Title: L'Illustration No. 3228, 7 Janvier 1905
Author: Various
Release date: June 30, 2010 [eBook #33031]
Language: French
Credits: Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque
N° 3228. 63e Année.
7 Janvier 1905
LA REVUE COMIQUE, par Henriot.
Cliché Barry. Copyright 1904.
L'ARMÉE JAPONAISE DANS SES TRANCHEES AVANCEES DEVANT PORT-ARTHUR
Après s'être reposés sous leurs tentes pendant le jour, les soldats, à l'approche du soir, se préparent à l'assaut qui sera donné pendant la nuit contre les positions russes...«C'est avec ses tranchées et ses galeries de mine que Nogi a pris Port-Arthur», ont déclaré les officiers russes réfugiés à Tché-Fou.
Nous annoncions, il y a huit jours, à nos lecteurs une nouvelle collaboratrice. Ils trouveront en tête de ce numéro son premier article, ou plutôt les premières pages de son nouveau Journal.
On connaît l'autre: ce Journal de Sonia, qui fut un des succès littéraires de l'été dernier. En achevant de l'écrire, Sonia nous apprenait qu'elle retournait chez elle en Russie... mais avec le secret espoir de revenir bientôt chez nous.
Elle y revient aujourd'hui, mais ceux que la philosophie de cette mystérieuse étrangère a intéressés n'auront pas à attendre cette fois, pour connaître la suite de ses opinions sur les gens et les choses de Paris, la fin de son séjour et la publication d'un livre.
L'«Etrangère» veut bien nous livrer ses notes au fur et à mesure qu'elle les rédigera.
Et ainsi paraîtra le second Journal de Sonia, dont nous serons heureux de donner en 1905, semaine par semaine, la primeur aux lecteurs de l'Illustration.
Journal d'une étrangère
Treize mois d'absence... Et ma joie de revenir est plus grande encore, ce me semble, qu'il y a deux ans. Ou plutôt non: ce n'est pas une joie plus grande, c'est une joie autre, où il y a plus d'émotion que de curiosité. Et cette émotion est délicieuse. Il y a deux ans, Paris tentait en moi l'imagination d'une petite fille devenue femme; mais je n'y apportais que de confus souvenirs d'enfance, où se mêlait surtout une folle impatience de voir... Aujourd'hui, c'est l'agrément de revoir,--de revoir les choses et les gens,--que j'y viens chercher. Je n'ai plus la fièvre; je sens que je serai moins prompte à m'étonner... mais peut-être goûterai-je d'autant mieux la douceur des spectacles que Paris donne. Je les goûterai mieux, parce que je les considérerai d'un peu plus près, d'une âme moins inquiète, comme des objets familiers déjà, presque chers. C'est, pour une étrangère, une sensation exquise que de «découvrir» Paris; mais ce qui est encore meilleur que de le découvrir, c'est de le retrouver d'y voir revenir à soi des amitiés qu'on croyait perdues, d'y pouvoir reprendre des habitudes... Et me voilà donc installée rue Soufflot, dans le même hôtel où, depuis la réouverture des cours, Natenska m'a devancée. J'ai eu la joie d'y retrouver libre le petit appartement où nous passâmes tant de douces soirées à deviser ingénument sur les choses de Paris. Le papier de tenture est neuf; mais les meubles n'ont pas bougé. Je reconnais aux murs les gravures d'il y a deux ans: Rouget de l'Isle chantant la Marseillaise, Enfin seuls!, une Descente de croix, de Rubens. La table où j'écrivais boitait un peu; elle boite toujours. J'ai remarqué qu'il est très rare de rencontrer dans une chambre d'hôtel une table dont les quatre pieds soient parfaitement égaux. Mais j'aime ce décor sans élégance, un peu bête, qui m'est resté fidèle comme un ami.
Et puis ce quartier des Ecoles me ravit. Il me semble qu'on y respire un air plus léger qu'ailleurs. Je songe que c'est le coin de Paris d'où sont parties la plupart des idées qui font la grandeur de cette ville-ci et sa grâce, où l'on entretient les plus beaux rêves, où presque toutes les ambitions ont une noblesse, où tous les hommes qu'on rencontre ont vingt ans...
Je note, autour de moi, deux nouveautés: aux sièges de quelques fiacres, les petits drapeaux rouges du «taximètre» et là-bas, devant le Panthéon, sur un haut tabouret de bois clair, une tache noire: le Penseur, de Rodin. C'est tout, je crois. Mais les figures ont un peu changé. Mon hôtelière a engraissé fâcheusement et mon libraire a grisonné. Je reconnais, dans les boutiques, des fillettes dont les unes sont devenues laides et les autres jolies. Des gamins qui me souriaient, il y a deux ans, sont à présent des adolescents graves, qui me saluent de cet air de déférence inquiète dont nous nous sentons secrètement, nous autres femmes, plus flattées que d'un sourire. On a «poussé», on a vieilli... et c'est une nouvelle année qui commence.
J'ai flâné dans les rues, cette semaine, pour la regarder commencer. Ce n'est plus la folie d'il y a huit jours, cette fièvre de «nouvel An» qui allumait tous les yeux, répandait une gaieté sur les choses, accélérait l'allure des piétons et des véhicules, entassait le long des boulevards les badauds autour des baraques où s'offre le jouet de l'année dans le tapage des boniments, mettait je ne sais quel aspect d'abondance et de splendeur joyeuse aux devantures des boutiques illuminées. Ce n'est plus cela, mais c'est quelque chose de charmant encore: c'est le recommencement nonchalant de la vie dans le décor délicieux d'une fête où l'on s'est un peu fatigué et qui a passé trop vite...
Quelques baraques ont disparu; les autres tiennent bon. Aux vitrines de mon libraire, il y a encore des livres d'étrennes, qui s'obstinent... Les étalages ont gardé un peu partout leur air de gala; et il y a comme un air de joie aussi sur les visages,--de cette joie apaisée qui suit les heures très heureuses. On est content. Pourquoi? Parce qu'on attend, sans doute, un peu plus de bonheur de l'année qui vient que n'en a donné celle qui s'en va.
