècre, 68.
-ect, 215-16.
-ed, -ède, 61.
-èdre, 68.
-ée, -ées, 56.
-éen, 137.
-ef, -effe, 59, 231.
-èfle, -effre, 68.
-eg, 61.
-ège, 65.
-ègle, 68.
-ègne, 64.
-ègre, 68.
-ègue, 61.
-eiche, -eige, etc., 82-85.
-eil, 65, 259.
-eille, 65, 83, 264.
-é-je, 65.
-el, 61, 258.
-èle, -ête, -elle, 61.
-elier, -elions, -eliez, 166.
-em, 62, 129, 131, 274.
-emble, -embre, 140.
-ème, -ême, -emme, 62-63.
-emment, 74, 131, 276.
-empe, -emple, 140.
-en, 64, 136-38, 279.
-enc, 140.
-ence, 140.
-end, 138.
-ende, -endre, 140.
-ène, -êne, -enne, 61.
-eng, 140, 237-38.
-ennal, -ennat, etc., 281.
-enné, -ennant, etc., 281.
-ens, 139-140, 308-309.
-ense, 140.
-ent, 138, 161, 329.
-ente, 140.
-entiel, -ention, 141.
-ep, -èpe, -êpe, -eppe, 57-58.
-eph, -èphe, 59.
-èpre, -êpre, 68.
-eps, 309-10.
-èque, -êque, 57.
-er, 53-54, 66-67, 292 sqq.
-erd, 228.
-ère, -erre, 66.
-èrement, 73.
-ers, 295, 310.
-ès, 55, 60, 301-302.
-esce, 59.
-èse, 68.
-esle, -esme, -esne, etc., 313.
-esse, 59-60.
-essible, -essif, etc., 323.
-et, 55, 58, 326-27.
-êt, 55.
-ète, -ête, -ette, 58.
-ètre, -être, -ettre, 69.
-etti, -etto, etc., 340.
-eu, -eue, 90.
-euble, 93.
-eude, 92.
-euf, 91, 93, 231.
-euil, 93, 259.
-euille, 93, 264.
-eul, 93, 258.
-eule, 92, 93.
-eumatique, 96.
-eume, 92.
-eune, -eûne, 92, 93.
-euple, 93.
-eur, 93-94, 292.
-eure, -eurre, 93-94.
-eurer, 96.
-eus, 92, 304.
-euse, 91.
-eusement, 95.
-eut, 91.
-eute, -eutre, 92.
-eutique, 96.
-euve, -euvre, 94.
-eux, 90, 91, 344.
-ève, êve, 67.
-èvre, 69-70.
-ey, 345.
-ey, 80.
-eyer, 163, 193.
-ez, 53, 68, 350-51.
-èze, 68.
-field, 78, 229.
-ford, 228.
-ger, 293-94.
-gua, 241.
-guë, 244.
-gueil, 93, 259.
-guier, -guière, 243.
-i, -ie, 117, 118.
-ibe, 118.
-ic, 118, 212.
-ict, 217.
-iez, 220, 352.
-ide, 118.
-ien, 136-37.
-iens, 308.
-ient, 138.
-ier, -iers, 53, 268, 293, 295.
-if, 118, 231.
-ig, igue, 118, 238, 241.
-iions, -iiez, 119, 189, 190.
-il, 259-60.
-ille, 265-67.
-illa, 268.
-illade, -illage, etc.,
267, 270.
-im, -ime, 118, 274.
-in, 145, 279.
-inck, 146.
-inct, 217.
-ing, 120, 145-46, 237-38.
-ins, 309.
-ions, -iez, 268.
-ip, -ique, 118.
-ir, -ire, 118, 292.
-is, 117, 302-303
-ise, isse, 118.
-iser, 119.
-isme, 275, 315.
-issible, -issime, etc., 323.
-iste, 333.
-it, -ite, 117-18, 327-28.
-itz, 351.
-ix, 117, 344-46.
-iz, 350-51.
-land, 135, 228.
-lier, 262.
-machie, 224.
-man, -mann, 131, 279.
-mesnil, 313.
-o, 98.
-ob, -obe, 104.
-oble, obre, 108.
-oc, 100, 102, 212.
-oce, -oche, 102.
-ocle, -ocre, 108.
-od, 100, 229.
-ode, 104.
-oë anglais, 53.
-of, -ofe, 102.
-ofle, -ofre, 108.
-oge, -ogue, 104.
-ogre, 108.
-ogue, 104.
-oi, oie, 46.
-oï, 119.
-oide, -oif, -oile, etc., 47-48.
-oing, 236-37.
-oir, oire, 47, 292.
-ois, 46, 301.
-oit, oite, 40-47, 325-26.
-oix, 47, 344.
-ol, -ole, -olle, 104.
-ome, -omme, 104-6.
-ompt, 329.
-on, 148, 388.
-onc , 213.
-ond, 288.
-one, -onne, 106.
-ong, 236-38.
-onner, -onnaire, etc., 281.
-ons, 302.
-ont, 325.
-op, -ope, 100, 102.
-ophe, 102.
-ople, -opre, 108.
-ops, 309-10.
-ogue, 102.
-or, 108, 292.
-ord, 108, 228.
-ore, -orre, 108.
-orer, 111.
-ors, 108.
-ort, 108, 330.
-os, 98, 102, 304.
-ose, 101.
-oser, -oisif, -osion, 110.
-osité, -osition, 110.
-osse, 102.
-ost, 331.
-ot, 98-99, 327-28.
-ote, -otte, 102.
-oter, -otif, 111.
-otion, 110.
-otre, 108.
-ou, 121.
-oud, 121, 228.
-ouil, 259.
-ouille, 122, 264.
-ouiller, 122.
-oul, 258-59.
-ould, 229, 261.
-oult, 261, 328.
-oup, 284.
-our, -oure, 121, 292.
-ourd, 228.
-ourer, 122.
-ous, 121, 304-5.
-ouser, 122.
-out, 121, 328-29.
-oux, 344.
-ove, 104.
-ow, 341, 343.
-own, -owski, 343.
-oyau, 191.
-oyer, 163, 193-94.
-oz, 107, 351.
-put, 329.
-quin, -quine, 289.
-schi, 226.
-seur, -sion, -soir(e), 321.
-son anglais, 148.
-spect, 216, 330, 361-62.
-stadt, 325.
-tiaire, -tial, 333.
-tie, 333, 335, 337.
-tié, 334, 336.
-tiel et dér., 333.
-tième, 336.
-tien, -tienne, 333, 337.
-tier, tière, 336.
-tieux et dér., 333.
-tion et dér., 187, 333, 335.
-ton anglais, 148.
-u, ude, etc., 121-22
-ueil, 93.
-uite, 242.
-um, 123, 125.
-un, 149, 389.
-ur, -ure, 121, 292.
-urer, -urie, 122.
-us, 305-307.
-user, 122.
-ut, 329.
-ux, 344.
-uyer, 193.
-uz, 351.
-ville, 266-67.
-viller, villier, 270, 291.
-yen, 137.
N. B. Cet index eût été plus que doublé, si on y avait introduit tous les mots du texte et tous les noms propres. Mais c’eût été parfaitement inutile. D’abord une foule de mots sont cités comme exemples de prononciation normale pour les finales principales, et pour ceux-là l’index qui précède doit évidemment suffire. On peut même dire que cet index, qui est très étendu, en y joignant la Table des matières qui est fort développée, suffirait aisément pour trouver n’importe quel mot. On n’a pas voulu cependant refuser au lecteur un index alphabétique, qui dans certains cas peut être commode; mais on n’y a mis que l’utile, c’est-à-dire les mots sur la prononciation desquels on peut hésiter, ceux qui sont cités plus d’une fois, ceux qui sont l’objet de remarques spéciales, enfin tous ceux qui ont quelques chances d’y être cherchés. Par exemple certains mots techniques et rares ne sont employés que par les spécialistes, qui connaissent leur prononciation: à quoi bon en encombrer un index où personne ne les cherchera? D’autre part beaucoup de noms propres sont insérés dans des listes plus ou moins longues, où on les trouvera aussi facilement ou aussi rapidement avec la Table des matières qu’à l’aide d’un index alphabétique. A quoi bon répéter par exemple au W les listes qui sont déjà au chapitre du W? De même pour beaucoup de mots étrangers. Il suffit que le lecteur soit bien averti qu’un mot qui est absent de la liste n’est pas pour ce motif absent du livre. J’ajoute que les abréviations imprimées en italique représentent plusieurs mots qui sont dans la même page, ou même des séries nombreuses, comme les finales.
A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z
A
Abatucci, 125, 220.
abbaye, 190.
abject, 215, 330.
ab ovo, 111.
Abraham, 25, 129, 130.
abricotier, 111.
abrupt, 331.
Abruzzes, 351.
abs-, 202, 315.
accessit, 328.
accroc, 100, 212.
accueil, 93.
Achéron, 224.
achète, 222.
Achille, 225, 267.
achillée, -éide, 225-26, 270.
Achmet, 226.
aconit, 327.
acrimonie, 33.
Adam, 37, 129-30.
adéquat, 291, 325.
adosser, 110.
ad patres, 38.
adventice, 141, 142.
adventif, 141.
affairé, 85.
affres, 31, 32.
Agen, 138.
Agenais, 165.
agneau, 87.
Agnès, agnus, 245.
aigu, 85.
aigu-, 242-44.
aimer, 85.
Aïnos, 304.
ains, 308.
aisé, 85.
Aix, 344.
Ajaccio, 219, 255.
Alais, 302.
albatros, 102, 304.
albinos, 102, 304.
alcarazas, 300.
alcool, 104.
Alexis, 303.
Alger, 294.
Algésiras, 319.
alguazil, 36, 243, 260.
aliquante, 291.
Allah, 19.
alleluia, 193.
all right, 120.
almanach, 221.
Almeida, 88.
alors, 310.
aloyau, 190.
alphabet, 326.
Alsace, 315.
altier, 293.
amarrer, 34.
ambesas, 300.
amer, 294.
amict, 217, 330.
Amiens, 139, 309.
amitié, 334, 336.
Anchise, 226.
ancillaire, 270.
Angers, 295.
Angra-Pequeña, 280, 289.
anguille, 242, 265.
anis, 37.
ann-, 281.
Anne, 26.
année, 131, 281.
Annunzio, 149, 282.
anspect, 216.
antechrist, 331.
anti- devant voy., 383.
anti- devant s et voy., 317.
antienne, 337.
anus, 38.
Anvers, 310.
aoriste, Aoste, 41.
août, 39-40, 329.
aoûter, aoûteron, 40-41.
api, 37.
aplomb, 210.
app-, 286.
appendice, -icite, 142, 286.
appétit, 165.
appogiature, 246.
a priori, 38.
aqua-, 291.
aqueduc, 165.
aquilin, aquilon, 289.
arachide, 225.
araignée, 87.
arc-boutant, etc., 214.
archal, 222.
arché-, 223.
archi-, 225.
arctique, 217.
Arcueil, 93.
Argens, 139, 309.
Argueil, 93.
arguer, 241.
Arguin, 146, 243.
argutie, 337.
aristo, 100.
Arkansas, 319.
arr-, 297.
Arras, 301.
arriéré, 73.
arroser, 110.
arrow-root, 113, 343.
Ars-, 315.
arsenic, 213.
arts et métiers, 384.
Aruns, 149, 309.
as, 300.
aseptique, 317.
Asnières, 33.
aspect, 216.
ass-, 322.
Assas (d’), 301.
assez, 53, 350.
assied, assieds, 52, 228.
asthme, -atique, 315, 332.
asym-, 317.
atlas, 23, 300.
att-, 339.
atterrir, 73.
au- initial, 115-116.
Aubenas, 301.
Auch, 114, 221.
Auerstædt, 57, 61, 78.
Augsbourg, 244.
aujourd’hui, 116.
aulne, Auln-, 261-62.
Aunis, 303.
Aureng-Zeyb, 88, 238.
aurochs, 309.
Austerlitz, 351.
auto, 100.
automne, -al, 275.
autrui, 197.
Auxerre, -ois, 347.
Auxonne, 347.
avant-hier, 366.
avec, 213.
aveline, 37.
aveugle, 92, 93.
avril, 261.
Ay, 191.
ayant, 189.
aye, ayent, 163, 194.
Ayen, 191.
azimut, 329.
B
Baal, 24.
babil, 261.
baby, 43, 121.
Bacciochi, 220, 226.
Bacchus, 37.
bacille, 266.
Bædeker, 68, 78.
Bagration, 339.
Baïes, 28.
bairam, 88.
Balaam, 25.
balaye, 193.
balbutier, 336.
balsamique, 315.
Banyuls, 125, 310.
banzaï, 119.
bapt-, 285.
bardit, 327.
bar-maid, 88.
baroque, 37.
barricade, 34.
basa-, 36.
bascule, 38.
Basile, 36.
basileus, 72, 304, 318.
basilique, basoche, 36.
basquine, 289.
basset, bassesse, basson, 35.
bastonnade, 38.
Bataves, 37.
bay-, Bay-, 191.
Baylen, 88.
Bayreuth, 88, 92.
baz-, Baz-, 36.
Béarn, 280.
beaucoup, 284, 360.
Beauvaisis, 303.
Bebel, 76.
bec-, 212.
beefsteack, 43, 313.
Beethoven, 78.
béguin, béguine, 243.
Belfort, 262.
Belsunce, 149, 315.
Belzébuth, 332.
Ben-, 144.
bengali, 143.
Benjamin, 143.
benjoin, 143.
Benserade, 143.
Bentivoglio, 144, 246, 280.
benzine, 144.
Berlioz, 107.
Bernoulli, 269.
Besenval, 141.
besicles, 170.
besson, 171.
bêta, 18.
bêtise, 72.
Beu-, 96.
beugle, 92.
Beyrouth, 88.
bief, biez, 231, 350.
bien, 136, 390.
bigarré, -reau, 34, 37.
bill, 264.
billebaude, -vesée, 267.
Billom, 130.
bis, 303.
Biscaye, 28, 191.
blason, 36.
Blaye, 28, 191.
bleuet, bluet, 94.
blockhaus, 116, 304.
Blücher, 224, 295.
bluff, bluffer, 126.
boa, 112.
bobo, 111.
Bœcklin, 77, 146.
Boerhaave, 39, 78.
Boers, 66, 78.
bœuf, 91, 93, 231-32.
Bohême, 199.
Boilly, 269.
Bois-, 312.
bonneterie, 173.
book, 112.
bookmaker, 42-43.
Boson, 110.
Boullongne, 282.
bourg, Bourg, 236, 363.
bourgmestre, 236.
Bourgueil, 93.
bow-window, 343.
boy, 50.
boyard, 191.
boycotter, 50.
brahme, 25.
Bramante, 52.
brame, 25.
brasero, 76, 318.
brayette, 191.
bréchet, 170.
Bretagne, 87.
breuvage, 93.
breveté, 170, 173.
bric (de) et de broc, 212.
briqueterie, 173.
broc, 100, 212.
Broglie, 246.
bronch-, 222.
Brongniart, 232.
Brooklyn, 113, 146.
browning, 145, 238, 343.
Brown-Sequard, 291, 343.
bruire, bruit, etc., 197.
Brunswick, 149.
brut, 329.
Bruxelles, 347.
bruyant, 190, 192.
bruyère, 192.
Buch, 221.
budget, 126.
Buona-, 125.
Bueil, 53.
Buenos-Ayres, 60, 84, 88.
buffleterie, 172.
bulbul, 124.
bull, John Bull, 125.
burg, 124.
but, 329.
Buzenval, 143.
Byron, 121, 148.
C
cabre, cabrer, 32, 34.
cacaoyère, 191.
cachexie, 224.
cachucha, 226.
cadavéreux, 34.
cadédis, 303.
cadenasser, 35.
Cadix, 37.
cadran, cadrer, 34.
cadre, 31.
cæcum, 75.
Caen, 134, 137.
Caennais, 134.
Cagliostro, 246.
cail-, 36.
Calais, 37.
Calas, 301.
Calderon, 76.
Calicut, 329.
Calvados, 103, 304.
camarilla, 268.
Cambrésis, 303.
Cameroun, 76.
Camille, 265.
camomille, 265.
cant, 330.
canut, Canut, 329.
caoutchouc, 41, 212, 249.
capillaire, 270.
caqueterie, 173.
Carabas, 301.
Carducci, 125, 220.
carotte, 37.
Carpentras, 141, 301.
carr-, 34.
carriole, carrosse, 37.
casemate, 36.
Caserte, 52.
casoar, 199.
casse, casser, 22, 34.
casserole, 35.
cassette, 35.
cassis, 37, 302.
Castiglione, 246.
Câtelet, 33.
catéchumène, 223.
cauchemar, 116.
cautériser, 116.
Cavaignac, 87.
Caventou, 141.
celer, 190.
Cellini, 219.
celui, 263.
cens, 139, 308.
cent-, 141.
centaure, 114.
centaurée, 115.
centiare, 338.
cep, 284.
cercueil, 93.
cerf, 232.
ces, 54.
Ceuta, 96.
Ceylan, 88.
Chablis, 37.
chalet, 37.
challenge, 43, 144.
chamarrer, 34.
Chamfort, 129.
Chamlay, 129.
Chamonix, 344.
Champagne, 87.
Champaigne, 87.
Champmeslé, 73, 284.
Champs-Elysées, 377, 378, 384.
Chan-, 227.
chaouch, 221.
chargeure, 240.
chariot, 37.
charr-, 36-37, 297.
chassieux, 37.
châtaigne, 87.
châtier, 335.
Chaulne, 261.
ché-, Ché-, 224.
chef-, 231.
Chemulpo, 125, 227.
chéneau, 169.
cheptel, 285.
cher, Cher, 294.
Cherbuliez, 350.
chérif, 224.
cherra, 73, 297.
chérubin, 224.
Cherubini, 125, 224.
chester, 226, 295.
chévecier, 170.
chevesne, 310.
Cheviot, 328.
chez, 53, 350.
chi-, 224-25.
Chi-, 226-27.
Childe-Harold, 120, 226
chinchilla, 226, 268.
chocolat, 18.
Choiseul, 93, 258.
chol-, chor-, 222.
chrétien, 142, 335, 337.
chrétienté, 142.
Christ, 331.
chrestomathie, 338.
chromo, 100.
chulo, 124, 226.
chut, 123.
chyle, chyme, 225.
ci-gît, 327.
cinabre, 32.
cinq, 287.
Cinq-Mars, 287, 310.
cipaye, 28, 191, 303.
circonspect, 216.
clamer, clameur, 34.
Clarens, 140, 308.
claret, 327.
Claretie, 337.
classe, classer, 22, 33.
classique, 33, 323.
Claude, Claudine, 218.
clef, 231.
clerc, 214, 363.
Clésinger, 239, 295.
cloaque, 112.
clown, 343.
club, 126.
Clytie, 337.
co-, 112.
coaltar, 45.
cobaye, 28, 191.
Coblentz, 139.
Cobourg, 110.
Coccaie, 191.
coccyx, 346.
cock-tail, 88.
coco, 111.
codicille, 266.
Coëfféteau, 200.
Coëtlogon, 75.
cognassier, 245.
Coigny, 49.
col, 258.
cold-cream, 45.
coll-, 272.
colliqu-, 291.
Colomb, 210.
comm-, 277.
compagnie, 282.
compagnon, 87.
compendieux, 141.
compte et dér., 285.
con brio, etc., 148.
concept, 331.
Condom, 130.
Confolens, 140, 308.
conifère, conique, 109.
conjungo, 149.
Connaught, 116, 282, 328.
conquistador, 290.
conscience, -ient, 314.
consomption, 285.
construire, 197.
contre- devant s et voy., 317.
coolie, 112.
coq, 287.
corps, 284, 309.
corr-, 298, 299.
Corte, 52.
cos- devant voy., 317.
côté, coteau, -lette, 109.
cotignac, 212.
cottage, 43.
couenne, 64.
couguar, 243.
coup, 284.
courr-, 297, 299.
cours, 310.
Coutras, 301.
cow-boy, 50, 343.
cowpox, 343.
crabe, 23.
Craon, 133.
Craonnais, 134.
Craonne, 134.
crémaillère, 36.
crescendo, 144, 220.
cresson, 171.
cric, 212.
cricket, 327.
Critias, 339.
croc, 100, 212.
croc-en-jambe, 100, 361.
Cromwell, 274, 342.
croquet, 327.
crucifix, 344.
cuiller, 269, 293, 295.
cuillerée, 165, 269.
Cujas, 301.
cul et comp., 258-259.
Curaçao, 41.
curetter, 166.
Cyrille, 267.
czar, 220.
Czar-, Czerny, etc., 220, 352.
D
Daily News, 87, 343.
daim, 130.
dam, 129.
damas, Damas, 301.
dame-jeanne, 26.
damnation, 34.
damne, damner, 25, 34, 275.
Damrémont, 129.
Damville, 129.
Dantzig, 238.
Darwin, 146, 342.
Daubenton, 141.
David, 229.
débet, 327.
debout, 329.
Decaen, 137.
déclarer, 37.
décollète, 174.
décorum, 111.
dédaigner, 85.
déficit, 328.
degré, 170.
dehors, 170.
déjà, 75.
déjeune, 92.
délabre, -er, 32, 34.
déliquescence, 288.
dendrite, 142.
Denis, Denys, 303.
de profundis, 149.
dérailler, 35, 259.
dernier, 359.
des, 54.
Des- devant cons., 312.
dés- devant voy., 316, 317.
Desaix, 319, 344.
Desèze, etc., 319.
désosser, 109.
desquamation, 291.
desquels, 72, 312.
dess-, 321.
dessus, dessous, 320.
détritus, 305.
détruire, 197.
Deucalion, 96.
deutéronome, 96.
deux, 344.
deuxième, 348.
diable, 30.
diablesse, diablotin, 35.
diachylon, 225.
diagnostic, 110.
diffamer, 33.
Dillon, 267.
diplomate, 109.
disponible, 110.
diss-, 322.
distille et dér., 266.
distinct, 217, 330.
district, 217, 330.
divin, 389.
dix, 345-346, 356.
dixième, 348.
dodéca-, 111.
dodo, 111.
dog-cart, 330.
doge, 104.
doigt, 236, 325.
dom, 130.
Dombasle, 24.
Domfront, 129.
Dommartin, 129.
dompter, 285.
Domremy, 171.
doña, 280.
donc, 213.
dossier, 110.
dot, 100, 328.
douairière, 87.
Douarnenez, 350.
Doubs, 210.
Doullons, 140, 308.
drachme, 226.
Draguignan, 243.
drawback, 45, 342.
dreadnought, 246.
drolatique, 109.
Drouyn, 147, 148.
Droysen, 50.
druide, 197.
Du Bellay, 271.
Duchesnois, 73.
Dugazon, 36.
Du Guesclin, 73, 313.
Dulaurens, 139, 309.
Dumesnil, 73.
Dumouriez, 53, 350.
Duncan, etc., 149.
Dundee, 78, 149.
duo, 197.
Dupleix, 344.
Dupuytren, 138.
Duras, 301.
Dusaulx, 319.
dysenterie, 141, 316.
E
ébruiter, 197.
échecs, 213.
échevelé, 157, 173.
Ecouen, 137.
écueil, 93.
écuyer, 190.
edelweis, 88.
éden, 138.
effendi, 144.
éléphantiasis, 338.
elle, 62.
Elsa, Elsevier, 315.
emm-, 132, 275-76.
empierrer, 73.
empoigne, -gner, 49.
en, 137, 380.
en- initial, 140.
enamourer, 133.
encadre, -er, 31, 34.
encaustique, 116.
encoignure, 49.
endiablé, 35.
endosser, 110.
enfer, 294.
enflammer, 35.
Engadine, 144.
Enghien, 137.
enhardir, 248.
enharmonie, 132.
enivrer, 132, 133.
ennemi, 74.
ennoblir, etc., 132.
ennui, 132.
enorgueillir, 97, 133.
enregistrer, -ement, 170.
ensevelir, 173.
entasse, -er, 22, 34.
entêté, 72.
entier, 293.
entrelacs, 213, 309.
entresol, etc., 317.
envergure, 240.
enverrai, 73, 297.
épaissir, 85.
épaulette, 116.
épenthèse, 142.
épizootie, 338.
époussette, 174.
équarrir, 291.
équat-, 291.
éque-, 288.
équi-, 289.
érafle, -er, 31, 34.
err-, 297-298.
es (tu), 56.
ès, 60, 302.
escadre, 31.
Eschine, 313.
Eschyle, 225, 313.
escient, 314.
escroc, 100, 212.
escroquer, 111.
esquire, 120, 290.
essaim, 130.
essayer, 193.
est (il), 55.
est-ce, 60.
estomac, 212.
estramaçon, 37.
Estramadure, 125.
étaim, 130.
Etats-Unis, 377, 383.
éteuf, 231.
étiage, 335.
Etienne, 337.
étioler, Etioles, 338.
étiologie, 338.
eu, eus, eusse, 94, 164.
eu-, Eu- initial, 75-96.
Eudes, 92.
euphuisme, 197.
ex- devant voy., 348-49.
exact, 215, 330.
ex æquo, 349.
examen, 137-138, 279.
exc-, 348.
exeat, 325, 349.
Exelmans, 135, 309, 349.
exempt et dér., 284-285, 329, 349.
exequatur, 291, 349.
exs-, ext-, 348.
extraordinaire, 41.
extrémité, 73.
ex voto, 111.
Ezéchias, Ezéchiel, 226.
F
fa, 18.
fabrique, 34.
fabuliste, 34.
factotum, 111.
faim, 130.
fainéant, 74.
Fairfax, 88.
fait, 327.
fantasia, 318.
faon, 183.
farniente, 144.
faséole, 36.
fashion, 323.
fat, 325.
Faucilles, 267.
faulx, 262.
Faust, 114.
fayot, 191.
féerie, 73.
feldspath, 229.
fêlure, 72.
femme, 64, 131.
Fénelon, 165.
fer, 294.
Féroë, 77.
ferr-, 297.
ferrailler, 74.
ferrer, ferrure, 73.
fêter, 73.
feu-, Feu-, 96.
fez, Fez, 350, 351.
fibrille, 266.
fier, Fier, 293-295.
Fieschi, 78, 226.
Fiesole, 52, 78.
fils, 261, 302-303, 309.
five o’clock, 120.
Flameng, 140, 238.
Fleurus, Fleury, 96.
flirt, flirter, 120, 330.
fluide, 197.
flush, 126.
flux, 344.
Foch, 221.
fœhn, 77, 247.
fœtus, 75.
fol, 258.
folklore, 112.
football, 113.
Forez, 53, 350
forum, 111.
fossé, fossette, etc., 110.
fouet, 55.
fouette, fouetter, 59.
franc, 361.
Francfort, 218.
frangipane, 239.
Freischütz, 88, 227.
Fréjus, 307.
frelon, 170.
fret, 326.
Friedland, 78, 228.
Frœschwiller, 76, 227, 294.
froid, 229.
fruit, 197.
fruitier, 198.
fuchsine, 226.
fueros, 124, 304.
Furens, 140.
furia francese, 124, 135, 220.
G
gageure, 94, 240.
gagner, 34, 87.
galimatias, 338.
galop, 100, 284.
galoper, 111.
gangrène, 239.
garden-party, 76.
garer, 35.
garrot, 37.
gars, 295, 309.
gaz, 350.
gaz-, 36.
Ge-, Gé-, 239.
Gédoyn, 147.
geline, gelinotte, 170.
Gellée, 171.
Genevois, 173.
Geneviève, 173-174.
Gengis-Khan, 144.
gens, 139, 308.
Genséric, 144.
gentil, -homme, 260, 378.
gentille, -esse, 265.
gentleman, 76, 143, 246.
geôle, geôlier, 239, 240.
Gérardmer, 229, 295.
Gerolstein, 146, 239.
Gers, 294-295, 310.
Gervinus, 125.
Gessler, Gessner, 239.
Gevaert, 82, 239, 330.
Gex, 345.
geyser, 89.
giaour, 246.
Gi-, 239.
Gier, Rive-de-, 295.
gin, 120, 146, 246.
ginseng, 238.
giorno (a), 246.
gipsy, 246.
girasol, 318.
glabre, 32.
globe, 104.
Gluck, 125.
gn-, Gn-, 245, 283.
gneiss, 88, 245.
goéland, goélette, 200.
Gœthe, 77.
Gœttingue, 77, 146, 230.
gogo, 112.
gong, 238.
gosier, 110.
Goth, 332.
Gounod, 100, 229.
Goya, 192.
goyave, 191.
gracier, gracieux, 33.
grammaire, 131, 276.
granit, 328.
grasseyer, 34.
gratis, 38.
gratuit, 327.
grazioso, 352.
gréement, 73.
Greenwich, 78, 226.
gréneterie, 173.
grésil, 261.
Grieg, 78, 238.
gril, 261.
Groenland, 77, 144, 228.
groin, 147, 199.
groom, 113.
groseille, 110.
gross-, 110.
gruyer, gruyère, 192.
Gua-, 244.
Guadeloupe, 244.
guano, 243.
gué-, gué-, 241.
Gue-, Gué-, 241-242.
guérilla, 268.
guerrier, 73.
gueule, -lard, 93.
gui-, Gui-, 242.
Guipuzcoa, 243, 252.
guise, Guise, 242, 243.
Guizot, 243.
gulf-stream, 45, 126.
Gunther, 145.
gutta-percha, 126, 222, 339.
Guy-, 192, 212.
gymnase, 316.
gymnosophiste, 318.
H
Hæckel, Hændel, 78.
haler, 24.
halluciner, 250.
haltères, 250.
hameau, 37.
hameçon, 250.
Hamlet, 254.
Hanovre, 104, 254.
hanse et dér-, 254.
hareng, 140, 236.
haro, 37.
harpye, Harp-, 252, 254.
haut-, Haute-, 252.
havresac, 318.
Haydée, Haydn, 88.
hecto, 100, 250.
Hegel, 239.
Heidelberg, 88, 89.
hélas, 300.
hélio-, hémi-, etc., 250.
hémorr-, 298.
Hendaye, 28, 141, 191.
hendéca-, 141.
hennir, 74.
Henri, -iette, 254.
Hephaistos, 88.
héraut, hérald-, 254.
hérisser, -son, 252.
héros et dér., 253.
hésiter, 252.
heurt, 330.
heurte, 93.
hexa-, 349.
hiatus, 38.
hidalgo, 251.
hier, 195, 253, 294.
hiér-, 195, 250, 252.
high-life, 120.
hinterland, 251.
hiver, 294.
hipp-, 286.
hirsute, 250.
hoir, hoirie, 250.
Hollande, 254, 272.
holocauste, 114.
Holstein, 146.
home, 112.
home rule, 125.
Hong-Kong, 238.
Hongrie, 254.
hôpital, 109.
horr-, 298.
hors, 252.
Hortensius, 143.
hosanna, 110, 252, 281.
hôtel, 109.
hourra, 19.
Houssaye, 191.
hoyau, 190.
Hugo, 254.
huile et dér., 118, 250, 253.
huis, huissier, 254.
huit, 153, 155, 253, 328.
Humbert, 149.
Humboldt, 149, 331.
Hume (David), 126.
humour, 126.
Hyacinthe, 195, 250.
hyène, 250.
hymen, 138, 279.
Hypatie, 337.
hypocras, 23, 300.
I
ichneumon, 96.
ichtyosaure, 318.
idiotisme, 111.
Iéna, 152.
igname, 245.
Ignatief, 245, 339.
igné, igne-, igni-, 245.
iguane, 243.
il, 259.
ill-, 270.
imbroglio, 246.
imm-, 276.
immédiat, 325.
imprégnation, 245.
impresario, 76, 318.
incognito, 146, 245.
indemnité, -iser, 75, 275.
indomptable, 285.
in-douze, 145.
indult, 261.
ineptie, inertie, 335, 336, 337.
inexpugnable, 245.
in extenso, 141, 145.
inextinguible, 242.
in extremis, 75, 145, 305.
infamie, 33.
infect, 215.
in-folio, 36, 145.
ingrédient, 138.
initier, 336.
inn-, 281.
in partibus, 145, 305.
in petto, 145, 340.
in-plano, 38, 145.
in-quarto, 145, 291.
inquiétude, 289.
insister, 319.
instinct, 217, 330.
instruire, 197.
interr-, 297.
interview, -ewer, 146, 343.
intus- suivi d’s, 322.
irr-, 298.
Isaac, 25.
Isl-, Ism-, Isr-, etc., 313, 315.
isthme, -ique, 332.
J
Jacob, -bin, -bite, 35.
jaconas, 301.
Jacqu-, 35.
Jacques, -erie, 21.
jadis, 37, 302.
jaguar, 243.
James, 43, 256.
Jamyn, 145.
Janina, 255.
Janus, 38.
Japet, 255.
jarret, 37.
jaseran, Jason, 36.
Jassy, 255.
Jean et dér., 164.
Jeanne, 26, 164.
Jeannette, -eton, -ot, 35.
Jéhovah, 19.
Jenner, 256, 282.
Jenny, 74, 282.
Jersey, 256, 315.
Jésus, 307-308.
jettatura, 124, 255, 340.
jeudi, 96.
jeun (à), 92, 164.
jeune, 93.
jeûne, 92.
Joachim, 130, 225.
joaillier, 199.
Jocelyn, 145.
Joconde, 255.
Johannisberg, 238, 255.
John Bull, 125, 256.
Jordaens, 79, 134, 139, 256.
Joseph, -ine, 110.
joug, 235-236.
Juan, 125, 256.
juillet 269, 326.
Juilly, 269.
juin, 197.
Jungfrau, 116, 125, 255.
jungle, 149.
junte, 149.
jusquiame, 289.
Jutland, 228, 256.
K
kaiser et dérivés, 88.
Kamtschatka, 227, 274, 332.
Kant, 135, 330.
Kehl, 57.
Kent, 139.
Kerguélen, 138, 242.
Kiel, 78.
Kiev, 341.
kilo, 100.
Kluck, 1285.
knout, 329.
Kœnigsberg, 77, 238.
krach, 221.
Kruger, 239, 295.
kulturkampf, 124.
Kurdistan, 125.
Kyrie eleison, 148, 318.
L
la, 18.
labadens, 308.
La Boëtie, 333, 337.
Laboulaye, 191.
La Bruyère, 192.
La Châtre, 31.
lacs, 213, 309.
ladre, 32.
lady, 43.
Lænsberg, 78, 238.
laisser, laitue, 85.
Lally-Tollendal, 141.
lama, 37.
Lamennais, 171.
Lamoignon, 49.
lampas, 300, 301.
landsturm, 124.
Lang-son, 148-149, 233.
Laon, 133.
Laonnais, 134.
lapis-lazuli, 38, 303.
laps, 309.
Largillière, 270.
lasse, lasser, 22, 34.
La Trémoille, 269.
latrine, 37.
Lauraguais, 244.
Laurens (J.-P.), 139, 309.
lauréat, laurier, 115.
La Vrillière, 270.
Law, 45, 342.
lawn-tennis, 45, 342.
Lawrence, 140, 342.
Laybach, 88.
Lazare, 36.
lazarone, 52, 351.
lazzi, 351-52.
Leclerc, Leclerq, 214.
léger, 293.
legs, 55, 237, 309.
Leibniz, 88, 147, 351.
Leicester, 88.
Leipzig, 88, 238.
Leitha, 88.
leit-motif, 88.
Lenau, 76.
Lens, 139, 309.
Lérins, 309.
les, 54.
Les- devant cons., 312.
Les- devant voy., 318, 319.
Lesbos, 103, 312.
lesquels, 72, 312.
Leuctres, 93.
leude, 92.
lez, 53, 350.
lichen, 224, 279.
Liebig, 78.
lied, 77, 229.
ligneux, lignite, 245.
Lilliput, 329.
lilliputien, 270, 337.
limaçon, 37.
linceul, 258.
lingual, -iste, 242, 243.
liqu-, 288.
liquidambar, 290.
lis, fleur de-, 302.
Liszt, 351.
litt-, 340.
lloyd, 273.
lobe, 101.
loch, 221.
Lohengrin, 145, 146.
lolo, 111.
lombric, 213.
long, 236, 362.
Longueil, 93.
Longwy, 236, 244, 342.
Lons-le-Saunier, 309.
loquace, -acité, 291.
lord, 228.
lorsque, 183, 310.
Lot, 328.
louveterie, 173.
Loyola, 192.
Lucayes, 28, 191.
lumbago, 149.
lunch, luncher, 149, 220.
lut, 329.
lysimachie, 224.
M
macadam, 130.
macfarlane, 43.
Machiavel et dér., 226.
maçon, 37.
madeleine, 37.
Madeleine, 37.
madras, 300.
Madras, 301.
madré, madrier, 37.
Madrid, 229.
Mælzel, 78.
Maeterlinck, 79, 146.
Maëstricht, 79, 221, 330.
mafflu, 37.
Magendie, 143.
magn-, 244-245, 287.
magot, 37.
mail-coach, 45, 88.
maillechort, 222.
Maimonide, 88.
mairie, 165, 296.
maïs, 302-303.
maison, 85.
majeur, major, etc., 38.
Majorque, 38, 255-256, 269.
Majunga, 149.
Malachie, 224.
malagueña, 280.
Malesherbes, 165, 312, 315.
malotru, 111.
maman, 39.
mandrill, 264.
mangeure, 240.
maniéré, 73.
Mantegna, 282.
manzanilla, 268.
maquis, 37.
maravédis, 303.
marc, Marc, 214.
mardi, 38.
Marennes, 37.
Marilhat, 273.
Maroilles, 269.
marqueterie, 172.
marraine, marri, 37.
marron, 37.
mars, 310.
martyr, 38.
mas, Mas-, 300, 301.
masure, 36.
mat, 45, 325.
matelasser, 35.
mater, mâter, 21.
Mathusalem, 319.
Maubeuge, 92.
Mauclerc, 214.
Maupeou, 164.
mauvais, 116.
mayonnaise, 249.
mazette, 36.
Médicis, 303.
Meilhiac, Meilhan, 273.
Mein, 146.
Meinam, 88.
Mékong, 238.
mélange, mêler, 73.
Melchi-, 226.
Melchisédec, 226, 319.
Mélilla, 268.
mélo, 100.
Memphis, 143.
menstrues, 141-142.
menthol, 141, 143.
mentor, 141, 142.
menuisier, 198.
Méphisto, 100.
mercredi, 296.
mérinos, 102, 304.
mes, 54.
més-, 316.
mesdames, 72, 312.
messied, 52.
messieurs, 72, 91, 292.
métis, 302.
métro, 100.
Metz, 60, 332, 351.
meugle, 92.
meule, 92.
Meung, 92, 164, 236.
meunier, 96.
Meurice, 96.
Meurthe, meurtre, 93.
meut, meux, 91.
mezzo, 352.
Michel, 224.
Michel-Ange, 224.
mien, 136, 387.
mil, 259, 261.
mildew, 343.
Milhau, 273.
milieu, 262, 263.
mille et dér., 266, 269.
Mill-, 269-70.
Milton, 148.
miss, mistress, 120.
moelle, -llon, 62, 200.
mœurs, 310.
moignon, 49.
moins, 308.
Moïse, 199.
moitié, 334, 336.
momerie, momie, momier, Momus, 110.
monachisme, 225.
mons, Mons, 308, 309.
monsieur, 91, 148, 292.
Mont-, 332.
montagne, 87.
Montaigne, 87.
Montargis, 304.
Monte-, 76.
Montorgueil, 93.
Montpellier, 171, 271.
Montr-, 332-333.
Morellet, 171, 272.
mosaïque, 110.
mot, 99.
mot à mot, 100, 328.
moteur, motrice, 111.
motus, 110.
mouette, 63.
mourrai, 296.
mousqueterie, 172.
moyen, 189, 190.
muezzin, 146, 351.
muid, 229.
Munster, 149.
Murger, 239, 294.
Murillo, 268.
myrtille, 266.
N
nacre, 31, 32.
naïade, 37.
nanan, 39.
nansouk, 319.
Naples, 31.
narrer, 34.
nasal, naseaux, 36.
Natchez, 350.
naufrage, 116.
navre, navrer, 32, 34.
néanmoins, 132.
négus, 124.
Nelson, 148.
nenni, 74.
Népaul, 114.
nerf, 232.
Néris-les-Bains, 304.
net, 326.
Neu-, 96.
neuf, 91, 93, 233-235.
Neuf-, 91.
neume, 92.
neuvaine, -vième, 95.
New-, 343.
Newton, 148, 343.
nez, 53, 350.
nid, 229.
Nie-, 78.
Niebelung, 78, 125, 239.
Niger, 239, 295.
noël, 199.
Nolhac, 273.
nom, 130.
nœud, 90, 229.
notre, 296.
nummulite, 123.
nunc (hic et), 149.
nurse, nursery, 126.
O
oasis, 112.
obliquité, 290.
obs-, 202, 315.
obséquieux, 290.
obstiné, 210.
obus, 110, 305-6.
occiput, 329.
odeur, 110.
œc-, œd-, Œd-, etc., 75.
œil, 93.
œuf, 91, 93, 231-32.
œuvé, 95.
oignon, 49.
olim, 111.
olla podrida, 269.
on, 390-91.
onze, 153-54, 358.
opiat, 325.
opp-, 286.
orang-outang, 237, 362, 378.
oratorio, 111.
orchidée, 225.
orchis, 225, 303.
orée (à l’), 110.
orgueil, 93, 97.
orgueilleux, 97.
Orpheus, 92, 304.
ortie, 337.
os, 102, 304.
oscille, -ation, -er, 265.
osier, 110.
Osmanlis, 304.
osselet, ossement, etc., 109.
ost, 331.
Ostrogoth, 332.
otage, 111.
ouate, 153, 358.
oui, 152, 358.
ouïr, 358.
ouistiti, 153, 358.
Ourcq, 214.
ours, 310.
outlaw, 45, 126, 342.
outsider, 66, 120, 126.
ovale, 111.
ozone, 106.
P
pachyderme, 226.
pagaye (en), 191.
paie, paiera, 193.
palabre, 32.
Paladilhe, 273.
pali, 39.
palinod, 100, 229.
palis, 302.
pâme, -er, -oison, 33.
pampas, 301.
panem et circenses, 38.
paneterie, 173.
paon, 133.
papayer, 191.
papeterie, 172-73.
papille, 266.
Paraguay, 244.
paras-, 317.
parasol, 317, 318.
parfum, 124, 130.
parisis, 302.
Paros, 103, 304.
parqueterie, 172.
parrain, 37.
pascal, 38.
pass-, 323.
passe, passer, 22, 34.
passant, 37.
passeport, -poil, -menterie, 34.
passereau, 37.
pastel, pasteur, 38.
pastille, 265.
pat, 325.
pataquès, 60, 301.
pâte, pâté, pâtissier, pâtisserie, 33.
pater, 38, 295.
Pathmos, 103.
pathos, 103, 304.
Paul, Paule, 114.
Paulm-, 261.
paupière, 116.
paye, payera, 193-94.
pays, payse, etc., 190.
pechblende, 144.
pêcher, 73.
Peer Gynt, 78, 239.
pehlvi, 73.
Pélasges, -ique, 313.
pelleterie, 173.
Penmarch, 143, 221.
pent-, 141.
Pentateuque, 92, 141.
Pentecôte, 102, 141.
Penthièvre, 143.
perdrix, 344.
péril, 261.
Pernod, 100, 229.
perr-, Perr-, 298.
perron, 73.
peseta, 76, 318.
pétiole, 338.
Pétion, 339.
peu près (à), 95.
peut, peux, 91.
peut-être, 95.
Pézenas, 165, 301.
phaleuce, 92.
philh-, 273.
Phocyon, 110.
photo, 100.
piazza, -etta, 352.
pickles, 120.
pick-pocket, 327.
pied, 52, 228, 368.
pierreux, 73.
pippermint, 330.
piqueur, 94.
pitié, 334, 336.
pizzicati, 352.
placenta, 141.
placer, 295.
placet, 327.
plaisir, 85.
plaza, 352.
pleurer, 93.
pleut, 91.
plomb, 210.
pluie, 197.
plurier, 293.
plumbago, 149.
plumcake, 43, 125.
plum-pudding, 125.
plus, 306-307, 356, 374.
pneumonie, 96.
poêle, poêlon, 62, 200.
poème, poète, 112, 199.
poids, 229, 309.
poigne, poign-, 49.
Poitiers, 293, 295.
poireau, 50.
poitrail, poitrine, 50.
polaire, 109.
polenta, 144.
Polyeucte, 93.
Pompéi, 81, 119.
poney, 80, 110.
Pons, Saint-, 309.
Pont-, 332-33.
porc, 214-15.
porc-épic, 215, 363, 379.
posada, 318.
Poseidôn, 88, 148, 319.
post-, 322.
pot-, 100, 368.
Potsdam, 322.
pouls, 258, 309.
pourrai, 73, 297.
pourrir, 122, 299.
Pouzzoles-, -ane, 351.
praline, 37.
préciput, 329.
prélasse, -asser, 22, 34.
premier, 359.
présalé, 318.
prescience, 314.
préséance, 317.
présompt-, 285.
présu, présupposer, 317.
prêter, 73.
prétérit, 327.
Prévost, 331.
prévôtal, 109.
Privas, 301.
prix, 344.
pro- et pros-, 110.
Procyon, 110.
pro domo, 111.
profès, 301.
Progné, 245.
Prométheus, 92.
prompt et dér., 284-85, 329.
pronunciamiento, 124, 143.
prosecteur, 317.
prurit, 327.
psaume, 284.
pseudonyme, 96.
pschent, 139, 227.
puff, puffisme, 124.
puisque, 198, 312.
Pulcher, 224, 295.
Pulchérie, 224.
punch, 149, 221.
pupille, 266.
pusillanime, 270.
Puységur, 319.
Pyrr-, 299.
Q
quadr-, 291.
quaker, 43, 68, 291.
qualité, 290.
quand, 228.
quant et dér., 291.
quar-, 291.
quartz, 291, 351.
quasi et dér., 36, 291.
quassia, -ier, 291.
quat-, 291.
quatre, 296, 375.
queen-, 289.
quelque et dér., 262.
quér-, 288.
Quercy, -inois, 288-89.
questeur, -ure, 288.
quêter, 73.
quetsche, 289.
qui-, 289-90.
quidam, 129-30, 289.
quin-, 289-90.
quiproquo, 111, 289.
quorum, 111.
R
racahout, 329.
Rachel, 224.
rachis, 225, 303.
racle, racler, 31, 34.
raccroc, 100, 212.
radoub, 210.
rafle, rafler, 31, 34.
rail, 26, 88, 259.
railway, 88.
rainure, 85.
raison, 85.
Raleigh, 88.
rallye-paper, 43.
ramasser, -assis, 34.
Rambervillers, 295.
ramure, 37.
rang, 236, 362.
ranz, 350.
Raon-l’Etape, 133.
Raoul, 41.
raout, 45, 329.
rapt, 331.
rareté, 35.
raye, 193.
raz-de-marée, 350.
razzia, 351.
Reber, 76.
record, recordman, 76.
refléter, 170.
réfréner, 170.
registre, 170, 312.
Regnard, 170, 283.
Reichstag, 88.
Reims, 309.
reine-Claude, 218.
reliquat, 291.
Rembrandt, 135, 144, 228, 330.
Remi, 171.
René, 170.
renseignement, 166.
résection, -séquer, 317.
respect, 216, 362.
ress-, 171, 320.
ressemeler, 171, 175.
retable, 169.
Rethel, 170.
Retz, 60, 332, 351.
Reuss, 92.
revolver, 76.
Reynolds, 88.
rez-de-chaussée, 53, 350.
rhinocéros, 102, 304.
rhododendron, 141, 148.
rhum, -merie, 124.
rien, 136, 390.
rifle, 120.
rigaudon, 116.
Rigi, Righi, 239.
right, 120, 246.
Riom, 130.
risoluto, 318.
rit, 327.
riz, 350.
Roanne, 200.
Rob-Roy, 50.
rocking-chair, 88.
Rochechouart, 165.
rococo, 111.
Rodez, 351.
Rœderer, 76-77.
Rol-, Roll-, 110, 272.
romancero, 76.
rosace, rosat, rosier, etc., 110.
rotang, 238.
rôtir et dér., 109.
Rothschild, 110.
Rouen, 74, 137.
rouennais, -erie, 74, 75.
roule, -er, -ure, 122.
Rubinstein, 146.
Rueil, 65, 93, 260.
ruolz, 351.
Ruskin, 126.
rut, 329.
Ruysdaël, 24, 79.
S
Saa-, 39.
sable, sabler, 30, 34.
sabre, sabrer, 32, 34.
saigner, 85.
Saïgon, 88.
Saint-Aignan, 87.
Saint-Brieuc, 90, 212.
Saint-Genest, 331.
Saint-Germain-en-Laye, 191.
Saint-Graal, 24.
Saint-Just, 331.
Saint-Maixent, 347.
Saint-Mesmin, 73, 313.
Saint-Ouen, 137.
Saint-Priest, 331.
Saint-Saëns, 134, 139, 140, 308-309.
Saint-Valéry, 165.
Saint-Wast, 331.
Sainte-Menehould, 164, 262.
Sainte-Wehme, 57, 341.
saisir, 85.
Salammbô, 135.
Salisbury, 121, 126.
Salomon, 110.
Salzb-, 352.
samouraï, 119.
Samoyèdes, 192.
Samson, 129.
sanatorium, 111.
sanct-, 218.
sandwich, 226.
sang, 236, 362.
sangui-, 243.
Santeul, 93, 258.
Santillane, 268.
Saône, 41.
saoul, 39.
sapientiaux, 142.
Sarajevo, 255.
Sardaigne, 87.
Sarmatie, 337.
sarrau, 37.
Satan, 37.
satisfecit, 328.
Satyricon, 148.
sauf, 114.
Saulxures, 347.
saur, 114.
saur-, 115.
savoyard, 190, 191.
scabreux, 37.
Scager-Rack, 239.
Scaliger, 239, 295.
sce-, sci-, Sce-, Sci-, 314.
Scha-, Sché-, etc., 227.
schako, 227.
schampoing, 145.
scheik, 88.
schéma, schème, 227.
scherzo, 227, 351.
Schiedam, 227.
schisme, schiste, 227.
schola cantorum, 227.
Schubert, Schumann, 125, 227.
Schlitz, 351.
scille, 266.
scintille , -iller, 265.
scintillation, 265, 270.
scorbut, 329.
scotie, 338.
scottish, 323, 340.
sculpter, 285.
second, Second, et dér., 218.
secrétaire, 170.
secundo, 149.
Sedan, Sedaine, 170.
Sées, Séez, 56, 350.
Segrais, Segré, 170.
seigneurie, 165.
seing, 236.
Seltz (eau de), 351.
semoule, 264-265.
sempiternel, 142.
séneçon, senestre, 170.
Senef, 170.
Senlis, 303.
señor, señora, 280.
sens, Sens, 139, 308, 309.
sept, 285, 326.
sept-, 285.
septentrion, 141.
Séquanes, 291.
séquestre, 288.
serrer, serrure, 73, 298.
ses, 54.
Séverin, 165.
Séville, 267.
Seymour, 88.
sexa-, 349.
sh-, Sh-, 323.
Shanghaï, 28, 238, 323.
Shakespeare, 45, 323.
shelling, 145, 323.
Shylock, 89, 121.
Sichem, 224.
sien, 136, 387.
Siegmund, 78, 125.
signe, signer, 282-283.
signet, signifier, 282.
silhouette, 273.
sille, 266.
singleton, 148.
sirop, 100, 284.
six, 345, 346.
sixain, sixième, 348.
skating, 43, 145, 238.
sloop, 113.
smala, 37.
snow-boot, 113, 343.
soit, 325-326.
soixante, 347.
sol, 258.
solennel, solennité, 74, 131.
Solesme, 63.
soliste, solo, 111.
sot-l’y-laisse, 99-100, 328.
sotie, 337.
soubassement, 35.
soubresaut, 318.
Souchong, 227, 238.
souhait, souhaiter, 87, 198.
souiller, souillon, 122.
soûl, 258.
Soult, 331.
sourcilière, 262.
soye, soyent, 163, 194.
Soyecourt, 192.
spahis, 303.
sparadrap, 284.
spécimen, 138.
speech, 78, 226.
spencer, 66, 144.
Spinosa, 110.
sport, 330.
squale, 291.
squameux, 291.
square, 42, 291.
squirre, 289.
Staël (Mᵐᵉ de), 79.
stagnant, -ation, 245.
Stanley, 80, 135, 280.
steam-boat, 45.
steeple-chase, 43, 76, 226.
Stendhal, 144.
stentor, 142.
sterling, 145.
stipendier, 141.
stout, 329.
strass, 23, 300.
stratus, 38.
Stuart Mill, 330.
subit, 387.
subs-, 202, 315.
succinct, 217, 330.
sud, 229.
Suez, 351.
Suffren, 138.
Sully, 269.
Sund, 149.
supp-, 286.
suprématie, 73.
surseoir, sursis, 315.
sus, en sus, 307.
susdit, sus-, 312.
suspect, suspecte, 216.
susurrer, 318.
Swinburne, 126, 146.
syll-, 272.
symptôme, 285.
symptomatique, 109.
T
tabac, 212.
tachygraphie, 226.
Tagliamento, 246.
Taitbout, 332.
Talleyrand, 86.
talmud, 229.
tandis que, 312.
Tanger, 294.
Tanit, 328.
taon, 133.
tarbouch, 221.
tarentelle, -tule, 142.
Tarn, 280.
tarot, 37.
tasse, tasser, 22, 34.
Tasse (le), 23.
tasseau, 37.
tatillon, 33.
taureau,-omachie, 115.
tayaut, tayon, 191.
Taylor, 88.
tea-gown, 45, 343.
Tempé, 143.
temps, 284, 309.
ténacité, 169.
tender, 144.
tennis, 281, 303.
tentacule, 142.
térébenthine, 142.
terr-, 73-74, 297-98.
terre-neuvas, 95.
tes, 54.
tétanos, 103, 104.
têtu, 72.
Teutatès, teuton, 96.
Thaon, 133.
thésis, 303, 318.
Thiers, 293, 295.
thuya, 192.
thym, 130.
ticket, 327.
Tiepolo, 78.
tiers, 294, 383.
tilbury, 126.
time, times, 120.
titille, 266.
Titye, 337.
toast, 45, 110.
Tolstoï, 81, 119.
tomahawk, 43, 342.
Tonneins, 309.
toper, 110.
torero, 76.
Torquatus, 291.
Torquemada, 289.
torr-, 298.
toton, 111.
tournesol, 318.
tous, 121, 304-5, 377.
trabucos, 304.
trachyte, 226.
trahison, 249.
tranquille et dér., 266, 269.
trans- devant voy., 319.
transe, transi, 319.
transept, 319, 331.
transit, 319, 327.
transs-, 322.
Transvaal, 24.
trépasse, -er, 22, 34.
trescheur, 224.
Tréville, 75.
trichine, -ose, 225.
triumvirat, 123, 274.
trois, 301.
trop, 100, 284, 360.
truie, truite, 197.
trust, 126.
tub, 125.
tunnel, 126.
turf, 126.
tutie, 338.
tutti, 124, 340.
tuyau, tuyère, 192.
typo, 100.
U
Ubaye, 191.
ubiquité, 290.
uhlan, 124, 155, 358.
Uhland, 125, 135.
ulster, 126.
un, 153-154, 280, 358, 389.
unis-, 317.
Ur, 125.
Uruguay, 244.
us, 306.
Utrecht, 221, 330.
V
vacille, -ation, -er, 265.
Valachie, 224.
valet, 37.
Valladolid, 269.
Valparaiso, 88.
Valréas, 301.
Van Dyck, 121.
Vanloo, 113.
Van Swieten, 78.
varech, 221.
vasistas, 23, 300.
vindas, 300.
Vaugelas, 301.
vaudrai, vaurien, 115.
vayvode, 88.
vedette, 170.
veglione, 246.
Véies, 81, 119.
Velay, 170.
vendémiaire, 142.
vendetta, 144, 330.
ventôse, 142.
Ventoux, 141.
ver, 294.
verdict, 217, 330.
vergeure, 240.
vergiss mein nicht, 88, 239, 341.
vermout, 329.
verr-, 298.
verrai, 73, 297.
verrée, verrière, 73.
verroterie, 74.
vers, prép., 385.
verticille, 266.
veule, 92.
veut, veux, 91.
veuve, 94.
veux-je, 93.
Vevey, 170.
Vill-, Villa-, 269-70.
villanelle, 270.
ville et dérivés, 266-7, 269.
Villon, 267-8.
Vinci, 146, 219.
vingt, 236, 329-30.
Vintimille, 246.
violoncelle, 220.
vis, tournevis, 302.
vitchoura, 223.
vivat, 325.
vivisection, 318.
Vogüé, 242.
volontiers, 293, 295.
vomir, 110.
vooruit, 113, 328.
Vosges, 104, 313.
votre, 296.
voyons, 189.
voyou, 191.
vraisemblable, 318.
W
Wallace, 342.
Walter Scott, 342.
Warens (Mᵐᵉ de), 140, 308.
Washington, 146, 148, 342.
water-closet, 327.
Waterloo, 113, 342.
Waverley, 342.
Weber, 76.
Westphalie, 332.
Wieland, 78.
Wiesbaden, 78, 279.
Wisconsin, 146, 149, 342.
Wiseman, 134, 319, 342.
Wisigoths, 332.
Witikind, 228.
Wright, 120, 246, 342.
wigh, 238.
Wight, 120, 246, 342.
X
x ou X initial, 349-350.
Xaintrailles, 349.
Xanthe, etc., 349.
Xavier, 349.
Xéno-, 349.
Xérès, 350.
Xerxès, 347, 349.
Ximénès, 350.
xylo-, 349.
Y
yacht, 44, 152, 358.
yatagan, yole, etc., 152, 358.
Ysaye, 191.
Yseult, 90, 261, 331.
yucca, 125.
Z
z ou Z initial, 351-52.
zélé, 73.
zend, 139, 229.
Zeus, 92, 304, 352.
zinc, 214.
Zollverein, 88, 352.
Zug, 125, 351.
Pages. | |
Préface | 1 |
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE LES LETTRES | |
---|---|
Classification des voyelles | 2 |
Classification des consonnes | 7 |
Quelques considérations générales sur l’accent tonique | 9 |
Autres observations générales | 14 |
PREMIÈRE PARTIE LES VOYELLES | |
I.—La voyelle A | 18 |
1º L’a final | 18 |
2º L’a suivi d’une consonne articulée | 20 |
I. a bref | 21 |
II. a moyen | 23 |
III. a long | 28 |
3º L’a suivi des groupes à liquides | 30 |
4º L’a atone | 32 |
5º Quelques cas particuliers | 39 |
6º L’a des mots anglais | 41 |
7º Le groupe OI (oy) | 45 |
I. OI tonique | 46 |
II. Le groupe oign | 48 |
II.—La voyelle E | 51 |
1º L’e final | 51 |
I. e final fermé | 52 |
II. e final ouvert | 55 |
2º L’e suivi d’une consonne articulée | 57 |
I. e bref | 57 |
II. e moyen | 61 |
III. e long | 65 |
3º L’e suivi des groupes à liquides | 68 |
4º L’e atone | 71 |
5º Quelques cas particuliers | 74 |
6º L’e des mots étrangers | 76 |
7º Les groupes AI (ay) et EI (ey) | 79 |
I. AI final | 79 |
II. AI suivi d’une consonne articulée | 82 |
III. AI atone | 85 |
IV. Le groupe aign | 87 |
V. Les mots étrangers | 88 |
III.—La voyelle EU | 90 |
1º EU final | 90 |
2º EU suivi de consonnes articulées | 91 |
I. EU fermé | 91 |
II. EU ouvert | 93 |
3º EU atone | 95 |
IV.— La voyelle O | 98 |
1º L’o final | 98 |
2º L’o suivi d’une consonne articulée | 101 |
I. o fermé | 101 |
II. o ouvert bref | 102 |
III. o ouvert moyen | 103 |
IV. o ouvert long | 108 |
3º L’o suivi des groupes à liquides | 108 |
4º L’o atone | 108 |
5º L’o de quelques mots étrangers | 112 |
6º Le groupe AU | 113 |
I. AU tonique | 113 |
II. AU atone | 115 |
V.—Les voyelles I (y), U, OU | 117 |
1º La voyelle I | 117 |
2º L’i dans les mots étrangers | 120 |
3º U et OU | 121 |
4º L’u dans les mots étrangers | 124 |
VI.—Les voyelles nasales | 127 |
1º Comment se prononcent et s’écrivent les voyelles nasales | 127 |
2º De quelques nasales intérieures, disparues ou conservées | 131 |
3º Les cas particuliers de la nasale an | 133 |
4º Quand le groupe en se prononce-t-il an ou in? | 136 |
I. En final | 136 |
II. En suivi d’une consonne finale | 138 |
III. En atone | 140 |
IV. Les mots étrangers | 143 |
5º Les cas particuliers de la nasale in | 145 |
6º Les cas particuliers de la nasale on | 148 |
7º Les cas particuliers de la nasale un | 149 |
VII.—L’E muet | 150 |
1º Considérations préliminaires sur l’e non muet et l’élision | 150 |
2º La prétendue loi des trois consonnes | 155 |
3º L’e muet final dans les polysyllabes | 158 |
I. Dans les mots isolés | 158 |
II. Devant un autre mot | 159 |
4º L’e muet à l’intérieur des mots | 160 |
I. Entre voyelle et consonne | 160 |
II. Entre consonne et voyelle | 161 |
III. Entre deux consonnes | 162 |
IV. Dans la syllabe initiale | 168 |
5º L’e muet intérieur dans deux syllabes consécutives | 172 |
6º L’e muet dans les monosyllabes | 175 |
I. Un monosyllabe seul | 176 |
II. Deux monosyllabes consécutifs | 178 |
III. Trois monosyllabes consécutifs | 180 |
IV. Plus de trois monosyllabes consécutifs. | 180 |
7º Conclusions | 181 |
VIII.—Les semi-voyelles | 186 |
1º Divorce entre la poésie et l’usage | 186 |
2º La semi-voyelle y | 187 |
I. Après une consonne | 189 |
II. Décomposition de l’y entre deux voyelles | 190 |
III. Changement de l’y en i | 193 |
IV. L’i ou y grec initial devant une voyelle | 194 |
3º La semi-voyelle u | 196 |
4º La semi-voyelle ou | 198 |
DEUXIÈME PARTIE LES CONSONNES | |
1º Le changement spontané des consonnes | 201 |
2º Quelques observations générales | 205 |
Note sur la prononciation du latin | 209 |
B | 210 |
C | 212 |
1º Le c final | 212 |
2º Les mots en -ct | 215 |
3º Le c intérieur | 217 |
CH | 221 |
1º Le ch final | 221 |
2º Le ch intérieur | 221 |
I. Devant a, o, u | 222 |
II. Devant e et i | 223 |
D | 228 |
F | 231 |
G | 236 |
1º Le g final | 236 |
2º Le g devant une voyelle | 238 |
3º Le groupe gu devant une voyelle | 241 |
4º Le g devant une consonne | 244 |
H | 247 |
1º L’h final ou intérieur | 247 |
2º L’h initial, muet ou aspiré | 247 |
3º La loi de l’h initial | 249 |
4º Les exceptions | 251 |
J | 255 |
K | 257 |
L | 258 |
1º L’l final et les mots en il | 258 |
2º L’l intérieur | 261 |
3º L’l double après un i | 264 |
I. Les finales muettes en ille | 265 |
II. Le groupe ill intérieur | 267 |
4º L’l double ailleurs qu’après un i | 270 |
M | 274 |
1º L’m simple | 274 |
2º L’m double | 275 |
N | 279 |
1º L’n simple | 279 |
2º L’n double | 281 |
L’n mouillé | 282 |
P | 284 |
Q | 287 |
1º Le q final | 287 |
2º Le groupe qu | 287 |
I. Devant e | 288 |
II. Devant i | 289 |
III. Devant o et a | 290 |
R | 292 |
1º L’r simple | 292 |
2º L’r double | 296 |
S | 300 |
1º L’s final | 300 |
2º L’s intérieur | 311 |
I. Devant une consonne | 311 |
II. Entre consonne et voyelle | 315 |
III. Entre deux voyelles | 316 |
IV. Entre une voyelle nasale et une autre | 319 |
3º L’s double | 320 |
T | 325 |
1º Le t final | 325 |
2º Le t intérieur et le groupe ti | 332 |
3º Le t double | 339 |
V et W | 341 |
X et Z | 344 |
1º L’x final | 344 |
2º L’x intérieur | 347 |
3º Le z | 350 |
Récapitulation des consonnes | 353 |
LES LIAISONS | |
Quelques considérations préliminaires | 355 |
Liaisons des muettes | 360 |
1º Les labiales et les gutturales | 360 |
2º Les dentales, d et t | 363 |
I. Les verbes | 363 |
II. Adjectifs et adverbes | 364 |
III. Les substantifs | 367 |
IV. Après un r | 368 |
Liaisons des spirantes | 370 |
1º Les chuintantes et les fricatives | 370 |
2º Les sifflantes, s, x, z | 371 |
I. Les différentes espèces de mots | 372 |
II. Les pluriels | 375 |
III. L’s après l’e muet | 379 |
IV. L’s après un r | 383 |
Liaisons des nasales | 386 |
Index alphabétique des finales | 393 |
Index alphabétique des principaux mots et noms | 395 |
Table des matières | 409 |
Imp. Larousse, 1 à 9, rue d’Arcueil, Montrouge (Seine).
[1] Domergue, Manuel des étrangers amateurs de la langue française, 1805 (les exemplaires de 1806 portent pour premier titre la Prononciation française); Mᵐᵉ Dupuis, Traité de prononciation ou Nouvelle Prosodie française, 1836.
[2] Le Traité complet de la prononciation française de Lesaint, même revu et complété en 1890 par le Professeur Dʳ Chr. Vogel, est fait sans méthode, et ne peut avoir aucune autorité: il prononce encore scouère, et ton, pour ta(o)n, et mosieu, etc., sans parler de Haydn prononcé èdn, avec Ghy-ane et Ghy-enne. Puis, voici M. Sudre, docteur ès lettres, professeur à la Guilde internationale, qui trouve très légitime qu’on prononce cinque francs ou neufe sous, qui admet aspè, aspec ou aspect et préfère aspect! Le reste à l’avenant. Voilà ce qu’on enseigne aux étrangers. Un autre, professeur au Conservatoire, enseignait aux Français qu’«on commence à pouvoir dire: une main habile.» (Dupont-Vernon, l’Art de bien dire.)
[3] Ou bien il a des formules singulières comme celle-ci: Beaucoup de personnes (!) ne prononcent pas f dans les bœufs.
[4] Je ne parle pas de Littré, qui en cette matière est déjà suranné sur beaucoup de points, notamment par son obstination à maintenir le son de l’l mouillé, et à séparer des syllabes que tout le monde réunit. Littré n’est déjà plus qu’un témoin historique, d’ailleurs infiniment précieux.
[5] Jusqu’à la lettre O, la finale-aille est ouverte presque partout; ensuite elle est généralement fermée.
[6] Par exemple, il identifie pour la prononciation grêle adjectif et grêle substantif; il fait l’a final bref dans vasistas, et ferme au dans aurore ou augmenter, etc.
[7] Il croit que l’a est fermé dans crasse et dans latrines; il prononce coïncidence comme coin; quadrilatère par coua ou ca, et plutôt ca, joigne avec oua ou ouè, frêlon avec e ouvert, asymétrie et imprésario avec des s doux, enharmonique avec un h aspiré; il croit qu’on peut dire indifféremment échev’lé ou éch’vélé, déjà ou d’jà, quérir ou qu’rir, des gentilzhommes ou des gentil(s)hommes, hai(e) ou haye, gen(s) ou gensse; il admet la suppression du c dans sanctuaire, sanction et sanctifier; celle du p dans cep et septembre; il s’imagine que des bouches françaises peuvent encore garder une diphtongue dans des mots comme meurtrier, encrier, bouclier, sablier, etc.: il excepte seulement ouvri-er!
[8] Je recommande particulièrement à ce point de vue le chapitre de en prononcé an ou in, ou celui du groupe ti devant une voyelle.
[9] Nous le citerons cependant, vu son importance, au même titre et dans les mêmes cas que le Dictionnaire général.
[10] Les éléments de ces notes historiques sont naturellement empruntés au livre de Thurot: de la Prononciation française depuis le commencement du XVIᵉ siècle, 1881-1883. A défaut de ce livre capital, ceux qui s’intéressent à ces questions trouveront encore la plupart des renseignements nécessaires dans Rosset, les Origines de la prononciation moderne, 1911.
[11] Ceci ne peut suffire que pour les poètes:
Mais quel E ou quel O? celui d’écho ou celui d’orge? Et les autres sons?
[12] Par exemple cacique, gigot, salutation.
[13] Ces questions sont certainement un peu arides. Mais le lecteur qui ne s’intéresse qu’aux faits, et ne tient pas à s’en rendre compte méthodiquement et par principes, peut très bien passer directement au chapitre de la voyelle A. Il reviendra ensuite sur les principes, si le cœur lui en dit. Je dirai même que pour le lecteur qui n’est pas initié, mieux vaut sans doute commencer par les faits: il comprendra mieux les principes après cette étude préliminaire, et c’est toujours une bonne méthode que d’aller du concret à l’abstrait.
[14] On voit que la voyelle fermée est aiguë, et que la voyelle ouverte est grave. On pourrait donc employer ces mots les uns pour les autres. Mais comme il convient de choisir, pour simplifier le vocabulaire, nous emploierons les deux termes ouvert et fermé, qui sont ceux dont les autres voyelles s’accommodent le mieux.
[15] Cette distinction est si nette que ces mots ne sauraient d’aucune façon rimer ensemble correctement, malgré l’exemple de V. Hugo, qui rapproche constamment trône de couronne, ou rôle de parole.
[16] Cette distinction n’apparaît pas d’abord manifestement; mais une expérience facile, indiquée par l’abbé Rousselot (voir son Précis de prononciation, page 39), montre que le mot est en somme parfaitement exact: si l’on prononce normalement la voyelle a, et si, sans rien changer à la position de la bouche, on en rapproche et retire alternativement la main, on sentira nettement ce que c’est qu’un a fermé; or la main fait ici l’office du gosier. Ajoutons, pour mieux caractériser encore l’a fermé, qu’il se rapproche de l’o, au moins à Paris.
[17] Il s’agit ici bien entendu du c et du g tels qu’on les entend devant a, o, u, et non transformés en d’autres consonnes, comme ils le sont devant e et i.
[18] On ne le retrouve guère que dans certaines parties du Midi et en Suisse. Peut-être y a-t-il encore des instituteurs qui s’efforcent de le rétablir sous la forme ly: alyeurs pour ailleurs, mais c’est autre chose, et c’est peine perdue. Il est encore plus vain de vouloir restaurer ce son disparu du français que de s’obstiner à faire vibrer l’r.
[19] Voir sur ce point Léonce Roudet, la Désaccentuation et le déplacement d’accent dans le français moderne, dans la Revue de philologie française, 1907.
[20] Voir Roudet, article cité. Toutefois l’auteur me semble réduire à l’excès le nombre des syllabes accentuées en fait. Il y a en moyenne un accent, plus ou moins fort, par groupe de trois syllabes, et c’est pourquoi il y a en moyenne quatre accents dans un alexandrin, l’accent étant sur la dernière syllabe non muette de chaque groupe. Ainsi dans ce vers:
il n’y a que quatre accents, mais il y en a quatre: sur là, dis, rez et cher.
[21] Acte de volonté qui devient d’ailleurs facile et même inconscient, grâce à l’habitude, mais qui n’en subsiste pas moins, comme ceux qui dirigent les doigts du pianiste, même dans les «traits» les plus faciles, où le jeu semble le plus machinal.
[22] On voit que l’accent dit aigu, quand il n’est pas final, surmonte presque toujours un e à demi ouvert; pourtant l’é initial est souvent moins ouvert que l’é intérieur.
[23] Je ne parle pas, bien entendu, des noms étrangers, comme Brahms, où l’h allonge l’a, à côté de rams, qui a l’a bref.
[24] Exactement et en fait, les groupes sont: bl, cl, fl, gl, pl, et br, cr, dr, fr, gr, pr, tr, vr. C’est ce que les grammairiens appellent muta cum liquida. Mais nous savons que les muettes sont b et p, c et g, d et t; f et v sont des spirantes (labiales ou fricatives). On voit qu’en principe, parmi les muettes, d, t, v, ne se groupent qu’avec l’r, en français; quant aux autres spirantes, s et z, ch et j, elles ne se groupent même pas avec l’r: quand par hasard elles en rencontrent un, comme dans Is-raël, ce qui est rare, elles n’appartiennent pas à la même syllabe.
[25] Les plus nombreuses sont précisément celles dont la première consonne est l ou r, comme -arbe, -arc, -arde, etc.
[26] On sait que cet accent tient presque toujours la place d’une lettre disparue, généralement un s, qui ne se prononçait plus, mais dont la présence allongeait la voyelle. Seulement, quand la syllabe qui a l’accent circonflexe est finale, l’allongement ne se fait plus sentir: aimât, forêt et bientôt (de même que reçût ou fît) ne se prononcent plus autrement qu’aima, foret et paletot. Il en est de même, disons-nous, de aimâmes et aimâtes, comme de fîmes ou reçûmes. Et ceci n’est pas nouveau: Mᵐᵉ Dupuis l’avait déjà constaté. Nous signalerons, en temps et lieu, les autres exceptions. D’ailleurs, comme les mots à accent circonflexe sur la finale ne sont pas très nombreux, on les trouvera tous dans les notes.
[27] Sauf, très mal à propos, les trois noms de mois en -ose: nivôse, ventôse et pluviôse.
[28] Le Dictionnaire général donne la fermé et fa ouvert: c’est certainement une erreur, si ce n’est pas une faute d’impression. On notera en passant que les noms des voyelles intermédiaires, é, eu, o, et ceux des consonnes qui s’énoncent avec un e à la suite, b, c, d, etc., sont également fermés, ainsi que les notes do ou ré, car tous appartiennent à des finales fermées.
[29] La preuve, c’est que beaucoup d’h sont tombés, notamment dans casba, véranda, smala, massora, et même poussa, et les noms de lieux arabes, comme Blida; mais ceux qui restent ne se sentent guère plus, par exemple dans sura(h), ou même sha(h), surtout dans sha(h) de Perse, ou Jéhova(h): je ne vois guère qu’Allah, où l’on maintienne parfois, par un effort volontaire, l’a long et fermé.
[30] Cette identité de prononciation entre les singuliers et les pluriels est déjà constatée par Mᵐᵉ Dupuis; mais les voyelles sont restées longues et fermées pendant longtemps au pluriel, en souvenir du temps où l’s se prononçait; elles ne le sont plus aujourd’hui que dans certaines provinces.
[31] Sauf bien entendu bât, dégât, mât, appât, où l’a est encore un peu fermé par l’accent circonflexe, qui a remplacé l’s antérieur; mais cette différence même est en voie de disparaître. C’est déjà chose faite, nous l’avons dit, pour les subjonctifs: aimât (pour aimast) ou aima ne diffèrent plus en rien, et malheureusement la confusion des prononciation amène parfois la confusion des formes elles-mêmes.
[32] Sans aucun souci de l’étymologie, comme on peut voir. Ainsi l’a de pénates ou sonate, qui était long en latin ou en italien, est bref en français; de même pour s’évade ou arcane.
[33] Je ne parle pas bien entendu des finales dont il est question page 38: algue, calme, Alpes, salve, apte, rhubarbe, charge, écharde, écharpe, etc.: on sait que l’a n’y est jamais long ni fermé.
[34] Il s’agit bien entendu du c guttural et non du c spirant ou sifflant de ce et ci.
[35] De même Balzac ou Aurillac, Karnak, Bach ou Andromaque. On excepte Isaac et Jacques, dont l’a est fermé, et naturellement Pâque et Pâques, pour Pa(s)que. D’ailleurs Isaac s’est longtemps prononcé isac, où la contraction naturellement allongeait la voyelle. La réaction orthographique a fait rétablir le premier a, mais l’effort fait pour distinguer les voyelles maintient l’allongement de la seconde. En revanche, on ouvre ordinairement l’a dans les Jacques (d’où Jacquerie, et peut-être jaquette), et dans faire le Jacques.
[36] De même Gap, Priape, Chappe, Esculape, Jemmapes, la Trappe.
[37] On exclut, bien entendu, hâte, bâte, gâte, mâte et démâte, pâte, empâte et appâte, et hâte, qui tous ont perdu un s. L’a est douteux dans Pilate, seul parmi les noms propres: cf. Josaphat, Croates, Hécate, Agathe, Dalmates, Carpathes, Socrate, etc.
[38] De même Malgache, Gamache, Carrache, Eustache, etc. On excepte naturellement bâche, rabâche, fâche, gâche, lâche, relâche, mâche (substantif ou verbe) et tâche (ne pas confondre avec tache): tous avaient un s, sauf bâche et mâche (salade), qui ont pris l’accent circonflexe par analogie.
[39] Sauf pour rimer avec châsse et grâce, dont l’accent circonflexe est d’ailleurs assez mal justifié. Quant à crasse, il est toujours ouvert, et a toujours été bref, et je ne sais pourquoi Michaëlis et Passy distinguent ici l’adjectif du substantif: c’est le même mot. Savantasse a eu l’a fermé; il s’est ouvert, par analogie avec tous les mots où le suffixe asse prend un sens péjoratif. Masse, terme de jeu, a aussi été long. D’autres encore ont été longtemps discutés. Ajoutons que l’a est long dans Annemasse et Grasse, et bref dans le Tasse, comme dans tous les autres noms propres: Paillasse, Madécasses, Sargasses, aussi bien que Curiace, Ignace, Boccace, Daces, Laplace, Horace, Thrace, Alsace, etc.
[40] Le Dictionnaire général, qui s’en rapporte trop facilement à l’étymologie, conserve l’a ouvert et bref dans stras (du nom propre Strass) et vasistas (de l’allemand was ist das), et même dans hypocras; il ne distingue pas entre ce qui devrait être et ce qui est.
[41] Entendez le g guttural, et non le g chuintant qu’on entend dans ge et gi.
[42] Le Dictionnaire général le fait ouvert, et il a certainement raison en principe, sinon en fait. On se demande ce qui a pu amener cette prononciation singulière, qui remonte fort loin. Cet a finira probablement par s’ouvrir là comme ailleurs, un jour où l’autre, à cause du b, comme a fait l’o de globe et lobe, qui jadis était fermé aussi. L’a de Souabe est aussi bref que celui de Mab ou Achab.
[43] De même Joad, Tchad, Timgad, Alcibiade, Henriade, Pléiades, etc.
[44] L’a est moins ouvert dans Reichstag et Landtag, mots étrangers, que dans zigzag. Il est ouvert dans Agag, Copenhague, Birague, Prague, etc.
[45] Ce sont hâle, mâle et râle (verbe), qui ont perdu un s, avec râle, oiseau (pour raalle), châle et pâle, dont l’accent est peu justifié. On y joindra Bâle, qui a aussi perdu un s, et Domba(s)le, qui a gardé le sien: cf. Duche(s)ne, Ne(s)le, etc. Saint-Graal et Ruisdaël, où on ne prononce qu’un a, ont aussi la finale longue et fermée, et l’obligation de distinguer deux a paraît fermer à demi l’a final de Baal ou Transvaal. L’a est ouvert dans les autres noms propres, Montréal, Martial, Annibal, Portugal, Cantal, Lamballe, Cancale, Bengale, saint François de Sales, Ambarvales, etc.
[46] A ces mots il faut ajouter brahme, à cause de l’h, sans compter âme (pour an-me nasal), blâme et pâme, qui ont perdu leur s, et infâme (par réaction étymologique, et aussi par emphase, car il avait autrefois l’a bref, comme diffame). Pour ne pas trahir le poète, mais pour ce motif seulement, il faudra prononcer brame avec a fermé dans ces vers:
La double voyelle paraît fermer à demi l’a final dans Balaam et Abraham, comme ci-dessus dans Isaac ou Baal; il est ouvert dans les autres noms propres, Roboam, Priam, Annam, Bergame, Pyrame, etc.
[47] Le Dictionnaire général donne à ce mot l’a ouvert et moyen. L’accent circonflexe est seulement dans âne, pour a(s)ne, dans flâne (étym. inconnue), mânes, qui garde l’a long du latin, et crâne (dont l’allongement ne s’explique pas). On ferme aussi assez généralement l’a de Jeanne, quand il n’y a pas de nom à la suite (moins, par exemple, dans Jeanne d’Albret). Beaucoup de gens disent encore Anne avec a fermé et long, et surtout Marie-Anne, sans doute afin de distinguer ce prénom de Marianne. D’ailleurs Marianne aussi eut autrefois l’a long, puisqu’on l’écrivait Mariamne, comme condamne, et Diane également, à cause de l’étymologie. Cet a est bref et ouvert aujourd’hui, comme dans les autres noms propres, Ariane, Guyane, Toscane, Modane, Aristophane, Tusculanes, Tigrane, Fontanes, etc., aussi bien que Cannes, Lannes, Suzanne, Lausanne, ou Ahriman et les noms étrangers en -mann; on doit le fermer dans Hahn, à cause de l’h qui le suit.
[48] Le Dictionnaire général les fait longues par principe.
[49] Ceci reste du temps où ce mot se prononçait gan-gne. L’a est ouvert également dans Ascagne, Cerdagne, Allemagne, Espagne, etc.
[50] C’est-à-dire a, suivi d’un l mouillé, mais qui se prononce en réalité comme a-ye, l’ancien son mouillé étant complètement perdu.
[51] Prononcé à l’anglaise, nous le retrouverons à ai, avec mail-coach.
[52] Il est remarquable qu’au contraire la même intention péjorative tend plutôt à ouvrir et abréger l’a de la finale -asse.
[53] Je sais bien que d’aucuns ferment et allongent autant qu’ils peuvent où voulez-vous que j’aille; mais cela ne sent-il pas un peu le faubourg extérieur?
[54] Ce mot est le seul pour lequel le Dictionnaire général hésite. Mais d’ailleurs sa doctrine a singulièrement changé au cours de l’impression: jusqu’à la lettre O, tous les a sont ouverts, sauf dans godaille et quelques verbes en -ailler; à partir d’O, l’a fermé l’emporte de beaucoup; mais pourquoi relevailles et trouvaille ont-ils l’a ouvert, à côté de semailles et volaille, qui l’ont fermé?—Il va sans dire qu’à Paris on fait l’a long et fermé dans Versailles, et aussi dans Cornouailles ou Xaintrailles, et même dans Noailles.
[55] De même Biscaye, Lucayes, Hendaye, Blaye. On prononce Baïes de la même façon, et aussi quelques mots étrangers en -aï, comme Shanghaï: voir page 119, note 2.
[56] Il me semble qu’il ne l’est plus dans les noms propres, Baléares, Icare, Pindare, Bulgare, Ténare, Saint-Lazare, etc. Faute d’avoir distingué entre bref et ouvert (qu’il appelle aigu), comme entre long et fermé (qu’il appelle grave), Thurot a manqué de précision et d’exactitude, autant que les grammairiens qu’il cite, en ce qui concerne les finales en -re. J’ajoute, en passant, que, dans le même chapitre de la quantité, il a oublié les finales en -se doux (-ase, -èse, etc.).
[57] De même Astyage, Pélage et même Péla(s)ges, Ménage, Abencérages, Carthage, Caravage, etc.
[58] Peut-être l’a est-il un peu plus bref dans les formes verbales: il bave, pave ou grave, par analogie avec baver, paver, graver; cette distinction a déjà été faite par un grammairien du XVIIᵉ siècle, Chifflet, qui cependant exceptait encave, évidemment à cause de cave. Tous ces mots ont été autrefois très discutés. L’a a également une tendance à se fermer dans les noms propres, Moldaves, Barnave, Moraves, Tamatave, Octave, Gustave, etc.
[59] De même Anabase, Caucase, Las Cases, Métastase, Diaz, Hedjaz, Decazes, etc.
[60] Le Dictionnaire général fait l’a long partout, mais l’ouvre aussi partout, sauf dans fable: pourquoi celui-là seul? Quant à l’accent circonflexe, il n’y avait guère de raison pour que ceux qui l’ont le prissent plutôt que d’autres; pourquoi pas fâble comme hâble?
[61] Sans parler de bâcle, débâcle et renâcle, dont l’accent circonflexe est peu justifié.
[62] Il n’y a pas de mots en -agle. L’a est ouvert dans Naples ou Étaples.
[63] L’a est naturellement long et fermé dans âpre et câpre, qui avaient un s, dans âcre (mot savant qui a conservé la quantité latine, qu’il aurait perdue sans l’accent), dans bâfre (onomatopée probable), et dans une trentaine de mots en -âtre, pour a(s)tre, y compris ceux qui désignent des couleurs approchantes, blanchâtre, bleuâtre, etc. Il est ouvert dans Odoacre ou Saint-Jean-d’Acre, Affre et Cafre et aussi dans La Châtre, malgré l’accent circonflexe; il est fermé dans Malfilâtre et Cléopâtre.
[64] De même Œagre, Méléagre, Tanagre.
[65] Le Dictionnaire général l’ouvre dans escadre; mais c’est évidemment l’étymologie qui le détermine et non l’usage, car, dans la marine, on ferme l’a, et je pense que l’usage des marins doit être considéré ici comme le bon.
[66] Michaëlis et Passy, qui ferment beaucoup d’a, ferment encore celui de ladre et aussi celui de macle, et celui d’affres, et acceptent même qu’on ferme celui de nacre!
[67] Le Dictionnaire général ouvre l’a dans cinabre et glabre: il ignore palabre. L’a est aussi fermé le plus souvent dans Fabre, Labre, Calabre, Vélabre, Cantabre, comme dans Le Havre ou Jules Favre.
[68] C’est là encore un phénomène général qui se retrouve dans toutes les voyelles, car toutes sont longues devant la finale -re et s’abrègent en devenant atones sans être initiales: vénère-vénérer, honore-honorer, demeure-demeurer, admire-admirer, murmure-murmurer.
[69] Il faut excepter bâbord, qui doit son accent à des grammairiens trompés par une fausse étymologie: bas n’y est pour rien, et l’a de bâbord a toujours été aussi ouvert et bref que celui de d’abord.
[70] On peut même en voir un quatrième dans pâtisserie parisienne.
[71] L’a de Le Câtelet s’est également ouvert malgré l’accent circonflexe, ainsi que celui d’Asnières malgré l’s.
[72] L’a reste donc plus ou moins fermé, en devenant prétonique, dans casser, lasser et prélasser, classer (mais non classique, où l’on entend les deux s), amasser et ramasser (moins dans ramassis), passer et trépasser, tasser et entasser; de même dans clamer et ses composés, avec clameur; dans damner; dans barrer, barreau et barrière, carrer et contrecarrer, carreau et carrière (mais non carrefour et carrelage, sans doute à cause des consonnes consécutives pour l’oreille rf ou rl); dans vaseux, gazeux et tous les verbes en -aser, avec leurs dérivés, y compris brasier et brasero, embrasure, casuel et casuiste; de même encore dans sabler, racler, rafler ou érafler, dans cadrer ou encadrer, cabrer, délabré, sabrer, navrer (mais non cadran ni fabrique). L’a s’est ouvert dans bigarré, amarrer, chamarré, narrer.
[73] Si l’on peut fermer celui de lassitude, c’est uniquement à cause du sens, et parce qu’on appuie volontairement.
[74] Pourtant ces mots n’ont aussi que deux syllabes pour l’oreille, comme passant; mais le sens des composants est entièrement perdu de vue; dès lors, dans paspor ou paspoil, l’a est naturellement porté à s’ouvrir, à cause des deux consonnes, à moins d’une volonté expresse.
[75] L’a est ouvert aussi dans Jeannot, Jeannette, et Jeanneton. Il est fermé dans Jacob (mais non dans Jacobins ou Jacobites); dans Jacqu(e)line, qui n’a que deux syllabes pour l’oreille, il est douteux, la seconde des consonnes qui suivent l’a (cl) étant une liquide; mais il est ouvert dans Jac(que)mont ou Jac(que)mart, et même dans Jacquart, comme dans Jacquerie.
[76] Voir plus haut, pp. 27-28. Tous ces a sont naturellement fermés dans Rousselot, ainsi que dans Michaëlis et Passy, mais non dans le Dictionnaire général.
[77] Dont l’a est fermé dans Michaëlis et Passy.
[78] Malgré Michaëlis et Passy. L’a prétonique est aussi fermé généralement dans Basile, Bazeilles et Jason, moins régulièrement dans Bazaine, Dugazon et Lazare, et plutôt ouvert dans Saint-Lazare, où il n’est plus initial.
[79] De même Baron, Caron, Charon, Charron, Scarron, Varron (si on ne prononce qu’un r), en opposition avec Mascaron.
Toutefois, sur charron, l’accord n’est pas parfait, à cause des autres dérivés de même racine. Quant à marron, le Dictionnaire général fait l’a long dans le substantif et bref dans l’adjectif (esclave marron): c’est encore uniquement l’étymologie qui le guide sur ce point.
[80] Mais non dans Marennes, malgré Michaëlis et Passy.
[81] Tous ces a sont fermés dans Mᵐᵉ Dupuis, et même celui de déclarer! Michaëlis et Passy ferment aussi celui de latrines!
[82] Ceux qui ne prononcent pas l’s final de ce mot ferment l’a le plus souvent; mais il faut prononcer l’s.
[83] Mᵐᵉ Dupuis fermait l’a dans ces mots et même dans aveline, hameau et rogaton. L’a est encore fermé assez généralement dans Adam, Bataves, Calais, Chablis; il est flottant dans Satan et Madeleine, mais ouvert dans Bacchus et Cadix.
[84] Mᵐᵉ Dupuis fermait l’a même dans bascule, bastonnade et martyr, malgré les deux consonnes qui le suivent.
[85] Ou Majorque. Pour majorité, majorat ou majuscule, la question ne se pose même pas.
[86] L’a est fermé dans Janus, mais non dans anus, ni dans lapis (lazuli), et c’est très incorrectement qu’on le ferme dans pater ou même ad patres. Il serait aussi correct de faire certains a longs et fermés, comme en latin, dans quelques expressions latines souvent citées: audaces fortuna juvat, auri sacra fames, bella matribus detestata, delenda Carthago, dignus intrare, ense et aratro, errare humanum est, facit indignatio versum, genus irritabile vatum, in cauda venenum, irreparabile tempus, manu militari, mens sana in corpore sano, mirabile visu, nil admirari, profanum vulgus, o fortunatos, peccavi, persona grata, pro aris et focis, qualis pater, quantum mutatus, rara avis, si vis pacem, ultima ratio, vade retro, vanitas vanitatum; mais non dans panem et circenses, dont on allonge souvent l’a mal à propos.
[87] Et aussi dans Mahdi, Fahrenheit ou Hahnemann, comme dans Hahn, à cause de l’h. Il l’est aussi dans les noms propres étrangers où les deux a n’en font qu’un: Aarhus, Aalborg, Boerhaave, Saadi, Saale, Saalfed, Saardam, Saavedra, etc.; mais Saadi est devenu chez nous le prénom Sadi, avec a bref. On sépare les a dans A-ar, Ra-ab ou Nausica-a. Dans les noms hébreux, Ba-al, Isa-ac, Bala-am, Abra-ham, on sépare aussi aujourd’hui les a, mais au XVIᵉ siècle on les contractait volontiers, et on a continué à le faire pour Aaron, surtout les poètes, notamment Racine, quoiqu’il scande Ba-al, et aussi V. Hugo, qui écrit de préférence Aron. Pour a suivi de en, voir aux nasales.
[88] Je ne crois pas que la nasalisation du premier a soit due, comme le veut l’abbé Rousselot, à l’influence des deux m qui enferment l’a, sans quoi on devrait dire aussi man-mour ou man-melle. C’est plutôt ce phénomène de répétition de syllabes identiques qui a produit tant de mots enfantins, comme bobo, lolo, etc., et même pépée pour poupée.
[89] Nous retrouverons ces mots au chapitre des nasales, avec quelques autres où figure l’a.
[90] Livre Iᵉʳ, fable 1. Voir aussi fable 13 du livre Iᵉʳ, fables 9 et 10 du livre V, et ailleurs.
[91] L’Académie ne voit d’ailleurs rien de choquant à prononcer d’une part outeron, et d’autre part a-outer. L’abbé Rousselot et le Dictionnaire général sont d’accord pour ou, et il n’y a pas lieu de distinguer entre (a)oût, (a)oûter et (a)oûteron. A-ou ne paraît s’être maintenu constamment que dans le prénom Ra-oul, d’allure aristocratique et peu populaire, et dans un mot relativement récent, ca-outchouc; mais cette association est si peu naturelle en français qu’on entend parfois a-ou se réduire à ou même dans ce mot, ou bien au contraire se séparer par un yod: cayoutchouc.
[92] Le Dictionnaire général donne a-oriste.
[93] A-o n’a pu se maintenir ailleurs dans le français pur qu’au moyen d’un h: cahot, Cahors; mais l’a est tombé dans S(a)ône et Curaç(a)o: il serait si simple de ne pas l’y écrire. Les autres mots qui conservent a-o sont savants ou étrangers; a-orte, caca-o, cha-os, ka-olin, Bilba-o, La-os, etc. L’a était tombé et a revécu dans A-oste, comme dans a-oriste.
[94] On sait que l’orthographe anglaise est encore bien plus extravagante que la française, ce qui n’est pas peu dire.
[95] Rémy de Gourmont voudrait même qu’on écrivît boucmacaire, mais cela encore est un compromis: pour que le mot eût une forme véritablement française, il faudrait aller jusqu’à bouquemacaire: on avouera que cela ne s’impose pas.
[96] Mais c’est un a nettement ouvert qu’on prononce, à tort ou à raison, dans bar, black rot, cab, crack, dog cart, drag, fashionable, flint glass, goddam, krach, lad, lasting, malt, match, paddock, scratch, tatter-sall, tramway, waterproof, et dans that is the question (approximativement zatis-zecouèchtieune). De même dans Macbeth, Sydenham et les noms en -gham, sans parler de Bacon, qui est francisé depuis des siècles.
[97] Ainsi dans steeple-chase, plum-cake, keepsake, pale-ale, pall-mall-gazette, racing-club, shakehand, trades-unions (trèdiounieune), rallye-paper, God save, quaker, et aussi James (djèms), Bedlam ou Shakespeare.
[98] On en vient même à prononcer à la fois rallye à la française et paper à l’anglaise (rali-pepeur): il faudrait choisir pourtant! Je ne parle pas de baby, qui n’est plus guère qu’une orthographe prétentieuse, puisque nous avons bébé, qui est probablement le même mot, avec la même prononciation, approximativement. Sans doute il est trop français au goût de quelques-uns, qui trouvent baby beaucoup plus distingué. Pur snobisme, pour la plupart, comme d’écrire beefsteak. Mais au moins prononce-t-on bifteck, même quand on écrit beefsteack; le comble, c’est de prononcer babi, en s’imaginant que c’est de l’anglais! Il n’y a rien de plus ridicule que cette affectation dans l’ignorance. Je sais bien qu’on peut dire que baby a pris un sens différent de bébé, et désigne des bébés d’allure et de costume particuliers; c’est possible, mais mon observation demeure.
[99] En fait, cet a anglais est plutôt intermédiaire entre l’a et l’o, à peu près comme nous prononçons parfois un ah prolongé pour marquer de l’étonnement ou du mécontentement.
[100] Le Dictionnaire général les accueille toutes les trois.
[101] On ne voit pas très bien à quoi sert l’orthographe beefsteak et rumpsteak, puisque nous en avons fait bifteck et romsteck (avec un c complémentaire à l’allemande): qui donc prononce reumpstec?
[102] Ajouter: Beaconsfield, Castlerea(gh), Chelsea, Chesapeake, Kean, Keats, le roi Lear, Shakespeare, etc.
[103] Et aussi dans le basque Coarraze.
[104] Law aussi, je parle du banquier, devrait se prononcer lo; mais ce mot ayant été à l’origine employé surtout au génitif (Law’s bank), le génitif fut pris pour le nom et la prononciation lasse prévalut, acceptée pas Law lui-même; elle prévaut encore. Nous avons un phénomène tout pareil aujourd’hui dans telles expressions assez absurdes, comme chez Maxim’s.
[105] Le groupe oi est dérivé d’un e latin qui s’est d’abord renforcé, ou simplement mouillé, en éï, puis ouvert en èï, et ensuite oï, la voyelle initiale étant toujours le son principal. Pendant ce temps l’orthographe suivait la prononciation. A partir de cette étape, elle n’a plus changé, mais la prononciation a continué à évoluer. D’abord i est devenu le son principal du groupe; puis oï s’est ouvert à son tour en oé, oè, oa, et, par l’assourdissement de l’o, ouè et oua. C’est là que nous en sommes, si bien qu’il n’y a plus aucun rapport entre l’écriture et la prononciation, qui est exactement wa, avec w consonne, sans i ni o. La lutte fut d’ailleurs très longue entre ouè et oua, sans compter è tout court, qu’on entendait notamment dans adroit, froid, trois et croire. Témoin la réponse de Fontenelle à qui on demandait comment il fallait prononcer je crois: Je crès, dit-il, qu’il faut prononcer je croa. Finalement on a adopté, pour le son è, l’orthographe ai, et oi a fini par passer à wa. Il n’y pas fort longtemps que le fait a été reconnu et accepté par les grammairiens. C’est seulement en 1805 que Domergue l’a proclamé, à l’encontre de tous les livres, qui continuaient à enseigner le son ouè. Aujourd’hui cette prononciation est tout à fait surannée et dialectale, et je ne sais où Michaëlis et Passy ont pu entendre indifféremment jwagne et jwègne.
[106] La finale oy a disparu de l’orthographe, mais se retrouve dans les noms propres français, où sa prononciation est la même: Darboy, Fontenoy, Jouffroy, de Troy, et même au besoin Rob-Roy, se prononcent comme s’ils avaient un i.
[107] Et aussi dans Troie, Troyes ou Millevoye, qui se prononcent exactement comme trois ou vois.
[108] Corneille, le Cid, acte II, scène 8.
[109] Il n’est guère possible de justifier roide, en dehors de la rime: la langue françoise ne s’en accommode plus. Domergue lui-même conseillait déjà rède, à côté de roidir et roideur. Faible aussi s’est longtemps écrit foible, même au XIXᵉ siècle; mais il se prononçait tout de même fèble, et je ne sais pourquoi il avait conservé son ancienne orthographe.