Je me souviens qu'un jour, étant petite fille, je demandai: «Qui a donc inventé le jour de l'An?» Les enfants posent souvent des questions très raisonnables dont rient les grandes personnes, afin d'échapper à l'ennui d'y répondre. «L'inventeur» du jour de l'An m'apparaissait déjà dans ce temps-là comme un être infiniment spirituel et bienfaisant, et je l'aimais. En grandissant, j'ai appris que ce bienfaiteur n'existait point; que l'Année, c'est le tour d'un astre autour d'un autre astre, et que les philanthropes et les donneurs d'étrennes ne sont pour rien dans la fixation de l'heure bénie où recommence, de douze en douze mois, ce jour-là. Le jour de l'An se fait tout seul... Alors, je songe à la très abominable chose que serait l'existence des hommes sans cette journée; j'imagine une vie formée d'heures seulement,--d'heures qui succéderaient à des heures, toujours, sans une halte où, de temps en temps, les malheureux pussent s'approvisionner d'espérance et «refaire» un peu, pour l'étape d'après, leurs âmes fatiguées. Et je remercie l'Etre mystérieux (je l'appelle Providence au risque de me brouiller avec les nihilistes de ma famille) qui découpa, dans l'infini du temps, les années.
L'année, c'est une petite vie dans la grande; une petite vie complète, indépendante de celles qui l'ont précédée et de celles qui la suivront; aussi vite finie que commencée, et cependant assez vaste pour que s'y puissent loger toutes les douleurs et toutes les joies, toutes les occasions et toutes les raisons qu'on a de rire et de pleurer. Mais nous sommes ainsi faits qu'au seuil de l'année qui s'ouvre à nous nous ne voulons apercevoir que la possibilité d'un sort meilleur. C'est pour cela que lejour de l'An nous met à tous l'âme en joie. Je regardais aux vitrines des papetiers, ces jours-ci, les calendriers nouveaux, les images allégoriques de l'Année qui vient; cela n'a pas changé non i plus. L'Année qui finit, c'est une vieille femme, en loques, que le Temps met en fuite; elle est le passé, dont on se moque et qui ne compte plus. L'Année qui commence, c'est une femme aussi; mais celle-là est jeune, elle est délicieusement parée, elle sourit aux hommes, elle vient à eux avec des gestes de bienfaitrice: elle est l'Espérance.
Cette image-là n'est pas accrochée qu'aux vitrines des papetiers: elle est en nous, et le dessinateur n'a fait ici que traduire le plus universel et le plus vieux de nos rêves,--un rêve que refont d'instinct, tous les douze mois, les moins heureux, ceux pour qui le jour de l'An n'est guère différent des trois cent soixante-quatre autres jours de l'année qu'ils viennent de vivre. Car la vie ne s'arrête pas, et même ce jour-là--surtout ce jour-là!--nous entendons qu'il y ait des cochers sur les sièges des fiacres et des tramways, des sergents de ville aux coins des rues, des hommes d'équipe aux quais des gares, des factionnaires aux portes des ministères, des watmen dans les cages du Métro, des hommes transis et barbouillés de noir sur les plates-formes des locomotives... Ceux-là n'ont pas reçu d'étrennes et ne fêteront point l'année qui commence; autour d'eux, tout le monde s'amuse; eux, docilement, parmi la cohue, travaillent pour nous. Et cependant je suis sûre que, même à ces solitaires, cette première journée de l'année fut moins lourde à passer que les autres; qu'il n'y en a pas un que cette vision de l'«An neuf» n'ait réjoui. Sans doute, je n'oserais pas imprimer dans un livre destiné à l'enseignement des petites filles que la joie de vivre date de l'invention des calendriers. J'aurais peur que cette affirmation ne parût hasardeuse aux philosophes.
Et pourtant, quand on y réfléchit...
Sonia,
27 décembre.--A la Chambre des députés, adoption définitive d'une loi enlevant aux fabriques et consistoires des églises le monopole des inhumations pour en faire un service communal.
28.--Clôture de la session extraordinaire du Parlement, après le vote d'un douzième provisoire sur le budget de 1905, dont la discussion n'a pu être achevée.--Requête de membres civils et militaires de la Légion d'honneur demandant au général Florentin, grand-chancelier, de vouloir bien soumettre à l'examen du conseil de l'ordre le cas des légionnaires désignés comme ayant pris part à des actes de délation.
31.--Réception par le président de la République de sir Edmund Monson, qui lui présente les lettres de rappel mettant fin à ses fonctions d'ambassadeur d'Angleterre à Paris.--Décret de grâce rendu en faveur des quatre frères Crettiez, condamnés à la suite de l'affaire de Cluses.
1er janvier.--Réceptions officielles à l'Elysée. Le comte Tornielli, ambassadeur d'Italie, doyen du corps diplomatique depuis le départ du nonce apostolique, prononce l'allocution d'usage.
26 décembre.--Publication, à Saint-Pétersbourg, du Rescrit impérial adressé au Sénat, dont nous avons pu, dès la semaine dernière, donner une analyse. Ouverture des zemstvos de gouvernement, dont les délibérations font suite à celles des zemstvos de district. Le ministre de l'intérieur, par une circulaire spéciale, interdit à ces assemblées de discuter toute question politique.--En Grèce, M. Delyannis est chargé de la constitution d'un nouveau cabinet.--La Porte décide enfin de reconnaître les nouveaux officiers de gendarmerie envoyés en Macédoine par les puissances.--Ouverture, à Bombay, du Congres national indien.
28. Démission de M. de Koerber, depuis cinq ans premier ministre autrichien.
29.--Conclusion d'un accord commercial anglo-russe, accordant des droits et privilèges équivalents, dans les deux pays, aux sociétés commerciales, industrielles, financières des deux pays.--On annonce de Saint-Pétersbourg que l'amiral Kaznakof, commissaire de la Russie à la commission internationale d'enquête (affaire de Hull), est, pour raison de santé, remplacé par le vice-amiral Doubassov.
30.--En exécution du traité du 13 février 1904, le Siam transmet à la France (Indo-Chine) les provinces de Moulou-Prey, Tonlé-Repou, Bassac, Louang-Prabang; les troupes françaises commencent à évacuer la petite ville siamoise de Chantaboun, que nous détenions comme gage de l'exécution du traité du 6 octobre 1893, et à occuper le port de Kratt, à une soixantaine de kilomètres au sud, qui nous est donné par la dernière convention.--Meilleures nouvelles du Maroc; le sultan aurait mandé M. Gaillard, notre consul à Fez, pour lui déclarer que le renvoi de la mission militaire française lui avait été dicté par des considérations budgétaires et que, si cette mesure déplaisait à la France, il ne l'exécuterait pas.--En Roumanie, retraite du cabinet libéral Demètre Stourdza, en fonctions depuis le 14 février 1901.--Entrevue à la gare de Belgrade, entre le roi Pierre de Serbie et le prince Ferdinand de Bulgarie.--Le War office décide la transformation de l'armement de l'artillerie anglaise: 160 batteries, d'un tout nouveau modèle, sont commandées, pour le prix de 60 millions de francs.