C’est seulement en 1835 que l’Académie se décida à écrire ai le groupe oi, quand il se prononçait è: encore fit-elle exception pour roide et harnois.
[110] Oi est aussi assez long dans les mots en -oirie: armoirie, plaidoierie, etc., mais moins que dans -oir. Autrefois il se fermait dans -oire, et y semblait plus long que dans -oir.
[111] Il représente aussi un s tombé (sauf dans benoît, benoîte, où il est peu justifié). C’est pourquoi on en tenait compte autrefois, et l’on trouve encore des exemples de la prononciation ancienne, mais elle est tout à fait surannée.
[112] Quand ce n’était pas ngn ou ingn: ainsi gagner s’écrivait aussi bien ga-igner, ga-ngner, ga-ingner, d’autant plus que le son de l’a a longtemps été nasal dans ce mot, comme l’o l’est resté ou plutôt redevenu dans Brongniart, qui, régulièrement, devrait se prononcer bro-gnar.
[113] Ces mots étaient pourtant à joindre, soin, loin, témoin, comme besogner, cogner et grogner sont à besoin, coin et groin.
[114] Mais pourquoi ne pas écrire ognon comme rognon? Le cas est exactement le même.
[115] Pourtant le Dictionnaire général les prononce par o et non par oi. Il retarde. Pourquoi pas élo(i)gner et so(i)gner? Lamoignon aussi, et Coigny, sont altérés désormais dans l’usage le plus ordinaire.
[116] Quoique ce soit admis par Michaëlis et Passy. Ajoutons que, très familièrement, voilà devient vla, sans doute par l’intermédiaire ancien de véla: cela est un peu trop négligé.
[117] On prononce oï dans Droysen, et, si l’on veut, Rob-Roy, par opposition aux noms français, Coypel, Coysevox, Loyson, Roybet, etc., où oy se prononce comme oi.
[118] Sauf un cas, qui sera examiné.
[119] On sait que l’e non muet se prononce é ou è, sans avoir d’accent, devant deux consonnes intérieures (sauf le groupe dit muta cum liquida), et aussi devant une consonne finale, sauf l’s, parce que, devant un s, sans accent, il serait muet. Autrefois il n’avait pas d’accent dans ce cas, mais il y avait un z à la place de l’s.
[120] Il n’en était pas ainsi autrefois; les finales en -ète, -ède, -ège, etc., et la plupart des finales à consonne unique ont été longtemps fermées: -éte, -éde, -ége, etc.; elles se distinguaient ainsi des finales à consonne double, -elle, -emme, -ette, etc. Ce n’est même qu’en 1878 que l’Académie a consenti l’accent grave aux finales en -ège.
[121] A latere, de profundis, ecce homo, epitome, in pace, miserere, noli me tangere, nota bene, pange lingua, salve, sine qua non, te deum, tolle, vade mecum, vice versa, aussi bien que avé, bénédicité ou fac-similé. La diphtongue latine æ se prononce aussi comme un e fermé: Dies iræ, lapsus linguæ, væ victis, Philæ.
[122] L’e final se prononce également dans Corte, mais non dans Casert(e), Bramant(e) ou Fiesol(e). L’allemand est traité comme l’italien: l’e ne se prononce pas dans Gœth(e), ni dans Moltk(e), Hohenloh(e), Carlsruh(e); mais il se prononce dans Encke, Heyne, Heyse, Rancke, Nietzche, etc. L’e final anglais se prononce i dans to be or not to be, où il est accentué; en général il ne se prononce pas: steepl(e) chas(e); il est muet même après une voyelle dans blu(e) book, Edgar Po(ë), Lugné-Po(ë), Monro(ë), de Fo(ë), Jellico(ë), et même Ivanho(ë); pourtant celui-ci, étant suffisamment populaire, se francise souvent en Ivanho-é, et il est à peu près impossible de ne pas franciser Cruso-é.
[123] Voir plus loin, au chapitre de l’R.
[124] Plessis-lez-Tours; on l’écrit souvent les, et même lès, très malencontreusement, car l’e est toujours fermé, même en liaison: Caudebec-lez-Elbeuf.
[125] Les noms propres Dumouriez, Duprez, etc., suivent la règle, sauf Forez, qui a l’e ouvert, quoique le z n’y sonne pas non plus.
[126] Au XVIIᵉ siècle, l’e de ces mots était déjà généralement fermé, au moins à Paris; ce n’est qu’au XVIIIᵉ siècle et au XIXᵉ que les grammairiens finirent par le faire ouvrir, dans la prononciation soutenue; mais la tendance était trop forte pour qu’on pût la détruire dans la langue courante.
[127] L’e final s’est également fermé dans certains noms propres grecs, Arachné, Phryné, malgré l’étymologie. Il est vrai que les érudits se croient souvent obligés de prononcer Athènè, Corè, Anankè; mais ces formes sont grecques et non françaises. Et puis, cette prononciation est-elle bien nécessaire? Si l’on ne veut pas dire Athéné, on ferait peut-être mieux de dire Athéna.
[128] Benêt (pour beneet), et ceux qui ont perdu l’s, genêt, acquêt, arrêt, intérêt, forêt, prêt, apprêt, protêt, revêt.
[129] On y peut joindre legs, dont il vaut mieux ne pas prononcer le g.
[130] Il n’y a véritablement d’e final fermé un peu long que dans des mots étrangers comme heimweh, à cause de l’h, et parce que le mot n’est pas français, sans quoi l’h tomberait, comme il est tombé par exemple dans narguilé.
[131] L’identité de -é et -ée est déjà constatée par Mᵐᵉ Dupuis. Aux finales en -ées appartient Séez, qu’on écrit plutôt Sées, ainsi qu’il convient, orthographe qui d’ailleurs n’est pas nouvelle. On s’étonne de voir Mᵐᵉ Dupuis prononcer le mot en deux syllabes.
[132] Sauf toujours des mots étrangers, comme Sainte-Wehme, Auerstædt ou Kehl, qui d’ailleurs se francisent parfois, et ne peuvent le faire qu’en s’ouvrant.
[133] Nous éliminons, comme pour l’a, les finales dont il est question page 38: direct, inepte, cercle, auberge, épiderme, alerte, observe, modeste, orchestre, index, etc., qui ont toujours l’e ouvert, au plus moyen.
[134] De même Québec, Gossec, Lamech, Utrech(t), Lubeck, Waldeck, Sénèque, La Mecque, etc. L’e est naturellement long et beaucoup plus ouvert dans évêque et archevêque, qui ont perdu leur s. Il redevient bref dans break, plum-cake, keepsake, qui, pour la prononciation, appartiennent à cette finale.
[135] Voir notamment les finales en -ome et -omme, en -one et -onne. L’e est naturellement long dans guêpe et crêpe, qui ont perdu leur s.
[136] On voit que le passage de complet à complète, ou pauvret à pauvrette, est encore le même que de délicat à délicate: voir page 44. Autrefois ète était fermé (éte) et ne rimait correctement ni avec ette ni avec aite L’Académie n’a adopté ète qu’en 1740; encore a-t-elle excepté athléte, jusqu’en 1835. L’e est également bref dans les noms propres: Huet, Japhet, Élisabeth, Macbeth, Gètes, Spolète, Polyclète, Épictète, Henriette, La Fayette, Colette, Charette, etc. Cependant Crète a l’e plus long, probablement par confusion avec crête.
[137] Au contraire l’e est toujours long dans bête, fête, honnête, tempête, quête, arête, arrête, crête, prête (adjectif et verbe), tête et vête, qui, comme êtes, ont perdu leur s. On notera aussi une sensible différence de quantité entre acquêt et conquête, arrêt et arrête, etc.
[139] Nous verrons le même phénomène dans douairière et souhaiter. Il est probable que couette suivra. Cf. plus loin moelle et poêle.
[140] De même Skobelef, Senef, Joseph, Télèphe. Où l’abbé Rousselot a-t-il constaté un e long dans greffe? (Voir son Précis, page 143.)
[141] Comme bêche, pêche, rêche et revêche; dans dépêche, empêche et prêche, il y a eu contraction de deux e.
[142] Le Dictionnaire général maintient la voyelle brève. L’e est long aussi dans Campêche, mais non dans La Flèche ou Ardèche, ni dans Fesch ou Marakesch.
[143] Les termes qui désignent des personnes, duchesse, comtesse, princesse, déesse, altesse, hôtesse, etc., ont eu longtemps aussi l’e plus long que les mots abstraits, mais c’était en province plutôt qu’à Paris. Aujourd’hui encore, les noms propres en -èce, Boèce, Végèce, Lucrèce, Grèce, Lutèce, allongent volontiers l’e dans la prononciation oratoire; mais Bresse, Permesse, Gonesse, avaient déjà l’e bref au temps de Ménage. Il y faut joindre Hesse, Tcherkesses, Edesse, etc., avec Metz et Retz, quoique quelques-uns prononcent encore ré (cf. rez, page 53).
[144] La plupart sont des noms propres: Périclès, Bénarès, Ramsès, Agnès, etc. Les mots latins non francisés ou incomplètement francisés n’ont pas l’accent grave: facies, ad patres, do ut des, etc., mais se prononcent de la même manière. Il en est de même des noms espagnols ou portugais en -es: Rosales, Morales, Traz os Montes, Torres-Vedras, aussi bien que Cervantes, à qui nous donnons ordinairement un accent, faute de quoi beaucoup de personnes sont tentées de prononcer Cervante. Toutefois nous faisons es muet dans Buenos-Ayres.
[145] «Un beau diseur était au spectacle dans une loge, à côté de deux femmes, dont l’une était l’épouse d’un agioteur, ci-devant laquais; l’autre d’un fournisseur, ci-devant savetier. Tout à coup le jeune homme trouve sous sa main un éventail: «Madame, dit-il à la première, cet éventail est-il à vous?—Il n’est poin-z-à moi.—Est-il à vous, en le présentant à l’autre?—Il n’est pa-t-à moi.—Le beau diseur, en riant: Il n’est poin-z-à vous, il n’est pa-t-à vous, je ne sais pa-t-à-qu’est-ce. Cette plaisanterie a couru dans les cercles, et le mot est resté.»
[146] Il a l’e bref dans le Dictionnaire général: toujours l’étymologie!
[147] On allonge plus régulièrement l’e dans Thèbes, mais non dans Turnèbe, Erèbe, Eusèbe, etc., pas plus que dans Bab-el-Mandeb, Horeb ou Maghreb.
[148] De même Alfred, Manfred et parfois Auerstæd(t), Suède, Tolède, Archimède, Nicomède, Tancrède, etc., et aussi Mèdes, qu’on allonge parfois, sans qu’il y ait plus de raisons que pour les autres.
[149] De même Touareg, Gregh, don Diègue, Nimègue.
[150] De même Samuel, Rachel, Deschanel, Adèle, Philomèle, Praxitèle, Isabelle, Dardanelles, Sganarelle, Bruxelles, etc. On peut franciser, avec le même son ouvert et assez bref, les noms germaniques en el, Hegel, Schlegel, Hændel; dans ceux qui ne sont pas francisés, l’e est presque muet. A cette catégorie appartient aussi pale ale.
[151] Ressemèle ou ressemelle, grommèle ou grommelle, ficèle ou ficelle, etc., qu’importe?
[152] Bêle, fêle et vêle qui ont contracté deux e, mêle qui a perdu son s, et les adjectifs frêle et grêle, qui en avaient pris un, mais qui étaient pour fraile et graile. Il faut y ajouter Nesle, nom propre qui a gardé le sien. Naturellement, dans pêle-mêle, le premier ê est plutôt moyen, et quelquefois les deux. On allonge quelquefois l’e d’Aurèle ou Philomèle, mais c’est un peu suranné.
[153] Cette orthographe, qui fut longtemps aussi celle de boîte (boette), se maintint, grâce aux essais de réforme du XVIᵉ siècle, époque où oi se prononçait oué. La réforme n’ayant pas réussi, malheureusement, mieux eût valu unifier l’orthographe et écrire moile et poîle, comme boîte. Cela eût épargné à V. Hugo et à d’autres des rimes ridicules, comme celle-ci, où moelle a de plus trois syllabes:
Moelle rime correctement avec étoile et même avec squale. La même observation est à faire pour couette et couenne. Tous ces mots sont exposés à s’altérer dans la prononciation, comme fouet l’a fait, et ils s’altèrent journellement, grâce à l’écriture. Quant à mouette, il est bien rare qu’on le prononce moite.
[154] Blême, même, carême, saint-chrême, baptême, qui ont perdu leur s, suprême, extrême, qui ont gardé, ou plutôt repris la quantité latine, et les noms propres Bohême, Angoulême, Carême, Brême, avec Sole(s)mes.
[155] Cf. encore dème, enthymème, épichérème, monotrème, hélianthème, abstème, etc. Il en est de même des noms propres en -ème, Nicodème, Polyphème, Triptolème, Barème, etc., mais l’e est toujours bref dans Bethléem, Jérusalem, Sem, etc.
[156] Cf., page 59, ce que nous avons dit pour poète. Il est surprenant que l’abbé Rousselot ne fasse aucune différence entre sème, deuxième et stratagème, qui sont précisément à trois degrés différents. On a vu que cold-cream avait aussi la finale brève.
[157] Voir page 24. Nous reparlerons de ce phénomène au chapitre des nasales.
[158] On peut également franciser, avec le même son ouvert et assez bref, les noms germaniques en -en les plus connus: Ibsen, Mommsen, Beethoven. Quand ces mots ne se francisent pas, la finale se prononce presque comme s’il n’y avait pas d’e.
[159] Les mots chêne, pêne, rênes et frêne ont perdu un s, légitime ou non, tandis que cheve(s)ne gardait le sien; gêne a contracté deux e. Ajouter Gênes, et aussi Duche(s)ne, Duque(s)ne, qui ont gardé l’s.
[160] Cf. troène, cène, scène et obscène (mais pas dans scène IV), alène, arène, carène, sirène, murène, les mots en -gène, les mots savants et les noms propres, catéchumène, prolégomènes, ozène, ou Carthagène, Eugène, Diogène, Hélène, Célimène, Misène, Athènes, etc.
[161] Morigène échappe difficilement à l’analogie des mots en -gène.
[162] Voir ci-avant, page 62 et note 3.
[163] On prononce trop facilement Compiène pour Compiègne.
[164] C’est-à-dire e suivi de l mouillé, mais qui se prononce en réalité comme eye.
[165] Œil et les mots en -cueil et -gueil n’appartiennent pas à cette catégorie, mais à celle des mots en -euil. Rueil, au contraire, lui appartient, avec Corbeil, Corneille, Mireille, Marseille, Bazeilles, etc.
[166] Comme on l’a vu plus haut, c’est en 1878 que l’Académie a consenti à mettre l’accent grave aux mots en -ège. On peut y joindre aussi les formes interrogatives aimé-je, allé-je, etc., que Domergue voulait à toute force faire prononcer par un e fermé; mais ces formes sont aujourd’hui purement grammaticales et tout à fait inusitées. Et il y a encore des noms propres, Liège, Ariège, Barèges, Corrège, Norvège, etc.
[167] Le Dictionnaire général marque un e long; mais ceci me paraît purement théorique. Il fait de même, bien entendu, pour les finales -ègne et -eil ou -eille.
[168] De même Fier, Thiers, Reyer, Auber, Cher, etc., avec les noms bibliques, comme Abner, Eliézer ou Esther, ou anciens, comme Lucifer, Vesper, Antipater, Jupiter, etc.: voir au chapitre de l’R. On distinguait autrefois -erre et -ère, même quand -ère se fut ouvert, parce que les deux r de -erre se prononçaient, si bien qu’au XVIIᵉ siècle ces finales ne rimaient pas ensemble.
[169] Manager fait exception, quand on le francise, parce qu’il suit l’analogie des mots en -ger, et notamment celle de ménager, qui au fond est le même mot.
[170] Peut-être aussi landwehr, quoique l’e de ce mot soit long et fermé en allemand, tandis que celui de bitt(e)r s’y prononce à peine.
[171] Il en est de même de beaucoup de noms propres très connus, surtout allemands, Auer, Schopenhauer, Weber, Kléber, Blücher, Oder, Schiller, Képler, Necker, Wagner, Durer (que les poètes prononcent quelquefois dure, notamment V. Hugo), Tannhaüser, Luther, Werther, et même Meyerbeer, tellement le français répugne à fermer l’e devant une consonne, surtout un r. On peut prononcer de même Chaucer, Spencer ou Spenser, Lister, Westminster, Manchester, Vancouver, et naturellement Gulliver, et aussi Boer(s), quoique beaucoup de gens, trop bien renseignés, persistent à prononcer bour et même bours(e): pourquoi pas London ou Napoli! Quelques noms allemands en -berg sont aussi francisés en er ouvert et long, le g n’étant pas articulé: Gutenber(g), Furstember(g), Vurtember(g), Spitzber(g), et surtout Nurember(g), qui est complètement modifié, la forme allemande étant Nürnberg; les autres, gardant les deux consonnes, comme Johannisberg, n’ont qu’un e moyen.
[172] Qui est celle de Bædek(e)r, et fut autrefois celle de Neck(e)r, et quelque temps celle de Web(e)r; c’est celle qui convient aux noms allemands qu’on ne francise pas. D’autre part, on écrit et on prononce Dniéper et Dniester, ou mieux Dniepr et Dniestr.
[173] Aussi l’e des mots en -ève est-il à peu près aussi long que l’ê de rêve et endêve, qui ont perdu l’s, et de trêve (dont l’accent s’explique mal). De même Ève, Geneviève, Lodève, Genève, Trèves, etc., et God save. Pour la finale anglaise ew, voir au W.
[174] Il y a toujours exception pour les vers, bien entendu:
[175] Pourquoi cette orthographe? Ou pourquoi les autres ne l’ont-ils pas aussi? Même quantité dans Ephèse, Borghèse, Pergolèse, Véronèse, etc., dans Suez, Rodez, Orthez, Cortez, dans Bèze, Zambèze, Corrèze, etc., et aussi dans steeple-chase.
[176] Quoique le Dictionnaire général fasse l’e long dans hièble et nèfle, et les mots en -ègle.
[177] Avec Boisdeffre, et aussi Abou-bekre, Bædek(e)r et quak(e)r. Quelques personnes font l’e long dans lèpre, et le Dictionnaire général les y autorise; on ne saurait tout de même prononcer lèpre comme vêpre, qui a perdu son s.
[178] Ni Èbre, Hèbre ou Guèbres. Le Dictionnaire général fait pourtant l’e long dans toutes les finales en -èbre et -ègre, sauf zèbre.
[179] Ou celui de don Pèdre. Celui de Phèdre, au moins celui de l’héroïne, s’allonge aussi volontiers en poésie.
[180] Quoique le Dictionnaire général fasse l’e long dans mètre, urètre et pyrètre; il le ferait tel aussi sans doute dans pénètre ou perpètre, s’il donnait la prononciation de ces mots.
[181] Mètre lui-même pourrait à la rigueur rimer avec maître; mettre ne pourrait pas. Mais les seuls e proprement longs ici sont ceux de être, hêtre, fenêtre, empêtre, champêtre, prêtre, ancêtre et Bicêtre, qui ont perdu leur s; et ceux de guêtre et salpêtre, qui sont devenus longs sans raison évidente.
[182] Quoique le Dictionnaire général n’en fasse point.
[183] De même les noms propres Bièvre, Nièvre et Penthièvre. Les autres noms propres, Lefèvre (ou Lefebvre), Genèvre, et surtout Sèvres, ouvrent leur e plus régulièrement.
[184] Il faut donc corriger les grammaires sur ce point: l’e surmonté de l’accent grave est toujours ouvert, mais l’e surmonté de l’accent aigu n’est certainement fermé que quand il est final.
[185] Le Dictionnaire général l’ignore. L’abbé Rousselot l’exagère. On notera ici aussi que des mots comme suprématie ou extrémité n’ont jamais eu l’accent circonflexe, qui n’est sur extrême ou suprême qu’un signe de quantité arbitraire: voir page 63, note 1. Mélange et mélanger ne l’ont pas non plus, et ont l’e moyen et même bref, malgré mêle et mêler. Des mots étrangers, comme pehlvi, ont encore l’e atone fermé et long; mais il faut faire effort pour le maintenir, car la tendance est de l’ouvrir en l’abrégeant. L’e n’est non plus ni ouvert ni long dans du Gue(s)clin, Dume(s)nil, Duche(s)nois; il est même fermé dans Saint-Me(s)min; mais il est ouvert dans Champme(s)lé.
[186] De même terrain ou terrasse, terrestre ou atterrir, malgré l’e ouvert de terrer et terreau. On peut aussi comparer serrer et ferrer: la différence est grande.
[187] La prononciation fegnan a d’ailleurs pour elle de vieilles traditions. Au XVᵉ et au XVIᵉ siècle, l’hiatus intérieur éa et surtout éan se résolvait par une diphtongue qui tantôt se réduisait à a et an, comme dans dea (oui-da) ou Jehan, tantôt conduisait à ian, comme dans léans ou Orléans. Néant fut dans ce cas, et on le voit rimer avec escient ou inconvénient; néanmoins a souvent deux syllabes à cette époque, et fainéant aussi, jusque dans Baïf.
[188] Voir page 64; on reviendra sur ce point au chapitre des nasales.
[189] Le Dictionnaire général ne connaît encore que la prononciation par a, quoique l’Académie se soit abstenue, en 1878, pour hennir. Thurot avoue qu’on prononce aujourd’hui nenni et hennir par e; mais il ajoute qu’on prononce les deux n: je n’ai jamais entendu cela. Jenny se prononce encore beaucoup par a; mais la prononciation par e se répand de plus en plus.
[190] C’est le même phénomène qui s’est produit dans fouet ou fouetter, et qui est en voie de se produire dans couenne et couette. Les adverbes en -emment sont inaltérables, à cause du voisinage constant de leurs primitifs en -ent; mais rouennerie, sinon rouennais, est mal protégé par Rouen.
[191] Michaëlis et Passy, qui admettent cette prononciation, admettent aussi qu’rir pour quérir: je me demande dans quel faubourg ils ont pris cette prononciation patoise.
[192] Alleluia, et cetera, confiteor, deleatur, libera, exeat, memento, miserere, nota bene, te deum, Unigenitus, veto, et à fortiori vade mecum et rebus, qui sont francisés. On ferait bien pourtant de fermer l’e, même non final, dans beaucoup de mots latins où il est long: credo, Remus, amant alterna Camenæ, cedant arma togæ, delenda Carthago, experto crede Roberto, habemus confitentem reum, in extremis, ne varietur, veni vidi vici, etc.
[193] De même Œdipe, Œnone, Œta, Mœris, Ægos-Potamos, Pæstum, Lætitia, etc. Il ne faut donc pas confondre l’œ latin d’Œdipe, avec l’œ allemand de Gœthe, dont nous allons parler: édipe, et non eudipe, comme on l’entend parfois. Pour œ suivi d’u, voir eu. L’e ne doit pas se prononcer dans Co(ë)tlogon, et l’on prétend qu’il se prononce oi dans Tréville.
[194] Il y a de même un e mi-ouvert dans des noms italiens ou espagnols comme Angelo, Barberini, Bolsena, Cabrera ou Caprera, Consuelo, Montebello, Monte-Cristo, Montecuculli, Montenegro, Montevideo, Montezuma, Pontecorvo, Puebla, Serao, Torre del Greco, Calderon, Lop(e) de Vega, Venezuela, Vera Cruz, et aussi dans des noms allemands ou anglais comme Remington, Weser, ou d’autres pays comme Cameroun, Skobelef ou Tourguenef, Swedenborg, etc. On notera qu’il est généralement fermé dans les noms allemands, quand il est initial, comme dans Bebel, Ebers, Lenau, Reber, Weber.
[195] Il se prononce alors comme l’e muet (eu), mais extrêmement bref et presque insensible, encore plus faible que dans les finales en -et, -en ou -er; ainsi dans Esch(e)nbach, Fürst(e)nberg ou Fahr(e)nheit. De même dans l’anglais Syd(e)nham, ou même gard(e)n-party; sans parler de le qu’on intervertit, comme dans gentleman, prononcé djent(e)lman, ou steeple-chase, prononcé stîp(e)ltchèse, ou Castlerea(gh), etc.
[196] Ce tréma représente en effet un e primitif.
[197] Par exemple dans Frœschwiller (au contraire de Wœrth), dans Kœchlin, Rœderer, Schœffer, Schœlcher. Dans Rœderer, quelques historiens voudraient remplacer ré par reu, mais dans le commerce des vins, on prononce uniquement ré. Cette prononciation par é est encore admissible ou tolérable dans Kœnigsberg, quoiqu’on prononce plutôt keunixbergue.
[198] Comme dans Gro-ënland, ou même Féro-ë.
[199] Ainsi Gœthe, qu’on écrivait autrefois et qu’on a prononcé parfois Go-ëthe (Th. Gautier le faisait rimer régulièrement avec poète), se prononce aujourd’hui toujours gheute (comme meute): ce nom, comme celui de Shakespeare, appris par l’oreille autant que par l’œil à cause de sa grande notoriété, s’est imposé partout avec sa prononciation véritable, à peu près tout au moins, l’e final étant muet chez nous. On prononce de même eu dans d’autres noms allemands ou scandinaves, qui ne sont guère employés que par des gens instruits, comme Bjœrnstierne Bjœrnson, Bœckh, Bœcklin, Bœhm, Gœthen, Dœllinger, Gœttingue, Gœtz, Jonkœping, Kœnigsberg et autres mots commençant par Kœnigs-, Kœrner, Malmœ, Maëlstrœm, Nordenskiœld, Œlenschlager, Rœntgen, Schœnbrunn, Schœngauer, Tœpffer, Tromsœ, Wœrth, etc.
[200] Qu’il me soit permis de dire ici, en passant, que le pluriel, de lied, puisque lied est francisé, doit être lieds et non lieder, auquel s’obstinent les musiciens. C’est en général un travers assez pédantesque que d’aller chercher le pluriel des mots dans la langue d’où ils sont tirés. Lieder a pour excuse qu’il est peut-être plus employé que le singulier, au moins en musique, où il sert de titre à beaucoup d’œuvres très importantes; aussi est-il sans doute moins ridicule que sanatoria, mais il est de même ordre. Pourquoi pas des harmonia ou des pensa? Tel journaliste, qui s’est par hasard égaré en Algérie, nous apprend que Touareg est un pluriel, et qu’au singulier il faut dire Targui; et que le pluriel de chérif est chorfa! Félicitons-le bien sincèrement de sa science toute fraîche, mais les gens qui parlent simplement français n’hésiteront pas à dire: un Touareg, des Touaregs, puisque c’est le pluriel ici qui est francisé, et des chérifs, et aussi un li(e)d, des li(e)ds, le singulier étant suffisamment connu. On peut évidemment établir une différence entre le sens musical et le sens littéraire; mais vraiment est-il admissible que ce mot ait deux pluriels, lieds quand on parle de Gœthe, et lieder quand on parle de Schubert?
Les autres mots où l’e allonge l’i sont des noms propres: Bjœrnsti(e)rne, Di(e)z, Elzevi(e)r, écrit aussi Elzévir, Fi(e)lding, Fri(e)dlingen, Gri(e)g, Ki(e)l, Li(e)bknecht, Ni(e)belung, Ni(e)buhr, Ni(e)dermeyer, Ni(e)tzche, Ki(e)pert, Ri(e)sener, Schli(e)mann, Si(e)gfried, Si(e)gmund, Spi(e)lberg, Ti(e)ck, Wi(e)land, Wi(e)sbaden, Zi(e)m, etc., et tous les noms anglais terminés en -field. Il est pourtant difficile de ne pas admettre ou tolérer Fri-ed-land, en trois syllabes: en tout cas la plupart des Parisiens ne connaissent que l’Avenue de Fri-ed-land. L’e se prononce aussi, à tort ou à raison, dans Van Swieten, Liebig et Brienz; plus correctement dans Sienkiewicz, Mickiewicz, Sobieski, Sien-Reap, et aussi dans Nield et Dierx, à fortiori. Il se prononce également dans les noms des langues romanes, comme Fieschi (et Fiesque), Fiesole, Tiepolo, Oviedo, etc.
[201] Peer Gynt, Scheele, Seeland, Steen, Van der Meer; Pourtant Beethoven n’a plus en français qu’un e bref mi-ouvert.
[202] Et dans Aberdeen, Beecher Stowe, Flamsteed, Gretna Green, Greenwich, Leeds, Queensland, Queenstown, Seeley, Tennessee, etc.; mais on admet é dans Dundee.
[203] L’oe flamand se prononcerait correctement ou dans des mots comme Boers, Boerhaave, Goes, Moers, Woevre, mais cette prononciation est trop éloignée de l’usage français, et nous prononçons généralement Bo-ers, Bo-erhaave, etc. Nous germanisons même Bloemfontein en Bleumfontaïn. Mais Woëvre se prononce surtout Voivre, et s’écrit même de cette façon.
A côté de l’o avec trémas (eu), l’allemand a aussi un a avec tréma, que nous transcrivons également tantôt par æ liés, tantôt par aë, et qui se prononce comme è ouvert moyen ou même bref: Auerstæd(t), Bædek(e)r, Hæckel, Hændel, Hænsel et Gretel, Lænsberg, Mælzel, etc. Toutefois Lænsberg se prononce encore lansber. D’autre part aë se prononce comme a long dans Maëstricht et Maëlstrœm, Ruysdaël, Mᵐᵉ de Staël et Gevaërt; Jordaëns et Saint-Saëns se prononcent par an: voir aux nasales.
L’e est distinct de l’a dans Laënnec, Gaëte, Paër, etc., et même sans tréma, dans Laeken ou Maes, et peut-être Paesiello. Maeterlinck (et non Mæ) doit se prononcer ma et non mé.
[204] Si ce livre était un livre de phonétique, nous aurions traité le groupe ai ou ei avec l’e, car ils ne font qu’un: ai ou ei, jadis diphtongues, comme oi, ne sont plus que des graphies surannées, qui disparaîtraient, s’il y avait quelque logique dans l’orthographe. On écrit bien effet et préfet: pourquoi pas aussi bien parfet ou satisfet, puisque l’étymologie est la même, ou à peu près, et la prononciation identique? Pratiquement, et l’orthographe étant ce qu’elle est, il a paru préférable de maintenir la distinction.
[205] Cette prononciation est naturellement celle de Victor Hugo:
Pourtant, V. Hugo lui-même a fait rimer quais au pluriel avec laquais (voir Lég., la Colère du bronze) et avec expliquais:
Aujourd’hui on fera mieux de faire rimer quai avec expliquait, même au singulier, ou geai avec plongeait ou même projet. On ne saurait toutefois approuver cette rime de Mᵐᵉ de Noailles:
J’ai est encore fermé aujourd’hui à peu près partout.
[206] Les poètes, toujours traditionnalistes, font encore rimer parfois mai avec aimé; mais cela ne rime plus.
[207] On le trouve encore dans V. Hugo, où il surprend déjà:
[208] Voir Banville Diane au bois, acte I, scène 1:
Cette rime fut excellente, mais ne s’impose plus du tout.
[209] On devrait aussi écrire ponet, puisque ce mot a pris un féminin, qui est ponette.
Ay final n’existe plus en français que dans les noms propres, où il a le même son que ai; ainsi, dans Belley ou Du Bellay, ey et ay sont plus ouverts que l’e qui précède: on prononçait bèlé, on prononce bélè et aussi belè. De même Seignelay, Epernay, Sarcey, etc., et aussi Bombay, Macaulay, Berkeley, Stanley, Bidpay ou Pilpay, comme Jokai ou Tokay. Briey se prononce aussi Bri-yi. Dans certaines localités méridionales, comme Hay, Tournay et Espoey, l’y grec se prononce à part, comme si la finale était a-ye ou e-ye. Quant à Pompéi, on le francise encore le plus souvent en lui donnant trois syllabes: Pompé-ï; mais la vraie prononciation est en deux, eï étant en réalité une diphtongue qui se prononce comme dans paye; cette prononciation, adoptée par les voyageurs qui ont vu le pays, a des chances de se répandre, depuis que des noms tels que Tolstoï nous ont habitués à ce genre de finales. On peut en dire autant de Mafféi. Véies aussi vaut mieux prononcé comme veille, que Vé-ies, en deux syllabes.
[211] Voir ce qui est dit page 56, à l’occasion des finales en ée. En tout cas -aie ne saurait être moins ouvert que -ai; par suite, dans La Fresnaye (car les noms propres ont gardé l’y), c’est la dernière syllabe qui est la plus ouverte, et l’e long de frêne (fresne) se ferme ici à moitié: prononcez énè plutôt que èné.
[212] On peut même dire que parfaite rime mieux avec estafette qu’avec faîte, et même prophète. Il en est de même de vous faites, que les poètes seuls prennent la liberté d’allonger:
[213] Qui devrait aussi s’écrire sèche (sépia); ces mots sont à distinguer de fraîche et laîche, qui ont perdu l’s, et auraient pu aussi bien s’écrire frêche et lêche: toutes ces orthographes sont absolument arbitraires.
[214] Ce mot est méridional, et les gens du Nord n’ont pas le droit de l’altérer, comme fait le Dictionnaire général, en faisant ai long.
[216] Ai est encore long dans Alais, qui se prononce comme les mots en -ès, et s’écrit du reste, maintenant, Alès.
[217] De même Leyde et Mayne-Reid, que nous francisons. Au contraire Thomas Reid se prononce Rîd. Voir page 47 ce que nous avons dit de roide.
[218] Tandis que La Haye, Saint-Germain-en-Laye, La Fresnaye, Houssaye, etc., n’ont que le son è, comme les mots en -aie. Ne pas confondre ces noms avec ceux où l’a reste séparé de l’y, comme Bla-ye: voir plus loin, aux semi-voyelles.
[219] Pour aigne prononcé agne, voir plus loin.
[220] Mais non pas -ail prononcé à l’anglaise, dans rail (rèl), cock-tail et mail-coach. Bayle et Beyle sont douteux, mais plutôt brefs. Il va sans dire que les poètes ne se gênent pas pour allonger les finales en elle afin de rimer avec aile:
Chaîne est pour chaeine; mais faîne et traîne auraient pu se passer de l’accent. Ai(s)ne a gardé son s, comme Duche(s)ne ou Duque(s)ne.
[222] Et aussi Sedaine, tandis que les autres, Verlaine ou Madeleine, Maine ou Germaine, Lorraine ou Touraine, Seine ou Bazaine, Taine, Aquitaine, La Fontaine, tendent à allonger leur finale.
[223] Et aussi les noms propres, Le Caire, Beaucaire, Baudelaire, Bélisaire, etc., avec Buenos-Ayres, que nous francisons; Nicaise, La Chaise, Falaise, Vaise, etc.
[224] Voir ci-dessus, page 64, et note 1, et plus loin, page 131.
[225] L’orthographe de treize et seize est tout à fait arbitraire.
[226] Ce sont maître, naître, paître, paraître et traître qui ont perdu leur s; reître aussi, mais ce mot, qui venait de l’allemand reiter, n’avait d’s que par analogie avec les autres.
[227] Il est même fermé, comme on l’a vu plus haut, pour ceux qui prononcent gai fermé.
[228] Il n’est pas rare à Paris d’entendre l’e fermé jusque dans maison ou raison; mais cette prononciation me paraît purement faubourienne.
Les groupes ay et ey, conservés à l’intérieur des noms propres devant une consonne, se prononcent aussi è, plus ou moins bref ou long, suivant les cas, dans les noms français: Aveyron, Aymon, Caylus, Dalayrac, Feydeau, Freycinet, Gleyre, Raynal, etc., et même Taygète, comme Reiset ou Meissonnier. Mais Talleyrand se prononce Tal’ran. Dans le Midi, au contraire, ey se prononce eye dans Eymet, Seyne, Peyr(eh)orade, etc.
[229] Voir plus haut, page 45. L’abbé Rousselot accueille encore doirière.
[230] Voir plus haut, page 48.
[231] C’est pour les noms propres surtout qu’il y a eu longtemps hésitation. Ainsi le nom de Montaigne était à l’origine le même mot que montagne et se prononçait de même; mais tandis que monta-igne, nom commun, perdait son i, Monta-igne, nom propre, gardait le sien, parce que les noms de personnes conservent mieux que les autres mots leur orthographe ancienne: nous en verrons de nombreux exemples; néanmoins sa prononciation s’est longtemps maintenue, grâce sans doute au voisinage du nom commun: par exemple, Delille non seulement prononce, mais écrit partout Montagne, notamment à la rime; mais la prononciation du nom a tout de même fini par s’altérer au cours du XIXᵉ siècle: aujourd’hui tout le monde ou à peu près prononce Montaigne, comme il est écrit; la prononciation par a est considérée comme surannée et serait à peine comprise. Champagne, au contraire, nom à demi commun, a perdu son i, comme Bretagne, sauf parfois dans Philippe de Champaigne, qu’on est tenté d’altérer; mais pourquoi ne pas écrire toujours Philippe de Champagne? cela supprimerait toute difficulté. Sardaigne, moins commun en France que Bretagne ou Champagne, a gardé son i: aussi prononce-t-on ai. De même aujourd’hui dans Cavaignac. Toutefois, dans Saint-Aignan, les diverses prononciations locales sont généralement agnan.
[232] On prononce également par e mi-ouvert l’anglais Reynolds, Seymour, Taylor ou Ceylan, Fairfax ou Ralei(gh), ou encore Leicester, qui est souvent germanisé à tort en aï. On prononce encore de même Aureng-Zeyb, Beyrouth, Buenos-Ayres, Bayreuth, Laybach et aussi Valparaiso, et même Meinam. En revanche, on prononce l’i (ou y) à part, mais en diphtongue naturellement, dans Héphaistos ou Poséidôn, prononcés à la grecque, dans Maimonide, Kaisarieh ou Kaiserslautern et Baylen, dans Almeida, Peixota, Zeila, etc., et même Leitha, parce qu’allemand. Dans Ha-ydée ou Ha-ydn, on sépare les voyelles. Au contraire Saïgon devrait s’écrire Saigon, puisque tous les Européens du pays ont adopté, à tort ou à raison, la prononciation ségon.
[233] Quelques noms propres francisent ei en e ouvert: Henri Heine, Eiffel, Schneider, Leibniz, Leipzig, Reischoffen, et aussi Eylau, van Eyck, Dreyfus; la plupart gardent le son allemand: Eisenach, Eisleben, Fahrenheit, Freia, Freischütz, Geibel, Geissler, Heidelberg, Kleist, Meiningen, Meister et Meistersinger (les personnes qui ne savent pas l’allemand feront mieux de dire Maîtres chanteurs), Reicha, Reichstadt, Reisebilder, Schleiermacher, Schweinfurth et les mots en -ein et -eim, et aussi, avec un y, Freytag, Heyse, Van der Heyden, Van der Weyden, et tous les noms moins connus.
[234] Avec la manie de diérèse qui est la plaie de notre versification, V. Hugo a fait geyser et kayser de trois syllabes l’un et l’autre, dans l’un de ses poèmes les plus fameux, Eviradnus (VI et XVI):
Il en fait d’ailleurs autant pour Heidelberg et pour bairam (Ane, V, et Quatre Vents de l’Esprit, III, 2)... sans parler de Shylock, écrit et prononcé Sha-ï-lock. Il faut bien se garder de décomposer ces diphtongues.
[235] Ce groupe, d’abord diphtongue, n’a achevé qu’au XVIᵉ siècle de devenir voyelle simple.
Eu s’écrit assez sottement œu, sous prétexte d’étymologie dans vœu, œuvre, etc.; il se réduit à œ dans œil et ses dérivés; il s’intervertit même en ue dans les mots en -cueil et -gueil.
[236] Il y a aussi des noms propres: Boïeldieu, Richelieu, Chaulieu, Montesquieu, Saint-Leu, etc. Pour les mots en eue, voir plus haut, page 56.
[237] Et les noms propres Andrieux, Des Grieux, Dreux, Évreux, auxquels on peut joindre Saint-Brieu(c) et Yseu(lt).
[238] C’est ainsi qu’on disait correctement, naguère encore, un œu(f) frais, un œu(f) dur, un œu(f) rouge, avec eu fermé, comme on dit encore aujourd’hui Neu(f)château, Neu(f)-Brisach, etc.
[239] Pour plus de détails sur l’f final, voir à la lettre F.
[240] Voir sur ce point le chapitre de l’R. Cette prononciation n’avait d’ailleurs rien de si extraordinaire: aujourd’hui c’est dans les mots en -er et -ier qu’on n’entend plus l’r: aime(r), premie(r). Nous allons revenir sur les mots en eur.
[241] Y compris Meuse, Creuse, Greuze, Chevreuse, etc.
[242] Eun, sans e muet final, est nasal dans à j(e)un et Jean de M(e)un(g).
[243] Ajoutez les noms propres Eudes, Pentateuque, Maubeuge, Reuss, Bayreuth (cf. Gœthe ou Bœhm), et surtout les noms grecs en -eus, Zeus, Orpheus, Prométheus, et même basileus. Quand ces noms en -eus commencèrent à être introduits dans la littérature, initiative qui revient à Leconte de Lisle, Victor Hugo voulut suivre le mouvement, comme d’habitude; mais comme il savait fort peu de grec, il crut voir dans ces mots la finale latine us, et il fit de Zeus deux syllabes:
On trouve la même prosodie dans Religion et Religions et dans l’Ane. Pourtant V. Hugo a fait Zeus monosyllabe dans Dieu.
[244] Et les noms propres en -beuf: Babeuf, Brébeuf, Rutebeuf, Elbeuf, Marbeuf.
[245] Avec Chevreul, Saint-Acheul. Malgré Michaëlis et Passy, on ne saurait fermer gueule; tout au plus gueulard, quoique ce soit bien trivial.
[246] Sans parler de heurte, Meurthe et meurtre, et même Leuctres et Polyeucte, suivant le principe général: voir page 38; mais la prononciation savante ferme parfois eu dans ces deux mots.
[247] Au XVIᵉ siècle, on écrivait non seulement ueil pour œil, mais dueil, fueille, etc. A Verneuil, Montreuil, Auteuil, etc., on ajoutera Arcueil, Argueil, Bourgueil, Longueil, Montorgueil, etc., et Bueil, tandis que Rueil appartient à une autre catégorie. Santeul a aussi la finale mouillée, et Choiseul l’a eue.
[248] Veux-je serait peut-être long en même temps qu’ouvert, mais la vérité est qu’on ne l’emploie pas. Nous avons dit que Maubeuge avait eu fermé.
[249] Ainsi que Eure et Soleure, Feurs et Mercœur, etc.
[250] Faucheux n’est aussi qu’un doublet de faucheur. Inversement le peuple dit volontiers au lieur de, pour au lieu de.
[251] Avec Sainte-Beuve, Villeneuve, Terre-Neuve, etc.
[252] Veuve fermé, admis par Michaëlis et Passy, est absolument incorrect, malgré l’analogie de neuf heures.
[253] Voir au chapitre du G.
[254] C’est le même e, inutile aujourd’hui, qu’on trouve dans asseoir (à côté de choir pour cheoir), ou dans Jean et Jeanne.
[255] Michaëlis et Passy enregistrent aussi, et admettent par conséquent eu fermé dans breuvage et dans pleurer: c’est une prononciation qu’on ne doit pas entendre souvent.
[256] Ainsi l’eu de jeûne, déjà moins long dans jeûner et encore moins dans déjeuner, qui n’a plus d’accent, y devient si bref dans certaines provinces, qu’on l’y traite comme un e muet: déj’né; mais ceci est vraiment excessif, quoique enregistré encore par Michaëlis et Passy.
[257] Il faut excepter Europe et européen, et naturellement Eure-et-Loir; mais eu est fermé malgré l’r, dans les noms anciens, à prononciation savante, dans Euripide, Eurotas, Euryanthe, Euryclée, Eurydice, Eurysthée, aussi bien que dans Eubée, Eucharis, Euclide, Eudoxie, Eudore, Euler, Eumée, Euménides, Eumolpe, Eupatoria, Eupatride, Euphrate, Eupolis, Eusèbe, Eustache, Euterpe, Eutrope, Eutychès, etc. Il tend à s’ouvrir dans les plus connus de ces mots, comme Euphrate ou Eustache, et il est moins fermé dans Eugène que dans Eugénie, parce que, dans Eugène, il tend à s’abréger par le voisinage de la tonique longue, comme dans peut-être. D’autre part, les faubourgs disent volontiers Ugène, Ugénie, Ulalie, et cette prononciation, qui fut correcte, comme Ustache, Urope, hureux, et beaucoup d’autres, le serait encore, comme celle de vu pour veü, ou simplement comme celle de j’ai (e)u, sans l’influence de l’écriture qui a prévalu: ainsi Eure rime avec nature et avec structure, dans la Henriade, VIII, 55-56, et IX, 125-126. Cf. bleu et bluet, heure et lurette, leurre et déluré, meute et mutin. Mimeure même, paraît-il, se prononce encore par u.
[258] De même dans Beuchot, Beulé, Beudant et Beugnot, Ceuta, Deucalion, Feuchère, La Feuillade, Feuillet et Feuquières, Meurice (malgré l’r), Neubourg, Neuilly, Manteuffel et Teutatès. Mais eu est ouvert dans Beurnonville, moins ouvert dans Fleurus ou Fleury.
[259] On devrait le faire un peu plus long dans Vanlo(o) et Waterlo(o), puisqu’il en représente deux, mais nos finales ne comportent pas ces distinctions. L’o final italien s’est souvent francisé en e, comme dans Guido, devenu Guide, ou est tombé purement et simplement comme dans Perugino, devenu Pérugin; il s’est maintenu dans André del Sarto, mais le plus souvent on ne le prononce pas.
[260] Ceux-là se prononcent exactement comme clôt, dépôt (avec entrepôt, impôt et suppôt), rôt, tôt et prévôt, qui ont perdu l’s, et Prévo(s)t, qui l’a gardé.
[261] Et même Goths, ainsi que beaucoup d’autres noms propres: Didot, Renaudot, Carnot, Guizot, etc. Les poètes ne font pas ces distinctions, et les mots en -ot ou -ots riment tous aujourd’hui couramment avec les mots en -eau:
[262] Il en est exactement de même dans telles expressions toutes faites, comme aller au trot, ou dans tel nom propre, comme Renaudot.
[263] Avec palinod et quelques noms propres en -od, comme Pernod et Gounod.
[264] Le français avait autrefois la finale muette oe (Pirithoe, redevenu Pirithoüs, coe devenu queue, ou roe devenu roue), et sans doute elle était longue. L’o est la seule voyelle fermée qui ait perdu sa finale féminine (cf. -ie, -ue, -oue, -ée, -eue); mais nous la retrouvons dans quelques noms anglais: voir plus haut, page 53. L’o final suédois, avec tréma, se prononce eu, et s’écrit d’ordinaire œ, comme dans les mots allemands: voir page 76.
[265] C’était sans doute pour empêcher qu’on ne s’y trompât, que Fabre d’Églantine, d’origine méridionale, a cru devoir mettre un accent circonflexe aux jolis mots qu’il inventa pour le calendrier: pluviôse, ventôse et nivôse; un homme du Nord n’en aurait pas eu l’idée.
[266] Nous ne parlons pas non plus ici des finales dont il est question page 38: docte et dogme, golfe et révolte, absorbe, écorche et informe, morne, morse et morte, paradoxe, etc., ont toujours l’o bref ou moyen.
[267] De même Maroc, Enoch, Bankok, Shylock, Locke ou Archiloque; Eliot, Scott, Naboth, Hérodote, don Quichotte, La Mothe; Ésope; Romanof, Malakoff, Christophe; Antioche; Thanatos, Cappadoce, Écosse.
Côte, hôte et ôte ont perdu un s, ainsi que Pentecôte, qu’on a longtemps ouvert, mais qu’il vaut mieux fermer.
[268] En revanche, chez le boucher, on dit volontiers des os avec o ouvert, comme au singulier, et de même désosser, la distinction étant trop délicate. Sans aller jusque-là, il est assez naturel de dire un paquet d’os (o fermé) plutôt que un paquet d’o(s).
[269] Le Dictionnaire général l’ouvre (à volonté dans albinos), mais cela, c’est peut-être la théorie plutôt que la pratique. Michaëlis et Passy l’ouvrent aussi, mais en le faisant long: cette fois je ne comprends plus. L’o est fermé également dans les noms de cigares, trabucos, crapulos, etc., et dans les accusatifs latins, intra muros, benedicat vos, et par conséquent salvanos; également dans Calvados, Burgos, don Carlos, Cornélius Népos et Hyesos.
[270] Il en est de même pour les noms propres. Beaucoup d’entre eux ont remplacé simplement la forme latinisée en -us, seule usitée autrefois, comme Laïos, Danaos ou Phœbos. Pour ceux-là, l’o doit être et est toujours ouvert et bref. Pour les autres, c’est encore l’étymologie qui devrait déterminer la prononciation, puisque ces mots appartiennent uniquement à la science ou à l’érudition. On devrait donc fermer l’o seulement chez ceux qui en grec ont un oméga, Eos, Cos, Argos, Minos, Eros, Athos (réservant Athos avec o ouvert pour l’ami de Porthos et de d’Artagnan). Or ceux-là sont le petit nombre; et on devrait ouvrir l’o chez les autres, Lesbos, Ténédos, Paphos, Délos, Samos, Pathmos, Lemnos, Claros, Paros, Naxos, etc. Malheureusement ceux qui ferment l’o de pathos ne manquent pas de fermer celui de Lesbos, Pathmos ou Paros.
[271] Cependant alco-olisme garde les o séparés, comme Bo-oz ou zo-ologie, qui ne sont pas des mots populaires.
[272] Suivant son principe, le Dictionnaire général fait o ouvert, mais long, dans les finales -oge, -ove et -ogne. L’accent circonflexe s’est mis dans geôle et enjôle, dans môle, pôle, rôle et contrôle, drôle, frôle, trôle et tôle, ainsi que dans rôde et alcôve: ce fut arbitraire et pas toujours justifié. En tout cas cela est, et si Corneille a pu, en son temps, faire rimer rôle et pôle, qui n’avaient point d’accent, avec parole, ces rimes sont détestables dans V. Hugo.
Kohl a aussi l’o fermé, à cause de l’h. Doge a été longtemps long et fermé, ainsi que globe et lobe, qui étaient d’abord des mots savants: tous ont suivi depuis l’analogie des autres. L’o est également ouvert et suffisamment bref dans Jacob ou Déiphobe, Nemrod ou Hérode, Magog ou La Hogue, Tirol ou Arcole, Norodom, Rome et Somme, Edison, Bonn, Antigone et Lisbonne et même Limoges. Il est un peu plus long dans Laure de Noves ou Dordogne. Vo(s)ges, qui a gardé son s, a l’o long et fermé.
[273] On y joignait généralement Rome, qui pour ce motif s’est longtemps écrit avec deux m.
[274] De même Deutéronome, Chrysostome et Sodome, à côté de Rome, qui gardait seul l’o ouvert.
[275] S’ajoutant à diplôme et symptôme, qui auraient pu s’en passer aussi bien qu’idiome et axiome. L’accent est encore dans chôme (par confusion sans doute, car on écrivait chomme bref à l’origine), dans le mot populaire môme, dans fantôme, qui a perdu son s, et dans Côme, Pacôme, Puy-de-Dôme, Vendôme, Jérôme, Drôme, Brantôme.
[276] Sauf peut-être sur majordome. Le Dictionnaire général fait aussi l’o ouvert dans prodrome et hippodrome, tome et atome, et Deutéronome; mais c’est manifestement l’étymologie qui le guide, car ces mots sont encore loin d’être indiscutés.
[277] Le Dictionnaire général fait l’o fermé dans amome et ouvert dans cardamome et cinnamome. L’opinion a pu changer au cours de l’impression.
[278] Il y a encore quelques termes de médecine qui ferment l’o, comme sarcome, fibrome, etc. Mais il faut bien que chrome suive polychrome, et il entraînera avec lui brome et bromure, à qui le Dictionnaire général donne déjà un o ouvert. L’o n’est plus fermé à peu près régulièrement que dans Chrysostome, sans raison d’ailleurs.
[279] De même que dans Babylone, Dodone et Pomone, Bellone et Suétone.
[280] Pas davantage dans Antigone, Tisiphone ou Gorgone, qui longtemps eurent l’o long, comme Barcelone.
[281] Tous ces mots ont l’o ouvert dans le Dictionnaire général, ainsi qu’ozone, pour lequel Michaëlis et Passy admettent quatre prononciations différentes.
[282] Outre prône et trône, l’accent s’est mis sur cône et pylône, qui avaient l’o long; quant à aumône qui a perdu son s, son o s’était néanmoins ouvert, mais il est plutôt fermé aujourd’hui. L’o est bref aujourd’hui dans tous les noms propres en -one, même anglais, comme Gladstone ou Folkestone. Corneille ou Racine avaient le droit et le devoir de faire rimer Antigone ou Babylone avec trône; mais dans V. Hugo cela ne rime plus; et sans doute il se croyait autorisé par l’exemple des classiques, en quoi il se trompait radicalement. D’ailleurs il ne distingue pas, et fait constamment rimer trône avec couronne:
rime détestable, qu’on chercherait en vain chez les classiques, et qu’aucune prononciation ne saurait pallier.
Le seul nom propre en -one où l’o soit peut être long sans accent, c’est Hippone, qui est savant. Il est naturellement long dans Bône, Ancône, Rhône et Saône, avec Co(s)ne et Sain-Jean-de-Lo(s)ne, et aussi khitôn et Poseidôn. En revanche, beaucoup de personnes abrègent et ouvrent l’o même dans Mendelssohn, ce qui est encore une erreur, à cause de l’h.
[283] Dans les noms anciens ou étrangers l’o est ouvert: Booz, Badajoz. En France, la finale -oz, comme la finale -az, est assez fréquente dans les noms propres de l’antique pays des Allobroges, Dauphiné, Savoie, Valais. Mais la prononciation locale met plutôt l’accent sur la précédente, ou même la pénultième, selon la règle latine, et la dernière devient à peu près muette. Ainsi Berlioz se prononce berl mouillé (berlye en une syllabe). Le français ne saurait évidemment accepter cette accentuation, et dans le pays même on prononce aussi Berlio, sans articuler le z, et par suite avec o fermé. Cette prononciation aurait dû suffire; mais l’orthographe a réagi sur elle, comme d’habitude, et le z est passé définitivement dans l’usage; seulement le z amène beaucoup de gens à ouvrir l’o, comme dans Booz, malgré le son bien connu des finales en -ose.
[284] De même Médor, Cahors, Niort, Chambord, etc.
[285] Notre et votre ne sont que la forme atone de nôtre et vôtre, qui ont perdu leur s, ainsi qu’apôtre et patenôtre. L’o est également ouvert dans Thémistocle ou Locres, Constantinople ou Christofle, mais fermé dans Le Nôtre.
[286] De même Grenoble et Hanovre, dont l’o s’est également ouvert (comme partout devant v), quoi qu’en disent Michaëlis et Passy. Et c’est tant pis pour les poètes, car pauvre n’a plus de rime, sauf à Marseille.
[287] On notera ici aussi que des mots comme conique ou conifère, drolatique, polaire, diplomate et ses dérivés, ou symptomatique, n’ont pas conservé l’accent circonflexe du simple, qui n’est qu’un signe arbitraire de quantité; aussi n’ont-ils pas l’o fermé: voir ci-dessus, page 33, et page 73, note 1.
[288] L’o fermé qu’indiqué le Dictionnaire général est-il là pour l’accent circonflexe, ou est-il dû à une faute d’impression? En revanche Michaëlis-Passy et Ch. Nyrop veulent qu’hôtel ait l’o ouvert, ainsi que tous ses dérivés: je pense que cette prononciation, qui a été fort répandue, tend à disparaître, sans doute à cause de l’orthographe. De même pour prévôtal.
[289] Mais non dans osseux, ossuaire, ossifier, où les deux s se prononcent le plus souvent, et oss(e)let, où l’e est suivi de sl, pour l’oreille.
[290] Mais, malgré Michaëlis et Passy, il est plus souvent ouvert dans fossette, toujours dans fos-sile, surtout si l’on prononce les deux s, généralement dans fossoyer et fossoyeur.
[291] Beaucoup moins régulièrement, ou même rarement, malgré rosier, dans rosace, rosat, roséole, rosaire, roseau, rosette, et même rosière, si bien que rosier lui-même tend à s’ouvrir, ainsi qu’osier. O est encore long et fermé dans Boson ou Spinosa; mais il n’est guère fermé dans Joseph ou Joséphine, sauf à Paris.
[292] Et dans Phocion, et plus sûrement encore dans Procyon, comme dans Momus. Il est douteux dans Salomon. Il est fermé dans Ohnet ou Frohsdorf, par l’effet de l’h, mais il est ouvert dans Rothschild, par l’effet des deux consonnes tch; il est aussi à peu près ouvert aujourd’hui dans Cobourg, tout à fait dans Roland, Rollin ou Rollon.
[293] Michaëlis et Passy croient qu’on peut fermer l’o dans poney, et aussi dans toast, et même dans diagnostic! Il en résulte que pour eux poney a, comme ozone, quatre prononciations: pôné, pônè, poné, ponè: je ne connais pour ma part que la quatrième qui soit usitée.
[294] Et même dans gratis pro Deo, et encore, à cause de l’r sans doute, dans ad honores, ad valorem, coram populo, ou ad majorem Dei gloriam. On fera bien cependant de fermer quelques o latins, qui sont longs: donec eris felix, ex ungue leonem, finis coronat opus, in utroque jure, odi profanum vulgus, o tempora o mores, ore rotundo, proprio motu, quousque tandem, væ soli; en revanche il faudra faire bref et ouvert l’o de tu quoque, qu’on ferme souvent, très mal à propos.
[295] Cf. maman, page 39. Le Dictionnaire général ouvre le premier o de ces mots (les deux premiers dans rococo).
[296] Voir plus loin, à la fin du chapitre des semi-voyelles, page 199 et la note.
[297] Et dans quelques noms propres anciens, comme Bo-oz, et aussi bien Démopho-on ou Laoco-on, qui autrefois se contractaient.
[298] L’o tend vers eu ouvert et très bref dans les noms propres en -son et -ton, non francisés, comme Addis(o)n, Emers(o)n, Palmerst(o)n, et aussi bien Beac(o)nsfield; on peut cependant le prononcer un peu plus en français qu’en anglais.
[299] De même dans Atwood, Booth, Brooklyn, Cook, Cooper, Robin Hood, Lammermoor, Liverpool, Longwood, Moore, Rangoon, Woolwich, etc.
[300] Et dans Berg-op-Zoom, Cloots, Loos, Roosevelt, Roosebeke, aussi bien que dans Vanloo et Waterloo: où a-t-on vu qu’il fallait dire la prise de Berg-op-Zoum? Il en est de même dans le basque Puyoo. Le breton Broons se prononce Bron nasal, par contraction de bro-on. Pour ow, voir au W.
[301] Au est encore diphtongue au XVIᵉ siècle, et eau parfois triphtongue. Depuis le XVIIᵉ siècle, ce n’est plus qu’une voyelle simple.
[302] De même dans Beauveau ou Boileau, Regnaud, Escaut, Géricault ou La Rochefoucauld, Despréaux, Chenonceaux ou Roncevaux.
La finale eaue a aussi existé jadis (cf., p. 100) dans le substantif eaue, qui a précédé eau; elle a disparu depuis le XVIᵉ siècle.
[303] Au est de même fermé dans les noms propres: Aube, Claude, Gaule ou Beaune. Mais on ouvre toujours Paul, qui devrait s’écrire Pol. On ouvre même Népaul. Il est vrai que Paule est plus souvent fermé; mais il y a là quelque affectation. On ouvre aussi fatalement Faust, à cause des deux consonnes, mais ce n’est pas nécessaire. On ouvre également Auch dans le Midi: prononciation locale qui s’impose difficilement au Nord.
[304] Cf. l’espagnol toro ou torero. On sait que la diphtongue latine au devient régulièrement o en français, transformation qu’on trouvait déjà dans le bas latin. Or cet o a pu rester fermé devant s ou v: alose, chose, los, oser, clôture (pour closture), et aussi povre et pose, devenus pauvre et pause par réaction étymologique; mais devant r il s’est ouvert, témoin or, oriflamme, oripeau et dorer (qui tous se rattachent au latin aurum), ou encore oreille et ses dérivés (auricula) ou orage (aura), ou clore (claudere).
[305] On l’ouvre aussi en majorité dans Maures, qui s’écrit aussi Mores, et dans Faure, Dufaure, Laure, Roquelaure, Saint-Maur. Les érudits le ferment encore volontiers dans la plupart de ces mots, ainsi que dans Bucentaure, et dans Epidaure, Montmaur, Isaure, Lavaur, Métaure, qui sont moins populaires; mais ces mots eux-mêmes sont touchés. Ne faut-il pas d’ailleurs aider le poète à rimer?
Ne pouvant fermer encore, il faut bien ouvrir Épidaure.
[306] Mais non dans ceux de valoir, malgré Michaëlis et Passy.
[307] Le Dictionnaire général ferme partout au initial, même dans aurore et augmenter! C’est évidemment l’étymologie et non l’expérience qui en a décidé.
[308] De même pour les noms propres: on ferme correctement Aurillac, malgré l’r, aussi bien que Auber, Audran, Augias, Auguste, Aulis, Aumale, Australie, Auteuil, Auvergne, Auxerre ou Saint-Aulaire; et Calaurie, Lauraguais, Laurent, Laurium, Maurepas, Maurice, Mauritanie, Maury, etc., aussi bien que Baudelaire, Baudin, Baudry, Beauvais, Caucase, Cauchy, Caudebec, Caulaincourt, Lausanne, Paulin, Pauline, Pourceaugnac, etc., ou même Chaucer. Notons en passant qu’au XVIIᵉ siècle les gens instruits prononçaient aftomate et même aftographe, sous prétexte d’étymologie grecque!
[309] De même dans Auerbach, Auerstædt, Augsbourg, Austerlitz, Eylau, Gauss, Glauber, Haguenau, Haussmann, Nassau, Naundorff, Rantzau, Rauch, Schopenhauer, Strauss, Zwickau. Autrement il se prononce ao, comme dans: Donau (Danube), ou aou, comme dans: Jungfrau, Hauptmann, Hohenstaufen, Kaufmann, Kaulbach, Kaunitz, Lenau, Münchausen, et les noms moins connus. L’anglais fait entendre un o ouvert dans Connau(gh)t.
[310] On avouera, d’ailleurs, que la différence qu’il peut y avoir entre les deux i de midi n’intéresse que la science, et n’a guère d’utilité pratique, si ce n’est pour les étrangers, et encore! Quant à i, u, ou, semi-voyelles, on en parlera dans un chapitre spécial.
[311] Le peuple dit volontiers et pis pour et puis.
[312] Corneille, Le Cid, acte III, scène 4.
[313] Castries se prononce Castre.
[314] Michaëlis et Passy trouvent qu’i est long dans les mots en is.
[315] Ce qui n’a pas empêché H. de Régnier de faire ri-i-ons de trois syllabes:
Il est vrai que dans le même volume il fait aussi naufrage-ri-ons de cinq syllabes (ibid., Péroraison).
Ici encore on ferait bien d’appuyer sur quelques i latins: ad vitam æternam, mirabile visu, in fine, in vino veritas.
[316] De même on sépare l’i dans des mots français ou francisés, comme Acha-ïe, Isa-ïe, A-ï, Sina-ï, Adona-ï, et aussi Godo-y. Shang-Haï n’est pas dans le même cas, et doit se prononcer uniquement en deux syllabes, l’i mouillant l’a, ou plutôt faisant fonction de semi-voyelle. De même Angelo Maï, Moulaï-Hafid, Ouadaï, Bosna-Seraï, et aussi Hokousaï, et d’autre part Hanoï ou Tolstoï, avec Croÿ, qui se prononce Crou-y. Le cas est exactement le même que celui de Pompéi et Véies, où l’accent aigu permet de ne pas employer le tréma: voir page 81, note de la page 80.
[317] On rattache souvent ce mot au fleurette français, dont les Anglais auraient jadis tiré leur flirt. Cette étymologie est plus que douteuse, et fleureter, qu’on lit quelquefois au lieu de flirter, est inutile autant que discutable.
[318] De même dans Bri(gh)t et Bri(gh)ton, Childe-Harold, Fife, United States, Wi(gh)t ou (W)ri(gh)t, et aussi Shylock et Wyoming. Girl se prononce gheurle.
[319] Pour baby, voir page 43, note 4. On prononce nécessairement i dans Cantorbéry, qui est la forme française de Canterbury (beuré); généralement aussi dans Salisbury, et très souvent dans Byron, prononciation très ancienne, et toujours parfaitement admissible pour ceux qui ne savent pas l’anglais. On hésite entre i et aï pour Carlyle; on prononce aï de préférence dans Hyde Park, Dryden, Clyde, et surtout Shylock; dans Byron, si l’on veut. Quant à Van Dyck, qui n’est pas anglais, c’est à tort qu’on le prononce souvent van’ daïc: ce serait plutôt van’ dèïc; mais le plus simple est de le franciser en i, comme on fait pour Zuiderzée.
[320] Et dans fût substantif et fût verbe, dans dû, mû, crû, et affût, comme dans (a)oût, coût, goût, dégoût, ragoût, moût et saoûl. Pour -ue et -oue, voir ce qui est dit page 56.
[321] Moins dans sur préposition, qui est proclitique, à moins qu’on ne dise, par exemple, j’aime mieux sous que sur.
[322] Il ne faut pas confondre les finales latines en -us, qui sont moyennes, avec les finales grecques en -eus: voir page 92, note 2.
[323] La Noue, auteur, bien avant Richelet, d’un excellent «Dictionnaire des Rimes» (1596), distinguait déjà fouille long et farfouille bref, et cette distinction n’a pas entièrement disparu.
[324] L’accent n’est pas plus sensible dans les prétérits en -ûmes et -ûtes que dans les autres. Il ne l’est guère dans bûche et embûche. Il ne peut pas l’être non plus dans mûr, mûre et sûr, puisque -ur est déjà long sans accent, ni dans piqûre, orthographe conventionnelle destinée à éviter le double u de piqu-ure.
[325] Il serait bon de faire longs quelques u latins: ab uno disce omnes, audaces fortuna juvat, dura lex sed lex, in utroque jure, nec pluribus impar.
[326] Il faut éviter avec le plus grand soin d’élider l’u de tu devant un verbe: cette prononciation révèle une éducation insuffisante. Il en est de même de aujord’hui pour aujourd’hui, et s’coupe pour soucoupe, qui s’entendent fréquemment dans le peuple. Dans la conversation très rapide et familière, on supprime souvent ou dans vous devant une voyelle: si v(ou)s avez, ainsi que dans t(ou)t à fait ou t(ou)t à l’heure, après une voyelle; ce n’est point à encourager.
[327] La finale -um était autrefois francisée en on nasal; par exemple, te Deum se prononçait tédéon. Cela dura jusqu’à la fin du XVIIIᵉ siècle, et l’on écrivait aussi bien on que um: on trouve matrimonion dans le Dépit amoureux, et Voltaire fait encore rimer palladium avec Ilion. Nous avons conservé quelques traces de cette prononciation. Si factotum, longtemps écrit factoton, a repris définitivement le son om, si factum ne se prononce plus facton, comme le voulait encore Mᵐᵉ Dupuis, en revanche, dictum, rogatum et totum sont devenus définitivement dicton, rogaton et toton. Aliboron est aussi pour Aliborum, dont l’origine est inconnue. Que dis-je? péplon, pour peplum, est encore dans le Dictionnaire général, mais en vérité on ne l’emploie plus.
[328] Ou en latin devant un autre m: consum-matum est, sum-mum jus, sum-ma injuria; mais num-mulite, et num-mulaire ont pris le son u.
[329] On prononce naturellement -um par o dans les noms propres latins: Latium, Herculanum, Pæstum, etc.; mais on prononce par u Vertumne, Dum-norix et Mum-mius. En Suisse romande, on dit même alboum, foroum, etc., comme en Suisse allemande ou italienne, suivant la véritable prononciation du latin.
[330] On vient d’en voir des exemples. L’u scandinave ou hollandais se prononce toutefois comme le nôtre: Uléa, Uméa, Utrecht.
[331] Ad libitum, qui s’emploie aussi en musique, ainsi que les mots précédants, n’est pas italien, mais latin, et se prononce par o, suivant la manière française de prononcer le latin.
[332] Nous francisons surtout une infinité de noms propres qu’il serait impossible d’énumérer, italiens ou espagnols aussi bien qu’allemands ou anglais. Même dans un nom comme Gervinus, il arrive qu’on prononce ghe à l’allemande et nus à la française. On hésite pour quelques-uns, comme Ur, Estramadure, Cherubini, Gluck, Kurdistan, Vera-Cruz, Yukon. On prononce toujours ou de préférence ou dans Abatucci, Carducci, Ciudad-Réal, Pulci et Yuste; dans John Bull et British Museum; dans Bochum, Carlsruhe, Fuchs, Gmund, Humperdinck, Jungfrau, Kotzebue, Krupp, Metzu, Munkaczy, Niebelung, Niebuhr, Rigikulm, Rubinstein, Ruhmkorff, Schubert (quoique on ne prononce pas le t), Schulhoff, Schumann, Siegmund, Suppé, Thun, Tugendbund, Uhland, Unterwalden, Wundt et Zug, et tous les noms en -burg; dans Bukovine, Lule-Bourgas et Uskub, dans Yusuf et Hammurabi, dans Pégu (écrit aussi Pégou), Bégum, Thugs, Chemulpo, Shoguns et Fusi-Yama, et à fortiori les noms moins connus. En France même, Banyuls se prononce par ou dans la région, ainsi que le golfe Juan. L’u ne se prononce pas dans l’italien buona, pas plus dans B(u)onaparte que dans B(u)onarotti, malgré les efforts des émigrés, ni dans e pur si m(u)ove ou galant(u)omo.
On remarquera que le cas de Schuber(t) est un admirable exemple de demi-francisation. Mais le cas de Gluck est bien particulier. Ce mot fut sans doute francisé au XVIIIᵉ siècle. Au XIXᵉ siècle, on s’imagina que gluc, prononciation courante, était aussi la prononciation allemande, et on se mit à écrire Glück, avec le tréma qui, en allemand, sert à distinguer u de ou. Mais jamais les Allemands n’ont écrit ni prononcé Glück. S’ensuit-il qu’il faille nécessairement prononcer glouc, comme font les spécialistes? En aucune façon, car on n’a pas affaire ici à une tradition établie, comme pour Schubert et Schumann. On a donc le choix; mais de quelque façon qu’on prononce, il faut écrire Gluck uniquement. Mais dans la prononciation de Kluck, il n’y a pas le choix. Beaucoup disent et écrivent: le général allemand von Klück, avec le tréma. C’est une faute. Et l’on doit prononcer Klouck.
[333] De même Burne Jones, Burns, les mots en -burn et -burne, Burton, Churchill, Ruskin, Russel, et les mots en -bury, encore que Salisbury puisse très bien être francisé par les personnes qui ne savent pas l’anglais. U initial se prononce iou dans David Hume, et dans United States (ce qui fait iounaïted).
[334] Avec quelques noms propres: Decamps, Fécamp, Longchamp, Deschamps, Colomb. De même Paimbeuf ou Gambetta. Cet m n’est en réalité qu’un n modifié, soit en latin, soit en français, pour s’accommoder à b, p, ou m, par exemple dans les composés de en: embarquer, emporter, emmener. L’m de triumvir ou décemvir n’étant pas dans ce cas, il n’y a point de nasale dans ces mots, qui gardent le son latin.
[335] On trouve aussi l’m exceptionnellement dans quelques noms propres: Chamfort et Chamlay, Domfront, Damrémont et Damville, et Samson, qui ont tous le son nasal, ainsi que Dommartin, où les éléments composants, dom et Martin, restent distincts, comme dans Maisonneuve.
[336] Avec Adam. Autrefois les finales en -am et -em, sauf l’interjection hem, étaient toutes nasalisées (même dans la prononciation du latin), aussi bien que les finales en -um: Abraham, Balaam, Roboam, rimaient avec océan, Jérusalem avec élan, comme Te Deum avec odéon.
Ce n’est qu’à partir du XVIIᵉ siècle qu’on commence à séparer l’m dans les finales en -am et -em; mais Voltaire fait encore rimer Balaam avec Canaan dans la Pucelle. De cette prononciation nasale, il est resté, comme on voit, peu de traces. On ne prononce plus guère quidam comme au temps de La Fontaine (kidan):
Ce mot avait même alors un féminin, qui était quidane et non quidame; aujourd’hui on prononcerait plutôt kidame ou kuidame, à la manière dont nous prononçons le latin; mais le mot n’est plus guère employé. De même dam, que La Fontaine fait rimer avec clabaudant dans la fable du Renard anglais, n’appartient plus guère qu’au vocabulaire théologique: la peine du dam. Adam est, en définitive, le seul mot usuel en am qui ait gardé la finale nasale: il était trop populaire pour que sa prononciation pût être altérée, je veux dire défrancisée, comme l’a été celle d’Abraham, par exemple: il en est ainsi de tous les mots qui s’apprennent par l’oreille et non par l’œil. Macadam vient, il est vrai, de l’anglais Mac-Adam; mais Adam n’est pas nasal en anglais, et macadam, en qualité d’étranger, s’est francisé, sans nasaliser sa finale. On connaît l’anecdote de quanquam, autrefois prononcé kankan, comme quisquis était prononcé kiskis: la réforme de cette prononciation est due au fameux Ramus. Mais comme cette réforme avait été faite en dehors de la Sorbonne, les docteurs de Sorbonne menacèrent de la censure ecclésiastique ceux qui adopteraient la nouvelle prononciation. Aussi, un jeune prêtre, ayant négligé de prononcer kankan dans une thèse publique, vit la Sorbonne déclarer vacant un bénéfice considérable qu’il possédait. La question fut portée au Parlement, et il fallut l’intervention des professeurs du Collège Royal, Ramus en tête, pour prouver le ridicule de ce procès. On sait par ailleurs que c’est le grand usage du mot quanquam dans les discussions de l’école qui a donné naissance au mot cancan.
Les suffixes hem et hen, qui terminent beaucoup de noms de lieu dans le nord de la France, nasalisent en an ou in: Elinehem, Tournehem font: Elinan, Tournan.
[337] Ces mots s’écrivaient par un n au moyen âge, et c’est la réaction étymologique qui leur a rendu un m; mais le féminin de daim est toujours daine, et même dine (formé du son din). Ne pas confondre étaim avec étain. Il faut ajouter ici Joachim, dont nous reparlerons.
[338] Ajouter Riom, Billom, Condom.
[339] Pour les finales latines en -um, voir page 123.
[340] Plus souvent encore des noms propres: Priam, Islam, Wagram, Sem, Château-Yquem, etc.
[341] Voir pages 48, 64 et 74; de même dans dam-ne et autom-ne.
[342] C’est la prononciation du temps qui justifie le calembour involontaire de Martine, dans les Femmes savantes:
[343] Savamment est en effet pour savant-ment, et fréquemment pour fréquent-ment.
[344] C’est le même phénomène que nous avons vu tout à l’heure dans rouennerie: voir page 75, note 1. Nous reparlerons encore de la décomposition de la nasale à propos des liaisons.
[345] Ennui a longtemps oscillé entre an-nui et a-nui: de même en-noblir se confondait avec a-noblir. Les mots savants em-ménagogue ou en-néagone n’appartiennent pas à cette catégorie et n’ont pas le son nasal.
[346] Ils peuvent subir aussi l’analogie de mots comme enhardir, où l’h, étant aspiré, fait fonction de consonne, ce qui n’est pas le cas d’enharmonique, malgré Michaëlis et Passy. Je laisse de côté des mots plus rares encore, comme enarbrer ou enarrher, qui gardent aussi le son nasal.
[347] Ils sont probablement exposés à subir le sort de dorénavant, qui est pour d’ore en avant; toutefois en initial doit résister mieux.
[348] Quoique Mᵐᵉ Dupuis recommandât déjà énorgueillir!
[349] Ces mots eurent jadis deux syllabes, puis une diphtongue; mais la diphtongue elle-même s’est résolue depuis longtemps, et dès le XVIᵉ siècle on écrivait sans difficulté fan, et parfois pan, qui manifestement auraient dû s’imposer. Que l’o se soit conservé dans les noms propres, comme La(o)n, Cra(o)n, Ra(o)n-l’Étape, Tha(o)n, etc., qui se prononcent aussi par an, cela même n’était déjà pas indispensable; mais dans des noms communs, cela est parfaitement absurde: on écrit bien flan, qui est aussi pour flaon. Écrit-on paeur, veu, ou cheoir? Il est vrai qu’on écrit asseoir, et c’est inepte. On écrit aussi Jean et Jeanne, mais ce sont encore des noms propres; et d’ailleurs eux aussi pourraient bien se passer de leur e, aussi bien que à jeun.
C’est encore par an que se prononcent deux mots français que nous retrouverons, C(a)en et Saint-S(a)ëns, avec Jord(a)ens; mais on sépare Lyca-on, Pha-on, Phara-on, etc., mots anciens et savants. Saint-L(a)on se prononce par on.
[350] De même La(on)nais, Cra(on)nais ou Ca(en)nais, et aussi Cra(on)ne, le tout avec un a simple.
[351] La finale est presque toujours nasale aussi dans les noms propres en -an, étrangers aussi bien que français: Aldébaran, Buridan, Ceylan, Coran, Éridan, Érivan, Haïnan, Léman, Magellan, Michigan, Iran, Kazan, Lockman, Man, Nichan, Osman, Othman, San-(pour Saint), Turkestan, Tuyen-Quan, Wotan (sauf dans Wagner), Yucatan, Yunnan, Zurbaran, et la particule flamande Van, du moins devant une consonne: Van Dick. Nous ne nasalisons pourtant ni Ahriman, ni Flaxman, Wiseman ou Wouverman, ni bien entendu les noms en -mann.
[352] On nasalise la finale -and ou -ant dans Covenant, Rembrandt, et tous les noms géographiques en -land, qu’on y prononce le d ou non: voir au chapitre du D. De plus, et sans parler des noms anciens, comme Samson, Pamphylie ou Zante, ni des noms à forme française, comme Mozambique, Pampelune ou Zanzibar, on nasalise aussi an intérieur dans Andersen, Angelico, Bamberg (malgré le g qui sonne), Cambridge, Campanella, Campo-Formio, Campo-Santo, Campra, Chandos (malgré l’s qui se prononce), Cranmer, Exelmans, Gérando, Kandahar, Kansas, Kant, Mancini, Mantegna, Manzoni, Oubanghi, Rancke, Sandwich, San-Francisco, Sangrado, Santa- (pour Sainte-), Santander, Santiago, Sanzio, Servandoni, Southampton (malgré la finale sonore), Stamboul, Stamboulof, Standard, Taganrog, Tanganyika, Travancore, Vambéry, Vancouver, Zampa, Zampieri, etc. On ne nasalise pas Evans, Kilima-n’djaro, Manteuffel, Stanley, fort peu Uhland ou Wieland, et les noms moins connus, ni am suivi d’une consonne autre que b ou p. Toutefois, dans Salammbô, on nasalise am, comme dans Samson, tout en prononçant le second m.
[353] Bienfaisant, bienséant, bientôt, bienvenu, etc. (bi-ennal n’en est pas), chiendent et vaurien. Notons en passant que dans la conversation très familière, eh bien se réduit souvent à eh ben, et même à ben tout court, toujours avec le son in.
[354] De même tous les noms propres anciens, Aché-ens, Phocé-ens, etc., Claudien, Julien, Justinien, Valérien, Lucien, Vespasien, etc., avec Éduens; et aussi les noms modernes, Gien, Tallien, le Titien, avec Engh(i)en, quoique ce mot perde son i (anghin).
[355] Dont le son se reconnaît et se conserve dans chienlit, malgré la diphtongue: ce mot est en effet sans rapport avec chiendent, composé de chien. A la préposition en il faut ajouter trois ou quatre noms de villes: Caen (et Decaen), Ecouen, Rouen, et Saint-Ouen, que les Parisiens prononcent volontiers saintouin, on ne sait pourquoi.
[356] En 1878, l’Académie prétendait encore que la prononciation examène n’avait pas tout à fait disparu: elle ne peut être que méridionale.
[357] On trouve aussi éden rimant avec jardin, rime particulièrement fréquente dans Delille; mais dans les Juifves, Robert Garnier faisait rimer éden avec Adam. Émile Goudeau, dans sa fameuse Revanche des Bêtes, a fait rimer abdomen avec carmin: je n’en connais pas d’autre exemple. Quant à spécimen prononcé par in, qui est admis par Michaëlis et Passy, je ne crois pas qu’on le rencontre bien souvent. Le son nasal in s’est maintenu dans quelques noms propres, Agen, Ruben, Sirven, et aussi Boën (boin) et Cahen, et surtout dans les noms bretons: Chatelaudren, Dupuytren, Elven, Guichen, Kerguélen, Lesneven, Pleyben, Pont-Aven, Rosporden, Suffren, etc. Il est vrai qu’on prononce fréquemment sufrène ou kerguélène, mais c’est une erreur, et les marins, qu’on doit apparemment suivre sur ce point, ignorent complètement cette prononciation.
[358] On notera par suite la différence de prononciation entre comédien (yin) et ingrédient (yan), draconien (yin) et inconvénient (yan), historien (yin) et Orient (yan), etc. C’est aussi an qu’on entend dans Hersent, Sargent ou Bénévent.
[359] Il va sans dire qu’il n’est pas question non plus des finales des troisièmes personnes du pluriel, qui, après s’être longtemps prononcées ont ou ant, ont fini par devenir aussi muettes que l’e simple: aim(ent) ou aim(e), aimai(ent), aimèr(ent). Enfin quelques mots étrangers ne se nasalisent pas, et articulent le t, comme pschent, privat-docent, great-event, Kent, Taschkent; zend se nasalise en in, et on articule la consonne, comme dans le latin bis repetita placent.
[360] Je parle de -ens après consonne, bien entendu: nous savons déjà que tiens et viens et leurs dérivés, et les pluriels en -éens et en -iens, avec Amiens ou Damiens, ont toujours le son in.
[361] C’est aussi le son latin (ince) qu’on entend dans presque tous les noms propres, qui sont pour la plupart méridionaux ou étrangers: Camoëns, Dickens, Flourens, Huyghens, Martens, Perrens, Pougens, Puylaurens, Rabastens, Rubens, Saint-Gaudens, Thorens, Valens, etc. (avec Morcenx ou Navarrenx). Ajoutons que des noms comme Dickens et Huyghens peuvent aussi ne pas se nasaliser, de même que Stevens. Toutefois quelques noms propres français ont réussi à garder le son an tout en faisant sonner l’s: Argens, Dulaurens, J.-P. Laurens, Lens, Sens, et aussi Jord(a)ëns (dance), avec Saint-S(a)ëns. Coblentz se prononçait naguère encore Coblance; aujourd’hui on ne nasalise plus guère ce mot. On voit qu’après en l’s se prononce toujours ou à peu près dans les noms propres. Il y en a pourtant quelques-uns où on a tort de le prononcer; et dans ceux-là, à part Samoëns, qui se prononce Samoin, c’est le son an qui se maintient, comme dans les mots proprement français, gen(s) ou dépen(s). Ce sont d’une part Furen(s), Confolen(s) et Doullen(s), d’où Confolennais et Doullennais prononcés par a, avec Saint-S(a)en(s), localité de la Seine-Inférieure; d’autre part une héroïne et une localité vaudoises, Claren(s) et Mᵐᵉ de Waren(s). Malheureusement notre habitude de prononcer les noms propres par ince, comme les mots latins, fait altérer constamment la prononciation de ces noms, qui est pourtant conforme aux plus pures traditions françaises. Peu de gens en France la respectent ou même la connaissent; et si elle se maintient en Suisse, on prétend qu’à Confolens même la prononciation confolince commence à se répandre: ce serait donc la prononciation méridionale qui monterait vers le nord; mais est-ce bien sûr?
[362] Et aussi dans Timour-Leng (d’où Tamerlan) et Aureng-Zeyb, noms anciens; mais le moderne Flameng se prononce par ingue, comme on prononce inque dans Mézenc, Teisserenc de Bort ou Dehodenc, noms méridionaux.
[363] Ceci entraîne naturellement la prononciation de tous les noms propres qui ont ces finales, même les noms étrangers: Clarence, Mayence et Valence (d’Espagne), aussi bien que Prudence, Fulgence, Térence, Jouvence, Valence (de France), Vence et Provence (Lawrence fait exception et se prononce Lôrèns’); de même Wendes et Ostende, comme Mende, Tende ou Port-Vendres; Tarente, Sorrente et Trente, comme Salente; Nouvelle-Zemble, comme Gartempe et même Gardonnenque.
[364] Même dans les noms propres anciens: on prononce Empédocle, Encelade, Endor, Endymion, comme Embrun ou Entragues; toutefois on prononce Emporium par in, parce que sa forme est purement latine.
[365] Ce qui a entraîné centumvir, que quelques-uns prononcent par in. Dans quattrocento, on ne doit pas nasaliser en, le mot restant italien; mais quattrocentiste, qui est francisé, se nasalise par in.
[366] De même dans les noms propres: Argenson, Argentan, Argenteuil, Armentières, Beaugency, Bérenger, Besenval (il paraît qu’on devrait prononcer bézval), Carentan, Carpentras, Caventou, Charenton, Clemenceau, Cotentin, Daubenton, Fromentin, Genlis, Gensonné, Hendaye (autrefois écrit Andaye), Lenglet-Dufresnoy, Menton, Montmorency, Montpensier, Porrentruy, Saint-Quentin, Senlis, Tarentaise, Tencin, Lally-Tollendal, Valençay, Valenciennes, Valentinois, Vendée, Vendôme, Ventoux, Ysengrin, etc., etc.
[367] Avec les expressions latines castigat ridendo mores, festina lente, habemus confitentem reum, intelligenti pauca, nunc est bibendum, o tempora, panem et circenses.
[368] Et aussi Pentateuque ou Penthésilée; mais Pentecôte, qui est ancien et populaire, a gardé le son an; Penthée aussi, généralement. Pour Pentélique, il y a doute.
[369] On l’a fait pourtant dès l’origine, et l’abbé Barthélemy écrivait même vindémiaire, au témoignage de Domergue.
[370] Mentor n’est répandu que depuis le Télémaque de Fénelon, et l’on prononça d’abord Mén-tor, qui naturellement s’est nasalisé en in.
[371] Il y a aussi quelques noms propres français qui ont le son in, sans qu’on sache pourquoi, comme Benserade (attesté dès 1711), Buzenval (à côté de Besenval par an), Magendie, Penthièvre (que quelques-uns prononcent par an, mais qui est attesté depuis 1761). Ces noms sont rares, sauf dans le Midi. On prononce encore par in Emporium, quoique em soit initial, et surtout Benjamin et Memphis, Lentulus, Sempronius et Sempronia, et Terentia. Hortensius semblerait devoir aussi se prononcer par in: il a probablement subi l’analogie de Hortense et hortensia, qui en dérive; Aventin a dû subir celle du français avent, d’autant plus que intin était désagréable; enfin Tempé, sur lequel on hésite, suit aisément celle de temps. Nous avons vu que la finale -en se prononçait in dans les noms propres bretons; à fortiori -en- intérieur: Penmarch se prononce peut-être pèn(e)mark en breton, mais en français de Bretagne on nasalise, et on prononce pin-mar, comme dans Lesneven ou Suffren.
[372] Crescendo se francise certainement en cressindo, et on en a même fait un substantif. Pourtant les musiciens le prononcent volontiers à l’italienne, créchèndo; et on doit le prononcer ainsi dans la grande tirade de la calomnie du Barbier de Séville, où ce mot vient après rinforzando, qui ne tolérerait pas les nasales. Crechin-do seul est à éviter.
[373] Il en est de même pour les noms propres que pour les autres. Très peu de noms étrangers nasalisent en par an: Engadine, où en est initial, Carpentarie, quelquefois Grenville (mais à tort), Gengis-Khan et Genséric, qui sont fort anciens, Hottentots et Mazendéran, qui s’écrit aussi Mazandéran, Luxembourg, Rembrandt. Presque tous les noms qui nasalisent en le font naturellement en in: Abencérages, Altenbourg, A Kempis, Appenzel, Bender, Benda, Benfey, Bengale, Benguela, Bentivoglio, Bentley, Benvenuto Cellini, Brenta, Brentano, Cavendish, Cenci, Clementi, Cosenza, Daremberg, Emmenthal, Faënza, Flensbourg, Folengo, Formentera, Furstemberg, Gassendi, Girgenti, Groënland, Guttemberg, Lorenzaccio, Lowendal, Mackenzie, Magenta, Marengo, Mecklembourg, Mencius, Mendelssohn, Mendoza, Mentana, Nuremberg, Odensée, Offenbach, Oldenbourg, Pendjab, Pensylvanie, Sacramento, Semendria, Smolensk, Struensée, Tagliamento, Tolentino, Valentia et Valencia, Wenceslas, Wissembourg, Wurtemberg, et aussi Mendès et Stendhal. Plusieurs de ces noms peuvent aussi se prononcer sans se nasaliser comme Daremberg, Wissembourg. Doivent être prononcés sans nasale la plupart de ceux qui ne sont pas cités ici: d’abord ceux qui ont em suivi d’une consonne autre que b ou p, comme Emden, et même Bembo, Lemberg et Pembroke, malgré le b qui suit; et d’autre part Encke, Engelman, Hohenlohe, Kentucky, Mentchikoff, Rienzi, Rodenbach, Stephenson, Swedenborg, Sienkiewicz, Siem-Reap, Tien-tsin, Tuyen-Quan, et tous les autres, moins connus, dans lesquels l’e est ordinairement presque muet, quand il n’est pas tonique ou initial, comme dans Wall(e)nstein, Liecht(e)nstein ou Tug(e)ndbund.
[374] Le groupe final in (avec ain et ein) étant toujours nasal dans les mots proprement français, il ne faut pas le décomposer dans Ysengrin, Lohengrin (sauf en musique), Caïn, Ebroïn, Méchain, Tain, Etain, Sein ou Cain (ne pas confondre avec Caïn), pas plus que dans Hincmar, Maimbourg, Paimbœuf ou Paimpol, ou dans Cymbalum mundi. L’y ne change rien non plus à la nasale finale de Jocelyn et Jamyn, qu’on décompose quelquefois très mal à propos, surtout pour Jamyn, qui était certainement nasal au XVIᵉ siècle.
[375] Pour les noms propres, les finales de Berlin, Dublin, Eliacin, Ficin, Franklin, Guerchin, Kremlin, Pékin, Pérugin, Tessin, Tonkin, Wisconsin, Witikin(d), sont françaises depuis longtemps; on peut y ajouter Arg(u)in, Kœchlin, Vielé-Griffin, Yersin, Zeppelin, etc. A l’intérieur, outre Edimbourg, Fingal, Finlande, Irminsul, Minturnes, Simplon, Thuringe ou Vercingétorix, qui sont anciens, outre Robinson, Gœttingue, Tubingue et Zwingle, on nasalise aussi Chimborazo, Cintra, Damoreau-Cinti, Mincio et Vinci, Birmingham, Cincinnati, Lincoln, Lingard, Lynch et Singer. On nasalise également Champlain et Chamberlain (mais non Gainsborough), ainsi que Mein, Heinsius, Hussein-Dey, Seingalt et Steinkerque. On hésite pour certains mots, comme Stettin et Behring. On ne nasalise pas la finale de Boecklin, Brooklin, Darwin, Elgin, Emin-pacha, Erin, Erwin, Robin-Hood, Kazbin, Sakhalin (écrit aussi Sakhaline), Schwerin (quoique Mecklembourg soit francisé), Szegedin, Tien-tsin, Widdin, ni même Lohengrin, du moins en musique, car ce nom, qui sans doute nous appartient par l’origine, étant frère de notre national Ysengrin, nous est revenu par Wagner, qui l’a fait allemand. Si on nasalise certains noms flamands en -inck, comme Edelinck, Maeterlinck, il ne paraît guère possible de nasaliser les noms en -ing ou -ings, Essling, Kipling, Memling ou Hastings, ni Semipalatinsk; pas davantage le groupe intérieur ou initial de Kimberley, Himly, Timgad ou Wimpffen, de Berlichingen, Bolingbroke, Bonington, Buckingham, Elchingen, Finmark, Glinka, Grindelwald, In-salah, Interlaken, Inverness, Livingstone, Mac-Kinley, Mackintosh, Meiningen, Minnesinger, Pinturicchio, Strindberg, Swinburne, rio Tinto, Tyndall, Vinhlong, Waddington, Washington, Wellington, Westminster, Windsor, Zinder, etc., etc. Le groupe ein qui termine beaucoup de noms propres allemands, et qui se prononce aïn, en une syllabe, ne saurait se franciser en in, sauf dans Mein; mais il se francise parfois à moitié en èn: toujours la demi-francisation. Ainsi prenons Rubinstein (roubin’staïn): on nasalise in sans difficulté pour le franciser, parce qu’il est à l’intérieur du mot; mais quand il s’agit de la finale, tout le monde sait que les finales nasales sont propres au français: on tient donc à respecter l’n, comme on le fait dans Ibsen ou Beethoven, ou dans policeman, et c’est ei tout seul qui se francise comme dans Leibniz; on a ainsi Rubinstèn. Il n’y a pas grand’chose à dire à cela: on n’est pas obligé de savoir l’allemand, et tout vaut mieux que d’affecter de savoir ce qu’on ne sait pas. On fera bien cependant de prononcer à l’allemande Holbein et aussi Gérolstein.
[376] Contemplations, XIII: le morceau date de 1855, et non de 1835. Cf. l’Ane, VI, et Toute la Lyre, IV, XXV.
[377] En revanche, c’est o-in qu’il faut prononcer dans les composés de co-, comme co-ïncidence, ou co-intéressé, où la diphtongue oin n’a rien à faire.
[378] Châtiments, IV, XIII, pour rimer avec Drouyn, dont la finale est nasale, comme celle de Gédoyn.
[379] Le cas n’est pas du tout le même que celui de meur-trier ou en-crier, qui ont dû nécessairement se décomposer.
[380] Sauf tout au plus dans Drouyn el Duguay-Trouin. Si Ébro-ïn a trois syllabes, c’est à cause du tréma.
[381] Nous avons déjà rapproché m’sieur de m’man: voir page 39.
[382] Voir page 133. A-on s’est maintenu dans Phara-on et Lyca-on, comme o-on dans Démopho-on ou Laoco-on.
[383] On ne nasalise pas non plus l’allemand kronprinz. On final est naturellement nasal dans les noms propres anciens, français depuis longtemps, Aaron, Platon, Solon, etc., etc., mais non dans quelques noms savants en -eion, ni dans Poseidôn, ni dans Organon ou Satyricon. On final anglais, qui s’est nasalisé et francisé dans singleton et Robinson, le héros de Daniel de Foë, se nasalise encore sans difficulté dans Bacon, Byron, Casaubon, Dominion, Eton, Fulton, Gibbon, Gordon, Mélanchton, Newton, et au besoin Nelson et Milton; mais la plupart des noms propres en -son et -ton se prononcent sans nasale, avec un o faible: Addison, Ben Johnson, Edison, Emerson, Hudson, Mac-Pherson, Robertson, Stephenson, Tennyson, Thomson, et aussi Bergson; de même Chatterton, Fulton, Hamilton, Palmerston, Preston, Southampton, Washington, Wellington, etc. On nasalise Apchéron, Bagration, Balaton, Fouta-Djallon, Kherson, mais non Lang-Son. Quant à on non final, il se nasalise généralement comme en français: Bombay, Concini, Cronstadt, Dombrowski, Gongora, Klondyke, Lombroso, Missolonghi, Monck, Monmouth, Ontario, Sebastien del Piombo, Pombal, Spontini, Tombouctou, Tonga, Tongouses, Toronto, Wisconsin, etc.; plus rarement dans Schomberg ou Sonderbund, ou dans Heautontimoroumenos; jamais dans om suivi d’une consonne autre que b ou p (malgré le français Domfront et Dommartin).
[384] Avec acupuncture, avunculaire, becabunga, infundibuliforme, nuncupatif, opuntia, tungstène ou unguis; mais il se prononce un dans hic et nunc. Umble (poisson) est devenu ombre. Quant aux noms propres, on prononce on dans Annunzio, Aruns (que Voltaire écrit Arons), Columbus, Dunciade, Dundee, Duns Scot, Dunstan, Funchal, Humboldt, Northumberland et Cumberland, et même Bunsen; on hésite entre on et un pour Duncan ou Majunga, Lund et Sund, et par suite Stralsund et Bomarsund; mais on prononce un quand le groupe est final, dans Irun, Lescun, Ossun, et même Falun, comme dans Loudun, Melun ou Châteaudun (et Dunkerque); on prononce encore un dans Belsunce ou Humbert, dans Cunctator, dans Brunswick, Gunther et Munster. Quand un ou um n’est pas nasal, u se prononce ou (voir page 125, note 1).
[385] Ce chapitre a paru à peu près textuellement dans la Revue de philologie française, 1912, 2ᵉ trimestre; on y a fait ici quelques additions.
[386] C’est une bizarrerie de la langue: pourquoi est-il tonique dans dis-le, et muet dans dis-je? Tonique à l’origine dans l’un et l’autre, il tendit à devenir muet dans les deux, comme partout ailleurs; mais le résista. Au XVIIᵉ siècle, la prononciation n’est pas encore fixée, et Molière a le droit d’écrire par exemple:
où l’e est muet. Mais cette prosodie, encore fréquente dans Voltaire, était ridicule au XIXᵉ siècle chez V. Hugo, et chez beaucoup d’autres, qui se crurent autorisés par son exemple. V. Hugo est même allé jusqu’à l’extrême en élidant cet e devant un point dans Cromwell:
[387] L’e est cependant muet, ou du moins il sonne comme l’e muet, devant deux consonnes, dans le préfixe re- (ressembler, ressortir), dans dessus et dessous et quelques noms propres commençant par de- ou le-, la seconde consonne étant l ou r: Debraux, Debry, Decrès, Deprez, etc., Leblanc, Lebrun, Leclerc, Ledru-Rollin, Lefranc, Legrand, Leprince, Letronne, Levroux, etc.; de même dans levraut, levrette et levron. Nous reviendrons sur le préfixe re-.