31.--Le baron Gautsch est appelé à succéder, en Autriche, à M. de Koerber.
Chaque jour de la dernière semaine de 1904 était marqué par un nouveau succès des Japonais, au nord et au nord-ouest de Port-Arthur. Tour à tour, les forts d'Erloung-Chan, de Soung-Sou-Chan, de Pan-Loung-Chan, tombaient aux mains des assaillants. La principale ligne de défense, si longtemps invulnérable, était largement entamée. La forteresse n'avait évidemment plus assez d'hommes et de munitions pour continuer sa résistance. Le dénouement était inévitable. Il s'est produit le 1er janvier par l'envoi d'un parlementaire russe au camp du général Nogi. Le lendemain, 2 janvier, la capitulation était signée.
Un curieux document: le sultan du Maroc
photographié en
uniforme de général anglais.
Devant ce fait capital, tous les autres disparaissent. Il faut cependant mentionner que les amiraux Togo et Kamimoura se sont rendus à Tokio où les présidents des deux Chambres et le peuple leur ont fait une réception triomphale; au milieu des ovations, ils ont été conduits directement chez le mikado. Les amiraux venaient arrêter, de concert avec l'état-major, le plan des prochaines opérations navales contre la seconde escadre russe du Pacifique.
On travaille activement, sur le Transsibérien, à remplacer les rails par des rails plus lourds (22 kilos au mètre courant, au lieu de 16); ce travail est déjà effectué sur 1.740 kilomètres. On étudie le doublement de la voie déjà décidé.
Nous faisions connaître, la semaine dernière, quelques-unes des distractions favorites du sultan du Maroc, aux heures de loisir que lui laisse l'exercice, souvent fort épineux, du pouvoir souverain. Le très étrange portrait d'Abd-el-Aziz que nous avons la bonne fortune de publier aujourd'hui révèle une fantaisie du jeune empereur qui pourrait être classée au même chapitre des amusements et divertissements si, pourtant, par un certain côté, elle ne laissait supposer, au moins chez d'autres que chez lui, des intentions assez machiavéliques.
Exploitant, non sans habileté, ce penchant qu'on lui connaît pour nos moeurs, nos coutumes, pour toutes les choses d'Europe, on lui avait commandé, chez le bon faiseur de Londres, un uniforme qui, aux bottes près,--de vraies bottes de général d'opérette, qui semblent empruntées au magasin de costumes des Variétés;--au fez encore, intangible, irremplaçable, se rapprochait assez des uniformes du haut commandement de l'armée anglo-égyptienne. Ce n'était qu'un essai, qu'une tentative; mais, dans cette tenue, un lourd sabre de cavalerie à la main, Abd el Aziz, constellé de tous ses ordres, posa devant l'objectif. On voit le résultat de cette séance, à jamais mémorable, chez le photographe.
C'était au temps de la grande faveur de Mac-Lean et il n'est que trop aisé de deviner d'où était venue la suggestion. La photographie n'a plus guère qu'un intérêt rétrospectif, puisque toute espèce de rivalité entre l'Angleterre et nous, au sujet de la suprématie au Maroc, semble désormais bien éteinte. On peut se demander, toutefois, ce qu'eussent pensé et fait les sujets du sultan, si prompts à s'alarmer de tout oubli des vieux usages, de toute violation, même légère, des traditions séculaires, le jour où leur seigneur et maître eût osé se montrer à eux sous ce harnois de guerre, et non plus sous les draperies de laine et de soie blanche, quasi sacerdotales, qu'ils ont accoutumé de lui voir porter.
Le nom de M. Jean Bidegain appartient désormais à l'histoire; il n'en est pas qui en l'espace de quelques semaines ait été plus de fois imprimé dans les journaux, répété par plus de bouches; il restera étroitement attaché à l'affaire de la délation, si fertile en incidents sensationnels.
Comment ce modeste bureaucrate, secrétaire adjoint du Grand-Orient, sous-ordre de M. Vadécard, a-t-il conquis d'emblée la grande notoriété? Tout le monde le sait: en livrant les fameuses fiches maçonniques dont il avait la garde, il fut le principal artisan de leur divulgation dans la presse et à la tribune du Parlement.
Abstraction faite d'autres considérations, le cas de M. Bidegain offre cette originale particularité: dès l'instant où il est devenu un «homme du jour», ce personnage, soudainement révélé, s'est totalement éclipsé; il semble n'être sorti de l'obscurité des bureaux de la rue Cadet que pour plonger dans les épaisses ténèbres de l'inconnu, ou tout au moins de l'incognito; il a filé «à l'anglaise», mettant sur les dents les plus fins limiers du reportage, laissant les esprits anxieux se perdre en conjectures, comme on dit. Gratifié d'un ton d'ubiquité prodigieux, on a signalé simultanément sa présence à Liège et au Caire; on a répandu, puis démenti la nouvelle de sa mort: on l'a même interviewé... approximativement. Où est Bidegain? Cherchez Bidegain? Problèmes d'actualité, rappelant la légendaire question du Bulgare.
Si nous ne pouvons en fournir la solution, du moins sommes-nous en mesure de publier un portrait authentique de M. Bidegain, et nous répondons ainsi au voeu du public, naturellement curieux de connaître la physionomie des gens qui font beaucoup parler d'eux.
On fait ses classes au collège, on fait dans le monde ses humanités. EMILE AUGIER.
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Les enfants sont la moisson des pères. VILLEMAIN.
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Le cercle: la famille de ceux qui n'en ont pas ou qui s'ennuient de la leur. GUY DE MAUPASSANT.
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D'un écrivain, on ne contrefait que la manière, on ne contrefait pas la pensée. SAINTE-BEUVE.
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La poésie, sous sa forme la plus haute et la plus pure, qu'est-ce autre chose que la vérité en fleur? FÉLIX HÉMON.
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Même lorsque les bonheurs sont fanés, le souvenir en parfume la vie. LEONCE DUPONT.