[388] Il arrive même souvent que l’élision de l’e muet se fait par-dessus s ou nt pour éviter la liaison: tu aim(es) à rire, ils aim(ent) à rire; mais que la liaison se fasse on non, c’est tout un pour l’e muet, qui ne se prononce pas plus dans un cas que dans l’autre. Cette question n’est donc intéressante qu’au point de vue de la liaison; elle sera étudiée au dernier chapitre.
[389] De même le Yalou, le Yang-tsé-kiang, le Yémen, le Yucatan, le Yunnan, etc., quoiqu’on dise souvent, à tort, l’Yémen. L’i initial lui-même, placé devant une voyelle, ne peut être que consonne dans les mots allemands, même si on l’écrit i ainsi dans Iéna, aussi bien que dans Johannisberg; et les matelots qui parlaient naguère de la catastrophe du Iéna, parlaient, en réalité, plus correctement que leurs officiers ou les journalistes, qui disaient l’Iéna, en trois syllabes sans doute, comme V. Hugo. Néanmoins tout le monde dit le pont d’Iéna, mais cela tient à ce que, après un d, ié reste plus facilement diphtongue qu’après un l.
[390] Molière, les Femmes savantes, acte I, scène 1. On dirait de même, le cas échéant, ce ouais, et aussi bien ce ah, ce oh: en général, il n’y a pas d’élision devant un mot qu’on cite, sauf tout au plus celle de la préposition de.
[391] Après d’autres mots que le, de, ce, que, l’élision se fait couramment, surtout en vers. Pourtant Molière n’a pas hésité à conserver l’hiatus apparent, même entre deux interlocuteurs:
Il a fait la même chose devant ouais (ibid., V, 2).
[392] On respecte davantage la semi-voyelle des noms propres qui commencent par oua-, comme le Ouadaï, plus usité que l’Ouadaï.
[393] Nous reviendrons sur huit, au chapitre de l’H.
[394] Quoiqu’il entrevît les raisons de ce fait, Vaugelas exigeait l’onzième; mais si Corneille aussi disait l’onzième (Cinna, acte II, scène 1), peut-être était-ce simplement de peur de faire un hiatus, comme V. Hugo disait l’y-ole. Leconte de Lisle aussi, pour le même motif, n’osant pas d’ailleurs aller jusqu’à dire l’onzième siècle, dit, du moins, dans les Deux Glaives, IV:
Ponsard, dans Ulysse, II, 4, a judicieusement accepté l’hiatus:
[395] Mᵐᵉ de Noailles, Éblouissements, La douceur du matin.
[396] Corneille, Au roi, Sur sa campagne de 1676.
[397] Dans les cafés ou restaurants, on dit: servez à l’as, voyez à l’as, pour dire à la table 1. C’est très probablement parce que servez au un serait désagréable, l’un étant d’ailleurs évité instinctivement. Certains, comme les journalistes, disent la une, pour la première page.
[398] Légende des siècles, XXI, II.
[399] Voir M. Grammont, Mémoires de la Société de linguistique, tome VIII, pages 53-57.
[400] Ou éch’vèlé, qu’enregistrent Michaëlis et Passy: mais où diable prononce-t-on ainsi?
[401] C’est ainsi que certains mots étrangers ne se sont francisés complètement que par la chute d’une consonne: sauerkraut est devenu choucroute en perdant un r, roatsbeef et beefsteack ont perdu un t ou un s. D’autres ont intercalé un e muet après la seconde consonne, comme partenaire, de l’anglais partner, ou lansquenet, de l’allemand landsknecht. Voir sur ce point Léonce Roudet, Remarques sur la phonétique des mots français d’emprunt, dans la Revue de philologie française de 1908.
[402] Domergue l’entendait encore, mais on ne l’entend plus aujourd’hui que dans le Midi, et aussi dans le chant, où on entend même beaucoup trop de chanteurs le prononcer comme eu fermé. Cette prononciation de l’e final est particulièrement grotesque au café-concert, où on appuie d’une façon invraisemblable:
Il paraît que cela fait partie intégrante du genre!
[403] Il y a encore des gens à l’esprit prévenu qui ne veulent pas en convenir: des raisons littéraires ou purement subjectives leur font contester même des phénomènes constatés par des instruments enregistreurs. C’est à peu près comme s’ils disaient qu’il ne fait pas froid quand le thermomètre est à dix degrés au-dessous de zéro. Mais leurs dénégations obstinées n’empêchent pas les faits d’être les faits.
[404] Voir surtout pages 56 et 117.
[405] Pour l’e final des mots latins ou italiens, voir page 52. On se rappelle que l’e final anglais atone ne s’entend pas non plus.
[406] Le peuple conserve volontiers l’e final de cette au détriment du premier: c(et)te femme; mais cette prononciation, autorisée autrefois, est aujourd’hui expressément évitée par les gens qui veulent parler correctement.
[407] En ce cas, on ne peut prononcer en réalité qu’une seule consonne; mais on prolonge l’occlusion totale ou partielle de la bouche, qui paraît ainsi précédée d’une consonne et suivie d’une autre. Quelques personnes se croient obligées de prononcer l’e muet dans une rencontre comme celle de onze sous, afin de maintenir la distinction de la douce et de la forte; mais ons’ sous est plus fréquent et parfaitement naturel. J’ajoute que dans ce cas, comme dans tous les cas pareils, il est indispensable de prononcer la consonne double, sans quoi on confondrait, par exemple, une noix avec une oie.
[408] Sans quoi rien se décomposerait. Nous reviendrons plus loin sur ce phénomène. Mais on notera ici qu’on dit fort bien une petit’ lieue, sans que lieue soit décomposé, l’influence de l’l étant moins forte que celle de l’r.
[409] Pour que la liquide soit troisième dans un tel groupe, il faut qu’elle soit précédée d’une explosive ou d’une fricative, précédée elle-même d’une spirante, comme ici j: le tout peut alors être suivi de ou ou u consonnes.
[410] Et cela ne date pas d’aujourd’hui: au XVIᵉ siècle, plusieurs écrivains, notamment Du Bellay, écrivaient de préférence à l’imparfait tomboint: oient a prévalu, sans doute pour éviter la confusion avec la nasale de point, et plus tard celle de saint. Cette finale muette -ent nous a conservé toute une série de formes verbales dont l’orthographe est identique (sauf parfois l’accent) à celle de mots en -ent tonique: expédient, affluent et influent, coïncident, résident et président, négligent, émergent, détergent et abstergent, divergent et convergent, équivalent, excellent, violent, somnolent, pressent, content et couvent, et d’autre part convient (avec précèdent et excèdent, different et adhèrent, et dévient).
Il va sans dire que la liaison de l’s ou du t devant une voyelle produit le même résultat que quand l’e muet final est suivi d’un mot commençant par une consonne: tristes événements, pauvres hommes, ils ressemblent à leur père, à moins qu’on ne dise familièrement pauv(re)s hommes ou i(ls) ressemb(len)t à leur père.
[411] Gré(e)ment a pourtant l’e plus fermé et plus long qu’agrément. Bien d’autres e sont tombés au moyen âge, sans laisser aucune trace: bé(e)gueule, di(e)manche, écu(e)ler, li(e)cou, li(e)mier, mi(e)nuit, rou(e)lette, etc.
[412] Rou(e)rie et flou(e)rie ont cependant ou plus long que sourie ou souris, et fé(e)rie a l’e plus fermé que série.
[413] En vers, l’e, qui ne compte pas dans pai(e)rai, compte dans payerai, comme dans sommeillerai, précisément parce qu’il s’appuie sur une consonne. Molière comptait encore l’e muet de gayeté. Sur ce point, voir plus loin, page 193.
[414] C’est dans le Lévrier de Magnus. Ailleurs, dans les Paraboles de don Guy, il écrit flamboyement en quatre syllabes, ce qui est encore pis. C’est tout au plus si on peut admettre balayeront, qui est dans la Paix des dieux.
[415] Ou voye, ou même soye ou aye, pour soit ou ait.
[416] Et dans quelques noms propres: J(e)an, J(e)anne, J(e)annot, J(e)annin, etc., Dej(e)an, Maup(e)ou, Jean de M(e)ung, etc., et même Sainte-Men(eh)ou(ld), qu’on tend à remplacer par Sainte-Menehoul(d). É-u (eu) s’est maintenu très longtemps dans certaines provinces, témoin l’anecdote contée encore par Domergue: Un homme disait un jour à M. de Boufflers: «Vous avez é-u ma sœur dans votre société.—Pourquoi pas? répondit gaiement M. de Boufflers. Jupiter à é-u I-o dans la sienne.»
[417] De même M(e)aux, Carp(e)aux, etc. Mais la diphtongue ne s’est pas faite dans E-auze, quoiqu’il n’y ait point d’accent.
[418] Voir plus loin page 240. On essaya quelque temps du même procédé pour donner au c le son sifflant devant a, o, u: commenc(e)a; puis on adopta la cédille, sauf pour le seul et unique mot douc(e)âtre: pourquoi pas douçâtre aussi bien que commençâmes? Il est regrettable que les typographes n’aient pas adopté aussi un signe analogue pour le g: cela épargnerait quelques confusions.
[419] L’e est ici précédé de trois consonnes en apparence; mais an est une voyelle simple, et ch une consonne simple; plus loin, dans longuement et craquement, l’u n’est qu’un signe orthographique.
[420] On s’explique mal que le peuple prononce quelquefois trouvérai. Dangéreux n’est pas meilleur, ni cuillèrée; et aquéduc, qui fut longtemps correct, ne se dit plus. Mais ass(e)ner a cédé la place à asséner, malgré les dictionnaires. Il faut également se garder de déformer, comme il arrive trop souvent, l’e muet de Saint-Val(e)ry, Saint-Sév(e)rin ou Sév(e)rine, Ag(e)nais, et surtout Mal(e)sherbes ou Fén(e)lon, que Delille, et aussi Domergue, écrivaient Fénélon, je ne sais pourquoi. Pézenas même ne se prononce Pézénas que dans le Midi; mais le second e n’a point d’accent. En revanche appétit en a un: il ne faut donc pas prononcer ap’tit.
[421] Ici encore, quand il y a suffisante affinité entre les consonnes, il est arrivé souvent que l’e muet est tombé dans l’orthographe, sans qu’on sache toujours pourquoi il est resté à côté, dans les mêmes conditions. Car il est tombé non seulement dans les mots comme esp(e)rit, chaud(e)ron ou rég(ue)lisse, où la muette et la liquide s’attiraient, mais aussi bien dans des mots comme soup(e)çon, der(re)nier, lar(re)cin, pendant que dur(e)té et sûr(e)té, longtemps écrits comme fierté, reprenaient leur e, par un caprice des grammairiens. Au surplus, l’orthographe de ces deux mots et de beaucoup d’autres a été longtemps flottante: on trouve encore carfour dans Corneille et dans Molière, épouster dans Molière et dans La Fontaine, laidron dans Voltaire, que dis-je? dans Béranger, avec bourlet.
[422] Et même, par l’effet de la liaison, ils se batt(en)t avec fureur. Ici encore, bien entendu, on prononce les deux consonnes, pour ne pas confondre là-dedans avec la dent, et ne pas créer de barbarisme comme honnêté. D’autre part, il faut éviter aussi avec grand soin de donner deux r à mairie ou à seigneurie, comme si c’était mair(e)rie ou seigneur(e)rie. Dans Rochechouart, on se croit souvent obligé de prononcer l’e, comme dans onze sous, mais ce n’est pas absolument indispensable.
[423] Et Richelieu. Deux mots qui auraient dû être aussi en -elier, sont à tort en -ellier: prunellier et dentellière. Dans ceux-là on ne se borne pas à prononcer l’e: on le ferme le plus souvent; mais on prononce aussi très bien dentelière, et peut-être cela pourra-t-il amener l’Académie à changer l’orthographe défectueuse de ce mot. Le seul substantif qui fut jadis en -erier, cellerier (de cellier), a fait mieux encore; il a pris l’accent: cellérier.—Notons en passant que les dictionnaires mettent aussi un accent à sorbétière; mais le mot était mal formé, et l’usage a refait sorbetière, comme de gilet, gil(e)tière, de même qu’on dit souvent, non sans raison, gen(e)vrier, au lieu de g(e)névrier. De même les médecins prononcent cur’ter, cur’tage, et écrivent curetter, curettage: c’est la prononciation qui est bonne et l’orthographe qui ne vaut rien, car les deux t de curette n’ont pas plus de raisons de se conserver dans cur(e)ter que les deux l de chandelle dans chandelier.
[424] Autrefois, tous ces mots avaient deux syllabes, ayant les mêmes finales monosyllabiques que poir-ier, atel-ier, aimer-ions, aimer-iez. Les nécessités de la prononciation ont amené la diérèse dès le XVIᵉ siècle ou avant; mais les poètes ne se sont conformés à l’usage qu’à partir de Corneille. Dans les deux premières pièces de Molière, on trouve encore voudr-ions, voudr-iez, et même ouvr-ier en deux syllabes, sans parler de sanglier, dont le cas est spécial. Sur cette question, voir mon article, les Innovations prosodiques chez Corneille, dans la Revue d’histoire littéraire de la France, 1913.
[425] Ce phénomène est si marqué que, dans ouvri-er, le peuple refait parfois la diphtongue primitive par l’addition d’un e muet: ouve-rier; de même voude-riez.
[426] Pour que la diérèse s’impose, il faut que la seconde consonne seule soit une liquide; le groupe rl s’accommode donc de la diphtongue.
[427] C’est uniquement à cause de la discordance de tn ou dn, car on prononce facilement diz’nier, et derrenier est devenu sans peine dernier. On prononce également l’e muet, par nécessité, dans nous pesions, ou nous faisions. Dans relier ou renier, on ne devrait pas avoir à craindre de séparer i-er, puisqu’en effet ce sont étymologiquement des syllabes distinctes; mais comme l’usage n’en fait qu’une, aussi bien que dans les substantifs, on dit plus fréquemment à relier ou à renier que à r’lier ou à r’nier.
[428] Toutefois une rencontre telle que il rest’ debout est un peu dure, et il arrive qu’on dit il reste d’bout, par exception à la règle générale; mais on prononce aussi bien les deux e: il reste debout; de même le maître venait ou v’nait de partir. Je dois ajouter que le peuple paraît dire volontiers elle v’nait ou elle r’vient; mais en réalité les deux e tombent ici par parti pris; seulement les nécessités de la prononciation font renaître un e factice devant la consonne initiale: ell’ er’vient, comme dans l’infinitif er’venir. Nous allons retrouver ce phénomène avec les monosyllabes.—Ajoutons que l’e de serein se maintient généralement, par opposition à celui de serin.
[429] Ici encore le peuple évite l’inconvénient en supprimant la liquide avec l’e muet (voir page 182); mais ici la liquide est après l’e: c(el)ui-là. Cette prononciation, qui est triviale, est à rapprocher de celle de d’jà pour déjà.
[430] Inversement premier avait autrefois un accent, et cette prononciation n’a pas complètement disparu, quoique l’Académie ait ôté l’accent depuis 1740.
[431] Quoique l’Académie ne l’ait pas encore enregistré pour ces mots. Au contraire, on commence à dire tenacité, par analogie avec tenace; mais ténacité, qui vient du latin, est encore seul considéré comme correct. On écrit et on prononce chéneau, au sens de gouttière; mais cheneau, qui se rattache à canal, se dit encore dans certaines provinces; et en tout cas chêneau vaudrait mieux que chéneau, car chéneau remplace en réalité chesneau, qui se rattache peut-être à chêne (chesne).
[432] Le Dictionnaire général dit déjà: Retable, et mieux rétable. Cet et mieux est discutable.
[433] Celui-là a des raisons particulières que nous allons voir dans un instant.
[434] De même que réfugier ne change rien à refuge, ni irréligion à religion, l’é fermé étant réservé au mot savant. Je rappelle en outre la différence de sens que l’accent établit entre répartir, récréer ou réformer, et les verbes à préfixe populaire, repartir, recréer, reformer, etc.
[435] Malgré Michaëlis et Passy. On altère aussi assez souvent l’e muet de René, Rethel, Sedan, Sedaine, Segrais, Segré, Senef, Velay, Vevey, et surtout Regnard. On est fort partagé entre Remi et Rémi: ce qui est sûr, c’est que saint Remi et Domremy ont l’e muet, quoiqu’on prononce plus souvent et qu’on écrive même Domrémy. Mᵐᵉ Dupuis fermait aussi l’e de Mont-Cenis, sans doute comme italien.
[436] On prononce aussi un e muet, avec une seule consonne, ou plutôt l’e muet tombe aussi dans un certain nombre de noms propres qui ont conservé une consonne double, car autrefois la consonne double n’empêchait pas l’e de rester muet. Ainsi Cha(s)t(el)lain et Cha(s)t(el)lux, Ev(el)lin, Mor(el)let—témoin le calembour de Voltaire, mords-les—, et La M(en)nais, dont on a fait l’adjectif menaisien, qui n’a qu’un n. C’est aussi un e muet, mais un e muet prononcé, qu’on a dans Claude Ge(l)lée, dit le Lorrain, ou le parfumeur Ge(l)lé, ou dans Montpe(l)lier, qu’on a souvent écrit jadis avec un seul l: cf. chapelier, page 166.
[437] Cf. vil(e)brequin, dont le premier e ne s’explique d’ailleurs pas du tout.
[438] Pourquoi ces quatre mots n’ont-ils pas pris deux t, aussi bien que les autres? C’eût été plus simple. Tous les substantifs en -erie, dérivés des mots en -elier, ont fini par prendre deux l: chapell’rie, tonnell’rie, batell’rie, etc.
[439] On voit que l’r est encore troisième. Cette prononciation est accueillie par le Dictionnaire général; mais je ne crois pas, malgré son autorité, qu’on puisse aussi prononcer panèt’rie, pellèt’rie, on grénèt’rie; il donne même exclusivement louvèt’rie: ce sont des prononciations purement théoriques, et qu’on n’entend nulle part.
[440] Nous en reparlerons dans un instant.
[441] Pourquoi papèt’rie et pas louvèt’rie? C’est un fait, voilà tout. D’ailleurs on entend aussi, surtout dans le peuple, non pas peut-être caqu’t’rie, mais en tout cas briqu’t’rie et bonn’t’rie, parfois même pap’t’rie.
[442] On dit aussi Gen’vois, bien plus souvent que G’nevois, mais ici, le plus généralement, on ne ferme pas l’e; jamais dans Gen’viève. On sait que dans la conjugaison, comme dans les substantifs en -ment, il y a mieux: on met un accent grave sur le premier e, quand on ne double pas la consonne: j’achèt’rai, formé sur j’achète (et non j’ach’t’rai, qu’on entend trop souvent), et par suite éch’vèl’ra, formé sur éch’vèle, comme achèvement sur achève. C’est ce qu’on aurait dû faire pour papet’rie, et les autres.—Nous rappelons ici que le français n’admet pas deux e muets de suite à la fin d’un mot: tant qu’on écrira fureter, décolleter ou épousseter, avec un e muet, les personnes instruites se croiront obligées de dire je furète, j’époussette ou je décollète, et non je fur’te, j’épous’te, ou je décol’te. Il est vrai que les futurs ou conditionnels épouss’terai(s) ou décoll’terai(s) sont généralement admis, ainsi que d’autres pareils, comme étiqu’terai: cela tient à ce que leurs e muets sont intérieurs, et que le second peut se prononcer, ce qui n’a pas lieu dans décollète. Cela n’empêche pas d’ailleurs qu’on ne prononce le plus souvent décolte d’après l’analogie de récolte, décoll(e)ter étant pareil à récolter. Le mieux serait que l’Académie acceptât épouster, décolter et furter, et aussi filter, car qui peut dire qu’on filète une vis, quand tous les gens du métier disent qu’on la fil’te?
[443] Receler est devenu recéler, mais receleur est demeuré; receper est devenu aussi recéper.
[444] Le peuple s’obstine parfois dans ce cas à laisser tomber l’e du monosyllabe, mais alors il le remplace involontairement, et de toute nécessité, par un autre, et aboutit à car ej’ dis ou à bec ed gaz, et même, en tête de phrase, ej’ dis pas: il ne faut pas perdre de vue que c’est uniquement le parti pris, d’ailleurs inconscient, de ne pas prononcer l’e muet qui aboutit à ce résultat, de même que dans une er’mise, où ce n’est pas du tout l’e de une qui se prononce, comme on pourrait croire: voir plus haut, page 168, note 1.
[445] On peut choisir, dans la conversation, entre pas de dieu et pas d’dieu, pas de lien et pas d’lien: voir ci-dessus page 160 et note 1. On peut même dire pas d’scrupules, à cause de l’s médian (voir ci-dessus, page 157).
[446] Cela est si vrai qu’on dira entend’ le discours, et pac’ que tu es venu, plutôt que de dire entendre l’discours et parce qu’ tu es venu; mais d’ailleurs il est possible de prononcer parc’ que, aussi bien que lorsque, et c’est ce qu’on fait d’ordinaire. Nous allons retrouver le groupe ce que.
[447] Pourvu que le même son ne soit pas répété: je jette, ce signe. On notera qu’avec je et ce initiaux, on va familièrement par l’élision jusqu’à trois et quatre consonnes initiales, dans j’ crève de faim, j’ crois bien, c’ train là; mais il est impossible de dire c’ rien, c’ ruisseau, ni c’ roi, le groupe sr n’admettant pas après lui d’autre consonne, ni même de semi-voyelle: la liquide doit être ici finale et non médiane (voir plus haut, page 160 et note 1).
[448] Mais naturellement on est bien obligé de dire les pas d’ celui qui vient, sans quoi il y aurait quatre consonnes, qui ne s’accommodent pas. On prononcera aussi nécessairement les deux e dans pour l’amour de celui, l’e de de étant maintenu par rd, et la sifflante qui suit étant initiale du groupe et non médiane.
[449] On dit naturellement: il croit qu’ tu viens, parce qu’il n’y a qu’un seul e muet.
[450] A fortiori, ça n’ me fait rien (chute du premier e), et non ça ne m’ fait rien.
[451] On évitera cependant d’aller, surtout en tête de phrase, jusqu’à j’ ne d’mande rien; on préférera je n’ demande rien: de- initial est sans doute moins faible que re-.
[452] Ou je n’ te l’remets pas, moins bien, parce que, si le est subordonné à te, la muette initiale de remets est subordonnée à le.
[453] On n’a pas oublié le président de la République que le peuple appelait généralement Félixe Faure, à moins que ce ne fût Felisque.
[454] Nous reviendrons sur ce point au chapitre de l’S. C’est pour le même motif que le p est tombé dans (p)tisane ou (P)falsbourg, et aussi, au XVIᵉ et au XVIIᵉ siècle, dans psaume.
[455] Rotrou, Laure persécutée, acte I, scène 10.
[456] De même, à fortiori, Plutôt que d’ lever tes voiles, et non plutôt qu’ de lever (V. Hugo, Contemplations, IV, III).
[457]Les Burgraves, acte I, scène 3.
[458] Par exemple, avec cet hémistiche de V. Hugo ou d’Edmond Rostand: Qu’est-ce que c’est que ça, où le second que ne peut pas rester tout à fait muet, même entre deux toniques.
[459] De même Bo-ieldieu. Mais il ne faut pas confondre ces cas, qui d’ailleurs ne sont pas fréquents, avec celui des voyelles suivies d’un e muet final, qui ne s’entend plus, mais qui a toujours été distinct: hai-e, haï-e, joi-e, obéi-e.
[460] Pourtant Edmond Rostand consent à la diphtongue dans ruine, et cela régulièrement, chose extraordinaire. Il est à souhaiter qu’on l’imite.
[461] Ceux-là se distinguent aussi par la prononciation du t, et la liste est assez longue: dations, relations, délations, translations, rations, complétions, éditions, reéditions, notions, exécutions, persécutions, mentions, exemptions, attentions, intentions, contentions, inventions, réfractions, rétractions, contractions, affections, désaffections, infections, désinfections, injections, objections, inspections, dictions, acceptions, exceptions, options, adoptions, désertions, portions.
[462] Auxquels il faut joindre gri-ef, bri-èveté et quatri-ème. On est stupéfait de voir Michaëlis et Passy indiquer deux prononciations différentes, avec ou sans diphtongue, pour meurtrier, encrier, tablier, et tous les substantifs de ce groupe, sauf ouvrier!
[463] Nous avons conseillé d’éviter cette prononciation. De même, et plus encore, dans les mots où les poètes maintiennent, par tradition, une diérèse que l’usage ne connaît plus, il faut éviter le yod: passion ne doit se prononcer en vers ni pass-yon, comme en prose, ni passi-yon, qui serait ridicule, mais simplement passi-on, qui est entre les deux. D’ailleurs, certains mots savants du type meurtrier, comme pri-orité, à pri-ori, ne développent pas non plus de yod entre l’i et la voyelle.
[464] Voir plus haut, page 119.
[465] D’autres disent moi-lien!
[466] Dans certains endroits, on dit encore pè-san; mais quand on trouve paysan en deux syllabes chez nos vieux poètes (il y en a encore un exemple dans l’École des Femmes), c’est qu’ils prononçaient pay’san, avec diphtongue initiale: ils écrivaient même parfois païsan. Fays-Billot se prononce comme pays. Je ne sais pourquoi Baïse se prononce comme payse; cette prononciation est d’ailleurs peu répandue en France.
[467] Il y en avait bien davantage autrefois; mais leur y grec a été changé en ï, précisément pour ce motif: ainsi pa-ïen, ba-ïonnette, a-ïeul, gla-ïeul, qu’on eût pu sans cela prononcer par è; ou bien ils ont été ramenés à la règle, comme alo-yau, ho-yau, mo-yen, prononcés autrefois par o, aujourd’hui par oi.
[468] Au contraire, aigayer devrait se prononcer par a, venant d’aiguail, et même s’écrire aiguailler: mais il semble qu’on le prononce plutôt par è.
[469] Sans parler des mots étrangers, comme a-yuntamiento. Il en est de même dans la plupart des noms propres, même français: Bisca-ye, Bla-ye, Fa-ye, Henda-ye et Uba-ye, comme Ka-yes ou Luca-yes; A-yen, Ba-yard, Ba-yeux, Ba-yonne, Ca-yenne, Ca-yeux, Le Fa-yet, La Fa-yette, La-ya, Ma-yence, Ma-yenne, Ma-yeux, Pa-yerne, Ra-yet, Le Va-yer, aussi bien que Fa-youm, Gua-yaquil, Himala-ya, Ma-yer, Ma-yotte ou Rama-yana. Il est vrai aussi que Claye, La Haye, Saint-Germain-en-Laye, Laboulaye, La Fresnaye, Houssaye, Puisaye, se prononcent par è: cela tient à ce que ces mots ont gardé la prononciation des primitifs, clai-e, hai-e, lai-e, boulai-e, frênai-e, houssai-e, puisai-e, qui sont ou furent des noms communs. On prononce de même La Curne de Sainte-Palaye, les rochers de Naye et Laveleye. Au contraire, on prononce Ysa-ye en trois syllabes (isaï), comme s’il y avait un tréma: cf. Ay, qui s’écrit mieux Aï, et aussi l’Hay. J’ajoute qu’on prononce aussi Merlin Cocca-ie comme Bisca-ye.
[470] Contrairement à ce qui se passe pour l’a, o devient généralement oi dans les noms propres français, comme dans les autres mots: Boyer, Giboyer, Doyen, Joyeuse, Noyon, Royan, Royat, Royer-Collard, Troyon, Vaudoyer, aussi bien que Roye, Bridoye, Troyes (prononcé comme Troie) et même Loyalty, probablement sous l’influence de loyal. L’o reste séparé seulement dans les noms étrangers: Go-ya, Van Go-yen, Lo-yola, O-yama, Samo-yèdes, et aussi Go-yon et quelques autres. Soyecourt se prononce, sôcour.
[471] Le mauvais calembour, comment vas-tu, yau de poêle? en est un témoignage irrécusable.
[472] L’u reste distinct régulièrement dans Berru-yer ou Tu-yen-Quan, comme dans Gru-yère et La Bru-yère. Au contraire, et quoique le prénom Guy se prononce ghi, ui l’emporte dans les noms commençant par Guy-; on doit donc prononcer ui correctement dans Guyane, Guyenne, Guyau, Guyot, Guyon, avec Chatel-Guyon, La Vauguyon, Longuyon. A vrai dire, beaucoup de personnes prononcent Gu-yot, voire même Ghi-yot, sans parler de l’algérien Guyotville, réduit à ghyo-vil, en deux syllabes; mais tout cela est très incorrect. Dans les premières éditions du Poème de Fontenoy, Voltaire avait fait aussi Vauguyon de deux syllabes, comme si c’était écrit Vaughyon; mais il s’est corrigé dans les suivantes. Il a réduit aussi Guyon à une syllabe et Guyenne à deux, mais en écrivant Guion et Guienne, ce qui ne pourrait plus se faire.
[473] On a déjà parlé de ce phénomène, page 163.
[474] Les poètes ne s’en privent pas, et il n’y a pas lieu de les en blâmer. Ch. Nyrop, rencontrant paye en deux syllabes dans Cyrano de Bergerac, admire «la belle intrépidité de Rostand» qui fait «revivre cette prosodie médiévale». Mais cette prosodie n’a jamais disparu, et Ch. Nyrop confond paye avec les finales en -ée, -aie, -ue, -oue, qui sont fort différentes. Il va sans dire qu’en pareil cas, il faut nettement distinguer les deux syllabes au moyen du yod. Quand Mᵐᵉ Sorel prononce dans Molière:
elle se conforme sans doute à l’usage le plus répandu aujourd’hui, mais elle devrait bien s’apercevoir qu’elle fait un vers faux! Et il est bien possible que pai-ye point la choque, mais c’est pai-ye point qu’il faut dire.
[475] Voir encore p. 163, note 2.
[476] Voir plus haut, page 152 et la note.
[477] Sans parler de ya tout court, qui n’en a qu’une: ya des gens qui..., mais ceci est un peu familier!
[478] Si bien que les poètes eux-mêmes, quand ils acceptent ce double hiatus, sont obligés, pour peu qu’ils aient de logique ou d’oreille, de compter les trois mots pour deux syllabes, d’autant plus que l’expression est toujours de style familier. On peut citer Richepin, Don Quichotte, acte VII, scène 20:
et la Route d’émeraude, vers final:
Jean Aicard a compté le groupe pour trois syllabes, mais il n’y a pas lieu de l’en féliciter.
[479] C’est Corneille qui a rénové en poésie l’usage de compter hier pour une syllabe, usage déjà suranné de son temps, et son autorité a malheureusement justifié les poètes qui l’ont suivi. Pourtant le XVIIIᵉ siècle avait repris les saines traditions, et Voltaire fait toujours hier de deux syllabes (et même avant-hier de quatre). Malheureusement, V. Hugo a cru pouvoir le faire presque indifféremment de deux ou de trois, et la plupart des poètes du XIXᵉ siècle l’ont suivi; mais c’est une erreur certaine: voir sur ce point notre article sur les Innovations prosodiques dans Corneille, dans la Revue d’histoire littéraire de 1913.
[480] Au XVIIᵉ siècle, on trouvait ce groupe initial dans Hiérome, Hiérusalem et Hiéricho, mais hi s’y prononçait déjà j, comme on l’écrit aujourd’hui: hi ou hy se prononçait alors j, même dans Hyacinthe (devenu jacinthe comme nom de fleur), même dans hiérarchie et hiéroglyphe, et c’est ce qui explique la prosodie de certains vers classiques, où il faut lire jérarchie et jéroglyphe: voir page 250, note 3.
[481] Si les ll mouillés sont suivis d’un i, les deux yods primitifs se confondent aujourd’hui: bailliage se prononce comme pillage, voyage ou mariage, joaillier comme fouailler, médaillier comme médaillé. Il peut cependant y avoir deux yods dans une même finale, mais séparés par une voyelle: ainsi dans vieille (vyeye) ou piaille (pyaye) ou qu’il y aille.
[482] Nous avons vu aussi que l’i final faisait fonction de consonne dans certains noms propres étrangers: Pompéi, Hanoï, Shanghaï: voir page 119, note 2.
[483] L’u a la même fonction devant y dans Cuyp, Ha-üy, Le Puy, Lhuys, Luynes, Porrentruy, Ruyter.
[484] Je ne parle pas de fabriq(u)-ions ou navig(u)-ions, où l’u n’est qu’un signe orthographique.
[485] Les groupes brui ou trui sont, en effet, beaucoup plus faciles à prononcer sans décomposition que bryer ou tryer. C’est pourquoi la diphtongue a pu se conserver là où elle existait; mais elle n’a jamais existé dans dru-ide et flu-ide, et ne s’y est point formée.
[486] Voir plus loin, aux chapitres du G et du Q.
[487] Éviter seulement de prononcer voui pour oui, ou de la vouate pour de la ouate.
[488] Souhait lui-même, malgré l’h, ne fait qu’une syllabe dans l’usage courant, et nous savons que quelques-uns prononcent encore soiter, mais ceci est suranné: voir page 87.
[489] Et encore tramway pas toujours: voir au chapitre du W.
[490] La diérèse de oi est d’ailleurs impossible dans l’écriture; quant à celle de groin, elle aboutit à gro-in, où la prononciation du mot est évidemment altérée. Nous avons déjà vu cela.
[491] Je ne pense cependant pas qu’on aille jusqu’à clouaque, parce que le groupe cl maintient l’o séparé de l’a.
[492] Avant Boileau, quelques poètes hésitaient, quoique la majorité fût pour po-ète: ainsi Corneille ne connaît que la synérèse, et La Fontaine l’a faite trois fois sur quatre dans ses Fables. Le XVIIᵉ siècle faisait encore la synérèse jusque dans Moïse (écrit Moyse), Bohême, Noailles ou Noël, et l’on trouverait encore des endroits où l’on prononce Mouise ou Nouel, ou même Noil (nwal), qui est encore donné par Mᵐᵉ Dupuis, concurremment avec poite, poisie et Boime, prononcés par ouè.
Mais ces prononciations sont depuis longtemps purement locales. Cependant Roanne se prononce roine. Coëffeteau ou Boësset se prononcent aussi par oi. Poey, Espoey se prononcent par oueye dans le Midi.
[493] Voir page 62. Pour les groupes anglais oa et oo, voir pages 45 et 112.
[494] Le phénomène avait déjà été observé par Dangeau, en 1694.
[495] A l’intérieur des mots, l’assimilation proprement dite est généralement réalisée par l’écriture. De là les consonnes doubles, généralement héritées du latin: accomplir, affecter, collaborer, immerger, etc., etc.
[496] Il arrive quelquefois, mais rarement, que l’accommodation, au lieu d’être progressive, est régressive, c’est-à-dire que c’est la seconde consonne qui s’accommode à la précédente, par exemple dans subsister (ubz au lieu de ups); mais ceci tient souvent à d’autres causes, comme on verra.
[497] Ici encore, exceptionnellement et par accommodation régressive, à cheval peut devenir achfal, jamais ajval.
[498] Exceptionnellement aussi, une douce devient forte même devant un m, dans tout de même (tout t’ même).
[499] L’abbé Rousselot, qui a constaté le fait, l’explique en disant (Précis, page 86) que c’est la voyelle qui transforme en douce la consonne forte; mais on ne voit pas du tout pourquoi ou changerait s en z. Il en est de cet exemple comme des autres: dans un débit rapide, les organes se préparent d’avance à l’émission des sons qui vont suivre, ici l’s doux de liaison, et c’est ce qui adoucit le premier. Comme dit M. Paul Passy, tout son subit, dans une certaine mesure, l’influence des sons voisins: c’est ainsi que la prononciation rapide aboutit encore facilement à ton-mneuve pour tombe neuve ou lan-nmain pour lendemain.
[500] Voir page 182. C’est exactement le principe opposé qu’on applique sans s’en douter, quand on se fonde uniquement sur l’étymologie: cela doit être, donc cela est. Le principe des phonéticiens est certainement le bon, mais il ne faut pas l’appliquer sans distinction ni restriction.
[501] Voir plus haut, page 10.
[502] Sauf en liaison, bien entendu: mais ceci sera l’objet d’un chapitre spécial.
[503] Ces exceptions s’appliquent généralement aux lettres dites étymologiques (souvent fausses d’ailleurs, comme d de poids, ou le g de legs), que les érudits du XVIᵉ siècle ont introduites dans l’écriture, en guise d’ornements! Le malheur est que, dès le XVIIᵉ siècle, on s’est mis à prononcer, mal à propos, quelques-unes de ces lettres. Mais c’est surtout au XIXᵉ siècle que le développement de l’enseignement primaire, et l’ignorance de beaucoup d’instituteurs, à qui manquait la tradition orale, ont profondément altéré la langue, en faisant revivre ces consonnes, tombées depuis des siècles.
[504] Cette prononciation de la consonne double est exactement la même que celle qui se produit entre deux mots, la première étant finale, la seconde initiale, notamment quand un e muet tombe; et nous avons vu qu’en ce cas la consonne n’est double qu’en apparence. Voir au chapitre de l’e muet, page 159, note 4.
[505] Il n’en a pas toujours été ainsi: si aujourd’hui nous ne distinguons plus entre les finales tère, taire et terre, autrefois on prononçait parfaitement les deux r de terre, et peut-être trouverait-on un reste de cette prononciation dans le Midi, qui a conservé l’habitude et la faculté de vibrer!
[506] C’est en effet par le latin que la prononciation des lettres doubles a commencé, au XVIᵉ siècle, pour s’introduire de là dans la langue savante, mais plus tard; pendant longtemps on n’a guère doublé que les r, mais on les doublait beaucoup plus souvent qu’aujourd’hui, et même devant l’e muet, comme on vient de le voir.
[507] J’ai un jour entendu articuler don-ner, et cela est ridicule, assurément; toutefois ce n’est pas une raison pour aller contre l’usage, et le Dictionnaire phonétique de Michaëlis et Passy, aussi bien que le Manuel phonétique de Ch. Nyrop, qui n’admettent presque point de consonnes prononcées doubles, sont certainement en contradiction avec l’usage général pour des centaines de mots.
[508] Pourtant Michaëlis et Passy donnent le choix presque partout.
[509] De même dans Christophe Colom(b), qui est complètement francisé, et dans Dou(bs) ou Dussou(bs).
[510] De même dans le latin ab, et dans les noms propres Moab, Achab, Mab, Caleb, Horeb, Aureng-Zeyb, Sennachérib, Job, Jacob. Même dans ces mots, le b ne se prononçait pas toujours autrefois, ou il se prononçait p, surtout devant une voyelle. Nous verrons en effet, au cours des chapitres suivants, que les muettes sonores finales se sont d’abord assourdies régulièrement, avant de cesser de se prononcer: c’était l’étape naturelle; et nous retrouverons la trace de ce phénomène dans les liaisons.
[511] Quoique cette prononciation ait été correcte jusqu’au milieu du XVIIᵉ siècle, dans tous les mots commençant par abs-, obs-, subs-, où les grammairiens avaient rétabli récemment le b; car, au moyen âge, on écrivait ostiner, oscur, astenir, etc. Le b a toujours été muet dans de(bvoir, où il était absurde, et aussi dans de(b)te, dou(b)ter, pre(bs)tre et d’autres. Il l’est encore dans certains noms propres, devant un v: Fa(b)vier, Lefe(b)vre; mais il tend naturellement à y revivre.
[512] Davantage dans quelques noms propres, Ab-bas et Ab-bassides, Ab-batucci, Ab-bon.
[513] De même Aurillac, Caudebec, Pornic ou Pernambouc.
[514] Les composés bec-d’âne et bec-jaune ont conservé la prononciation sans c, qui était de règle devant une consonne, mais ils s’écrivent plutôt bédâne et béjaune. Le c a revécu dans bec-de-corbin, bec-de-cane, bec-de-lièvre; il s’est toujours prononcé dans bec fin, becfigue (qui est pour bèquefigue) et bec-cornu. Dans pi(c)vert, le c a disparu aussi de l’écriture.
[515] Naturellement, quand Boileau fait rimer estomac avec Sidrac, le c doit sonner.
[516] Mais non dans cric, onomatopée, ni même dans cric crac, ou de bric et de broc, où tous les c se prononcent. L’Académie prétend que tabac est familier, comme si le peuple ne disait pas taba(c). Le c est également muet dans Saint-Brieu(c).
[517] Et plus encore celui de lombric, malgré Michaëlis et Passy, aussi bien que celui de porc-épic.
[518] Il n’en était pas ainsi autrefois. De là la confusion qui a changé la rue Saint-André-dès-Arcs en rue Saint-André-des-Arts. Toutefois d’autres prétendent que arts a remplacé dans ce nom ars, brûlé, c’est-à-dire atteint du mal des ardents.
[519] De même Gobsec(k), Brunswic(k), Van Dyc(k), Gluc(k), etc., et aussi Lecoc(q), Lestoc(q), Vic(q) d’Azyr.
[520] Il faut excepter quelques noms propres comme Ranc.
[521] Le Dictionnaire général trouve encore cette prononciation «familière». Familière ou non, il n’y en a pas d’autre qui soit usitée, quoi qu’il en dise, et malgré Michaëlis et Passy; et je ne sache pas qu’on dise non plus zinquer, ni zinqueur. On devrait tout simplement écrire zing, comme on écrit zingueur.
[522] Pourtant le c sonne très rarement dans porc (voir page 363).
[523] Ce dernier mot vient pourtant du germanique mark; mais il est francisé sous la forme marc, tandis que dans mark, monnaie allemande, le k sonne naturellement. Dans Marc, nom propre, le c avait cessé de se prononcer, et l’on dit de préférence: le lion de Saint-Mar(c), à Venise, ou Saint-Mar(c), nom propre; mais on dit l’Évangile de Marc ou de saint Marc, et surtout on fait sonner le c de Marc prénom. De même a fortiori dans Marc-Aurèle ou Marc-Antoine, et même Saint-Marc-Girardin.
[524] Ni dans Lecler(c) ou Lecler(cq) ou Maucler(c) pas plus que dans l’expression de cler(c) à maître, qui n’est plus usitée que dans l’administration militaire. Il sonne dans Ourc(q).
[525] Contra(ct) a au contraire perdu son c dans l’écriture, ce qui l’a mis à l’abri.
[526] Au XVIᵉ siècle, infect et abject s’écrivaient souvent infet et abjet, et rimaient avec effet et projet, dont l’étymologie est la même. C’est la prononciation dite emphatique qui a dû rétablir ct d’abord dans infect, puis dans abject, à cause du sens. Mais Corneille fait toujours rimer régulièrement abject, ou plutôt abjet, avec projet ou sujet:
Il n’y avait là aucune «licence poétique», malgré le reproche que lui faisait déjà Aimé Martin.
[527] Voir livre X, fables 8 et 12, et livre XII, fable 2.
[528] Je ne sais comment il peut se faire que le Dictionnaire général admette uniquement—et simultanément—aspe(ct) sans c ni t, circonspec(t) et respec(t) avec c seul, et suspect avec c et t! Toutes ces variétés de prononciation ne se seraient pas produites si l’on avait pris le sage parti d’écrire tous ces mots comme effet, qui est, lui aussi, pour effect. Le c est également muet dans les frères Parfai(ct).
[529] Il serait si simple de lui ôter son c, comme on a fait à défunt, pour défunct.
[530] Et aussi devant les diphtongues latines œ et æ: Cæsar, comme César.
[531] Autrefois on écrivait aussi cueur, où le premier u n’était qu’un signe orthographique, qu’on ne prononçait pas.
[532] On trouve d’ailleurs ck devant une voyelle quelconque: blockaus ou gecko comme jockey, Stockholm comme Necker.
[533] Où donc Michaëlis et Passy ont-il entendu prononcer ces mots sans c? C’était la prononciation du XVIIᵉ siècle, ainsi que pon(c)tuel; di(c)ton et antar(c)tique ont duré plus longtemps. Aujourd’hui que la plupart des c étymologiques inutiles ont disparu, comme dans bienfai(c)teur, je(c)ter, etc., il n’y a plus d’exceptions. On prononce le c même dans Francfort, sous prétexte que le k allemand de Frankfurt se prononce: à la vérité, puisque le mot est francisé, rien n’empêcherait de prononcer Fran(c)fort, mais ce n’est pas l’habitude.
[534] On sait qu’églogue et cigogne étaient autrefois éclogue et cicogne; égale, migraine, église, et depuis bien plus longtemps, n’ont-ils pas remplacé aussi un c par un g? De même on a prononcé segret et segrétaire jusqu’au XIXᵉ siècle: Domergue ne prononce pas autrement; ce n’est qu’au siècle dernier que le c s’est rétabli dans ces mots. Pendant longtemps on a non seulement prononcé, mais écrit négromant et négromancie. C’est naturellement aussi un g qu’on entend dans Jean Second ou Secondat de Montesquieu. C’est le contraire de gangrène, qui s’est prononcée cangrène jusqu’au siècle dernier.
[535] Parce qu’il l’avait aussi dans Claude et Claudine.
[536] Le Dictionnaire général joint à ces mots ac-clamer, mais cela s’impose encore moins. Michaëlis et Passy n’admettent le c double que dans gecko, alors que précisément ck se prononce partout comme un seul c. On peut encore prononcer deux c dans les noms latins: Bac-chus, Boc-choris, Boc-chus, Flac-cus, Grac-chus, et quelques noms étrangers: Bec-caria, Boc-cador, Boc-cherini, Civita-Vec-chia, Pic-colomini, Sac-chini, Sec-chi, Veroc-chio, mais plus dans Bo(c)cace, complètement francisé avec un seul c.
[537] Au XVIᵉ siècle, on prononçait les deux c comme un seul, même dans ce cas: a(c)cident; et cette prononciation s’entend encore dans les pays qui ont l’acent. Aja(c)cio se prononce toujours avec un seul c.
[538] Voir plus loin, an chapitre de l’S.
[539] Le cas de cqu est le même que celui de ck.
[540] De même Cellini et Forcellini, Cenci et Cérisoles, Bonifacio, Ajaccio, avec un seul c, Cialdini, Cimabué, Civita-Vecchia, Concini, Garcia, Mancini, Mincio, Terracine, et même Vinci, et peut-être Cimarosa et Botticelli. On prononce le c de même dans Cecil, Cellamare, Cervantès et Ceuta, Cincinnati, Cintra, Ciudad-Real.
[541] De même Abatucci, Bacchiochi, Carducci, Carpaccio, Lecce, Lorenzaccio, Picciola, Piccinni, Pulci, Ricci, Vecellio. Vermicelle et violoncelle ont connu longtemps une étape intermédiaire, en se prononçant vermichelle et violonchelle, admis par Domergue et Mᵐᵉ Dupuis, et dont on trouve encore des traces, mais fort rares.
[542] Le cz polonais se prononce tch, mais nous ne le prononçons guère ainsi qu’à la fin des noms, comme dans Mickiewicz ou Sienkiewicz: partout ailleurs on le prononce généralement gz, et c’est un tort. Notons en passant que le premier c de Mickiewicz doit se prononcer à part, comme ts. Le cz hongrois, qui s’écrit aujourd’hui c, doit se prononcer ts, et non gz, dans Czerny, Munkaczy, Ra-koczy.
[543] Pour ce mot, voir p. 49. De même Lamec(h), Metternic(h), Munic(h), Zuric(h), Koc(h), Moloc(h), Enoc(h), Saint-Roc(h), Sacher-Masoc(h), Baruc(h), etc., et aussi Utrec(ht) ou Maëstric(ht).
[544] Et dans quelques noms propres du Midi, comme Auch, Foch, Buch, Tech, Puech, Delpech, avec Monjuich, sans compter Sidi-Ferruch, Marrakech et Nich.
[545] Il est muet aussi dans Penmar(ch) francisé.
[546] Ceci vient tout simplement d’une confusion inconsciente entre acheter et jeter. En effet, jeter se prononce nécessairement comme acheter, quand l’e muet tombe; dès lors, on a la proportion fatale: j’ajète est à acheter comme je jette à chter.
[547] De même dans tous les noms propres anciens: Macc(h)abée, C(h)am, C(h)anaan, Zac(h)arie, Néc(h)ao, C(h)aldée, Epic(h)aris, C(h)arybde, C(h)aron, Anac(h)arsis, Calc(h)as, etc., etc., avec quelques noms modernes étrangers: Buc(h)anan, Buc(h)arest, C(h)andos.
[548] Et autrefois métempsyc(h)ose, qui n’a plus d’h; pourquoi psyc(h)ologie en a-t-il un?
[549] On prononce co dans Jéric(h)o, Jéc(h)onias et Nabuc(h)odonosor, Terpsic(h)ore, Stésic(h)ore, C(h)oéphores, Orc(h)omêne et Colc(h)os, Sanc(h)oniaton, C(h)osroès, C(h)oa et Tyc(h)o-Brahé, et même La Péric(h)ole, Picroc(h)ole; mais non dans Michol, Sancho ou don Quichotte (francisé de l’espagnol Quijote à j guttural).
[550] Et dans les noms propres anciens en -chus, comme Antioc(h)us, Malc(h)us, etc., mais non dans Chuquisaca.
[551] De même Michée, Zachée, Sichée, aussi bien que Mardochée, et aussi bien Psyché. Cependant on a longtemps dit trokée.
[552] Je n’ai pas, dans ces mots et les suivants, devant e et devant i, mis l’h entre parenthèses, à cause du son sifflant que prend le c devant ces voyelles; j’espère néanmoins que le lecteur ne s’y trompera pas.