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On voit parfois l'intolérance et le despotisme émerger d'une révolution libérale comme les plantes vénéneuses d'un riche terrain d'alluvion.
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La fameuse «scène à faire», au théâtre, est, en général, celle qui n'est pas à faire dans la vie. G.-M. VALTOUR.
1.--La voiture amenant les chiens de la fourrière. | 2.--Arrivée de la voiture devant la maison de M. Syveton. | 3.--La caisse contenant les deux chiens est introduite dans l'immeuble. |
4.--La première victime est tirée de la caisse. |
5.--Condamné à l'intoxication par le gaz.--Croquis d'après nature de M. Flasschoen. |
6.--La deuxième victime attend son tour. |
Les préparatifs des expériences du 3 janvier au domicile de M. Syveton.
7.--M. Jondeau, concierge, 20 bis, avenue de Neuilly. |
La cheminée à gaz du cabinet de travail de M. Syveton. A. Appareil Fondet, pour augmenter la surface de chauffe.--B. Bouches de chaleur.--CCC. Bûches à gaz garnies d'amiante.--G. Arrivée du gaz venant du compteur.--J. Journal froissé trouvé après la mort de M. Syveton au-dessus de l'appareil Fondet. |
Mme Ménard et Mme Syveton.--Photographie Stebbing (1904).
Mme Syveton. |
Photographies Sazerac (1903). |
Mme Ménard. |
LES PLUS RÉCENTES PHOTOGRAPHIES DE Mme SYVETON ET DE SA FILLE, Mme MENARD
Général Oku. | Général Oku. |
Le général Oku, le prince Nashimoto et l'état-major de la 2e armée suivant les progrès de l'attaque de Chu-San-Pao.
Un cinématographe en position sur le passage
d'un convoi
de blessés.
Phot. Hare. Copyright by Collier's Weekly.
On a remarqué déjà que les Japonais voyaient sans déplaisir les photographes, correspondants de journaux ou représentants d'entreprises cinématographiques, fixer sur le gélatino-bromure les péripéties de la campagne actuelle,--au moins en tant qu'elles peuvent servir leur gloire.
C'est ainsi qu'un cliché, d'ailleurs fort amusant à analyser, nous montre le général Oku suivant, d'un observatoire, la marche de l'attaque de Chu-San-Pao. Le général est assis sur une bien banale chaise, très européenne, en bois courbé, à fond canné. Devant lui, à terre, la carte du champ de bataille de la région est étendue. Les officiers de l'état-major sont dispersés derrière de petits remblais, assis sur du millet, et parmi eux, au premier plan, le prince Nashimoto, cousin de l'empereur.
C'est ainsi encore que nous voyons opérer, ci-contre, le cinématographe, au passage d'un convoi de blessés.
La troisième de ces photographies n'eut pas l'heur de plaire aux autorités japonaises, à la censure militaire, plus exactement, qui fonctionne tout aussi ponctuellement qu'en Russie. Elle nous arriva, complètement recouverte d'un épais papier vert collé sur toute sa surface. Mais la meilleure colle ne vaut pas, pour masquer les choses qui ne doivent pas être lues ou vues, le bon «caviar» de la police russe. Nous pûmes dégager cette image et la retrouver telle que la voici, montrant un amas de huit cadavres de soldats autour du corps du lieutenant Chokichi Yoshimi, du 16e d'infanterie.
Mais quelle idée avait traversé la cervelle du fonctionnaire japonais? Est-il donc si subversif de montrer que les guerriers nippons meurent aussi, comme les autres?
UN GROUPE DE CADAVRES DU 16e REGIMENT D'INFANTERIE
JAPONAISE APRÈS LA BATAILLE DE TA-CHE-KIAO
Dans les revues japonaises cette gravure a été, par ordre de la censure
militaire, recouverte d'une épaisse bande de papier soigneusement
collée.
L'intérieur d'une tranchée japonaise avancée.
LES TRANCHÉES JAPONAISES DEVANT PORT-ARTHUR
Aux abords de la place assiégée, une véritable ville souterraine, où
s'entre-croisaient les sapes, les tranchées, les contre-mines, avait été
creusée depuis le commencement du siège. Chaque jour elle se développait
un peu, s'avançait doucement vers les ouvrages de défense. On l'avait
construite presque en entier de nuit, et c'est aussi la nuit qu'elle
s'animait pour l'oeuvre meurtrière et retentissait des éclats du feu.
Soldats japonais en tenue
d'hiver
Dans la journée, la plupart des tranchées étaient désertes, les hommes
reposant sous la tente dans celles qui leur servaient de casernements.
Vers 4 heures de l'après-midi, le mouvement, suspendu depuis l'aube,
recommençait. Les soldats apparaissaient dans les tranchées, procédaient
sommairement à leur toilette et faisaient minutieusement celle de leurs
fusils, rangés dans une entaille du parapet, se préparant pour l'action
prochaine.
LES TRANCHÉES PARALLELES DEVANT PORT-ARTHUR.
--A l'abri
des bombes: le général japonais Teuchiya, de la 11e
division, regardant
à la lorgnette, par une meurtrière, les effets du
bombardement.--Phot.
Harry, copyright 1904.
Ces tranchées, on peut le constater, étaient en général à découvert. Mais, de place en place, des réduits formant pont et matelassés de gazonnements et de sacs à terre étaient aménagés pour abriter les officiers généraux dirigeant le feu. Ils correspondaient à des fenêtres, à des meurtrières étroites percées à travers le rempart et permettant aux hauts commandants de suivre le combat à l'abri des bombes.
Le général japonais Iditchi,
chargé de négocier la
reddition
de Port-Arthur.
L'entrée de Port-Arthur, vue de la mer, d'après une
photographie prise au mois de septembre, avant la destruction de la
flotte russe.
Le général russe Kondratenko, qui avait organisé la défense de Port-Arthur et qui a été tué le 25 décembre par un obus japonais. | Le général japonais Nogi, commandant en chef l'armée d'opérations qui a réduit Port-Arthur après huit mois de siège. |
PANORAMA DES MONTAGNES FORTIFIEES ENTOURANT PORT-ARTHUR
DU COTÉ DE LA TERRE
A l'horizon: le profil de crête de la montagne d'Or et de la colline de 203 mètres; sur le flanc des collines on aperçoit un grand nombre d'ouvrages provisoires japonais.--Copyright 1904, by Underwood and Underwood.
Supplément à l'ILLUSTRATION, 7 Janvier 1905.
Le général Stossel. | Mme Stossel. |
(Agrandissement)
LES DÉFENSES DE PORT-ARTHUR, D'APRÈS UNE CARTE JAPONAISE
Les forts et ouvrages tracés en trait plein et surmontés d'un pavillon japonais sont ceux dont les Japonais s'étaient rendus maîtres jusqu'au 1er janvier au matin. Les forts tracés en double trait étaient encore aux mains des Russes, mais n'avaient plus d'hommes et de munitions pour les défendre.--Sur cette carte sont également indiqués le village de Shui-Shi-Yng, où les parlementaires russes furent envoyés le 1er janvier, et l'ouvrage du Nid-du-Grand-Aigle, où fut signée la capitulation du 2 janvier.
(Agrandissement)
PORT-ARTHUR: VUE A VOL D'OISEAU PRISE DES HAUTEURS
DE L'EST
Le port de commerce.
La vieille ville: le signe + désigne l'imprimerie du
journal «Novi Kray»; le signe X désigne l'ancienne maison de l'amiral
Alexeïef.
Les entrepôts et magasins: à gauche, l'entrée de la rade.
PORT-ARTHUR AU DÉBUT DE LA GUERRE: MAINTENANT UN MONCEAU DE RUINES
LES DERNIÈRES NUITS DE PORT-ARTHUR
Aérostiers militaires japonais observant les effets du tir sur la ville,
la rade et les ouvrages de défense.
Première et dernière pages d'un des
fascicules manuscrits
du Code civil.
Le Code Napoléon, qui nous régit encore, date de 1804. C'est le 21 mars de cette année qu'une loi réunit sous le titre de «Code civil des Français» un ensemble de lois sur les matières civiles qui, rédigées par une commission composée de Tronchet, Bigot de Préameneu, Malleville et Portalis, puis approuvées par le Tribunat, avaient été successivement promulguées et rendues exécutoires, sous forme de décrets rendus par Bonaparte, au fur et à mesure de leur élaboration. Les manuscrits originaux de ce monument législatif sont précieusement conservés dans les archives du ministère de la justice. Ils constituent une série de fascicules, écrits avec application sur parchemin, tous revêtus de la signature du Premier Consul et cousus d'un cordonnet tricolore. Chacun d'eux porte un énorme sceau de cire rouge, qui ne mesure pas moins de 135 millimètres de diamètre et qu'une épaisse boîte de fer-blanc protège contre toute atteinte: la destruction ou l'altération volontaire de l'un de ces sceaux emporterait pour son auteur la peine des travaux forcés. Nous reproduisons la page initiale et la dernière du premier livre, du premier titre proprement dit, précédé d'un titre préliminaire de six articles renfermant les dispositions générales--c'est le type même du manuscrit entier et tous les autres fascicules lui ressemblent.
On a célébré récemment le centenaire du Code civil. Il ne devait pas survivre, en son intégralité, à cette commémoration.
«Il devinait les lois en faisant des codes», dit, exaltant Napoléon, un des personnages de Vigny. Les moeurs en se modifiant devaient pourtant rendre caduques quelques-unes des dispositions du Code de 1804. Depuis longtemps, des écrivains, des légistes avaient signalé les imperfections, les rides, qui, avec le temps, en raison des conditions nouvelles de notre existence, y étaient apparues. M. Vallé, garde des sceaux, ministre de la justice, a pensé que l'heure était venue de procéder non à une refonte, à une réfection, mais à une mise au point du Code civil. Et il a chargé une commission de rechercher quelles modifications on pourrait utilement apporter à cet ensemble de lois pour le mettre en harmonie avec les réalités actuelles de la vie. Cette commission, de soixante et un membres, sous la présidence de M. Ballot-Beaupré, premier président de la Cour de cassation, comprend, à côté de jurisconsultes éminents, de membres du Parlement, des hommes de lettres comme M. Paul Hervieu, M. Brieux, M. Marcel Prévost, qui, dans leurs écrits, avaient envisagé certains problèmes, résultat de la non concordance des lois avec les moeurs actuelles. Et, à la fin de décembre, le garde des sceaux inaugurait solennellement, en l'hôtel de la place Vendôme, les travaux de cette commission.
Une réunion de la commission chargée de la réforme du
Code civil au ministère de la justice.
Aspect actuel du Palais de justice et des vieilles
maisons qui y sont enclavées,
à l'angle du boulevard du Palais et du
quai des Orfèvres.
Ces jours-ci, le Conseil général de la Seine a voté définitivement un grand emprunt départemental, déjà sanctionné par les deux Chambres et permettant d'exécuter à Paris et dans les communes environnantes des travaux d'utilité générale.
En ce qui concerne Paris, les travaux les plus importants gagés sur cet emprunt de 200 millions sont l'agrandissement des Halles et du Palais de justice, l'achèvement du boulevard Raspail et la construction d'une nouvelle gare aux abattoirs de la Villette.
C'est par le Palais de justice que l'on va commencer. Dans les premiers mois de 1905, vont être poursuivies les formalités d'expropriation des immeubles, d'ailleurs peu élégants qui forment l'angle du boulevard du Palais et du quai des Orfèvres. Disparaîtra également le hangar qui flanque les bâtiments de la Sûreté et renferme les pompes, dites de l'état-major.
La nouvelle construction occupera tout cet emplacement. C'est le projet établi par M. Tournaire, architecte de la première division de la Préfecture.
A gauche, près des bâtiments de la Sûreté, on remarque un guichet assez bas, en forme de voûte. C'est par là que passeront les voitures cellulaires menant les détenus à l'instruction.
A côté, une tour. Puis le corps proprement dit du bâtiment qui aura trois étages et rappelle un peu l'architecture allemande. M. Tournaire a établi à l'angle du boulevard du Palais une tour dépassant à peine la toiture du bâtiment, de manière que, vue de la place Saint-Michel, elle ne puisse aucunement lutter avec la flèche si fine et si délicate de la Sainte-Chapelle.
La septième commission du Conseil général a nommé pour étudier ce projet une sous-commission composée de MM. Galli, Ambroise Rendu, Bertrou, Le Menuet, Heppenheimer. Le croquis de M. Tournaire semble réunir leurs suffrages, comme ceux de la plupart des autres membres du Conseil. Quelques-uns pourtant critiquent la tour de gauche; ils craignent qu'elle ne masque la Sainte-Chapelle sur le quai des Grands-Augustins. Ces derniers préféreraient une tour plus large peut-être, mais moins élevée.