[553] De même dans Michel et Rachel, deux prénoms trop populaires pour s’altérer, et aussi, le plus souvent, dans Pulchérie et Sichem. Mais on prononce ké dans la plupart des noms propres anciens: Achéloüs, Achéménides, Achéron, Carchémis Chéronée, Chéronèse, Chérusques, Lachésis, Pulcher (rarement Pulchérie) et Sennachérib. Autrefois le ch d’Achéron était francisé ainsi que beaucoup d’autres. C’est à la fin du XVIIᵉ siècle que les divergences se produisirent. La Comédie, avec Racine, tenait pour Achéron (La Fontaine aussi); l’Opéra, avec Lulli et Quinault, tenait pour Akéron, qui prévaut aujourd’hui. On prononce aussi ké dans les noms italiens, Chérubini, Michel-Ange. A la vérité, Mikel-Ange paraît bizarre, car on francise le second mot (pour Angelo) et pas le premier, alors que nous avons pourtant Michel en français; mais, en réalité, le nom italien s’est francisé en bloc avec la prononciation originelle et en conservant son accent sur la même syllabe an: c’est ainsi que sont traités les noms des plus grands hommes, appris par l’oreille et non par l’œil, comme Shakespeare et Gœthe. On prononce encore ké dans Chemnitz et Sacher-Masoch, mais ché dans Blücher ou Schœlcher.
[554] Excepté lysimachie (kie). Malachie est flottant, tandis que Valachie est toujours resté chuintant, malgré Valaques.
[555] Pourtant on dit souvent monakisme, toujours masokisme.
[556] Surtout à côté d’architectonique ou architriclin, qui ne sont pas moins savants qu’archiépiscopal, et qui pourtant chuintent comme les autres. Arkiépiscopal a d’ailleurs l’air prétentieux, à côté d’archevêque.
[557] On chuinte même dans quelques noms propres anciens, comme Colchide, Achille, Eschine, Eschyle, Chypre, Archiloque et Joachim. Il est vrai que ce mot est bien maltraité: beaucoup de personnes prononcent Joakin, d’autres Joakime, ou plutôt Yoakime, surtout en parlant de Du Bellay; mais précisément Du Bellay prononçait sans aucun doute son prénom en chuintant; et c’est la vraie prononciation, notamment celle de l’Église.
[558] Ajouter les noms propres anciens: Ezéchias et Ezéchiel, Melchior et Melchisédec, Chio et Sperchius, Bacchylide et Archytas, Trachiniennes, Echidna, Achillas, et même Achilléide (malgré Achille); le plus souvent aussi aujourd’hui Chiites, Chilon, Chiron et Anchise; et surtout les noms italiens: Brunelleschi, Cernuschi, Bacciochi, Fieschi, Monaldeschi, Machiavel (d’où machiavélique et machiavélisme), Sacchini, Chianti, Chioggia, Ischia, Civita-Vecchia, Porto-Vecchio, Secchi, Verocchio, etc., avec chi va sano, chi lo sa? ou anch’io. Machiavel (avec ses dérivés) est de ceux qui furent longtemps francisés, ainsi que Chiron, Chilon, Anchise, et bien d’autres, même Ezéchias ou Ezéchiel: de tous ces noms, je ne vois guère qu’Anchise qu’on fasse encore chuinter quelquefois.
[559] D’où Ac(h)met, Roc(h)dale et Mélanc(h)ton, comme C(h)loé, Ménec(h)mes, C(h)ristophe, Arac(h)né, Erec(h)tée, Erésic(h)ton; tous ces h devraient disparaître. Drac(h)me se prononçait naguère encore dragme; mais cette prononciation est surannée. On chuinte dans Fechner ou Richter, comme dans Metchnikoff.
[560] De même dans Lynch, d’où le verbe lyncher, et aussi dans Chaucer, Chesterfield, Chicago, Manchester, Michigan, tandis qu’on prononce de préférence tch dans Sandwich ou Greenwich, dans Channing, Charleston, Chatterton, Childe-Harold, et en général dans les noms moins connus, ainsi que dans Pacheco ou Echegaray. Dans les noms arabes ou asiatiques, ch a le son français, comme on l’a vu déjà dans chaouch ou Marrakech: ainsi Aïcha, Krichna et Vichnou, avec Chandernagor et Pondichéry; Chan-si, Chan-toung, Thian-Chan, Sou-chong, Petchili, Mandchourie et Chemulpo; Chatt-el-Arab, Chiraz, Apchéron, Recht, Meched et Kachgar; Skouptchina, Prichtina, Choumla et Chodzko. Ajoutons les noms américains: Chili, Chihuahua, Chiquitos, Chimborazo, le Grand Chaco, avec Chactas; et aussi Achantis, Achem, Funchal, etc. Pourtant on prononce ordinairement ki dans Chiloë, et cela est assez bizarre.
[561] Ajouter presque tous les noms propres commençant par Sch-: (S)chaffouse, (S)chehérazade, (S)chelling, (S)chiller, (S)chlegel, (S)chlestadt, (S)chliemann, (S)chmid, (S)chneider, (S)chœlcher, (S)choll, (S)chomberg, (S)chopenhauer, (S)chubert, (S)chumann, (S)chwartz, etc., etc., et aussi Fe(s)ch, E(s)chenbach, Her(s)chell, Frei(s)chütz, Frœ(s)chwiller, Haroun-al-Ra(s)chid, Kamt(s)chatka ou Kamt(s)chadales, et même Ta(s)cher. Mais il ne faut pas confondre le groupe sch avec l’s suivi du ch guttural dans les noms flamands ou italiens, comme Hondschoote ou Schiedam, Monaldeschi, Cernuschi ou Peschiera.
[562] On dit bien quelquefois skéma, mais c’est fort rare. Saint-Anschaire se prononce pourtant par sk. Scholastique a gardé son h en qualité de nom propre; mais scolaire, scolie, scoliaste, et scolastique adjectif, ont perdu le leur. D’autre part, l’s s’est mis inutilement dans (s)chah; schako s’écrit mieux shako (voir le groupe sh à la lettre s); schall est depuis longtemps remplacé par châle; scheik est devenu cheik.
[563] De même Chateaubrian(d), Edmon(d), Bugeau(d), Saint-Clou(d), Ronsar(d), Chambor(d), etc.
[564] Cette prononciation de quan(d) est d’ailleurs très ancienne, et quand le d final se prononçait au XVIᵉ siècle, c’est toujours t qu’il se prononçait, la sonore s’assourdissant d’abord avant de s’amuir.
[565] Avec Shetland et Christiansand, Samarkand et Yarkand, Cleveland et Wieland, auxquels il faut joindre George Sand, et les noms géographiques en -land. Mais plusieurs noms en -land peuvent ou doivent se prononcer à la française aussi bien que Gan(d), à savoir Falklan(d), Marylan(d), Cumberlan(d), Northumberlan(d), Jutlan(d), Groënlan(d) en trois syllabes, et Friedlan(d) également en trois syllabes, au moins à Paris (voir plus haut page 78); de plus, Kokan(d), sans compter Rembran(dt), et aussi Witikin(d). On prononce encore le d dans Mahmoud et Laud, mais non dans Bedfor(d), Bradfor(d), Oxfor(d) ou Straffor(d), pas plus que dans lor(d).
[566] Et naturellement dans la plupart des noms propres: Joad, Bagdad, Timgad, Mourad, Alfred, Port-Saïd, le Cid, David, Nemrod et Robin-Hood; Sind, et même Sund et ses composés (soun, en danois); Romuald, Bonald, Brunehild, Rothschild, et les mots en -field; Harold, Hérold et aussi Fould. Mais le d est muet dans Gouno(d), Courajo(d), Grimo(d) de la Reynière, Perno(d), les noms en -auld et -ould, comme La Rochefoucau(ld) ou Arnou(ld), et même Léopol(d). On notera que l’l qui ne se prononce pas dans Arnou(ld) se prononce dans Arnoul. Le d de Madrid peut se prononcer d ou t, ou pas du tout; toutefois Madri(d) paraît tomber en désuétude, comme l’a fait Davi(d), qui fut aussi usité.
[567] C’était presque toujours à la suite de a initial, devant j ou v, où on l’avait rétabli sous prétexte d’étymologie, vraie ou fausse: a(d)journer, a(d)jouter, a(d)veu, a(d)vouer, a(d)vocat, a(d)venture, a(d)vis, etc., et même a(d)miral! Ces d n’ont disparu qu’en 1740, dans la troisième édition du Dictionnaire de l’Académie, sauf ceux que la prononciation avait adoptés mal à propos.
[568] Il est resté à peu près muet dans La(d)vocat et dans Gérar(d)mer, sans parler des mots composés, comme Gran(d)mesnil ou Gran(d)pré. Il sonne dans Mandchourie ou Richardson, Cambodge, Cambridge ou Hudson, mais non dans Milne-Edwar(d)s, ni dans wel(d)t et Barnevel(d)t, ni dans les noms en -dt, comme Cronsta(d)t, Golschmi(d)t ou Humbol(d)t; pour Auerstædt et Hochstedt, on hésite entre le d et le t. On prononce aussi le d dans Madgyar, mais nous écrivons généralement ce mot sans d.
[569] Et dans Ad-da ou Ed-da, Djed-da, et, si l’on veut, Boud-dha, ainsi que dans Ad-dison et Maged-do.
[570] Ce sont précisément les mots en -if, presque tous savants, et où l’f se prononçait, qui ont fait revivre l’f dans les autres mots où il était tombé: d’abord dans les mots en -if non savants, comme jui(f) et sui(f), puis dans les autres, à moins qu’ils n’eussent déjà perdu leur f dans l’écriture, comme apprenti, bailli et clé. Toutefois le rétablissement de cet f final n’est pas encore complètement achevé, comme on va voir. Je ne parle pas des noms propres, où l’f final sonne toujours.
[571] L’f a revécu même dans bief, autrefois bié, et même biez. L’Académie prononce encore éteuf sans f, en 1878! Le mot ne s’emploie plus guère, mais quand on l’emploie, c’est certainement avec un f, puisque c’est par l’œil qu’on le connaît.
[572] Mᵐᵉ Dupuis trouvait déjà dans bœu(fs) et œu(fs) prononcés sans f «une sorte de trivialité qui convient plutôt au langage du peuple». Pourtant ces mots tiennent encore bon, quoi qu’en dise Ch. Nyrop.
[573] Voir ci-dessus, page 91.
[574] C’est la règle générale des noms de nombre. On énumère ordinairement les cas où se prononce la consonne finale des noms de nombre, et naturellement l’énumération n’est jamais complète. C’est le contraire qu’il fallait faire, c’est-à-dire énoncer les cas où elle ne se prononce pas, et la formule est si simple, qu’il est très surprenant que personne ne l’ait encore donnée.
[575] On prononçait vi(f) vou mort, du bœu(f) và la mode, et surtout on a dit longtemps vi(f) vargent et neu(f) vet demi.
[576] Voir au chapitre des liaisons.
[577] Autrefois on écrivait, très mal à propos d’ailleurs, mais sans prononcer l’f, car ç’eût été impossible, brie(f)ve, brie(f)vement, veu(f)ve ou ve(f)ve, et tre(f)ve, tous mots où l’f étymologique était en réalité représenté deux fois.
[578] Michaëlis et Passy n’admettent l’f double que dans le latin af-fidavit!
[579] De même Cherbour(g), Strasbour(g), et tous les noms francisés en -bourg, Hambour(g), Edimbour(g), Pétersbour(g), etc., et aussi Bour(g)neuf ou Bour(g)théroulde. Toutefois Bourg, chef-lieu de l’Ain, a gardé l’ancienne prononciation bourc, même isolément, et non pas seulement dans Bourg-en-Bresse; car si l’on prononçait bour isolément, on dirait tout aussi bien Bour(g)-en-Bresse. D’autre part, le g se prononce tel quel dans bourgmestre, qui désigne une magistrature étrangère (cf. Francfort); mais on fera bien d’éviter bourguemestre, qui est pourtant écrit ainsi par M. Verhæren, dans les Villes à pignons, pages 112 et 114. A l’inverse des noms francisés en -bourg, le g se prononce toutes les fois que la finale garde la forme germanique burg (toujours avec le son ou): Terburg, ainsi que dans le mot burg lui-même. En revanche, nous avons francisé aussi, par l’amuissement du g, quelques finales germaniques en -berg: Gutenber(g), Nurember(g), Furstember(g), Wurtember(g), et si, l’on veut, Spitzber(g), mais non Berg, Heidelberg et les autres.
[580] De même Bussan(g), Capestan(g), Castain(g), Estain(g), Serain(g), Loin(g), Bourgoin(g), Jean de Meun(g) et Neun(g), et aussi Lon(g)jumeau, Lon(g)champ, Lon(g)périer ou Lon(g)wy.
[581] Le Dictionnaire général ne prononce pas le g, mais Michaëlis et Passy l’acceptent. Ce g, qui avait disparu, même de l’écriture, est dû à la réaction orthographique.
[582] Le Dictionnaire général n’admet pas plus le g de legs que celui de joug.
[583] On ne devrait pas non plus prononcer le g dans les noms chinois en -ang, -eng et -ong, où les Anglais ont mis un g, en transcrivant les noms, uniquement pour conserver à la finale le son nasal. C’est une méthode que le XVIᵉ siècle avait pratiquée en France même, et dont il nous reste plus d’une trace. Comment donc une telle orthographe a-t-elle pu nous tromper, nous qui écrivons encore rang, sang, long, etc., sans parler des graphies anciennes, soing, loing, témoing, etc.? Le mal vient de ce que nous avons l’habitude de prononcer toutes les consonnes dans les mots étrangers, par principe; on s’est donc mis en France, même les professeurs, à prononcer les g de tous ces mots en -ong, -eng, -ang, surtout -ang, oubliant qu’autrefois Tonkin s’écrivait Tong-King, sans se prononcer autrement, et que Kouang-Toung a donné Canton. Correctement, on devrait prononcer uniquement Kouan(g)-Toun(g); et de même Kouan(g)-Si, Yan(g)-tsé-Kian(g), Si-Kian(g), Kian(g)-si, Kian(g)-sou, Li- Hun(g)-Tchan(g), Louan(g)-Praban(g) et Samaran(g), aussi bien que Timour-Len(g) et Auren(g)-Zeyb, qu’on respecte davantage, et aussi bien Sou-Chon(g), Hon(g)-Kon(g), Mékon(g), Haïphon(g), etc. Les marins ne prononcent pas autrement, ni les marchands de thé Souchon(g). On ne devrait même pas prononcer le g dans Hoan(g)-Ho ou Shan(g)-Haï; toutefois, comme ici le second mot commence par une aspiration, comme, d’autre part, on écrit même aujourd’hui Shanghaï ou Changhaï, en un seul mot, il est naturel que le g s’y prononce, ne fût-ce que pour remplacer l’aspiration. Le g est aussi bien établi dans Lang-son. On pourrait au moins s’en tenir là.
[584] Le g se prononce de même dans la plupart des noms propres: Agag, Zadig, Rig-Véda, Liebig, Schleswig, Grieg, Herzog (avec o fermé), Magog (avec o ouvert), Flameng, Canning, Fielding, Lessing, Long-Island, Young et Yung, Astorg, Swedenborg et Viborg, etc., avec les noms géographiques en-burg, et la plupart des noms en -berg, Berg, Lemberg et Schomberg, Heidelberg, Johannisberg, Lænsberg, Scanderberg, etc., et même Altenbourg, quoique on l’écrive par ourg. Toutefois Leipzig et Dantzig qui se sont longtemps écrits Dantzick et Leipsick, se francisent encore le plus souvent par c au lieu de g.
[585] Et devant les diphtongues latines æ et œ. De plus, aux noms propres français, Angers, Béranger, Gilles, etc. (y compris Gerle ou Murger), s’ajoutent les noms propres anciens ou bibliques: Géla, Gélase, Gelboé, Gélon, Génésareth, Géta, Gethsémani, Phlégéton, Ségeste, Tégée, Sergius, Gygès, Gyptis, et quelques noms modernes francisés, comme Clésinger, Kruger, Niger, Scaliger, Gérando, Magellan, Scager-Rack ou Urgel, Gibraltar ou Giralda. Mais le g garde le son guttural en tête des mots germaniques, Gemmi, Gerolstein, Gervinus, Gessler, Gessner ou Gewaert, et aussi Gebhart, quoique le t ne s’y prononce pas, et encore Gœttingue, Peer Gynt, ou Gibbon; de même dans d’autres mots non francisés, Engelmann, Hegel, Schlegel ou Vogel, Meiningen, Niebelungen, Bergen ou Rœntgen, Dœllinger ou Minnesinger, Erzgebirge, Szegedin ou Djaggernat, et Rigi, écrit aussi Righi, avec vergiss mein nicht.
[586] On a vu déjà que gangrène s’est longtemps prononcé cangrène, ce qui est le contraire de second prononcé segond; les médecins ont fini par imposer gan, mais l’Académie ne s’est inclinée qu’en 1878. D’autre part, frangipane s’est longtemps prononcé franchipane.
[587] De même Fig(e)ac, G(e)orges, Albig(e)ois, Clos-Voug(e)ot, et même Karag(e)orgewitch.
[588] On aurait pu écrire jôle, puisqu’on écrit enjôler.
[589] L’e étant nécessaire pour donner au g le son chuintant devant un u, il en résulte que gu ne saurait en aucune façon se prononcer ju, comme on l’entend parfois dans envergure, mot qui vient de vergue et non de verge.
[590] Même dans les noms propres étrangers, dans Gueldre, Guelfes, Guelma, Guerchin, Guernesey, Guerrero, Guevara, comme dans Guébriant, Guéménée, Guénégaud, ou Guérande, et même dans Figueras ou San Miguel, comme dans Vauvenargues ou Aiguesmortes, Kerguélen ou Linguet. Il n’y a d’exception que pour les mots latins ex ungue leonem, lapsus linguæ, et dans Vogüé, qui a un tréma sur l’u, faute de pouvoir en prendre sur l’é, qui a déjà un accent. En outre l’u se prononce ou dans Finiguerra.
[591] Il en est du nom propre Aiguillon comme du nom commun: il maintient son u, mais il a de la peine. De même Figuig, que les Allemands eux-mêmes écrivent à tort Figig (fighig).
[592] Y compris Guines, Guinegatte ou Guiscard et Guy de Maupassant, Guy Patin ou Guyton de Morveau, et même les ducs de Guise, quoique la localité d’origine ait la diphtongue ui: le nom commun guise a aidé à l’altération de ce mot. L’usage de M. Guizot n’a pas non plus sauvé l’u de son nom. Certains noms étrangers eux-mêmes ont cédé: Guichardin, d’ailleurs francisé, Guido Reni ou le Guide, Guildhall; mais l’u résiste dans Guipuzcoa. Pour Guyau, Guyot, etc., voir page 192, note 2.
[593] Ceci est tout à fait correct, l’étymologie étant aigue (eau) et non aigu (cf. évier). Aussi le mot a-t-il naturellement trois syllabes, et non quatre:
On prononce de même Falguière, Laromiguière ou Lesdiguières, Séguier ou Tréguier, et aussi Guieysse, Laguiole ou Manguio.
[594] On prononce également ghi dans Draguignan, et ghin nasal dans banc d’Arguin (et non Argouine), comme dans Gaguin ou Guingamp.
[595] Gua se prononce goua dans les noms italiens ou espagnols: Aconcagua, Managua et Nicaragua, Aguado, Guadalaxara, Guadalquivir, Guadarrama, Guadiana, Guaranis, Guardafui, Guarini, Guarnerius, Guastalla, Guatemala, Guatimozin, Guayaquil, La Guayra, etc., et même Guadeloupe, qui est pourtant francisé. Toutefois le son ghè a prévalu en France, au lieu de gouè, pour Paraguay et Uruguay, sauf dans les départements qui fournissent des immigrants à ces pays. Je ne parle pas de Lauraguais, qui devrait s’écrire Lauragais: c’est un nom français dont la prononciation ne saurait être douteuse. Guadet et Guay se prononcent avec ou sans u, mais pas avec le son ou. Liguori se prononce par go.
[596] Dans les noms propres, surtout étrangers, il se trouve devant d’autres consonnes, et s’y prononce: Longfellow, Mengs, Longwood, et même Augsbourg. On sait que dans Lon(g)wy il ne se prononce pas.
[597] De même Pygmalion, Agde ou Bagdad.
[598] Nous retrouverons l’n mouillé à la suite de l’N.
[599] Igname a toujours été mouillé, venant de l’espagnol: ig-name, indiqué par quelques dictionnaires, sans doute parce que ce mot n’est pas populaire, est une erreur. Le g s’isole encore dans Gnathon et Gnide, Ag-ni et aussi Anag-ni (quoique à tort), Ig-natief, Mag-nus et Mag-nence, mais non dans Agnès, prénom populaire. Dans Prog-né, il peut d’autant moins se mouiller que la meilleure forme est Procné.
[600] Pour signet et quelques autres mots, voir au chapitre de l’N.
[601] De même Ag-gée, Eg-ger, Fug-ger, Eg-gis. Les noms propres offrent parfois deux g devant d’autres voyelles, et ils s’y prononcent tous les deux: Hog-gar, Toug-gourt, et aussi Djag-gernat.
[602] On prononce de préférence dj dans Giacomelli, Giacomo, Giordiano, Giorgione, Giotto, Giovanni, et aussi Chioggia, Reggio, ou Ruggieri, où les deux g ne font qu’un. Borgia a toujours été francisé complètement en gi comme Scaliger en jèr.
[603] De même Borghèse, Alighieri, Arrighi, Ghiberti, Ghirlandajo, Missolonghi, Righi; de même Birmingham, Enghien, Ghika, Oubanghi, etc.
[604] Prononcez drèdnot. De même dans Wi(gh)t ou Wri(gh)t, Castlerea(gh) ou Ralei(gh) ou Connau(gh)t.
[605] On trouve pourtant imbroglio en trois syllabes dans Musset. Nous francisons également, à tort ou à raison, les noms propres les plus connus, Castigli-one, Cagli-ostro, Cagli-ari, moins peut-être Bentivoglio ou Tagliamento. Quant à Broglie, de l’italien Broglio, il se prononce broille et, quelquefois brog-lie. Vintimiglia s’est francisé en Vintimille mouillé, afin de garder son accent.
[606] Voir page 43, note 1.
[607] Et surtout des noms propres: Kehl, Bœhm, Ohnet, Frohsdorf, Spohr: voir aussi page 39, note 1. Après i et u, qui ne peuvent guère se fermer, l’effet de h ne se sent plus que fort peu: Schlemihl, Eckmühl.
[608] Pour sch, voir au CH, page 227; pour sh, voir à l’S, page 323.
[609] Voir ci-contre. Ranelagh se francise nécessairement à Paris. Malbrou(gh) se prononce quelquefois malbrouk, à tort.
[610] On peut ajouter que, même à l’intérieur des mots, l’h, évidemment inutile dans rhéteur ou Athènes, comme dans malheur ou inhabile, peut encore jouer son rôle, soit en empêchant aussi la liaison comme dans enhardir, soit en maintenant séparées des voyelles qui se fondraient sans cela, comme dans ahuri, cohue, dehors, rehausser, Rohan, Villehardouin. Il a même été ajouté pour ce motif dans un certain nombre de mots: cahoter et Cahors, ébahir, envahir, et surtout trahison, qui devient souvent au XVIᵉ siècle traï-son, en deux syllabes. Ce n’est pas une raison cependant pour prononcer bayut ou cayoutchouc, comme on fait quelquefois: c’est assez que la sauce mahonnaise soit devenue définitivement mayonnaise.
Ce n’est pas tout; si, après une voyelle, l’hiatus est tout ce qui reste de l’aspiration, il n’en est pas tout à fait de même de la consonne articulée. Par hasard se prononce bien comme par amour, sans doute à cause du grand usage qu’on fait de l’expression: ne dit-on pas, dans le peuple, à l’hasard de la fourchette? Mais par hauteur ne se confond pas avec par auteur, et avoir honte s’articule un peu autrement que fanfaron: il semble qu’après la consonne il y ait comme une espèce d’arrêt ou d’hésitation, une espèce d’hiatus, au sens de lacune. Cela est si vrai, qu’on entend parfois avoir honte, ce qui, évidemment, est excessif.
[611] On vient de voir que ceux même qui avaient un h en latin l’avaient perdu au moyen âge; ils l’ont repris depuis par réaction étymologique.
[612] C’est pourtant ce que fait malencontreusement Musset dans la Coupe et les Lèvres:
[613] Hiéroglyphe n’est pas aspiré dans La Fontaine, Fables, IX, 8:
on prononçait alors jéroglyphes, tout comme Racine prononçait Jérôme en écrivant Hiérosme, dans les Plaideurs, II, 4.
[614] Le mot hyène n’est pas dans le même cas que yacht, yak, yatagan, yole, yucca, youyou: nous avons vu plus haut, page 152 et suivantes, que ces mots, où l’y est semi-voyelle, sont toujours traités comme s’ils avaient un h aspiré, de même que oui dans certains cas, et quelques autres, particulièrement uhlan.
[615] Notamment dans ces mots sur lesquels on se trompe quelquefois: halle, hameau, hanche, hanneton, hanter, harasser, hardi, hareng, haricot, harnais, hasard, hibou, hideux, hoche, hochet, homard, honnir, honte, honteux, houe, houx, houblon. On se rappelle encore la «scie» du Moulin-Rouge: En voulez-vous de(s) zhomards? Ces erreurs ne sont pas nouvelles. Ainsi Scarron fait plusieurs fois l’h muet dans hallebarde, hardi, hasarder, haïr ou haine, sans compter une dizaine d’autres, et Voltaire dans harassé. V. Hugo, dans les Gueux, a encore fait l’h muet dans haridelle. Tous ces mots ont l’h aspiré. Pourtant, quand nous avons adopté récemment en géographie le mot hinterland, nous lui avons fait l’h muet.
[616] Quelques h aspirés nous viennent aussi d’ailleurs. Ainsi l’italien nous a donné halte; l’espagnol, hâbler et hamac (mais l’h est muet dans (h)idalgo, malgré Rostand, Cyrano, IV, 5, et dans (h)ombre); l’arabe, haschisch, haras, harem, henné, houri, housse; le hongrois, hongre, housard et hussard (mais heiduque a l’h muet); le tartare, horde; le valaque, hospodar. L’hébreu hosanna a l’h muet au moins au singulier, et la liaison s’impose dans un hosanna; mais j’avoue que le pluriel serait gênant.
[617] Dans exhausser (egzôcé), l’h est forcément devenu muet. On disait aussi la maison d’Hautefort, et on dit encore, à Paris, rue d’Hauteville, rue d’Hautpoul.
[618] Mais il n’a pas été toujours aspiré: Scarron le fait toujours muet.
[619] De même dans hoc et même hile: pouvait-on dire l’hile?
[620] Notamment celles de haste, hâtier, hernie, herse et hercheur. Pour certains mots, l’usage a varié. Ainsi Corneille aspire hésiter dans les premières éditions du Menteur, et il n’est pas le seul; Molière aspire hier, et d’autres poètes aussi, jusqu’à Banville (il s’agit naturellement de hier, monosyllabe: voir sur ce point notre article sur les Innovations prosodiques chez Corneille, dans la Revue d’histoire littéraire, 1913).
[621] Car il vient d’octo. Cet h a été mis devant uit, ainsi que devant uile (oléum), uis (ostium) et uître (ostrea), afin de distinguer ces mots de vit, vile, vis, vitre, à l’époque où l’u et le v n’avaient qu’un seul caractère dans l’impression, comme i et j; l’h marquait donc le caractère vocalique de l’u, et n’aspirait nullement ces mots.
[622] On prononce naturellement quatre-vingt-huit comme quatre-vingt-deux, et aussi cent-huit, sans liaison. Mais Scarron dit fort bien, dans Don Japhet d’Arménie:
et Mendès fait un vers faux, en même temps qu’une faute d’orthographe, quand il dit à la fin d’Hespérus:
[623] Le Dictionnaire général oublie l’h aspiré de héraut, comme celui de hersé et hersage; en revanche, il aspire mal à propos celui d’(h)anséatique, d’(h)umus et d’(h)urluberlu.
Il en est des noms propres comme des autres. Ceux qui sont d’origine latine ou grecque ont l’h muet: (H)arpagon, (H)ébé, (H)ébreux, (H)écate, (H)ippolyte, (H)orace, etc. Ceux qui sont d’origine germanique, et ce sont les plus nombreux, sont aspirés la plupart du temps: Habsbourg, Hainaut, Hampshire, Hanovre, Herder, Hollande, etc., etc., et aussi Hottentots, Huns, Hurons, Hurepoix. Il y a cependant une certaine tendance à supprimer leur aspiration. Ainsi l’h est muet dans (H)alifax, (H)amilton, (H)amlet, (H)astings, (H)ausmann, (H)ébrides, (H)écla, (H)ermann, (H)udson; a fortiori dans (H)arcourt, (H)arfleur et (H)onfleur, (H)autpoul, (H)éloïse, (H)enri, (H)érault, (H)ortense (et par suite hortensia), (H)yères, etc., et aussi dans (H)aïti. Il l’a été autrefois dans les expressions: toile d’(H)ollande ou fromage d’(H)ollande, point d’(H)ongrie et eau de la reine d’(H)ongrie; et Corneille écrit même, en prose, guerre d’(H)ollande, campagne d’(H)ollande. Mais cela n’a jamais passé pour nécessaire, et cela serait incorrect aujourd’hui. On ne saurait dire non plus, avec V. Hugo, dans la Marquise Zabeth:
Je pense que les noms géographiques, comme Hanovre et Hollande, subissent moins facilement ce traitement que les noms de personne, même Jeanne (H)achette ou (H)amlet, déjà cité. C’est pourquoi on critiquera encore ce vers de V. Hugo, dans le Prélude des Quatre Vents de l’Esprit:
Henri a été longtemps aspiré, et Voltaire l’aspire régulièrement dans la Henriade. Henriade est toujours aspiré, mais Henri ne l’est plus guère, et l’on dit avec élision: vive (H)enri IV! avec liaison: un (H)enri, deux (H)enri, c’est (H)enri. Pourtant le règne de Henri IV n’est pas encore inusité. L’h d’(H)enriette est encore plus muet que celui d’(H)enri et depuis plus longtemps. On a autrefois repris Molière, au témoignage de Richelet, pour avoir dit:
Aujourd’hui rien n’est plus naturel. Pour Hugo, l’usage n’est pas fixé.
[624] Dans les anciens textes, il ne se distingue pas typographiquement de l’i, mais il se prononce j tout de même.
[625] Aux noms propres français s’ajoutent naturellement les noms bibliques et anciens: Jacob, Japhet, Jéhu, Jephté, Jourdain, etc., y compris Joachim; Japet (quelques-uns disent yapè), Jason et Jocaste; Janus, Jugurtha, Juvénal, etc., et aussi Jansénius ou Jornandès.
[626] De même dans l’italien Bojardo, Porto-Ferrajo, Ghirlandajo, etc.; en tête des mots, dans l’allemand Jahn, Johannesburg, Johannisberg, Jungfrau, etc. (mais Juliers est français); dans Janina, Jassy et Sarajevo, qu’on peut écrire aussi par un i; dans Prjevalski, Nordenskjœld, Bjœrnstierne-Bjœrnson, Jonkœping, Solvejg, etc. Dans Ajaccio, Joconde et Majorque, le j est francisé, quoiqu’on prononce aussi Mayorque, à l’espagnole, dans le Midi (esp. Mallorca). On prononce aussi j dans Jagellons, Java, Jordaëns, Jutland.
[627] Ou James, Jefferson, John Bull, Jones, Johnson, etc. Mais Jenner et Jersey sont francisés aussi bien que Jamaïque. Le d s’écrit devant la chuintante dans les noms arabes: Djerba, Djérid, Djibouti, Djinns, Djidjelli, Djurdjura (écrit quelquefois Jurjura), Al-Djézireh, etc., et aussi quelquefois dans Djaggernat. Le j espagnol a un son guttural que nous n’avons pas l’habitude de conserver, notamment dans Juan, qui est francisé, et dans Juarez. On sait que ce j est la même lettre que l’x de Xérès ou Ximénès, que nous prononçons k.
[628] De même York, Cork: et même après une nasale: Monk.
[629] Dekkan s’écrit aussi Deccan, et les deux k s’y prononcent.
[630] Beaucoup de noms bretons commencent par Ker, qui signifie maison.
En anglais, au commencement des mots, kn se prononce n: (k)night, (k)nox, (k)nock-out.
[631] Pendant longtemps pluriel s’est écrit et prononcé plurier, par une fausse analogie avec singulier; mais cette orthographe a disparu depuis Vaugelas, et la prononciation en é, qui a continué quelque temps, s’est accommodée par la suite à l’écriture.
[632] Au XVIᵉ siècle, les mots col, fol, sol, n’étaient déjà plus que des graphies conventionnelles pour cou, fou, sou, et se prononçaient par ou, même devant les voyelles. On conte qu’un jour un instituteur reprit un écolier qui prononçait col, en l’invitant à prononcer comme s’il y avait un u, et l’écolier, docile, mit un u à la place de l’o. La prononciation par ol a été reprise depuis dans certains cas, pour des raisons d’euphonie, et même il est arrivé que col et cou ont fait deux substantifs différents. Pour -eul, il y a eu des exceptions, mais elles ont disparu: par exemple, on a dit long-temps linceu(l), filleu(l), tilleu(l), sans parler des l qu’on ajoutait à cheveu(l) ou moyeu(l). D’autre part, la finale -eul a été souvent mouillée comme dans Choiseul, et l’est encore dans Santeul; dans les noms communs elle est devenue -euil en pareil cas: ainsi chevreuil et écureuil, venus de chevreul (qui est resté comme nom propre) et d’écureul. D’autre part, linceul tend aujourd’hui encore à devenir linceuil. Dans Voltaire (Henriade, IV, 449-450), Bayeul rime avec Longueil, et Delille fait rimer chèvrefeuil avec tilleul (Paradis perdu, IV).
[633] Tapecu s’écrit même sans l. Mais l’l se prononce dans culbute, qui ne fait qu’un mot, autrefois culebute. Dans les noms propres, l’l final se prononce toujours, y compris les mots en -oul, Arnoul, Fortoul, Hautpoul, Mâchecoul, Mossoul.
[634] De même Du Barrail, Du Fail, Gail, Montmirail (le Montmirail de la Marne se prononce rèle, et celui de la Sarthe ral), Corbeil, Verceil, Foucher de Careil, Verneuil, Auteuil, Bourgueil; voir aussi page 92, note 4.
[635] Mais à quoi bon, puisqu’on ne dit pas dérèler?
[636] Et quelques noms propres, comme Nil, Anquetil, Myrtil, Daumesnil, Brésil, etc.
[637] L’l final se mouillait tout seul, même après d’autres voyelles que l’i: on vient de le voir pour la finale -eul. Rueil aussi est issu de Ruel.
[638] Ce changement a dû être aidé par le fait que le son mouillé semblait à tort nécessiter deux l.
[639] Il y en a même un qui a perdu complètement son l: c’est émeri. Le même phénomène s’est produit dans pou(il), genou(il), verrou(il), malgré pouilleux, agenouiller, verrouiller, à côté de fenouil, qui a repris et gardé le sien.
[640] Domergue distingue encore entre genti(l) garçon sans l et les gentil(s) avec l mouillé.
[641] Ménil avait aussi amui son l, qui revit ordinairement dans Ménilmontant, comme dans Daumesnil ou Dumesnil.
[642] Le pédantisme qui a essayé de ressusciter moult n’a pas manqué d’y prononcer aussi toutes les consonnes, et cela par pure ignorance.
[643] L’l ne se prononce pas non plus dans beaucoup de noms propres, notamment dans les noms en -auld et -ault, -ould et -oult, comme La Rochefoucau(ld), Châtellerau(lt), Arnou(ld), Guérou(lt), avec Yseu(lt); de plus, Chau(l)ne, Au(l)nay, Au(l)noy, Pau(l)mier, Pau(l)my, Fau(l)quemont, Gau(l)tier, de Sau(l)cy, et autres pareils, où cet l a été rétabli abusivement par les étymologistes du XVIᵉ siècle, qui ne le reconnaissaient pas dans l’u. On prononce également Be(l)fort, au moins dans l’Est. Mais on prononce l’l dans Foulques et dans Montgolfier. Pour Sainte-Menehould, les avis sont très partagés: mene-ou et mene-oul ont des partisans, même locaux, à côté de menou, qui est la vraie tradition: seul le d paraît n’être encore jamais admis.
[644] On sait que, dans un mot comme faulx, l’l du latin est représenté trois fois: une première fois dans l’x, qui n’est un x que par une confusion d’écriture due au moyen âge, où x remplaçait us; une seconde fois par l’u, qui n’est qu’un l vocalisé; une troisième fois par l’l. Ainsi chevals est devenu chevax pour chevaus, puis chevaux, puis même pendant quelque temps chevaulx. Dans aulne et faulx, et aussi dans Chaulne et autres, cet l a la même valeur que dans chevaulx.
[645] Ni rou-lier avec rouiller, fourmi-lier avec fourmiller, fusi-lier avec fusiller, pi-lier avec piller, ou même rallier avec railler. Mais on dit indifféremment arcade sourci-lière ou sourci-yère: cette exception est justifiée par le voisinage de sourcilleux ou sourciller, qui ont les ll mouillés, sans compter que celui de sourci(l) le fut aussi jadis. D’autre part, il y avait autrefois un verbe rouiller, sans rapport avec rouille: on disait rouiller les yeux; ce verbe s’est confondu avec rou-ler.
[646] Que Michaëlis et Passy mettent consciencieusement sur le même pied que celui, de même qu’ils acceptent mi-lieu et mi-yeu, fami-lier et fami-yer, etc.
[647] Enregistré aussi par Michaëlis et Passy.
[648] On a vu plus haut des cas analogues, à propos de l’e muet: voir pages 182 et 183.
[649] On évitera aussi le changement de l en n, comme dans caneçon et nentilles, qui sont fort anciens tous les deux; ou encore l’agglutination de l’article avec le mot, phénomène qui nous a donné landier, lendemain, lendit, lierre, lingot, loriot, luette, mais non lévier: ce serait assurément tout aussi naturel, mais le mot évier a été jusqu’à présent plus heureux que les autres, et on fera bien de laisser le lévier à la cuisinière.
[650] De même dans les noms propres: Noailles, Versailles, Corneille, Marseille, etc., Baillet, Bailly, Neuilly, etc., avec Pauillac.
[651] Autrefois il y en avait bien davantage, par exemple genti(l)le avec genti(l)lesse, angui(l)le et pasti(l)le, qu’on ne connaît plus du tout, avec camomi(l)le et Cami(l)le, qu’on n’entend plus que très rarement.
[652] Avec les noms en -ylle, également savants, siby(l)le, idy(l)le, chlorophy(l)le et psy(l)le.
[653] Il y avait aussi imbéci(l)le qu’on a réduit à imbécile: pourquoi pas aussi bien tranquile?
[654] La prononciation non mouillée de ville s’est naturellement transmise à tous les noms propres dont il fait partie, et à d’autres aussi par analogie: Chavi(l)le, Navi(l)le, Grévi(l)le, Latouche-Trévi(l)le, Bellevi(l)le, Tocquevi(l)le, Boutevi(l)le, Calvi(l)le, Chervi(l)le, etc., comme Vi(l)lefranche, Vi(l)ledieu, Vi(l)lehardouin, Vi(l)leneuve, etc. Il s’est même produit ici un phénomène inverse de celui qui se produit d’ordinaire: un mot à finale mouillée qui a cessé de se mouiller. C’est assurément la prononciation de ville, qui a fait altérer celle de Séville, quoiqu’il n’y ait aucun rapport entre eux. L’espagnol mouille Sevilla, et Corneille, dans le Cid, ne s’y trompe pas: il fait rimer Séville avec Castille et non avec vi(l)le (voir acte II, scène 6). Or aujourd’hui les chanteurs parlent du Barbier de Sévi(l)le, et la Comédie-Française en fait autant. C’est, en somme, une grave erreur, et tant que l’espagnol sera là pour maintenir le son véritable, j’estime qu’on doit essayer de faire prévaloir la prononciation correcte, qui est mouillée. Je pense qu’il faut mouiller de même Surville. Le son mouillé s’est d’ailleurs maintenu dans deux mots de la langue en -ville: cheville et recroqueville.
Aux noms propres en -ville, il faut joindre I(l)le-et-Vilaine, Achi(l)le, Cyri(l)le, Deli(l)le, Gi(l)le, pris souvent comme nom commun, Li(l)le, qui est mis pour l’île, et Li(l)lebonne, Mabi(l)le, Régi(l)le, Exi(l)les, avec Trasy(l)le et Bathy(l)le. Faucilles est confondu à tort avec le nom commun faucille, et devrait s’écrire Fauciles, mais il est difficile de réagir, étant donnée l’orthographe.
[655] Ajouter la plupart des noms propres: Aurillac, Billaut, Billot, Billy ou Debilly, Bobillot, Chantilly, Condillac, Gentilly, Guillaume, Guillaumet, Guilleragues, Guillot, Guillotière, Guillotin (et guillotine), Marillac, Millot, Milly, Sillé, Sillery, Tilly, Varillas, Villeurbanne, et tous les noms en -illon, sauf Di(l)lon, qui n’est pas français, mais y compris Villon. Il est vrai que Vi(l)lon est, en fait, beaucoup plus répandu aujourd’hui, toujours à cause de ville, comme pour Séville; mais Villon est sans rapport avec ville, et d’autre part ce poète fait toujours rimer son nom, non pas avec des mots en -lon, mais avec des mots en -illon (i-yon). Il y a donc là une erreur qu’on doit corriger, puisqu’il s’agit d’un nom propre dont le son est toujours vivant dans les vers du poète, et que, d’ailleurs, ce nom suit tout simplement la règle générale. C’était aussi l’avis de Gaston Pâris.
[656] J’en puis dire autant pour Santillane et Melilla, qu’on ne mouille guère, sous prétexte que ce sont des noms étrangers, et qu’on devrait mouiller. Pourtant on mouille ordinairement Zorilla et Murillo.
[657] Voir plus haut, page 190, ce qui a été dit de fuyions, fuyiez.
[658] Pourtant cu-iller et cu-illerée prononcés par u ne sont pas très rares; quelques-uns même prononcent keu-yèr, mais ceci est détestable.
[659] De même qu’on prononce Ju-illy et non Jui-lly. Sans l’i, on prononcerait ju-let et ju-ly. Ainsi les ll de Sully sont mouillés dans la prononciation locale (Bourgogne), et Domergue les mouille encore; mais faute d’i, Su-ly a prévalu en histoire, comme dans le prénom. D’autre part Boilly se prononce boi-yi.
L’exemple de Sully montre que l’i n’était pas plus nécessaire autrefois pour mouiller l’l double que pour mouiller l’l final; et Bernoulli se prononce en mouillant, comme olla podrida, qui a donné oille (o-ye) en français. Oille est d’ailleurs le seul mot de cette finale, car La Trémoille se prononce et peut s’écrire La Trémouille, et Maroi(l)les n’est pas mouillé. En espagnol, l’l double est aussi mouillé sans i, et beaucoup de personnes, même en France, mouillent correctement Valladolid, comme s’il y avait un yod: cf. Mallorca, qui est Majorque, prononcé mayorque dans le Midi.
[660] C’est probablement le voisinage de mille et ville, qui a permis à Mi(l)lais, Mi(l)let, Mi(l)lerand, Mi(l)levoye, Mi(l)lin, à Vi(l)lars, Vi(l)laret-Joyeuse, Vi(l)lèle, Vi(l)lemain, Vi(l)lette, Vi(l)loison, Vi(l)lemessant, Vi(l)lers, Vi(l)lers-Cotterets, Vi(l)lersexel, etc., de se maintenir sans se mouiller. De même Li(l)lers. On ne mouille pas non plus les noms en -viller à r sonore: Bischvi(l)ler, Bouxvi(l)ler, Frœschvi(l)ler, Guebvi(l)ler; et on a tort trop souvent de mouiller les noms en -villier (vilié et non vi-yé): Vi(l)liers, Aubervi(l)liers, Beauvi(l)liers, Brinvi(l)liers, Cuvi(l)lier, etc., auxquels se joignent I(l)liers et Baraguay d’Hi(l)liers, avec Largi(l)lière ou La Vri(l)lière. Dans Mil-lesimo, Vil-lafranca, Vil-laréal ou Vil-laviciosa, on prononce les deux l.
[661] De même dans Il-lyrie ou Il-linois, comme dans Amaryl-lis ou Syl-la, l’l double ne se mouillant pas après un y. On ne mouille pas non plus Pi(l)lnitz ou Gri(l)lparzer.
[662] C’est cette analogie même qui a contribué à réduire à un les deux l, qu’on prononce en italien; c’est à tort que le Dictionnaire général maintient les deux l en français, sans doute au nom de l’étymologie.
[663] Michaëlis et Passy eux-mêmes sont obligés de faire de graves concessions. Nous irons plus loin: au lieu d’examiner les cas où la lettre se prononce double, nous énumérerons ceux où elle se prononce simple, qui sont les moins nombreux.
[664] On dit aussi avec un seul l: A(l)lainval, A(l)lard, A(l)lier, Ca(l)lot, Ga(l)let, Ga(l)lifet, Ga(l)li-Marié, et, en général, les noms propres français et allemands, et aussi Wa(l)lons; on dit même le plus souvent Sa(l)luste, quoique cette réduction soit rare dans les noms propres anciens, et aussi Walha(l)la.
[665] Et aussi dans Be(l)ley, Du Be(l)lay, que beaucoup de gens écorchent, sans compter les dictionnaires, dans Be(l)leau, Be(l)lone, Be(l)lune, De(l)lys, Ke(l)lermann, Pe(l)lisson, Le Te(l)lier, et, par suite, papier te(l)lière. L’l reste double dans les noms italiens: Bel-lini, Paësiel-lo, Zingarel-li. Je rappelle que l’e reste muet, et par conséquent l’l simple dans Chaste(l)lain, Eve(l)lin, Ge(l)lée, More(l)let et Montpe(l)lier.
[666] Avec Bertho(l)let, Co(l)lé, Co(l)lot d’Herbois, Ho(l)lande, Mio(l)lis, Ro(l)lin, Ro(l)lon, et ordinairement Champo(l)lion, parfois même Po(l)lux, quoique ancien.
[667] Et aussi Lu(l)ly ou Su(l)ly.
[668] Le pronom de la troisième personne est, en effet, i tout court, pour le peuple: i(l) vient, sauf devant un l; donc, à i ll’a, correspond tu ll’as.
[669] Tandis que Llorente se prononce liorante.
Il convient de distinguer ll anglais, qui se prononce l, de ll catalan (y compris les Basses-Pyrénées), qui fait li.
[670] Ni L(h)éritier ou L(h)omond ou L(h)uillier; mais on mouille les noms méridionaux. Et il faut noter que, là encore, après a, e, u, un i s’intercale entre la voyelle et l’l: à côté de Paladilhe, Milhau, Marilhat, Jumilhac, on a Cailhava, Gailhard, Pardailhac, Pardailhan, Meilhac, Meilhan, Treilhan, Bouilhet, Genouilhac. Toutefois, là non plus, l’i n’était pas nécessaire, et il est souvent ajouté: Pardailhac, par exemple, s’écrivait Pardalhac; seulement jamais les Parisiens ne mouilleront lh sans i, et on ne prononce pas Nolhac autrement que nolac. Je pense que Greffulhe est dans le même cas. Pour le groupe -gli-mouillé, voir plus haut, page 246.
[671] Voir pages 129-130, et pour Joachim, page 225, note 2.
[672] De même Ham, Abraham ou Priam, Ozanam ou Annam, Jérusalem ou Château-Yquem, Ephraïm ou Arnim, Herculanum ou Epsom. A fortiori Malcolm.
[673] Voir encore page 129, note 2. Le b ou le p ne font pas forcément nasaliser certains mots étrangers, comme Bembo, Lemberg, Pembroke, Schomberg et Schaumbourg, Kimberley, et autres moins connus. Voir les noms nasalisés, pages 135, note 1, 144, note 2, 146, note 3, 148, note 4, et 149, note 1.
[674] Ce sont presque tous des mots latins, ou des noms propres étrangers: Flamsteed, Kamtschatka et Kamtschadales, Ramsay, Ramsès, Ramsgate; Emden, Ems, Kremlin, Memling, Nemrod, Potemkin, Semlin, Tlemcen; Himly, Timgad; Cromwell, Omsk et Tomsk, etc.
[675] Hymne rimait avec -ine ou -inne, et Ronsard écrit volontiers hynne ou hinne. Il en était de même de di(g)ne ou si(g)ne: voir plus loin, au chapitre de l’N.
[676] Sur ce mot, voir page 75.
[677] De même dans Agamem-non, Clytem-nestre, Com-nène, Vertum-ne.
[678] Ch. Nyrop cite l’anecdote suivante: «On demandait à une dame comment elle se portait.—Oh! répondit-elle, je souffre beaucoup d’un rhumatisse.—En ce cas-là, Madame, lui répondit-on, faites beaucoup d’exercisme.»
[679] Voir plus haut, page 132.
[680] Naturellement on dit Em-ma ou Em-maüs, mais plutôt E(m)manuel, comme E(m)melines et Je(m)mapes.