Que le projet soit adopté tel quel, ou qu'il subisse cette modification de détail, il nous a paru intéressant de publier un croquis qui modifie si profondément un des coins les plus fréquentés de Paris. Cet agrandissement permettra de créer au Palais quatre nouvelles chambres correctionnelles, plus une cinquième chambre plus grande pour les causes sensationnelles et une salle pour les accidents du travail.
Les travaux de démolition des immeubles et des fondations du nouveau bâtiment seront sans doute commencés cette année. Si tout marche bien, peut-être l'inauguration de cette nouvelle et importante partie du Palais aura-t-elle lieu à la fin de 1907.
Indiquons que M. Tournaire a l'intention de ménager une pelouse garnie de bouquets d'arbres dans la cour de la Sainte-Chapelle. Cette sorte de square serait en effet plus en rapport que le macadam actuel avec ce bijou de l'architecture française.
Le Palais de justice, vu de la place Saint-Michel, tel
qu'il sera après son agrandissement.
Groupe de voitures concurrentes à l'étape de Kalyan (à 40
milles de Bombay).
La voiture victorieuse, conduite par M. L. Sorel.
L'automobile a commencé la conquête de l'Inde: sa première victoire, en
ces lointaines régions vient de s'affirmer avec éclat par une grande
course qu'a organisée le Motor Union of Western India (comité de
l'Automobile-Club de l'Inde occidentale) et pour laquelle un émule
hindou de M. Gordon-Bennett, S. A. le guikowar de Baroda, a
généreusement offert le prix de la Coupe.
L'épreuve a eu lieu entre Delhi, la capitale des empereurs mogols et le grand port de Bombay. Elle a duré huit jours, du 26 décembre au 2 janvier. Ce n'était pas une course de vitesse, mais une course de résistance et de continuité démarche. On comptait 38 voitures engagées, dont 19 françaises, 17 anglaises, une italienne (Fiat) et une américaine (Oldsmobile). Les principales marques françaises étaient représentées: de Dion-Bouton, Gardner-Serpollet, Dietrich, Panhard-Levassor, Peugeot, Clément, Renault, etc.
Quatorze cent cinquante-cinq kilomètres, tel est le long ruban de route qu'ont eu à parcourir les chauffeurs concurrents en ce voyage du Pendjab à la présidence de Bombay, par étapes de 125 à 200 kilomètres, à Agra, Gwalior, Goona, Sarangpore, Indore, Dhulia, Nasik. Parcours sans obstacles sinon une étendue d'eau qui, 'coupant l'itinéraire, obligeait les modernes voitures à emprunter momentanément le secours d'un bac, antique mode de transport.
L'AUTOMOBILE DANS L'INDE.--Une voiture passant,
en bac,
une rivière qui coupe la route.
--Photographie J. Stewart.
L'Automobile-Club de l'Inde occidentale, si nous en jugeons par les termes mêmes de son programme, poursuivait un triple but en préparant cette course:
1° Démontrer au public indien que l'automobile a maintenant atteint un tel degré de perfection qu'elle répond entièrement aux besoins de l'Inde, surtout dans les districts où le chemin de fer n'existe pas et où les fonctionnaires ont souvent à 'parcourir des distances énormes;
2° Engager les touristes qui visitent ce pays à amener avec eux leurs voitures et à profiter ainsi des routes magnifiques et du temps idéal que le voyageur est assuré de trouver entre les mois d'octobre et de mars;
3° Attirer l'attention des fabricants d'Europe et d'ailleurs sur ce dont l'Inde a besoin en fait d'automobiles.
Le règlement de l'épreuve avait été judicieusement conçu à cet effet. Un nombre maximum de points (1.000) avait été alloué à chaque voiture et un point lui était retranché pour chaque minute d'arrêt en cours de route par suite de n'importe quelle cause autre que les neutralisations prévues. Aucune réparation, aucun ajustement, aucun changement ne pouvaient être faits aux voitures ou aux moteurs durant le trajet d'une étape à l'autre sans entraîner une perte de points. Les arrêts dus aux accidents de pneumatiques entraînaient de leur côté une perte d'un demi point par minute.
Dans ces conditions il est naturel de penser que la course Delhi-Bombay aura des résultats pratiques pour le développement de l'automobile dans l'Inde et il est agréable de constater qu'avec une voiture de sa fabrication--une Dietrich--l'industrie française a remporté dans cette possession anglaise une nouvelle victoire.
LE CIRCUIT D'AUVERGNE
où se courront, en juin prochain, les Eliminatoires, la coupe
Gordon-Bennett et le Grand Prix international de l'Automobile-Club de
France.
Carte du circuit.--1. Le départ et l'arrivée, aux «Quatre-Routes», face à Clermont-Ferrand; la route de gauche s'éloignant vers le second plan est la ligne de départ; la route de droite venant vers le premier plan est la ligne d'arrivée.--2. M. Théry (au volant de direction), gagnant de la coupe Gordon-Bennett en 1904, et M. Brasier (derrière Théry), constructeur de la voiture victorieuse, sur la route du circuit d'Auvergne.--3. Une descente en ligne droite en vue du puy de Dôme.--4. Une descente en virage après Rochefort.--5. Ligne droite et descente à pic après Rochefort.--6. Zigzags avant Lastic.--7. et 8. Deux virages «sur place», le premier après le col de la Moreno, le second à Bourg-Lastic.
Le nouveau dirigeable Santos-Dumont muni
de sa
montgolfière dans l'aérodrome du parc
Saint-James, à Neuilly.
Le nouveau Santos-Dumont.
Reprenant à un siècle d'intervalle, en le perfectionnant et le dotant des ressources de la science moderne, le système de ballon mixte, aérostat et montgolfière, dû à l'invention de Pilâtre de Rozier, M. Santos-Dumont espère battre ainsi tous les records de durée de séjour dans l'atmosphère sans atterrissage.
Si ce n'était la perpétuelle menace d'incendie qu'entraîne toute montgolfière en raison du voisinage obligé d'un foyer incandescent, le système offrirait de nombreux avantages. Associer à un aérostat à gaz léger un ballon à air chaud dont il suffira d'élever la température pour contre-balancer les perles d'hydrogène, pertes dues tant à la porosité des enveloppes qu'à la manoeuvre des soupapes, est, en effet, une idée des plus rationnelles. Il est facile de comprendre que ce système permettrait de séjourner plusieurs jours dans l'atmosphère puisqu'il suffirait d'échauffer progressivement l'air de la montgolfière à mesure que l'aérostat perdrait de sa force ascensionnelle.
Pour atteindre ce but, M. Santos-Dumont a combiné ingénieusement son thermo-ballon. Comme l'indique notre photographie, le ballon principal, de forme ovoïde, à gros bout à l'avant, contient la moitié supérieure de la montgolfière dont le bas fait saillie en dessous de l'aérostat. La capacité de cette montgolfière est d'environ 750 mètres cubes. Le ballon lui-même, gonflé au gaz d'éclairage, mesure 19 mètres de longueur pour 14 mètres de diamètre et sa contenance est d'environ 2.000 mètres cubes. La forme ovoïde est destinée à faciliter la marche du ballon qui sera pourvu d'ici peu d'un moteur de 12 chevaux et d'une hélice propulsive orientable à volonté pour former gouvernail de direction.
M. Santos-Dumont
expérimentant le
chalumeau qui sert
au
gonflement de sa
montgolfière.
La nacelle est supportée par une poutre horizontale très rigide, reliée à des suspentes et des pattes d'oie fixées à la partie équatoriale de l'enveloppe.
L'air chaud est fourni par un puissant réchaud à pétrole d'un fonctionnement très analogue à celui des réchauds ordinaires à gaz d'alcool. On peut voir sur notre gravure le tube-récipient dans lequel le pétrole, maintenu sous pression à l'aide d'une pompe à air, vient jaillir, préalablement vaporisé, sous forme de flamme intense aux orifices du réchaud. Ce chalumeau, de puissance variable à volonté, susceptible même de brûler en veilleuse, est placé à la partie inférieure de la montgolfière à laquelle il distribue des torrents d'air chaud; il est entouré d'une chemise de toile métallique, destinée, dans l'esprit de l'inventeur, à écarter tout danger d'incendie.
Tout cet ensemble est bien agencé pour fournir d'intéressants résultats à l'intrépide aéronaute, mais on ne peut se défendre d'une certaine inquiétude en songeant au voisinage d'un gaz éminemment inflammable comme le gaz d'éclairage et d'un foyer incandescent même enveloppé d'une toile métallique. Le martyrologe de la navigation aérienne doit beaucoup de ses effrayants épisodes à cette néfaste proximité et, sans remonter bien haut, il suffit de se remémorer le terrible accident du Pax dont l'explosion a été due à la présence des gaz d'échappement d'un moteur dans les environs d'une fuite de gaz hydrogène. Nous souhaitons que la prudence et l'intrépidité de M. Santos-Dumont se doublent dans ces essais, de la chance qui lui a toujours été favorable au cours de ses nombreuses et périlleuses ascensions.
L'aviation en France.
M. Ferber, capitaine d'artillerie, poursuit en France, avec une louable persévérance, des essais d'aviation qui lui assurent dans cette branche intéressante de la navigation aérienne une place des plus honorables. Ses vols planés n'ont sans doute pas atteint la grande longueur de ceux des frères Wright, passés maîtres dans cet art en Amérique, mais ils sont des plus instructifs et des plus utiles pour la solution de ce grand problème.
M. le capitaine Ferber est, comme les frères Wright, émule du fameux Lillienthal, à qui l'on doit la vulgarisation des vols en aéroplane.
Le type d'appareil adopté par M. Ferber est l'aéroplane à deux surfaces superposées qui offre l'avantage de diminuer de moitié l'envergure nécessaire pour enlever un poids donné, tout en formant un ensemble très rigide et très léger à la fois. Cet expérimentateur a abandonné la position couchée sur l'appareil, position de moindre résistance à l'air, mais passablement incommode, et il se tient simplement assis dans un évidement de la surface inférieure.
La gravure ci-dessous nous montre le courageux aviateur dans l'un de ses vols planés.
Le capitaine Ferber exécutant un vol plané.
Nous craignons fort que les amateurs ne se multiplient guère, malgré le charme passionnant, dit-on, de ce sport aérien. Les dangers inhérents à l'aéroplane sont en effet des plus graves, comme le prouvent les chutes mortelles de MM. Lillienthal et Pilcher, les deux plus ardents promoteurs de ces vols planés.
L'instabilité des appareils est toujours fort précaire. Si l'opérateur se tient trop en avant, l'appareil pique une tête vers le sol; s'il se tient trop en arrière, il retombe brutalement dans cette direction; ces mêmes phénomènes se reproduisent si le vent frappe l'appareil trop en dessus ou trop en dessous, ou s'il fait subitement défaut; un coup de vent latéral, enfin, peut faire piquer une tête de côté et, si l'aviateur ne peut parer instantanément à ces embardées par la manoeuvre opportune des gouvernails, son existence est fort en péril.
Influence des couleurs sur la sensibilité.
Un physiologiste allemand vient de consacrer une étude spéciale à l'action que peuvent exercer les lumières colorées sur notre sensibilité. Ses expériences font voir que nos sens ne fonctionnent pas également bien à la lumière, à l'obscurité et dans les lumières colorées. Le rouge, le jaune, le vert et le bleu apportent une forte perturbation à nos impressions auditives et nous laissent perplexes en ce qui concerne les directions d'où vient le son. Les lumières colorées affectent aussi le sens de l'équilibre. Mais celui de nos sens qui est le plus troublé par les lumières coloriées est peut-être celui de la gustation. Dans la plupart des cas, il y a un accroissement ou une diminution de la puissance gustative. Il y a même des perversions du goût. Sous l'influence de certaines couleurs, un corps qui donne à la lumière ordinaire une saveur sucrée donnera, par exemple, une saveur salée ou acide. Souvent la couleur qui produit les variations les plus prononcées est celle que le sujet préfère. Dans le cas de la sensibilité thermique, le bleu et le violet causent une diminution de la sensation de froid; avec le rouge et le vert, il y a, au contraire, une augmentation. La présence et l'absence de lumière ordinaire, non colorée, ont aussi une action marquée sur la sensibilité. Par exemple, l'obscurité diminue la sensibilité acoustique; on entend plus finement avec lumière que dans l'obscurité--Une ouïe faible devient plus forte aussitôt que l'oeil reçoit la lumière du jour. Ceci a été, dans une certaine mesure, observé par les navigateurs qui ont déclaré que de nuit les signaux acoustiques sont souvent moins bien perçus que durant la journée. Les lumières colorées agissent aussi sur l'audition: les lumières rouge, jaune et verte font paraître un son plus élevé qu'il n'est: la lumière violette le fait paraître plus bas.