[681] Le Dictionnaire général indique l’m double dans tous et même dans gram-maire, ce qui est un peu surprenant. On ne prononce généralement qu’un m dans Gra(m)mont ou La(m)mermoor, mais deux dans Am-mien, Am-mon, Am-monites, Cim-mériens, Sym-maque.
[682] D’ailleurs, pour conserver la nasale, on devrait écrire plutôt in-mangeable, comme on écrit inlassable (exemple unique et déplorable, encore inconnu des dictionnaires), à côté de il-lisible et il-logique, qui pourtant ont été formés directement, eux aussi, sur des mots français. Puisque l’occasion s’en présente, je voudrais joindre ma protestation à celle d’Émile Faguet contre l’intrusion extraordinaire de ce barbarisme inutile, à la place d’infatigable, qui était excellent. Mais c’est un fait qu’on ne peut plus, aujourd’hui, ouvrir un livre ou un journal sans y trouver inlassable ou inlassablement, et qu’infatigable a complètement disparu. Qui nous dira pourquoi?
[683] Le Dictionnaire général, qui admettait les deux m dans gram-maire, les refuse dans ces deux mots. Ajoutons que, dans les cafés, on entend souvent consom-mation, ce qui est fort prétentieux.
[684] Et aussi dans Co(m)mines, Co(m)mentry, Co(m)mercy, Co(m)minges.
[685] Voir au chapitre des nasales, page 138, note 1.
[686] Aden, Andersen, Backhuysen, Baden, Barmen, Baylen, Beethoven, Bergen, Brocken, Carmen, Chephren, Cobden, van Diemen, Dryden, Gretchen, Hohenstauffen, Ibsen, Mommsen, Niebelungen, Niemen, Posen, Reischoffen, Thorwaldsen, Tlemcen, Yémen, etc., avec Anne de Boleyn. On peut y joindre au besoin Haydn, qu’on prononce quelquefois Hayden: il paraît qu’Haydn a signé une fois Hayden; mais cette prononciation est aujourd’hui surannée. Les moins connus de ces noms propres en -en doivent se prononcer de préférence à l’allemande, c’est-à-dire en faisant à peine entendre l’e: Meining(e)n et même, Niebelung(e)n. Dans Wi(e)sbade(n), l’n ne se prononce pas.
[687] Ahriman, Flaxman, et surtout les noms en -mann, bien entendu.
[688] Voir au chapitre des nasales, page 146, note 1.
[689] Voir au chapitre des nasales, page 148. A l’époque où la consonne finale se prononçait dans tous les noms de nombre, y compris deux et trois, elle se prononçait aussi dans un, sous la forme eune, d’abord; aujourd’hui encore, on marque la mesure par une, deux, ce qui est certainement un reliquat de l’ancienne prononciation de un.
[690] L’n n’est final après consonne que dans quelques noms propres. Or il est muet dans la prononciation locale de Tar(n) et Béar(n). Mais cette prononciation ne s’est pas imposée au reste de la France, et les personnes instruites, originaires de la région où coule le Tarn, prononcent couramment Tarne, et surtout Tar-net-Garonne. De même Elorn, et, a fortiori, les noms étrangers, Horn, Paderborn, Severn ou Lincoln. Cependant les maisons nobles de Béar(n) et d’Isar(n) continuent à omettre l’n.
[691] Voir encore au chapitre des nasales, pages 138 et 139.
[692] Et encore pas toujours: voir page 132. Mais il est distinct dans beaucoup de noms étrangers, comme Stanley, Bentivoglio, Appenzell: voir au chapitre des nasales, pages 135, 145, 146, 149.
[693] De même Logroño ou Angra-Pequeña. En portugais, le même son est représenté par nh, et señor s’écrit senhor; il faut donc mouiller Minho ou Tristan da Cunha.
[694] On ne saura jamais pourquoi tel verbe est en -onner et tel autre en -oner.
[695] Et aussi dans les noms anciens: Han-non, Pan-nonie, Perpen-na, Porsen-na, Sen-naar, Sen-nachérib, Apen-nins, En-nius, Bren-nus, Cin-na, Cincin-natus, Erin-nye, etc. Toutefois A(n)nibal est tellement connu qu’on y prononce généralement l’n simple. L’n est encore double assez souvent dans An-na, An-naam, An-napolis, San-nazar, Lin-né, Con-necticut, Yun-nan, etc. L’n est simple dans A(n)nonay, A(n)nunzio, Je(n)ner, Je(n)ny, Te(n)nyson, Fi(n)nois, Co(n)naught.
[696] Voir pages 244-245. On mouille donc par exemple dans Borgnis-Desbordes, Ignace, Lusignan, Marignan, Magnésie, Magny, Marigny, etc., et dans les noms italiens comme Agnadel, Foligno, Legnano, Mantegna, Mascagni, Orcagna, Signorelli, etc., et Pugno.
[697] Voir pages 48 et 87. La graphie de gn mouillé a été aussi ngn: c’est ainsi qu’on écrivait ivro-ngne; on sait que gagner s’écrivait aussi bien ga-ngner que gai-gner, voir même gai-ngner. Le groupe ngn s’est conservé dans Boullo-ngne, sans nasaliser l’o; mais on prononce aujourd’hui Bron-gnart.
[698] Quoique les poètes fassent très bien rimer ce mot avec les mots en nie.
[699] Ceci reste d’un temps où l’on prononçait si(g)ne et di(g)ne, mali(g)ne et béni(g)ne, et même cy(g)ne, qui rimaient avec -ine, ainsi que hy(m)ne. On sait que dans les armes parlantes de Racine, il y avait un rat et un cygne, et l’on se rappelle sans doute qu’il eût préféré un sanglier! Jusqu’au XVIIIᵉ siècle, on prononça si(g)ner et assi(g)ner. On prononça de même Re(g)nard jusqu’au XIXᵉ siècle, et Re(g)naud, comme co(g)noistre. Mais tandis que le g de cognoistre disparaissait de l’écriture, les noms propres gardaient le leur; aussi leur est-il arrivé le même accident qu’à Montaigne: l’orthographe a altéré leur prononciation. Aujourd’hui Re(g)nard ne se comprendrait plus; encore n’est-ce pas un motif pour changer l’e muet en e fermé, et dire Régnard pour Regnard, comme il arrive trop souvent: nous avons déjà vu cela, page 170.
[700] Malgré le Dictionnaire général.
[701] De même Fécam(p), Decam(ps), Guingam(p), Loncham(p), Descham(ps), Cham(p)cenetz, Cham(p)fleuri, et aussi Cham(p)meslé et autres pareils, et encore Dupanlou(p) et Tro(p)long. Mais le p se prononce dans Champlain.
[702] Et Gap. Mais il n’y a pas si longtemps qu’on disait encore un ce(p) de vigne, à cause de la consonne qui suit.
[703] Avec Alep ou Tromp, a fortiori Rapp ou Krupp, sans compter Le Cap, bien entendu.
[704] Il a été muet même dans Égy(p)te ou sce(p)tre, et on a prononcé quelque temps conce(pt), ra(pt) et abru(pt): cf. succin(ct), exa(ct), respe(ct), etc. Il était muet aussi dans nie(p)ce et no(p)ce, dans e(s)cri(p)ture et aussi dans a(p)vril et ne(p)veu, où il n’avait que faire, ce qui ne l’a pas empêché de se maintenir dans Lene(p)veu. Le p initial a aussi été longtemps muet dans (p)saume et (p)sautier (cf. tisane et Phalsbourg, où il est tombé): on disait surtout, et même on écrivait les Sept Seaumes, si bien que quelques-uns, au témoignage de Henri Estienne, en vinrent à dire un sesseaume, ce qui en somme n’est pas plus extraordinaire que de dire un cent-garde. Aujourd’hui le p initial tombe parfois, mais très familièrement, dans un (p)’tit gars et autres expressions pareilles.
[705] Y compris Saint Jean-Ba(p)tiste et Anaba(p)tiste.
[706] Je ne sais où Michaëlis et Passy ont entendu ces mots sans p. Ajouter, naturellement, Septimanie et Septime-Sévère.
[707] Malgré Michaëlis et Passy.
[708] Ces mots sont peut-être les seuls qu’indique le Dictionnaire général. Notons pourtant qu’on prononce fort bien hi(p)podrome, hi(p)popotame et Hi(p)polyte avec un seul p.
[709] Le p se double ordinairement dans Ap-pien, Ap-pius, Philip-piques, dans Mazep-pa, dans les mots italiens comme Bep-po, jamais dans Co(p)pée, ni par suite dans Co(p)pélia, ni dans Co(p)pet.
[710] Pourquoi pas filosofie aussi bien que fantaisie?
[711] Notamment dans co(q) d’Inde, aujourd’hui remplacé par dinde ou plutôt par dindon; mais on a presque toujours dit coq de bruyère. Au pluriel, on disait des cô.
[712] Voir ce qui est dit de neuf, page 233: cinque francs, très répandu, est particulièrement désobligeant pour une oreille délicate. On distingue aujourd’hui cinq mars, qui est la date, et Cin(q)-Mar(s), nom propre, qui a conservé la prononciation traditionnelle. Dans Lecocq, Lestocq, Vicq-d’Azyr, Ourcq, et autres, le q ne change rien au c, et dans Lecler(cq), ils ne se prononcent ni l’un ni l’autre.
[713] Dans piqûre, sous prétexte de pas mettre deux u de suite, on a fondu ensemble celui du groupe qu et celui du suffixe -ure.
[714] Voir plus haut, p. 241. On évitera plus encore de prononcer t ou ti pour q, surtout dans qui suivi d’une voyelle, comme dans cintième!
[715] Outre les mots latins, quinquennium, tu quoque, in utroque jure, cuique suum, etc.
[716] On prononce ké dans tous les noms propres français et la plupart des étrangers, comme Québec ou Albuquerque. Il y a pourtant un nom français où l’on prononce très souvent l’u: c’est Quercy; or il est fort rare qu’on le prononce dans Q(u)ercinois, même quand on le fait dans Quercy: n’est-ce pas kerci qu’on devrait dire, et que vient faire ici cette prononciation savante ou étrangère? On prononce encore l’u dans Queretaro, Susquehannah, Torquemada, mais plus guère dans Angra-Pequeña ou Antequera. L’u se prononce ou dans Queensland et tous les composés de queen, et aussi dans quetsche, qui est plus allemand que français.
[717] Que Michaëlis et Passy consentent à réduire à trois syllabes: ob-sé-kyeu!
[718] On prononce sans u tous les noms français: Aq(u)itaine, Créq(u)i, Esq(u)irol, Forcalq(u)ier, Montesq(u)ieu, Q(u)iberon; tous les noms en quin, y compris Tarq(u)in, Thomas d’Aq(u)in ou le Dominiq(u)in; tous les noms commençant par Quin- (sauf La Quintinie), etc., et aussi Esq(u)imaux, et même Chuq(u)isaca, ou Q(u)ito. On fait entendre l’u dans les noms latins: Esquilin, Quintus, Quirinal, Quirinus et Quirites, Tanaquil et Tarquinies, malgré Tarq(u)in, et aussi Quinte-Curce et Quintilien, qui ont été longtemps francisés; mais on prononce généralement Aq(u)ilée sans u. On prononce encore l’u dans les noms étrangers, Aquila, Aréquipa, Essequibo, Esquiros, Iquique.
[719] Parce que, même en latin, nous le prononçons ainsi, de même que quum s’articule come. Il est vrai que quelques-uns le prononcent depuis quelque temps cuo ou couo, je ne sais pourquoi: tant que notre manière détestable de prononcer le latin se maintiendra, c’est co qui existe seul, notamment dans Q(u)o vadis.
[720] Malgré Michaëlis et Passy.
[721] Du temps où florissait la loterie, q(u)aterne était trop populaire pour se prononcer avec ou. D’autre part, dans les mots qui commencent par quinqua, l’u ne peut guère se prononcer dans la seconde syllabe autrement que dans la première: il y faudrait un effort qu’on ne fait pas, et c’est deux fois u qu’on entend le plus souvent.
[722] L’u se prononce également ou dans les mots latins Quades, Quadrifrons, Séquanes ou Séquanaise, Torquatus, et aussi dans Brown-Séquard, Griqualand, don Pasquale ou Quarterly-Review.
[723] Pendant très longtemps l’r a été muet dans les mots en -ir, -oir et -eur à féminin -euse (probablement par confusion entre -eur et -eux). Etienne Tabourot, sieur des Accords, raconte, dans ses Bigarrures et Touches, qu’il a vu une enseigne, d’opticien sans doute, représentant des chats qui sciaient du bois, ce qui signifiait clairement: Aux chats scieux. Ce sont probablement les infinitifs en -ire et -oire qui ont provoqué la reviviscence de l’r dans ceux en -ir et -oir: seul sortir, pris substantivement, a résisté quelque temps. Quant aux mots en -eur, ce sont les grammairiens qui ont rétabli l’r, en distinguant le langage familier du langage soutenu, où ils exigeaient l’r partout; mais l’ancienne prononciation n’avait pas encore disparu du bon usage après la Révolution: «Un porteu, un porteu d’eau, le procureu du roi, c’est, dit Domergue, la prononciation de l’afféterie ou de l’ignorance.» Elle ne subsiste plus aujourd’hui que dans monsieu(r) et messieu(rs); mais péteux et oublieux ne sont qu’un reliquat de l’ancienne prononciation, ainsi que faucheux, doublet de faucheur. Pour piqueur, voir plus haut, p. 94. Dans les mots en -ar, -air, -or, -ur et -our, l’r s’est toujours prononcé. Cependant on a dit o(r) ça; on a aussi supprimé l’r dans pour: Tabourot, dans ses Bigarrures, assimile poulets trépassés à pou(r) les trépassés; et le peuple fait encore volontiers cette suppression, ainsi que dans bonjou’ M’sieu. Quant à su(r), qu’on entend encore dans le peuple devant un l (su l’ banc, su l’ journal), il est possible qu’il vienne de sus plutôt que de sur.
[724] Il s’y est longtemps prononcé, et avec é fermé: aimér. Et même l’r était tombé dans les autres infinitifs, comme dans les mots en -oir et -eur, avant de tomber dans les infinitifs en -er. Et justement il a revécu partout, tandis qu’il achevait de tomber dans les infinitifs en -er, sauf à la rime, où on ouvrait l’e.
[725] Où l’s n’est que la marque du pluriel. On y ajoute poulaille(r) et oreille(r), qui ont perdu leur i dans l’orthographe, tandis que quincaillie(r), joaillie(r) et les autres le gardaient: la prononciation est d’ailleurs la même. Au contraire cuiller, qui avait aussi le suffixe -ier à l’origine (d’où la prononciation ancienne cui-yé), est passé, sans doute à cause du genre féminin, à la catégorie des mots où l’r se prononce. On ne prononce pas non plus l’r dans les noms propres français en -ier ou -iers, qui ont apparemment le même suffixe: Fléchie(r), Pradie(r), Forcalquie(r), Poitie(rs), etc., etc., et aussi Ténie(rs); les monosyllabes Fier et Thiers n’appartiennent pas à cette catégorie, non plus que l’adjectif fier, dont nous allons parler.
[726] Le XVIIᵉ siècle faisait ordinairement sonner l’r dans l’adjectif léger, et l’Académie le maintint jusqu’en 1762. De même dans les adjectifs entier, altier, etc., sauf premie(r) et dernie(r), mais y compris plurier lui-même, au moins pendant quelque temps. Cela était particulièrement naturel pour entier et altier, qui n’avaient pas le suffixe -ier, l’un venant d’integrum, l’autre de l’italien altiero. L’Académie maintient encore en 1762 l’r d’altier qu’elle ne laisse disparaître qu’en 1835. Ainsi tous les adjectifs en -ier ont fini par suivre l’analogie des substantifs, à l’exception de fier et cher. Mais quand on rencontrera chez les classiques ou chez Voltaire la rime de cher avec léger, ou celle de fier avec altier, on devra se rappeler que ces rimes étaient parfaitement correctes dans la prononciation normale, tandis que les rimes dites normandes, comme celle de cher avec arrache(r), n’étaient correctes qu’au moyen d’une prononciation spéciale adoptée ou conservée pour les vers: arrachèr, avec r sonore, prononciation toujours discutée, mais encore admise au début du XVIIIᵉ siècle. Je n’ai pas besoin de dire que dans V. Hugo ces rimes ne sont plus des rimes:
Ç’a été le tort de tous les poètes du XIXᵉ siècle de s’imaginer que tout ce qui était bon chez les classiques devait être bon chez eux, comme si la prononciation était la même.
Les noms propres français en -cher et -ger font naturellement comme les noms communs: Bouche(r), Fouche(r), Rouche(r), Ange(rs), Bérange(r), Roge(r), etc., avec Suge(r), sur lequel on se trompe trop souvent. Alge(r) s’y est ajouté, après quelque hésitation, ce qui a probablement entraîné Tange(r), sur lequel on a hésité plus longtemps. On prononce l’r dans Murger, qui n’était pas du tout un nom allemand; mais l’auteur lui-même y a consenti, pour donner à son nom une allure plus romantique. On prononce aussi l’r dans les monosyllabes Cher et Gers, et dans Saint-Eucher.
[727] On vient de voir dans la note précédente que entier et altier s’étaient détachés du groupe.
[728] Dans ces mots et les précédents, l’e s’est ouvert dès le XVIᵉ siècle, et l’r s’y est toujours prononcé. On prononce aussi l’r dans les noms propres français qui ne sont pas en -ier, -cher ou -ger: Rouher, Auber, Antifer, Lillers, Frœschwiller et tous les noms en -viller, Boufflers, Locmariaquer, Saint-Omer, Quimper, Prosper, Nevers, etc., ainsi que Fier, Thiers, Reyer, Cher, Saint-Eucher et Gers, comme les adjectifs fier et cher, et apparemment pour la même raison. Quant à Gier on prononce Gier pour la rivière et Rive-de-Gie(r) pour la ville! Contrairement à la règle, on ne prononce pas l’r dans Gérar(d)me(r) ni dans Rambervi(l)le(rs), ni, croyons-nous, dans Saint-Seve(r) comme dans Tasche(r).
[729] La différence entre les mots étrangers francisés et ceux qui ne le sont pas porte seulement sur la manière de prononcer l’e: voir pages 66 et 67. On prononce l’r naturellement dans tous les noms propres anciens, bibliques ou étrangers, même s’ils sont en -cher et -ger, comme Pulcher et Blücher ou Clésinger, Egger, Fugger, Kruger, Scaliger, etc., sauf Alge(r) et Tange(r).
[730] Nous avons vu aussi que les finales en -ier où l’r ne se prononce pas, pouvaient, elles aussi, être suivies à l’occasion d’une s, qui est alors la marque d’un pluriel, et par suite ne change rien à la prononciation: c’est le cas par exemple de volontie(rs) ou de Poitie(rs); de même Ange(rs). Dans les autres cas, l’r suivi d’s se prononce, comme on l’a vu, notamment dans les monosyllabes tier(s), Thier(s), Ger(s).
[731] Voir ci-dessus, page 159. Ajoutons qu’il faut éviter aussi de remplacer corridor par colidor.
[732] On disait aussi a(r)bre et ma(r)bre, que Vaugelas n’approuvait pas.
[733] On sait que l’r tombe aussi dans Ma(r)lb(o)rou(gh).
[734] Ils s’y sont toujours prononcés, et on sait qu’autrefois ils se prononçaient même à l’infinitif: quer-re, cour-re.
[735] Cf. a(r)ranger, a(r)rêt, a(r)rière ou de(r)rière, a(r)river, a(r)rondir, a(r)roser, etc., et ba(r)rer, ca(r)ré, ja(r)ret, ga(r)rotter, cha(r)rue, cha(r)ron, la(r)ron, ma(r)ron, pa(r)rain, pa(r)ricide, sa(r)rasin, sa(r)rau, etc., et même dia(r)rhée, mot savant, mais très ancien.
[736] Il en résulte que j’er-rais, nous er-rons, diffèrent bien peu de j’errerai, nous errerons, où l’e est nécessairement muet; on fera bien de ne pas employer ce verbe au futur ni au conditionnel, de même que le verbe abhor-rer.
[737] Pourtant le Dictionnaire général donne seulement te(r)reur et te(r)rible, et d’autre part il admet uniquement er-reur. Des mots comme pe(r)ron, pe(r)roquet, pe(r)ruche, pe(r)ruque, se(r)rer, se(r)rure, ve(r)rat, ve(r)rier, ve(r)roterie, ve(r)rou, sont restés intacts. De même la plupart des noms commençant par Fer- ou Per- comme Clermont-Fe(r)rand ou Pe(r)rault.
[738] Je ne parle pas de courrai, exception signalée plus haut: voir page 297.
[739] L’r se prononce volontiers double dans les noms anciens: Par-rhasius, Var-ron, Ver-rès et Ver-rines, Pyr-rha, Pyr-rhon, Pyr-rhus et Tyr-rhéniens, et Bur-rhus, dans Guer-rero ou Her-rero, peut-être dans Sor-rente et Sur-rey, mais pas plus dans Ga(r)rick, Bo(r)rhomées ou Co(r)rège, que dans Guillaume de Lo(r)ris ou Co(r)rèze.
[740] Domergue note que de son temps quelques actrices, «fidèles aux mauvaises traditions», prononçaient encore l’s de Grecs et de Romains. On ne prononce l’s du pluriel qu’en liaison; nous en parlerons ailleurs. Ajoutons que l’s du pluriel, quand on cessa de le prononcer, eut longtemps pour effet d’allonger la voyelle finale; cet allongement, qui a disparu de la prononciation courante depuis le XVIIIᵉ siècle, se conserve encore dans certaines provinces.
[741] Alcarazas est un pluriel espagnol devenu singulier; le phénomène n’est pas unique: nous allons le retrouver avec albinos et mérinos, sans compter les noms de cigares.
[742] Dans les noms propres anciens ou étrangers, l’s final se prononce toujours: Barabbas, Jonas et Jonathas, Phidias et Cinéas, Stanislas et Wenceslas, Gil Blas, Ruy Blas, Micromégas et Chactas, Caracas, Damas, Madras et Texas, etc., etc. Il faut excepter les Duka(s) et naturellement les pluriels: Papoua(s), Wyndhia(s), Maya(s), Arya(s), Inca(s), Véda(s), Saga(s), Galla(s), Foulah(s), Pourana(s), Damara(s), Soutra(s), Hova(s). On prononce l’s dans Visayas. L’s se prononce aussi le plus souvent dans les noms français; mais il y a des exceptions, notamment les prénoms qui, par leur popularité, sont assimilés aux noms communs: Luca(s), Cola(s), Nicola(s), Thoma(s), ainsi que Juda(s). On y joint naturellement Le Ba(s) ou Pays-Ba(s) et Félix Gra(s), et aussi Vaugela(s), Duma(s), Maupa(s) et Maurepa(s), Dura(s), quelquefois Cala(s), Cuja(s); en outre, les noms de l’Ardèche, Priva(s), Aubena(s), etc., avec une ville du comtat, Carpentra(s): c’est à tort qu’on prononce parfois l’s dans Carpentra(s). En revanche on prononce régulièrement l’s dans Mathias, qui l’a repris, n’étant prénom qu’à demi, dans Alcofribas, d’Assas, Barras, Blacas, Calas, Cujas, Du Bartas, Escarbagnas, Rabagas, etc., etc., dans Las Cases et dans Daoulas, Arras ou Coutras, aussi bien que dans Pézenas, Valréas ou Mas d’Azil, ou autres Mas, et en général les noms du Midi, y compris le Comtat, mais excepté Carpentra(s): on ne sait pas pourquoi, car Valréas est au nord de cette ville. Pour Carabas, les avis sont partagés: il est certain que l’auteur des Contes prononçait sans s, et c’est assurément la bonne prononciation; mais j’avoue que la sonorité méridionale de l’s convient assez bien au personnage, et il n’est pas impossible qu’elle finisse par prévaloir.
[743] Voir plus haut, pages 60 et 61, note 1.
[744] On prononce aussi et on peut écrire cacatoi(s): le plus simple est de prononcer comme on écrit.
[745] Et dans tous les noms propres: Agnès, Périclès, Sieyès (que l’on prononce Siès), Uzès, etc. Decrè(s) fait exception.
[746] Mais non pourtant dans Saint-Pierre-ès-liens, où l’e semble s’être fermé. Je rappelle que l’anglais prononce l’s même après un e muet qui, d’ailleurs, ne s’entend pas, comme dans Hobbes, Cecil Rhodes, James, Times, Jones, Serlock Holmes. Voir aussi page 60, note 2.
[747] De même, par exemple, La Ferronay(s). L’s se prononce pourtant dans Alais, cas unique. C’était là une orthographe que rien ne justifiait, et beaucoup de gens du pays voulaient fort justement écrire Alès, comme on faisait souvent jadis, car l’orthographe adoptée faisait que les non-indigènes prononçaient le plus souvent Alè, aussi écrit-on maintenant Alès. On prononce aussi l’s dans les mots étrangers, reis et milreis, et dans Brueys (bruis).
[748] Mais non dans pali(s), comme le veulent Michaëlis et Passy.
[749] Cela ne convient guère qu’à fleur de li(s), qui prend ainsi un air plus oratoire et en quelque sorte plus héraldique. V. Hugo fait souvent rimer maïs avec pays, et cela était encore admissible de son temps; mais on sait que V. Hugo faisait constamment rimer des finales à consonnes sonores avec des finales à consonnes muettes. Quant à fi(l)s, on sait que Littré tenait toujours pour fi(ls), et Thurot affirme que l’usage était encore partagé de son temps. Partage fort inégal, sans doute.
[750] Avec beaucoup de mots savants: unguis, pubis, rachis et rachitis, orchis, anagallis, hamamélis, amaryllis, syphilis, lychnis, propolis, anthémis, pénis, lapis (lazuli), berbéris, hespéris, ophrys, épistaxis, galeopsis, coréopsis, arsis, thésis, satyriasis, pityasis, éléphantiasis, phymosis, paréatis, isatis, oarystis, etc.
[751] Après i comme après a, l’s final se prononce toujours dans les noms propres anciens ou étrangers: Adonis, Anubis, Apis, Briséis, Cypris, Daphnis, Isis, Laïs, Memphis, Pâris, Sémiramis, Thétis ou Tircis; Davis, Dellys, Lascaris, Tauris, Tunis, Walpurgis, Willis, etc., et même Médicis, quoique l’italien soit Médici; toutefois Deny(s) a subi l’analogie du prénom français, Deni(s). L’s se prononce aussi le plus souvent dans les noms français autres que les prénoms: Amadis, Aramis, Azaïs, Bernis, Cabanis, Clovis, Damis, Ducis, Fétis, Genlis, Grisélidis, Léris, Nangis, Puvis, Raminagrobis, Sourdis, Vestris, avec Aunis, Lorris, Senlis, le roi d’Ys, etc., et peut-être aussi Cambrésis et Beauvaisis, avec le prénom Francis. L’s est muet dans les autres prénoms: Loui(s), Deni(s) ou Deny(s) et Alexi(s); dans Dupui(s), Empi(s), Maupertui(s) et Duplessi(s); dans Arci(s)-sur-Aube, Chabli(s), Montargi(s), Mont-Ceni(s), Néri(s)-les-Bains, Pari(s) ville, Plessi(s)-les-Tours. Dans Abénaki(s), Achanli(s), Alleghany(s), Andely(s), Guarani(s), Kimri(s), Maori(s), Osmanli(s), Parsi(s), Somali(s), l’s ne se prononce pas non plus, étant seulement la marque du pluriel.
[752] De même Orpheus, Zeus, etc., qu’il ne faut pas décomposer en Orphé-us ou Zé-us, comme l’a fait parfois V. Hugo: voir plus haut, page 92, note 2.
[753] Voir plus haut, page 102. L’s ne se prononce donc pas dans campo(s).
[754] Cf. alcarazas. L’s de trabucos n’est aussi que la marque du pluriel; mais ce mot paraît devoir faire en français comme albinos. On prononce aussi l’s dans le pluriel fueros, qui n’est connu que comme pluriel.
[755] Et une foule de noms propres également grecs, auxquels se joignent, par analogie ou autrement, Calvados, Chandos, Burgos, Dubos, Carlos, Molinos, Esquiros, Hycsos, Cathos, Athos et Porthos. Pour la prononciation de l’o dans tous ces mots, voir pages 102 et 103. Ajouter blockaus. L’s est muet dans Duclo(s), Duco(s), Salomon de Cau(s) et Wattrelo(s); dans Aïno(s), Botocudo(s), Chiquito(s), Gaucho(s), l’s n’est que la marque du pluriel, et nous considérons ces mots comme assez connus pour les prononcer à la française.
[756] Ajouter Péipous, Bonafous, Frayssinous. Papou(s) est un pluriel comme Andalou(s).
[757] Comme détritus ne s’emploie guère qu’au pluriel, beaucoup de personnes prennent probablement son s pour le signe du pluriel et prononcent détritu(s); cela est tout à fait injustifié. D’autre part, quand Carolus était populaire, l’s y était muet.
[758] Abu(s) et cabu(s), refu(s), diffu(s), infu(s) et confu(s), ju(s) et verju(s), talu(s), reclu(s), inclu(s) et perclu(s), plu(s) et surplu(s), camu(s), pu(s), intru(s) et abstru(s), dessu(s), jésu(s), obtu(s) et contu(s), et les prétérits eu(s), fu(s), couru(s), aperçu(s), etc.
[759] Naturellement on ne parle pas des liaisons, dont il sera question ailleurs.
[760] Pourtant on dit quelquefois tantôt plus, tantôt moins.
[761] On prononce naturellement l’s dans les noms propres latins, ou simplement latinisés, ou formés sur le modèle des noms latins, comme Jansénius, Stradivarius et Confucius, Nostradamus et Ramus, Morus et Diafoirus, etc.; et aussi dans beaucoup de noms propres méridionaux ou étrangers: Artus, Cabarrus, Caylus, Cheverus, Malthus et Picpus, Fleurus et Fréjus, etc., avec Eviradnus. Ceux où l’s ne se prononce pas sont moins connus: Châlu(s) et Châtelu(s), Camu(s), Tournu(s), Vertu(s). Mais il faut y joindre un autre nom où l’s ne se prononce pas, précisément parce qu’il est très populaire, et traité comme les prénoms: c’est Jésu(s). Encore les protestants affectent-ils de rétablir l’s, par respect, pour que le nom ressemble moins à un mot de l’usage commun, et peut-être aussi pour se distinguer des catholiques; et cette prononciation de Jésus a été adoptée par un grand nombre de savants, ou simplement de libres penseurs, avec l’arrière-pensée d’assimiler le personnage à tous les autres personnages de l’histoire, ce qui n’est plus tout à fait du respect. On parlera de Jésus-Christ au chapitre du T.
[762] Que j’ai entendu à la Comédie-Française, dans la bouche d’André Brunot, si je ne me trompe. Michaëlis et Passy ne paraissent pas savoir que cette prononciation est tournée en ridicule.
[763] L’s de bon sens est particulièrement utile pour distinguer cette expression de se faire du bon sang.
[764] C’est tout simplement une altération de c’en devant derrière et c’en dessus dessous.
[765] Dans les noms propres en -ans ou -ens, prononcés par an, l’s est normalement muet: Conflan(s), Louhan(s), Le Man(s), Orléan(s), Jouffroy d’Abban(s), Constan(s), etc., avec Decam(ps), Descham(ps), Confolen(s), Doullen(s), Furen(s), et Saint-Saën(s), de la Seine-Inférieure, enfin Claren(s), Mᵐᵉ de Waren(s); on prononce néanmoins l’s dans Huysmans, Exelmans, Paixhans, noms étrangers ou méridionaux, et, d’autre part, dans Argens, Lens et Sens, Jean-Paul Laurens, Dulaurens, Saint-Saëns, le musicien, et Jordaens: voir page 133, note 3. Quand -ens se prononce par in, mais seulement après une consonne, ce qui élimine Amien(s) et Damien(s), l’s se prononce toujours: voir page 139, note 2. Les noms en -ins font comme les noms en ans: Salin(s), Moulin(s), des Ursin(s), Provin(s), Vervin(s), Norvin(s), etc.; mais on prononce l’s dans Tonneins et Lérins, et même dans Reims, qui n’est pourtant pas du Midi, mais qui est un monosyllabe. L’s est encore muet dans Amonton(s), Nyon(s), Pon(s), et Saint-Pon(s), Saint-Giron(s), Soisson(s); il s’entend dans Mons et le prénom Pons, et aussi dans Aruns, qu’on prononce par on, et Laruns, qu’on prononce par un. Pour Lons-le-Saunier, les habitants du pays, qui emploient Lons seul, y font toujours sonner l’s; sur le nom complet, les avis sont partagés, mais l’s ne devrait pas sonner. Je ne parle pas des pluriels, Grampian(s), Mohican(s), Turcoman(s), Pahouin(s) et Patarin(s), Mormon(s), Huron(s), Hun(s), etc.
[766] De même Nui(ts), Dou(bs), Pierrefon(ds), Le Hor(ps).
[767] On prononce de même les deux consonnes dans Lesseps, dans Ops, Chéops, Pélops, Cécrops et Aups, et aussi dans Vals, Pils, Douls, Banyuls, mais non dans Marvéjol(s) ou Barjol(s), ni dans Tagal(s), Oural(s), Peul(s) et Tamoul(s), qui sont des pluriels. On prononce encore l’s avec d’autres consonnes dans les noms étrangers: Adams, Ems, Worms, Huyghens, Dickens, Hans Sachs, Massachusetts, Aramits, Cloots, Thierry Bouts, Wynants, Roberts, etc.; Wiking(s) et Taïping(s) sont des pluriels.
[768] Sauf, comme on l’a vu plus haut, dans ga(rs); sauf aussi dans volontie(rs) et les noms propres en -iers, qui sont apparemment des pluriels, ainsi qu’Ange(rs): voir pages 293 et 299.
[769] Même comme nom propre, sauf dans Cin(q)-Mar(s) ou Saint-Mar(s). Diver(s) aussi a prononcé son s pendant quelque temps, mais il y a longtemps qu’il suit la règle.
[770] Les noms propres français se prononcent aussi sans s: Thouar(s), Dupetit-Thouar(s) et Cin(q)-Mar(s), Thier(s), Ger(s), Fler(s), Bouffler(s), Mamer(s) et Anver(s), Vaucouleur(s), Cahor(s), Vercor(s) et Givor(s), Bouhour(s) et Tour(s), etc. Il est vrai que la prononciation locale de Gers et Anvers conserve l’s, et on a bien le droit de la suivre, surtout quand on est du pays; mais le français répugne tellement à cette prononciation de la finale -ers qu’elle n’a aucune chance de se répandre et de s’imposer, surtout pour Anver(s): comment Anver(s), nom français, puisque l’autre est Antwerpen, se prononcerait-il autrement en France que tous les mots en -vers, qui sont assez nombreux? Ces mots à part, l’s ne se prononce que dans le monosyllabe Ars, et dans les noms étrangers, comme Kars, Flatters ou Milne-Edwar(d)s.
[771] Sauf dans la forme verbale e(st) et dans quelques noms propres: pour ce groupe final -st, voir plus loin, au chapitre du T.
[772] En effet, l’s était devenu muet partout devant une consonne au cours du moyen âge. L’introduction des mots savants dans la langue rétablit l’habitude de prononcer l’s, et fit même revivre des s muets de la langue populaire. Il devint bientôt très difficile de savoir quels s se prononçaient, quels s ne se prononçaient pas devant une consonne; car on en comptait des milliers où l’s servait seulement, soit à allonger la voyelle précédente (comme l’s du pluriel), par exemple dans ba(s)tir, fe(s)te, di(s)ne, soit simplement à marquer l’étymologie, par exemple en tête des mots commençant par es-, des-, mes-, res-, comme e(s)cu, e(s)chelle, de(s)brouiller, me(s)chant, me(s)pris, re(s)pondre, où l’e était devenu bref. Cela dura jusqu’au jour où l’Académie prit enfin le parti, dans la troisième édition de son Dictionnaire (1740), de remplacer partout ces s muets par des accents aigus ou circonflexes. Mais les mots qui avaient été altérés sont restés altérés: ainsi satisfaction, restreindre, presbytère, cataplasme, etc., etc., et aussi festoyer, après de longues hésitations (fêtoyer est encore dans le Dictionnaire de l’Académie): voir sur ce point le livre de Thurot, tome II, pages 320-326.
[773] De même Le(s)diguières, De(s)bordes, De(s)cartes, De(s)champs, De(s)combes, De(s)fontaines, De(s)forges, De(s)genettes, De(s)jardins, De(s)mahis, De(s)marets, De(s)moulins, De(s)noyers, De(s)périers, De(s)pois, De(s)portes, De(s)prez, De(s)préaux, De(s)roches, De(s)rousseaux, De(s)touches, Se(s)maisons, etc., et même De(s)chanel, De(s)pautère et Dele(s)cluze, quoiqu’ils n’aient pas d’s final. De même aussi les noms qui commencent par Bois-: Boi(s)lile, Boi(s)gelin, Boi(s)robert, Boi(s)guillebert, Boi(s)mont, et encore Gro(s)bois, Pa(s)deloup et Pa(s)-de-Calais. Mais on prononce l’s dans Lescar, Lescaut, Lescot, Lescun et Lescure, dans Lesparre, Lespès et Lespinasse, comme dans les noms anciens, Lesbie, Lesbos et Lestrygons, le breton Lesneven ou l’anglais Leslie; de même dans Desdémone ou Destutt de Tracy. Dans Mal(e)sherbes, on n’a pas non plus affaire à l’article, mais à un adjectif pluriel, qui s’accorde avec le substantif; c’est pourquoi l’e est muet, et l’s se lie.
[774] Registre a aussi fait exception pendant quelque temps, et pouvait s’écrire regître; l’s y est rétabli définitivement. Il se prononce dans maistrance, malgré maître. On ne prononce pas l’s de beef(s)teack, mais ce mot s’écrit beaucoup mieux bifteck.
Le cas de cheve(s)ne, unique dans les mots de la langue, est au contraire très fréquent dans les noms propres, sur qui l’Académie n’avait point autorité, et qui ont conservé malheureusement cet s inutile. Devant l et n surtout, les exemples en sont très nombreux, et jamais ou presque jamais l’s ne se prononce dans les noms français: ainsi Cha(s)les, Pra(s)lins, Ne(s)le, Pre(s)le, Champme(s)lé, l’I(s)le-Adam, Rouget de Li(s)le, et tous les noms où figurent I(s)le ou Li(s)le, A(s)nières, Duque(s)ne, Sure(s)nes, Que(s)ne, Fre(s)nel, Daume(s)nil et tous les noms en -mesnil, Ai(s)ne, Hui(s)ne, Co(s)ne, Do(s)ne, Ro(s)ny, etc., etc. Les mots qui font exception sont très rares: je ne vois guère qu’Isnard. Devant les autres consonnes, surtout devant le t, l’s se prononce ordinairement aujourd’hui pour des raisons diverses, ou simplement par altération analogique; ainsi l’s ne se prononçait pas dans Pasquier ou Estienne, de Maistre et Lemaistre, Testu et Testelin, et d’autres, et s’y prononce aujourd’hui généralement, tout comme dans Astrée, Coustou, Crespin, Demoustier, Espeuilles, Esquirol, Estaing, Esterel, Estrées, Lespinasse, Mesmer, Mistral, Monistrol, Montespan, Montesquieu, Pascal, Restaut, Restif (pas toujours), Robespierre, Sylvestre, etc., outre les noms cités dans la note précédente. Il y a pourtant un assez grand nombre d’exceptions qui se sont conservées tant mal que bien, devant des consonnes diverses, surtout m: Cha(s)te(l)lain, et les noms commençant par Cha(s)t-, Chre(s)tien de Troyes, d’E(s)préménil, duc d’E(s)cars, écrit aussi Des Cars, Du Gue(s)clin, Duhe(s)me, Fi(s)mes, He(s)din, l’E(s)toile, l’Ho(s)pital, Male(s)troit, Mene(s)trier, Me(s)mes, Me(s)vres, Pe(s)mes, Rai(s)mes, Saint-Me(s)min, Sole(s)mes, Vo(s)ges, etc. Dans les noms anciens, l’s se prononce, naturellement: Ascagne, Asdrubal, Asmodée, Aspasie, Avesta, Démosthène, Esculape, Esdras, Espagne (quoique épagneul n’ait pas d’s), Ismène, Israël, Istrie, Nestor, Thémistocle, etc., et même Eschine, et Eschyle, malgré la difficulté, et même devant un n ou un l, comme dans Misnie; Péla(s)ges seul fait exception, par la difficulté qu’il y aurait à prononcer l’s devant la syllabe muette ge, comme dans Vo(s)ges, mais l’s reparaît dans pélasgique, où la difficulté n’est qu’amoindrie. L’s se prononce également dans les noms étrangers, comme Asmodée, Disraéli, Dresde, Espartero, Erasme, Escobar, Escurial, Ismaël, Ispahan, Lisbonne, Mansfeld, Mesmer, Pasquin, Presbourg, Sleswig, Sobieski, Tasmanie, Toscane, Van Ostade, Velasquez, etc., et même devant un l, comme dans Islam, Islande, Isly ou Venceslas.
[775] Mais il ne faut pas se dissimuler que l’e ajouté ainsi dans escandale, escrupule ou esquelette, espécial ou estatue, est absolument le même que celui d’escabeau, escadre, escadron, escalade, escarcelle, escarmouche, escopette, escorte ou esquif, d’espace, espadon, espalier, espèce, espérer, espion ou esprit, d’estampe, estomac ou estropier, etc., sans compter celui des mots qui ont perdu leurs s: échelle, écrire ou écu, épars, épée, épais ou époux, étable, établir, éternuer, étouppe, étrennes ou étroit, etc., pour e(s)chelle, e(s)crire, etc. Tous ces e sont des intrus qui ont réussi à s’imposer; les autres auraient pu réussir tout aussi bien: ce sont des cousins pauvres.
[776] Michaëlis et Passy ne l’admettent pas une seule fois: ils prononcent ascétique comme acétique. On entend aussi deux s dans Brescia, un seul ou un c dans Ko(s)ciusko.
[777] De même S(c)évola, S(c)eaux, S(c)ipion, S(c)ylla, identique à Sylla, S(c)yros, S(c)ythie.
[778] Fa(s)ce, ve(s)ce, acquie(s)ce, immi(s)ce, rentrent naturellement dans le cas des consonnes doubles devant un e muet; on ne peut en prononcer qu’une.
[779] Voir plus haut, page 202. Il en est de même dans les noms propres: Lisbonne, Asdrubal ou Brisgau. On prononce même souvent Bedzabé pour Betsabée, ce qui est plus extraordinaire.
[780] L’Académie avait accepté un temps que asthme se prononçât azme; mais elle y a renoncé. Le son du z apparaît aussi dans Israël, rarement dans Islam.
[781] Malgré l’opinion du Dictionnaire général. Peut-être est-ce en partie par analogie avec Guernesey et Anglesey. Il est doux aussi dans Arsace et Arsacides, dans Kiersy, écrit aujourd’hui Quierzy, dans Farsistan, mais non dans Arsène, Persépolis ou Arsinoé, pas plus que dans Marseille ou Versailles.
[782] Ainsi que dans Alsace et alsacien; également dans Belsunce et Elsevier, qui s’écrit couramment Elzévir, sans parler de Mal(e)sherbes, où il y a un simple fait de liaison (voir page 312, note 1).
[783] Le Dictionnaire général et Michaëlis et Passy sont d’un avis contraire.
[784] Même observation.
[785] Comme dans substance, substitut, etc.: le Dictionnaire général n’indique pas ces accommodations.
[786] Il ne faut donc pas prononcer gymnâce.
[787] C’est un phénomène analogue que l’on constate dans Buenos-Ayres, où l’s dur est changé en s doux par le voisinage de la voyelle suivante, comme si c’était un mot unique; de même parfois dans les quatre fils Aymon ou nec plus ultra, tellement la tendance est forte, voire même dans sub judice lis est, d’où le calembour sub judice Lisette.
[788] Que l’Académie écrivait par deux s jusqu’en 1878, pour empêcher le son doux.
[789] On a doublé l’s, par une prudence excessive, dans dissyllabe et trissyllabe.
[790] Il faudrait y ajouter, pour être complet, les composés familiers du préfixe re-, que les dictionnaires n’enregistrent pas, comme re-saler, re-sabler, re-sauver, re-savonner, re-signer, re-sortir, etc., où l’on n’a pas coutume de doubler l’s, comme on le fait dans les mots de la langue littéraire.
[791] Ichtyosaure et plésiosaure devraient être dans le même cas; mais, comme les éléments n’y sont pas aussi nettement reconnus que dans les mots que nous avons cités, l’s s’y est adouci généralement.
[792] Le Dictionnaire général ne connaît pas le mot susurrer. Hélas! il y en a tant d’autres qu’il ne connaît pas. Mᵐᵉ Dupuis donnait aussi l’s dur pour gisant, gisait, etc.: c’est une prononciation que je n’ai jamais entendue.
[793] On écrit quelquefois impressario, qui est mauvais, car il conduirait à prononcer deux s. Ajoutons que parasol, tournesol et girasol, que nous venons de voir, sont aussi d’origine italienne. On cite encore volontiers l’italien risorgimento, l’espagnol peseta (piécette) et posada (auberge), où ne doit non plus sonner qu’un s dur.
[794] L’s est naturellement doux dans les noms propres français; mais il est resté dur à la suite de l’article le, la: Lasalle, Lesueur, Lesage, Lesurques; il est généralement doux après de: Desaix, Desault, Desèze (ou de Sèze); il est doux dans Désaugiers et Deshoulières, par liaison. Il est dur dans Dusaulx, dans des composés comme Beauséant ou Beauséjour, et dans Puységur. Il est dur dans Melchisédec, nom hébreu, mais non dans Jérusalem ou Mathusalem, qui sont plus complètement francisés, étant plus populaires; et encore la vieille plaisanterie de Mathieu salé rappelle que pendant longtemps on a prononcé Mathusalem, avec s dur, comme Melchisédec. On hésite pour quelques noms propres anciens comme Poseidon. Parmi les noms étrangers, il en est aussi que nous francisons en adoucissant l’s, comme Caserte, Cérisoles ou Wiseman, et aussi, mais à tort, Masaniello, Vasari, Vésale, Pesaro, voire Algésiras, qu’on écrit parfois Algéciras, et qu’on fera mieux de prononcer par s dur, comme Elisir d’amore, Fusi-Yama ou Ferguson.
[795] L’s est dur aussi dans Transylvanie, et il devrait y avoir deux s.
[796] Et dans Nansouty, mais jamais dans Fronsac, rarement et à tort dans Arkansas.
[797] Dans les composés commençant par des-, les étymologistes reconnaissent ordinairement le préfixe dis-: l’s y était donc naturellement double, et l’on n’a pas eu besoin de le doubler pour la prononciation; toutefois l’s paraît avoir été doublé (avec suppression de l’accent aigu) dans de(s)sécher, de(s)servir, de(s)sication, de(s)siner et de(s)sin, qui paraissent formés du préfixe dé- et non dis-.
[798] Voir l’énumération, page 171.
[799] On a vu que l’s avait été doublé aussi, bien inutilement après un i, dans di(s)syllabe et tri(s)syllabe. Peut-être faut-il y joindre a(s)sez et quelques mots commençant par as-, si leur préfixe est réellement a-, et non ad-, comme paraît l’indiquer l’orthographe primitive, asez, asesoner, aservir, etc.
[800] Quoique Michaëlis et Passy n’en admettent point. Il est vrai qu’ils admettent bis-sectrice, qui est plutôt rare.
[801] Et telles sont bien les indications du Dictionnaire général.
[802] Quoique le Dictionnaire général indique dis-soudre, sans doute à cause de dis-solution.
[803] Malgré le Dictionnaire général.
[804] Même observation.
[805] Je ne parle pas de di(s)syllabe, cité plus haut, et dont le préfixe est di- et non dis-. D’autre part, le Dictionnaire général indique di(s)section et dis-séquer: cette différence ne paraît guère justifiée, et di(s)séquer est très admissible, aussi bien d’ailleurs que dis-section.
[806] On notera ici que les deux s ont ouvert l’a de classique, même quand on n’en prononce qu’un, car il est fermé dans classe.
[807] Ajouter les noms propres anciens: Mas-sique, Cas-sius, et Cras-sus; Bes-sus, Nes-sus, Es-séniens et Mes-saline; Is-sus et Ilis-sus et Mis-si dominici; Atos-sa; et quelques noms plus récents, Orlando de Las-sus, Lhas-sa et Tas-soni; Bes-sarabie, Bes-sarion, Es-sequibo et Tennes-see; Lis-sa, Canos-sa, Os-sian, et fort peu d’autres, et surtout point ou presque point de mots français.
[808] De même Shakespeare, Sheffield, Shelley, Sheridan, Shetland, Cavendish, Marshall, Usher, etc., et aussi Shéhérazade, Shanghaï, Hiroshima, Shintoïsme, Shoguns, les transcriptions des noms orientaux étant dues aux Anglais.
[809] Voir plus haut, page 227.
[810] Mais nous francisons Buda-Pesth par s.
[811] De même Mara(t), Courbe(t), Carno(t), Escau(t), Maupassan(t), Mozar(t), Rober(t), etc., etc.
[812] Ajouter quelques noms propres étrangers, Touat, Laghouat, Rabat, Sobat, Midhat-Pacha, Josaphat, Ararat, Ghât, Cattégat, Djaggernat, Hérat, et les noms en -stadt, Cronstadt, Reichstadt, où le d cède généralement la place au t. Il faut y joindre la petite plage bretonne de Morgat, mais cette prononciation n’est pas proprement française. Ajoutons aussi à dieu vat.
[813] L’abbé Rousselot dit qu’on hésite entre net et ne(t): où a-t-il vu cela? Dans les rimes de V. Hugo peut-être, mais cela ne suffit pas.
[814] C’est la règle générale des adjectifs numéraux: voir plus haut, page 233, ce qui a été dit pour neuf.
[815] Dans Pierre Lièvre, Notes sur l’art poétique, ce vers de Heredia:
est donné comme ayant pour l’oreille une demi-syllabe de trop! Hélas! J’espère que Heredia prononçait le français plus correctement que son critique. Mais encore setti ne donnerait jamais qu’un t prolongé et non une demi-syllabe de plus: setti ferait le même effet que secti ou celli, sans plus.
[816] Où le peuple assimile ordinairement le t en prononçant ec-cetera, qu’on évitera avec soin.
[817] On entend aussi le t dans quelques noms propres bretons ou français, comme Plancoët ou Plouaret, Moët, Huet, Malouet, Alet (écrit plutôt Aleth), mais non Ane(t), ni Tê(t). Un jour, à la Constituante, un député, faisant un discours, termina une phrase en disant: C’est ma loi, qu’il prononça à l’ancienne mode ma louè. Un loustic rectifia aussitôt: Malouète. On entend surtout le t dans des noms étrangers: Josabet, Japhet, Newmarket, Aben-Hamet, Méhémet-Ali, Médinet-el-Fayoum, Tiaret, etc. Hamle(t) est francisé, comme Mahome(t), Bajaze(t) et Jape(t). Nous avons dit que pour Auerstædt et Hochstedt on hésitait entre le d et le t.
[818] Voir plus haut, page 233, ce qui a été dit de neuf.
[819] Et dans Tanit, Nitocrit, Tilsit, Abauzit.
[820] En revanche le même sud-ouest prononce le t dans Lot. Cela peut-il passer dans le français du Nord? Je ne sais trop, car Lot mène à Gers, puis à Anvers: voir page 310. En tout cas, on fait toujours la liaison dans Lot-et-Garonne. Autrefois on prononçait le t de sot et mot devant un repos comme devant une voyelle; mais je m’étonne que l’usage ait encore pu être «partagé» pour so(t) au temps de Thurot. A dot, il faut encore ajouter quelques mots étrangers, black-rot, forget me not, avec George Eliot, Duns Scot et Thot, mais non Chevio(t).
[821] Sauf tout au plus dans Fomalhaut, et naturellement Connau(gh)t. Il ne sonne pas plus dans Hau(t)poul que dans le composé hau(t)bois ou hau(t)boïste.
[822] Et des marins dans vent debout. Il sonne naturellement dans les mois anglais en -oot (out) et aussi dans Siout.
[823] Voltaire, entre autres, a même écrit brute au masculin.
[824] Le féminin butte y est sans doute pour quelque chose, notamment l’expression être en butte, qui amène des confusions. Quoi qu’il en soit, les mots respectés ne sont plus très nombreux: bahu(t) et chahu(t), débu(t) et rebu(t), tribu(t) et attribu(t), fû(t), affû(t) et raffu(t), salu(t) et chalu(t), canu(t), statu(t), institu(t) et substitu(t). Le t sonne aussi dans les noms propres étrangers: Calicut, Connecticut, Farragut, Lilliput, et, le plus souvent, Canut.
[825] On notera en passant que et s’énonce devant un depuis vingt jusqu’à soixante, y compris les nombres et adverbes ordinaux, et aussi dans soixante et onze, mais pas au delà. On dit aussi les Mille et une nuits, et, en parlant des femmes de don Juan, mille et trois. L’emploi de et était autrefois plus étendu.
[826] Avec Kant, Grant ou Wundt; mais Rembran(dt) est complètement francisé.
[827] On francise volontiers les noms propres en -art: Marie Stuar(t) et les Stuar(t), Gebhar(t), Fischar(t), Stuttgar(t), Makar(t), Marquar(dt), Burckhar(dt), Mozar(t). Mais on prononce le t dans Stuart Mill ou Dugald Stewart, ainsi que dans l’allemand Erfurt, Kiepert, Ruckert ou Hardt, dans Gevaert et Touggourt.
[828] Voir page 215. On a coutume de prononcer sans t Utrech(t), Dordrech(t) et Maëstrich(t). Pour yacht, voir page 44.
[829] Nous savons que lt ne se prononce pas plus dans les mots en -ault et -oult que ld dans les mots en -auld et -ould, les uns et les autres étant français; de même Yseu(lt) est bien meilleur qu’Yseult. Mais on prononce intégralement Anhalt, Seingalt, Belt, Arcadelt, Tafilelt, Barnevelt (écrit aussi Barneveldt), Roosevelt et Soult, et aussi Delft; le t l’emporte sur le d dans Humbol(d)t.
[830] Avec la ville d’Apt.
[831] Et le fut longtemps dans o(st). Il l’est encore dans Saint-Wa(st), Saint-Gene(st), Cre(st), Charo(st), Prévo(st), Provo(st), Thibou(st), Saint-Ju(st), souvent altéré, et même Saint-Pri(est). Il se prononce dans Christ, qui, employé seul, est un mot savant, mais il est resté muet dans Jésu(s)-Chri(st), qui est populaire, et qui a gardé pour ce motif sa prononciation traditionnelle, sauf parfois chez les protestants: voir plus haut, page 307, ce qui est dit de Jésus. Quant à Antechrist, il a été longtemps populaire, et par conséquent st ne s’y prononçait pas, et même l’e y était muet; Littré tient absolument à cette prononciation; mais il est devenu un mot savant où tout se prononce, avec e fermé. Le groupe st se prononce aussi dans Proust et dans Marrast (peut-être pour éviter une confusion avec Marat), dans Ernest et dans Brest, et dans les noms d’origine étrangère: Renaud d’Ast, Belfast, Budapest, Bucharest, Liszt, Faust, Ernst, etc. On prononce l’s seul dans roas(t)-beef qui, d’ailleurs, s’écrit correctement rosbif, comme il se prononce.
[832] Et dans les noms propres: Goliath, Macbeth, Bayreuth, Judith, Naboth, Beyrouth, Belzébuth, etc. Go(th) fait exception, avec ses composés, Wisigo(ths) et Ostrogo(ths). Il faut excepter aussi le terme bizu(th), par lequel les élèves nouveaux sont désignés dans les classes qui préparent à des concours, par opposition aux carrés et aux cubes.
[833] Voir ci-dessus, page 156. On prononce à peu près exactement postcommunion et postscolaire, malgré la difficulté. Mais le t est encore muet dans Wes(t)phalie, Kam(t)schatka et Kam(t)schadales, et quelquefois Mol(t)ke. On prononce même Po(t)sdam, ce qui est plus bizarre: et c’est sans doute pour justifier cette prononciation irrégulière qu’on écrit souvent Postdam; mais c’est uniquement Potsdam qui est correct, et mieux vaudrait prononcer le t, puisque c’est l’s qui est médian.
Les Parisiens prononcent le t médian dans rue Taitbout. Nous savons qu’il est muet dans Me(t)z et Re(t)z. Il est également muet dans les composés de Font-, Mont-, Pont-, devant une consonne, comme Mon(t)béliard, Mon(t)fort, Mon(t)morency, Mon(t)pensier ou Pon(t)chartrain, même si la consonne qui suit est un l ou un r; Mon(t)lhéry, Mon(t)losier, Mon(t)luc, Mon(t)luçon, Mon(t)luet, Mon(t)réal, Mon(t)redon, Mon(t)réjeau, Mon(t)revel, Mon(t)rose, Mon(t)rouge, etc. Mais il arrive aussi que le t n’appartienne pas à la syllabe initiale, ou même qu’il s’en soit détaché: ainsi il se groupe avec l’r dans Fontrailles, Montrésor, Montreuil, Montreux, Montretout, Montrevault et même Montrichard, et Pontrieux, comme dans l’italien Pontremoli. On ne prononce pas le t dans Alfor(t)ville, mais on le prononce dans l’anglais Portland.
[834] Devant un i seulement, et non devant un y grec.
[835] Les noms propres venus à nous du latin ou par le latin font naturellement comme les autres mots: Croatie, Helvétie, Domitien, Eétion, Brutium, Hirtius, Miltiade, Martial, etc.; et les noms modernes ont fréquemment subi l’analogie des autres, comme Gratiolet ou La Boétie.
[836] «Dès le temps de Palsgrave, on écrivait par un t les mots en -tion appartenant à la langue savante, que l’on prononçait cion comme en latin, par une habitude que Péletier et Bèze attestent. Cette orthographe et cette prononciation s’étendirent à un certain nombre d’autres mots, tous de la langue savante, qui ont -ti- devant une voyelle, et comprirent les mots tirés de noms en -tia, -tialis, -tiosus, -tiens, -tientia, -tianus, -tio (tionem), et de verbes en -tiare.» (Thurot, Prononciation française, II, 244.)
[837] On verra que la règle s’applique seulement au t placé entre deux lettres, et non en tête des mots; tiare, tiers, tiède, tien, il tient, avec leurs familles, conservent tous le son normal du t: comme tous les mots latins qui commencent par ti. Au surplus, il y a, en outre, pour chaque cas, des raisons particulières d’étymologie, et nous allons retrouver tous ces mots.
[838] Avec Bastia, Bastiat, Sébastien, Héphestion, etc.
[839] De là deux séries de mots en -tions, d’orthographe identique, mais de prononciation différente, s pour les substantifs et t pour les verbes: voir la liste, p. 187, note 2.
[840] Qui était autrefois apprentive, d’apprentif. Tous ces mots sont naturellement de formation populaire. Au contraire, à côté des simples inepte et inerte, les substantifs ineptie ou inertie, mots savants, suivent la règle, parce qu’ils conservent la prononciation du latin. On verra encore dans un instant trois ou quatre mots en -tie qui gardent le son dental, avec quelques noms propres.
[841] Ces mots appartiennent à la même famille que les mots en -té, et ont seuls gardé l’i que beaucoup d’autres ont perdu; le moyen âge, d’ailleurs, disait tout aussi bien amité ou pité que amitié ou pitié; en tout cas le t latin était devant un a et non devant un i. Ces mots sont donc sans rapport avec le substantif initi-é, et son verbe, qui ont le son sifflant, comme en latin, de même que le verbe balbuti-er, qui a suivi l’analogie de l’autre, malgré son étymologie. Ces deux verbes sont, en effet, les seuls verbes en -tier qui aient le son sifflant. Amnistier ne peut pas l’avoir à cause de l’s; châtier ne l’a pas, parce qu’il était primitivement chastier; les autres qui auraient pu avoir un t ont pris un c: justicier, vicier, négocier, différencier, quintessencier, licencier, circonstancier, à cause du c de justice, vice, négoce, etc.
[842] C’est la même diphtongue que dans les mots en -tié, et là aussi le t latin était devant un a. A ces mots, il faut joindre naturellement, avec volontiers, les noms propres en -tier ou -tière, qui ont le même suffixe: Gautier, Poitiers, Chartier, Brunetière, etc.
[843] C’est toujours une diphtongue étymologique, mais cette fois le t latin était devant un e, l’e du suffixe latin -esimus (centesimus), suffixe qui, en français, est passé des dizaines aux unités. D’ailleurs il était bon que les nombres sept, huit, etc., demeurassent intacts; mais la raison n’aurait peut-être pas suffi, puisqu’une raison pareille n’a pas suffi à conserver le t dans ineptie et inertie.
[844] Ici c’est le radical latin ten-; d’ailleurs le t ne pouvait guère changer de son au cours de la conjugaison.
[845] Du latin tepidus, tertius, tuus, antiphona (on plutôt antephona, latin populaire), tous mots où le t ne pouvait s’altérer. Ajoutons Etienne, de Stephanus, outre que Etienne est pour Estienne, ce qui lui fait deux raisons pour conserver son t intact. Au contraire, la diphtongue de chrétien n’est pas étymologique puisqu’il vient de christi-anus; aussi son t n’est-il resté dental que parce que chrétien est pour chrestien; mais le t est sifflant, comme dans le latin, dans tous les autres mots en -tien: béotien, vénitien, égyptien, Domitien, et même capétien ou lilliputien, formés du même suffixe.
[846] Du latin urtica, où le t ne peut pas s’altérer.
[847] Ce mot vient de l’arabe. Au contraire, argutie garde le t sifflant qu’on donne au latin. Quelques noms propres, qui n’ont pas non plus le t sifflant: Sarmatie, Hypatie, Clytie, Titye, ont gardé sans doute la prononciation du grec (en opposition avec Croatie, Galatie ou Dalmatie, Vénétie ou Helvétie, Béotie, etc.). La Boétie lui-même a pris le t sifflant, par analogie, quoique la localité de ce nom ne l’ait pas. Mais le t est dental dans Claretie, comme dans partie, ortie et sortie: en fait, inertie est le seul mot en -tie où le t soit sifflant après un r. Il est vrai qu’il est sifflant après un r dans martial, partial et beaucoup d’autres; mais Claretie a, de plus, un e muet devant le t, cas unique. Pourtant la tendance est telle à prononcer le t en sifflant dans les mots en -tie, que ce nom est constamment altéré par ceux qui ne sont pas renseignés; mais quand on consultait sur ce point Jules Claretie, il répondait:
«Mon nom, bien cher monsieur, rime avec sympathie.»
[848] Il devrait garder le son normal, car il ne vient pas du latin; mais il subit partiellement l’analogie des autres, comme l’ont subie plus complètement primatie, presbytie ou onirocritie, qui ont le t sifflant. Suprématie nous est venu de l’anglais, où il a un c. Le t est sifflant aussi dans goétie et scotie, qui sont transcrits du latin, et sur lesquels on pourrait se tromper.
[849] De même dans Arimathie, Carinthie ou Scythie, aussi bien que dans Thiers ou Thierry, Mathias, Mathieu ou Ponthieu, quelle qu’en soit l’origine; sans parler de Thyades, qui a de plus un y grec, outre que le t est initial.
[850] Je rappelle qu’à côté d’étiole (et probablement aussi Etioles), pétiole a, au contraire, le t sifflant du latin. Je n’ai pas cité ici étiage, qui est pour estiage: voir plus haut. Le t reste intact aussi dans Critias, qui est grec, dans quelques noms français qui se sont dérobés à l’analogie, comme Pétion, je ne sais pourquoi, enfin dans les noms étrangers, non seulement Tiaret, Tiepolo ou Tien-tsin, qui ont le t initial, mais même Ignatief ou Bagration, qu’on altère très souvent, ainsi que Pétion, en vertu de la tendance générale; naturellement aussi dans Montyon, qui a un y grec, comme Amphictyons ou Amphictyonie, qui d’ailleurs sont grecs eux-mêmes, ce qui leur fait deux raisons pour garder le t intact.
[851] D’ailleurs ce sont les exceptions qu’il faut énumérer, et non les mots qui suivent la règle générale. J’ajoute que la classification méthodique m’a permis de donner en outre, dans la mesure du possible, l’explication de tous les cas particuliers, ce qui n’est pas un résultat négligeable.
[852] Ce sont les seuls qu’indique le Dictionnaire général.
[853] De même assez généralement dans Gambe(t)ta, beaucoup moins dans Algarot-ti, Donizet-ti ou Viot-ti, Bet-tina ou Rigolet-to, ainsi que dans les noms anciens, At-tila ou Pit-tacus.
[854] Pour tz, voir plus loin, à z.
[855] De là certaines confusions dans les noms propres: Favre est devenu Faure, Fèvre est devenu Feure, et Lefebvre a donné Lefébure.
[856] Toutes formes complaisamment accueillies par Michaëlis et Passy. Pourquoi pas aussi bien évu pour eu, et lavou pour là où, où le phénomène est inverse?
[857] Par exemple, Virchow, Vogel, Vogt, Voss, ou encore vergiss mein nicht, zoll verein, la particule nobiliaire: von; Sainte-Vehme est suffisamment francisé, et le v y sonne v.
[858] Comme dans Kharkow ou Rimski-Korsakow. Mais le plus simple est d’écrire ces mots avec un f: Stamboulof, Romanof, Dragomirof, Souvarof, Koutousof, Saratof, et aussi Iaroslaf, Skobelef, Tourguenef. On hésite pour le v de Kiev, mais il n’y a pas de raison pour le distinguer des autres.
[859] Ainsi Brunswick, Nerwinde, Ryswick, Sadowa, Schwarzwald, Schwitz, Swedenborg, van Swieten ou Thorwaldsen, et surtout en tête des mots: Wagner, Wagram, Walpurgis, Waldeck, Waldemar, Walhalla, Walkyries, Wallenstein, Wassy, Weber, Weimar, Weser, Westphalie, Wilhelm, Willis, Wimpffen, Wissembourg, Wolff, Worms, Wurtemberg, Wurtz, etc., tandis qu’à la fin des mots le w allemand ne sonne pas: Bülo(w), Floto(w), etc. Le w flamand a gardé le son ou, qui lui appartient, dans Lon(g)wy et Wissant; mais Wallon est francisé, aussi bien que Waterloo et Watteau, Wimereux et Witt, Wouwerman, et beaucoup d’autres.
[860] De même Bothwell, Cromwell, Darwin, Delaware et Edwards, Edgeworth et Wordsworth, Far-West et Westminster, Greenwich et Woolwich, Longwood, Sandwich, Swift, Swinburne, Wakefied, Walter Scot, Warwick, Washington, Watt, Wellington, Wiclef, Wight, Windsor, Wolseley, Worcester. Devant un r, le w ne se prononce pas: (W)right.
[861] On francise aussi en v le w de Wallace (fontaine), souvent aussi de Waddington, Warwick, Walter Scott et Wawerley, Berwick, Wisconsin et Wiseman, Fowler et quelques autres.
[862] Et aussi dans Lawrence ou Bradshaw. Mais Law se prononce lâce par tradition depuis le XVIIIᵉ siècle, le nom s’étant répandu d’après l’enseigne de la banque, où Law était au génitif: La(w)’s bank, de même qu’aujourd’hui on dit couramment chez Maxim’s. D’ailleurs, le fameux banquier avait accepté et presque adopté cette prononciation: voir sur ce point l’article de A. Beljame, dans les Études romanes dédiées à G. Paris. Brauwer se prononce brou-èr.
[863] Nous acceptons aussi nioucasl pour Newcastle, et de même pour New-haven, New-Jersey, Newman, New-Market, Newport; et encore dèlèniouse pour Daily News; mais Newton et New-York sont francisés depuis trop longtemps en neuton (eu fermé) et neu-york (eu ouvert), pour qu’on puisse imposer niout(e)n et niou-York. On prononce u dans Dugald Stewart, et ev dans Newski ou Walewski.
[864] On prononce également o fermé dans Glasco(w), Hudson Lo(we), Longfello(w), Marlo(we), Clarisse Harlo(we), Luckno(w), Beecher Sto(we) et Co(w)per; et ou pour aou dans Brown, Browning, Brown-Séquard, Cape Town; Gérard Dow se prononce et s’écrit mieux Dou. Nous prononçons également ou, par une fausse analogie avec l’anglais, dans quelques noms slaves en -owski: Dombrowski, Poniatowski, etc., ov dans d’autres moins connus; mais la vraie prononciation serait en oski, avec o ouvert.
[865] Voir page 262, note 1: l’x remplaça d’abord us, puis, quand l’u fut rétabli à côté, il remplaça abusivement l’s tout seul.
[866] De même Carmau(x), Carpeau(x), Cau(x), Bordeau(x), Meau(x) ou Saul(x)-Tavannes, Andrieu(x), des Grieu(x) ou Vieu(x)-Temps, Dreu(x), Évreu(x) ou Brizeu(x), Fallou(x), Barbarou(x), Bardou(x), Berchou(x), Châteaurou(x), Boutrou(x), Ventou(x), Trévou(x), Pelvou(x), etc. (sauf a Marseille).
[867] On évitera donc deusse, aussi bien que eusse et ceusse avec autant de soin que gensse ou moinsse!
[868] Ni dans Saint-Yriei(x) ou Champei(x), Carhai(x), Desai(x), Roubai(x) ou Morlai(x), Foi(x) ou Mirepoi(x). Il se prononce pourtant dans Aix (autrefois on disait ès, déjà vieilli au temps de Mᵐᵉ Dupuis), et dans Dupleix.
[869] Ni dans Chamoni(x), qui s’écrit aussi Chamouny, ni dans Saint-Geni(x), ni dans Chastellu(x). Il se prononce aujourd’hui dans Gex, mais il ne se prononce pas dans Be(x), Château d’Œ(x) et autres localités voisines appartenant à la Suisse romande: Ferney même, qui est tout à côté de Gex, s’écrivit par un x, Fernex, jusqu’au jour où Voltaire, seigneur du pays, en changea l’orthographe pour l’accommoder à la prononciation. Seul Gex a repris son x.
[870] Voir, page 233, ce qui a été dit pour neuf. C’est avec six et dix que l’erreur de prononciation se commet le plus fréquemment dans les dates: le si(x) mai, le di(x) mars; elle n’en est pas plus justifiée.
[871] Et cela fait trois manières de prononcer six et dix.
[872] Comme pour vingt, cette prononciation de dix devant sept, huit, neuf, remonte à plusieurs siècles.
[873] Pour Béatrix, c’est inutile, puisqu’il y a Béatrice. Cadix lui-même se prononce aujourd’hui par cs. Mais on prononce toujours par s Morcenx et Navarrenx.
[874] Voici les autres: smilax, contumax, opoponax, anthrax, borax, thorax, storax et income-tax; ex-, codex, culex, apex, carex, murex, latex, narthex et vertex; bombyx, préfix, hélix, phénix, onyx, pnyx, larix et tamarix; lynx, phorminx et syrinx, pharynx et larynx; box, phlox et cowpox; fiat lux. Il faut y joindre les noms propres anciens ou étrangers, et même les noms français qui ne sont pas en -aux, -eux, -oux, -aix et -oix: Dax, Sfax, Fairfax, Ajax ou Ganderax, Essex, Etex ou Gervex, Bruix, Félix, Eryx, Vercingétorix et Styx, Fox, Pollux et Carlux, etc., et aussi Marx. Pourtant, on prononcera plutôt: Coysevo(x), Oyonna(x). L’x se prononce même dans Aix et Dupleix, mais non dans Chamoni(x): voir page 344, notes 4 et 5.
[875] Le peuple intervertit volontiers les éléments de l’x dans ces mots, prononçant sesque pour sexe, comme Félisque pour Félix: ce défaut remonte à plusieurs siècles.
[876] L’x amui a revécu dans le vieux mot jouxte. L’x se prononce de même dans Axoum, Ixion, Ixelles, Maxime ou Vauxhall, comme dans Expilly ou Oxford. Dans E(x)mes, Di(x)mont, La Di(x)merie, l’x est encore muet, comme autrefois dans di(x)me, aujourd’hui dîme; mais il se prononce dans Dixmude.
[877] Je ne parle pas de au(x)quels, qui fait naturellement comme le(s)quels.
[878] C’est le même s qu’on entend dans Xerxès (ou Artaxerxès), écrit quelquefois Xercès, ainsi que dans Auxerre, Auxois, Auxonne, Sau(l)xures, Buxy et Bruxelles. A Paris on prononce cs dans Saint-Germain-l’Auxerrois; mais il ne s’ensuit pas qu’il faille dire Au-serre en Auc-serrois: en dehors de l’expression propre à Paris, on fera bien de prononcer Au-serrois comme Au-serre. En revanche on articule aujourd’hui cs dans Saint-Maixent: telle est du moins la prononciation de toute l’armée; et aussi dans Luxeuil, Luxembourg, Aix-les-Bains, Aix-la-Chapelle, malgré l’opinion de Kr. Nyrop. Il est certain que les autres noms suivront, à une échéance plus ou moins lointaine: on commence à prononcer beaucoup bruc-sel, et cela même à Bruxelles.
[879] Dizain a pris un z: pourquoi n’écrit-on pas aussi sizain, ou dizième?
[880] A l’époque où on prononçait acident, on prononçait aussi ecellent, et les personnes qui ont l’acent n’ont pas perdu cette prononciation.
[881] C’est le même phénomène que dans acident ou ecellent.
[882] Malgré les préférences de Michaëlis et Passy.
[883] Cette prononciation était déjà usitée au XVIIᵉ siècle. A-t-on voulu instinctivement distinguer dans la prononciation les mots tels qu’exécuter des mots comme excellent, qui s’écrivaient autrement? Ou cela vient-il de ce qu’à l’époque où l’x se réduisait toujours à un s devant une voyelle, on prononçait naturellement ezemple, ezercer? Cependant on prononçait ma-sime et non mazime, et Ale-sandre: alors? Et pourquoi Xavier se prononçait-il Zavier et non Savier, tandis que Xaintonge est devenu Saintonge? Qui expliquera ces bizarreries?
[884] L’x s’adoucit aussi dans Exupère, mais il reste intact dans Exelmans.
[885] Cf. glaude pour claude. Le même changement se produit presque toujours dans la plupart des noms propres, surtout les anciens: Xanthe, Xantippe, Xénocrate, Xénophane, Xénophon, Xerxès et Artaxerxès, et aussi Xavier, et même Xaintrailles. Mais la prononciation correcte de mot est Saintrailles, comme Saintonge, issu de Xaintonge; le c est tombé dans Sain-tonge et Xaintrailles, malgré l’orthographe: c’est toujours la répugnance qu’a le français pour deux consonnes initiales autres que bl, br, etc.
Dans Ximénès et Xérès, on prononce par tradition un k: en réalité, cet x espagnol est une gutturale aspirée, qu’on a transcrite autrefois par un simple ch chuintant, comme dans Chimène, et qu’on écrit aujourd’hui j; mais aucune tradition pareille ne s’est établie pour les autres mots, comme Xenil ou Jenil, Xucar ou Jucar, qu’on prononce pourtant plus généralement avec un x, comme Guadalaxara.
[886] Et en effet il se prononçait primitivement ts, comme en d’autres langues. D’autre part, il a servi longtemps dans l’orthographe, à défaut d’accent, à distinguer l’é fermé final de l’e muet: tu aimes, ils sont aimés, ce qui n’est pas plus extraordinaire que vous aimez.
[887] Ni dans les noms propres du Nord: Despre(z) ou Cherbulie(z), Saint-Genie(z) ou Dumourie(z), Mouche(z) ou Natche(z), Douarnene(z), Depre(z), Despre(z) ou Dupre(z), Géruse(z) ou Sée(z), aujourd’hui écrit Sées, et naturellement Gris-Ne(z) ou Blanc-Ne(z). On ne prononce pas non plus le z dans Fore(z), qui a l’e ouvert, ni dans la vieille préposition lez de Plessis-le(z)-Tours et autres lieux.
[888] On y prononce aussi Agassi(z).
[889] Le z final, quand il se prononçait, avait en dernier lieu le son d’un s dur, et non d’un s doux. Il a aujourd’hui le son de l’s doux dans les noms propres en -az, -iz, -oz, -uz, où on le prononce toujours: Diaz, Hedjaz, La Paz et Chiraz, Hafiz et Abdul-Aziz, Berlioz, Booz, Badajoz, Dalloz, Buloz et Droz, Saint-Jean-de-Luz, Santa-Cruz et Vera-Cruz, et aussi Elbourz ou Elbrouz, etc. Quant aux noms propres en -ez, nous venons de voir que ceux du Nord se prononçaient encore par é fermé sans z, mais ils commencent à s’altérer, notamment Natchez; ceux du Midi, Ambez, Barthez, Lombez, Orthez, Rodez ou Saint-Tropez, se prononçaient en ès par s dur, et se prononcent encore ainsi dans le Midi, mais dans le Nord on leur donne un s doux, ainsi qu’à Duez, Suez, Buchez; on le donne même souvent aux noms espagnols, où l’s dur est préférable: Aranjuez, Sanchez, Fernandez, Rodriguez, Lopez, Vélasquez, Diégo-Suarez, Alvarez, Perez ou Cortez, sans compter Fez. Méquinez s’écrit aussi Meknès, ce qui montre bien la vraie prononciation.
[890] Dans tz, c’est l’accommodation régressive du z au t, plus commode que celle du t au z. On prononce de même Batz, Galatz et Gratz, Fitz, Strélitz, Sedlitz, Austerlitz, Chemnitz, Biarritz, Goritz, Fritz et Schwitz, Freischütz et Olmutz, Hartz, Schwartz et Hertz, et aussi Diez, Seidliz, Leibniz, Brienz. Toutefois on prononce souvent Leibniz et même Austerlitz et Sedlitz par un s simple. Dans Lis(z)t, le z ne peut pas s’entendre.
[891] C’est encore le cas, même après une voyelle simple, dans Me(t)z, dont l’adjectif est messin, et Re(t)z, et aussi Féle(t)z ou Dujardin-Beaume(t)z. On n’entend ni t ni z dans Be(tz), qui a l’e ouvert, et Champcene(tz), qui a l’e fermé.
[892] De même Vénézuéla, Chimborazo ou Sforza, comme Mozart et Pou(z)zoles, Fe(z)zan ou Abru(z)zes, et surtout en tête des mots: Zara, Zermatt, Zimmermann, Zurich, Zuyderzée, Zug, et Zurbaran.
[893] Zollverein, Zwickau, Zwingle, Zwolle, Erzgebirge, Schwarzwald, Creuzer et aussi Guipuzcoa; mais on prononce d’ordinaire un s doux entre l et b: Salzbourg, Salzbach.
[894] De même Arezzo, Brazza, Custozza, Fogazzaro, la Gazza ladra, Gozzoli, Pestalozzi, Pozzo di Borgo, Manzoni, Mazzini, Ratazzi, Rizzio, Strozzi, Spezzia, et aussi Zeus ou Ouezzan. Il en est de même de tz dans Botzaris et autres. Pour cz, voir page 220. Le sz hongrois se prononce s, par exemple dans Szegedin; le sz polonais, ch, par exemple dans Kalisz.
[895] On trouve bien encore un d ou un t dans certains z: mezzo ou grazioso; du moins ceci est étranger.
[896] C’est un reliquat de cette prononciation que nous avons constaté dans les noms de nombre, de cinq à dix: on voit que cela remonte loin. Il y a aussi quelque chose de cela dans plus et tous. Il y a même pour quelques-uns de ces mots trois prononciations différentes: isolément, devant consonnes dans certains cas, et devant voyelles: dis, di et diz; plus, plu et pluz, tout comme au XVIᵉ siècle.
[897] Ce qui permet aux gens facétieux quelques calembours. Ch. Nyrop en cite quelques-uns, dus aux liaisons de en agent, il est ouvert, trop heureux, le premier homme du monde, etc. Et il ajoute très sérieusement: «A moins qu’on ne veuille plaisanter, on évite ces liaisons..., par exemple on s’abstiendra de faire entendre le p de trop dans une phrase comme celle-ci: Vous ne ferez jamais un bon marin: vous êtes trop homme de terre (et non trop pomme de terre!).» Voilà un rapprochement auquel on ne s’attendait pas.
[898] Je ne compte pas les ignorants qui s’étudient à «bien parler», et qui entassent les cuirs sur les velours et les pataquès. Le mot pataquès, dont on a vu l’origine plus haut, page 60, désigne naturellement les confusions de liaison: ce n’est poin(t) zà moi et ce n’est pa(s) tà moi. On appellera plutôt cuir, l’addition d’un t: va ten ville, et velours celle d’un s: j’ai zété, parce que le velours est plus doux que le cuir. D’ailleurs le cuir lui-même avait la prétention d’adoucir la prononciation, peut-être comme le cuir adoucit le rasoir. Notons qu’autrefois on za ou j’ai zété ont été admis par les personnes les plus distinguées, sans parler des quatre zéléments, ou il leur za dit; et tout cela n’était pas plus extraordinaire que a-il ou aime-il prononcés ati ou aimeti au XVIᵉ siècle, avant que le t ne fût introduit dans l’écriture, où il avait figuré déjà à une époque beaucoup plus ancienne. Aujourd’hui encore, entre quat’zyeux est admis par beaucoup de gens: nous reviendrons sur cette expression.
[899] Voir plus haut, pages 151 sqq., ce qui a été dit de l’élision.
[900] Comme on dit: de une heure à deux, sans élision. Il est vrai qu’on fait la liaison dans trois zun; mais c’est comme dans trois zhommes: un est pris ici comme substantif ordinaire. Théoriquement, on ferait aussi la liaison dans cent tun, c’est-à-dire cent fois le numéro 1, par opposition au nombre 101, qui représente cent et un.
[901] On dit pourtant: ils son(t) tun; mais ce n’est qu’une plaisanterie.
[902] Sauf à la Comédie-Française, où l’on peut entendre le jeune premier, dans le Jeu de l’amour et du hasard, articuler nettement dite(s) zoui ou non. On prétend avoir entendu, à la même Comédie-Française, mai(s) zoui: je n’ose le croire! En revanche on peut faire la liaison dans ce(s) zouates, ou trè(s) zouaté; et si on ne la fait guère avec ouistiti, on la fait toujours avec ouailles et les mots de la famille d’ouïr, quoi qu’en ait dit Mᵐᵉ Dupuis, qui prétendait faire prononcer sans liaison
ceci ferait simplement un vers faux, car l’absence de liaison ferait de ou-ïr un monosyllabe.
[903] Quoique dans ce cas on fasse assez facilement l’élision de la proposition de.
[904] L’abbé d’Olivet préférait déjà l’hiatus dans la prose: «On ne doit pas craindre ces hiatus, dit-il; la prose les souffre, pourvu qu’ils ne soient ni trop rudes, ni trop fréquents; ils contribuent même à donner au discours un certain air naturel.»
[905] Et cela depuis fort longtemps, malgré Domergue et beaucoup de grammairiens, qui voulaient à toute force maintenir l’e fermé. Il en résulte une différence entre le premier rhum (e fermé) et le premier homme (e moyen).
[906] Il n’est donc qu’à demi exact de dire que quand un mot est terminé par un e muet, il se lie par la consonne qui précède avec le mot suivant, s’il commence par une voyelle. Il y a bien là quelque chose de la liaison, en ce que la consonne sert aussi d’initiale au mot suivant; mais s’il y avait liaison proprement dite, la consonne pourrait s’altérer; or elle ne s’altère jamais: qu’il ren-d(e) aux hommes, la lan-g(ue) allemande, comme le lisest blanc. Il n’y a de liaison proprement dite, au sens où on l’entend dans ce chapitre, que pour les consonnes qui normalement ne se prononcent pas.
[907] La Fontaine, les Animaux malades de la peste.
[908] Molière, le Misanthrope, acte I, scène 2.
[909] Avec cette nuance qu’ici le c garde le son guttural qui appartient au c final, au lieu de s’altérer en s devant e. On disait de même autrefois de bro(c) ken bouche.
[910] Molière, les Femmes savantes, II, 7. En vers, on pourra lier aussi le c de banc, blanc ou flanc, de tabac ou d’estomac, et même d’instinct; mais si l’on peut éviter l’hiatus par une pause légère au lieu d’une liaison, cela vaudra mieux.
[911] La Fontaine, Fables, XI, 8.
[912] Ceci tient à ce qu’autrefois, quand les consonnes finales se prononçaient, les gutturales sonnaient toujours c, qui est d’une émission plus facile; et c’est pour cela que les mots à c ou g final ont pu si longtemps rimer ensemble, par tradition, sans pouvoir rimer avec les mots à d ou t final, qui, eux aussi, ne rimaient qu’ensemble, pour une raison pareille. Mais il y a beau temps que toutes ces finales auraient dû être assimilées pour la rime. Je dois avouer d’ailleurs que dans les liaisons qui ne se font qu’en vers, comme celle de long espoir, il y a déjà tendance à conserver au g le son doux.
[913] On disait autrefois de cler(c) cà maître; et nous savons qu’on dit encore por(c)-képic. Mais si le g sonne c dans Bourg-en-Bresse, ce n’est pas par liaison. Voir page 236, note 1.
[914] Le d se lie toujours avec le même son que le t, car autrefois, quand le d final se prononçait dans les mots proprement français, il se prononçait plus aisément comme un t, notamment après une nasale: voir ci-devant, note 3.
[915] Cette liaison des formes très usitées est si nécessaire que le peuple la fait parfois même où il n’y en a point à faire, notamment avec va. Le peuple ignore en effet que cette finale tonique de troisième personne se passe de t, sous prétexte qu’aller est de la première conjugaison; il dit donc va-t-et vient, coupe les chats et va-t-en ville, et Malbrough s’en va-t-en guerre. Au surplus quelques-uns de ces cuirs sont devenus corrects: va-t-en, a-t-il, aime-t-il, ne sont pas autre chose qu’une liaison faite, par analogie, là où il n’y a pas de t. De même ne voilà-t-il pas, par analogie avec les troisièmes personnes.—J’ajoute que est se distingue précisément de et par la liaison, car l’un se lie toujours et l’autre jamais, et cela depuis le XVIᵉ siècle au moins, puisque dès cette époque l’hiatus de et fut le seul hiatus avec consonne que les poètes commencèrent à s’interdire; les autres n’étaient pas encore des hiatus.
[916] On notera qu’il y a des adjectifs qu’on ne met guère devant le substantif qu’au féminin ou devant une consonne: chaude saison, blonde enfant, grossier personnage, précisément pour éviter une liaison désagréable ou impossible, comme serait celle de blon(d) tenfant ou grossie(r) ranimal.
[917] Si l’on dit ving(t) tet un, c’est peut-être par analogie avec trente et un: voir page 329; ou peut-être parce que c’est une sorte de mot composé.
[918] Dans j’ai chau(d) aux pieds, aux pieds n’est pas complément de chaud, mais de j’ai chaud.
[919] On dit assez souvent, à tort, avan(t)-hier sans liaison, et en trois syllabes; c’était même, malgré Ménage, la prononciation la plus usitée au XVIIᵉ et au XVIIIᵉ siècle; mais je crois qu’en ce cas on aspirait l’h, et je crois aussi qu’on avait tort. En tout cas, avant-hier a aujourd’hui quatre syllabes, et la liaison s’y impose.
[920] Molière, les Femmes savantes, acte IV, scène 3.
[921] Dans la marine, on dit en ouvrant l’o: le cano(t) test paré; mais c’est une façon de parler en quelque sorte technique ou dialectale.
[922] Mais po(t) à tabac, pour éviter la cacophonie, et même po(t) à beurre.
[923] Tô(t) tou tard, étant un peu cacophonique, se remplace avantageusement par tô(t) ou tard.
[924] La liaison n’est indispensable ici que dans les noms composés, comme Pon(t)-tà-Mousson, Pon(t)-tAudemer, Pon(t)-tEuxin, aussi bien que celle de Saint devant une voyelle, ou celle de Lo(t)-tet-Garonne. On la fait aussi ordinairement, par tradition, dans le titre du Dépi(t) tamoureux.
[925] Il n’est pas possible d’accepter:
et cela par-dessus la césure, avec un lien médiocre entre les mots! Pourquoi pas à tor(t) tet à travers?
[926] On dit aussi généralement Por(t)-tau-Prince; mais Por(t)-Arthur, Por(t)-Élisabeth, etc., doivent se passer de liaison.
[927] Je rappelle qu’on disait autrefois vi(f) vargent, bœu(f) và la mode.
[928] C’est ainsi que le verbe suiver, de suif, est devenu suiffer: «Suiver: quelques-uns disent suiffer», dit l’Académie en 1845; et en 1878: «Suiffer: quelques-uns disent suiver.» En 19..., elle dira suiffer tout court, à moins qu’elle ne dise suifer, ce qui serait plus simple.
[929] Voir plus haut, page 345, si(x) zavril et entre si(x) zet sept.
[930] Et cela ne date pas d’aujourd’hui, s’il est vrai qu’un conseiller au Parlement ait chassé une femme qui, étant allée à la fenêtre, à sa prière, pour s’enquérir du temps qu’il faisait, lui avait répondu: «Le tem(ps) zest beau.» Mais dans la fameuse chanson où Nadaud fait parler un gendarme, il conviendra de lui faire dire, parce qu’il est tout fier de montrer qu’il sait l’orthographe:
[931] Le peuple, qui n’aime guère les liaisons avec s, dira plutôt t’e(s)-t-une bête, par analogie avec la troisième personne, et, mieux encore, t’e(s) une bête.
[932] Le peuple dit volontiers donne-moi-zen: c’est la liaison de donnes, qui passe par-dessus le mot suivant, phénomène très fréquent, quand on ne s’observe pas.
[933] Et lez ou les, dans les noms de lieux.
[934] Molière, Misanthrope, acte III, scène 7. On ne peut cependant pas lier mais oui; voir page 358, note 3. La liaison de mais n’est d’ailleurs pas indispensable dans la conversation: et la preuve, c’est qu’on en vient parfois à dire, en parlant très vite, m(ais) enfin.
[935] Pour six et dix, voir plus haut, page 345.
[936] Quand ce mot était de création nouvelle, sans soudure entre les éléments, on le prononçait sans liaison.
[937] Toutefois on peut écrire matches, ce qui permet de lier.
[938] On dirait de même, sans liaison, un chauffe-pied(s) élégant, car l’s marque le pluriel de pied, mais non du composé, et d’autre part le d ne se lie pas; tandis qu’au pluriel, on pourra dire des chauffe-pied(s) zélégants, comme si l’s n’était pas le même.
[939] Je dis nécessairement, malgré Michaëlis et Passy.
[940] On voit qu’il faut se garder d’exagérer le rôle de la conjonction et, comme on le fait quelquefois.
[941] Par opposition à Champs-Elysées ou États-Unis.
[942] Le mot composé fait si bien un tout, qu’il y a tendance parfois à remplacer l’s intérieur par un s final incorrect: des che(fs)-d’œuvre zadmirables, les chemins de fer zalgériens. Ceci est à éviter; mais que n’écrit-on tout bonnement chédeuvre, avec un s au pluriel, puisque le sens de chef disparaît complètement dans le mot composé?
[943] On fait même souvent la liaison du t et non celle de l’s dans deux accen(ts) taigus, qu’on traite comme des gue(ts) tapens; mais je me demande vraiment si ceci peut passer, car ici les deux mots restent tout de même parfaitement distincts, et connus comme tels.
[944] Je ne parle pas des formes en âmes et âtes, et autres pareilles, qui ne s’emploient évidemment qu’avec liaison puisqu’elles appartiennent exclusivement à la langue écrite ou au style oratoire.
[945] Et, par suite, malgré Michaëlis et Passy, enfonceur de porte(s) zouvertes.
[946] Corneille, Polyeucte, acte I, scène 3. S’il y avait Persans, la liaison se ferait même en prose.
[947] Id., ibid., acte IV, scène 6.
[948] Racine, Britannicus, acte IV, scène 2.
[949] Voltaire, les Scythes, acte II, scène 1.
[950] V. Hugo, Légende des siècles, II, la Conscience. Le même dans ses Odes, I, 8, avait écrit d’abord: Les bronzes ont tonné; il a corrigé ensuite judicieusement, et mis: Les canons ont tonné.
[951] Dans Cromwell, les noms de Charles et Londres reviennent à toutes les pages, et une trentaine de fois devant une voyelle: l’s y est toujours supprimé. Delphes, Thèbes et Arles perdent leur s chacun huit ou dix fois au moins dans la Légende des siècles: Arles seul l’y conserve une fois, pour des raisons qu’on peut déterminer. Banville disait donc une sottise, quand il reprochait à V. Hugo, dans son Traité de Poésie, d’avoir écrit Versaille sans s, sous prétexte qu’ «il n’y a pas de licences poétiques». Il est vrai que M. Donnay a écrit dans le Ménage de Molière:
mais d’abord ce n’est pas ce qu’il a fait de mieux; et puis, il y a dans cette pièce tant de vers d’un rythme contestable, et qu’on doit apparemment dire comme de la prose, de l’aveu même de l’auteur, qu’on ne doit pas se gêner beaucoup pour supprimer l’s de celui-là, et en faire aussi de la prose.
[952] Il est certain qu’en 1789, avant la suture des deux mots, on ne faisait pas plus la liaison que dans États-Unis: voir plus haut; Mᵐᵉ Dupuis l’interdit encore.
[953] Étant donné qu’on évite déjà la liaison de l’s après l’r, il serait encore plus ridicule de dire des ver(s) zà soie, que de dire des moulin(s) zà vent ou des salle(s) zà manger.
[954] Les leçons de Legouvé n’ont d’ailleurs pas corrigé Messieurs les Sociétaires de la Comédie-Française: «L’univer(s) zébloui,» disait Mounet-Sully; et Paul Mounet parlait d’«oublier le corp(s) zen rajeunissant l’âme», quoiqu’il n’y ait même pas de lien grammatical entre les mots. Il aurait donc dit sans doute, a fortiori, prendre le mor(s) zaux dents! Quelle étrange erreur! Et les étrangers vont à la Comédie-Française pour apprendre à prononcer! J’y consens, sauf en matière de liaisons.
[955] Cela n’empêche pas Edmond Rostand d’écrire dans la Princesse lointaine:
La richesse des rimes de Rostand ne permet pas de douter de la prononciation de celle-ci; et cela serait parfait si c’était une de ces scènes comiques, où la fantaisie justifie toutes les licences; mais les propos sont suffisamment sérieux, et c’est la prononciation qui ne l’est pas; ou si l’on prononce correctement, la rime sera très ordinaire. Mais peut-être que Rostand n’a fait cette rime que pour les acteurs, connaissant leurs habitudes incorrigibles.
[956] C’est bien pour cela que ces hiatus apparents sont si fréquents chez Corneille: pour lui ce n’étaient pas des hiatus. Voyez, par exemple, dans Polyeucte, acte II, scène 2, la seconde tirade de Pauline: on y trouve trois rencontres qui, pour nous, sont des hiatus, et pour lui n’en étaient pas:
Nous ne faisons plus ces liaisons. Dans le premier vers, nous nous tirerons d’affaire par une pause; dans les autres, nous subirons l’hiatus, et il faut avouer que le dernier est bien désagréable. La tirade suivante de la même Pauline offre encore deux rencontres pareilles en douze vers, et la première est également désagréable pour nous, parce que nous ne pouvons plus faire la liaison:
Ces liaisons des nasales se retrouvent dans le Midi, parfois même par-dessus une consonne: je tien(s) na dire... C’est probablement un reliquat d’une prononciation qui fut correcte à l’époque où l’on écrivait je tien.
[957] Racine, Britannicus, acte IV, scène 4.
[958] Ce phénomène de dénasalisation ressemble tout à fait au cas des adjectifs qui dévocalisent leur u devant une voyelle, bel homme, nouvel an, fol orgueil, mol édredon, vieil homme: ici aussi c’est le son du féminin qu’on entend.
[959] C’est ce qui condamne encore la dénasalisation au moyen de l’accent aigu de enamourer, enivrer et enorgueillir, où se rencontre le même phénomène de liaison (voir page 133); car ces mots devraient donner normalement, s’ils se dénasalisaient, a-namourer, a-nivrer, a-norgueillir, comme on prononce dans le Midi, très logiquement (cf. a-nuyer pour ennuyer).
[960] Ces traditions ont d’ailleurs des racines profondes dans le passé, car il y eut un temps où le féminin lui-même gardait le son nasal: vain, vain-ne, comme fem-me et ardent-ment: voir pages 64 et 131.
[961] Tout comme dans bo-nhomme, bo-nheur, bo-nhenri (sans compter boniment ou bonifier).
[962] C’est là probablement qu’il faut chercher une explication très naturelle de l’usage que nous faisons de mon, ton, son, au féminin, devant une voyelle. Car dire qu’on voulait éviter l’hiatus de ma âme, sa épée, c’est ne rien dire, et le moyen âge l’évitait tout aussi bien en disant m’âme ou s’épée, procédé dont il nous est resté ma mie, altération de m’amie. Mais la question est de savoir pourquoi on a préféré ce nouveau procédé; et la raison probable, c’est que mon, ton, son, en liaison, même devant des masculins, prennent une forme féminine, qui pouvait aussi bien servir pour les féminins: puisqu’on disait mo-nami comme bo-nami, on pouvait aussi bien dire mo-nâme, comme bonn(e) âme.
[963] La décomposition se fait pourtant dans les mots composés de vin: vinaigre, vinage, vinasse, vinaire, vinification, mais le latin y est pour quelque chose.
[964] La correspondance demanderait eune, qu’on entend dans les campagnes, et qui, au XVIᵉ siècle, était régulier.
[965] Mais si l’on ne dit pas u-nami, ce n’est pas une raison pour dire eu-nami.
[966] Peut-être dira-t-on encore: à eux trois, ils ont vingt et u-nenfants: je ne crois pas qu’on puisse décomposer un ailleurs.
[967] Cf. par exemple cin(q) francs et cinq mai.
[968] De même dans les noms propres comme Bienaimé. Dans le Midi, on pousse la dénasalisation jusqu’au bout: par exemple, on fait rimer de deux syllabes, les savants en us avec anus! On y dit de même a-neffet, a-noutre, et o-nest venu, que préconisait Domergue. On y dit même no-navenu ou no-nactivité; mais en français du Nord, la dénasalisation a les limites que nous avons dites; par exemple, non ne se lie jamais, malgré nonobstant, non plus que la préposition selon.