A propos de cette action qu'exerce l'activité des autres sens sur chaque sens isolé, il est intéressant de noter que, pour l'expérimentateur allemand, la sensibilité tactile des aveugles-nés, qu'on dit souvent supérieure à celle des voyants, est, en réalité, inférieure. De façon générale tous les sens souffrent de la privation de lumière. Les fumeurs savent tous que, dans l'obscurité, ils ne jouissent guère de leur pipe ou de leur tabac: souvent ils ne savent--par l'odorat et le goût seul--si leur tabac brûle ou non, s'ils fument réellement ou bien à blanc. D'autre part, le goût perd beaucoup de sa finesse dans l'obscurité, et ceci expliquerait certains cas d'empoisonnement involontaire, certains cas d'individus avalant sans broncher, dans l'obscurité, le contenu toxique d'une bouteille qu'ils croyaient être remplie d'un liquide tout autre, comme effets et comme saveur.
La production des vins en 1904.
L'année dernière la production des vins français a été exceptionnellement bonne: elle a dépassé 66.000.000 d'hectolitres, en augmentation de 30.500.00 hectolitres par rapport à la récolte de 1903 et de 23.500.000 hectolitres comparativement à la moyenne des dix dernières années.
C'est une récolte de 72 millions d'hectolitres y compris la production de l'Algérie.
Depuis 1875, seule l'année 1900 avait atteint ce chiffre.
Sauf l'Aube, le Doubs et le Jura, qui présentent des diminutions, tous les départements producteurs présentent des augmentations.
Les plus favorisés sont l'Hérault, avec 6.778.000 hectolitres; l'Aude, avec 3.338.000 hectolitres; Indre-et-Loire, avec 1.419.000 hectolitres; la Gironde, avec 2.424.000 hectolitres; la Loire-Inférieure, avec 1.239.000 hectolitres; la Charente-Inférieure, avec 1.171.000 hectolitres d'augmentation.
La Gironde a eu une production totale de 4.500.000 hectolitres.
D'après les estimations faites dans chaque département, la valeur de la récolte de 1904, s'élèverait à 1 milliard 223.900.000 francs.
La ténacité de vie des guêpes.
Un observateur américain assure que peu de bêtes sont aussi éprises de la vie que le sont les guêpes. On peut leur couper l'abdomen sans qu'elles paraissent en éprouver une émotion quelconque. Tandis que l'abdomen gît inerte sur le sol--et vraiment on ne saurait lui reprocher son inertie, puisqu'il n'a rien qui puisse lui servir d'organe de locomotion--le reste du corps, formé de la tête, du thorax, des ailes et des pattes, va voleter de droite et de gauche comme si rien ne s'était passé. Et il continue de la sorte pendant deux et trois jours. Mais, pour obtenir ce résultat, il faut couper à la taille exactement à l'endroit où se soudent l'abdomen et le thorax. Si l'on coupe en travers de l'abdomen, la mort est immédiate, ou peu s'en faut. On observe des faits analogues chez les fourmis. Des fourmis coupées en deux à la taille continuent à circuler, à se nourrir et à faire tout leur métier de fourmi; et il leur arrive de survivre plus longtemps que ne font les guêpes. Elles ont, en outre, une remarquable résistance à la submersion et à l'inanition. Une fourmi peut rester noyée huit jours et sortir de l'eau en état de reprendre ses esprits et ses travaux; une fourmi peut vivre jusqu'à cent jours sans rien manger. Enfin, une fourmi décapitée a vécu quarante et un jours, se promenant et s'agitant, mais sans manger, naturellement, et sans pouvoir faire grande besogne.
La houille blanche en Europe.
La production de l'électricité par les forces hydrauliques a atteint les chiffres suivants dans les principaux pays du monde: Etats-Unis, 627.000 chevaux; Canada, 228.000; France, 162.000; Italie, 210.000; Grande-Bretagne, 12.000; Suisse, 133.000; Allemagne, 81.000; Suède, 71.000; Autriche, 16.000; Russie, 10.000; Japon, 3.500: Indes, 7.000, etc.
Au total, c'est une production de 1.500.000 chevaux, en nombre rond. Si l'on estime la production totale réelle à 2 millions de chevaux, on voit que cette production représente actuellement le double environ du travail produit par la vapeur dans la Grande-Bretagne et l'Irlande.
La France vient au quatrième rang pour l'ensemble et au deuxième rang des pays du vieux monde.
Le commerce extérieur des automobiles.
Le commerce des automobiles en 1903 a produit 1.267.000 francs à l'importation et 50.837.000 francs à l'exportation. En 1898, les chiffres correspondants étaient de 395.000 et 1.749.000 francs. Enfin, pour les six dernières années, l'importation a donné 4.396.000 francs et l'exportation 112.265.000 francs.
Les importations nous viennent surtout d'Allemagne et nos principaux envois vont en Angleterre. En 1903, ces derniers ont dépassé la somme de 31 millions et demi.
Notre commerce avec l'Italie ne montre aucun progrès.
Le centenaire de Sainte-Beuve
à Lausanne.
Les hommages posthumes n'auront pas manqué à Sainte-Beuve pour son centenaire. Des écrivains lui ont érigé sous la forme du livre une sorte de monument littéraire; un groupe d'hommes d'élite a fait placer sur la façade de sa maison natale, à Boulogne-sur-Mer, l'effigie dont nous avons donné récemment la reproduction; la fidélité au culte de l'illustre critique à qui son oeuvre survit s'est manifestée hautement même hors de nos frontières.
Plaque commémorative
de Sainte-Beuve,
à Lausanne.--
Phot.
Bonard.Le 23 décembre dernier, date exacte du centième anniversaire de sa
naissance, on inaugurait à Lausanne, en son honneur, une plaque
commémorative scellée à la façade de l'université. Cet édifice, en
effet, abritait jadis l'académie où, en 1837, Sainte-Beuve vint
professer un cours public dont la matière n'était autre que la
documentation préparatoire de sa fameuse histoire de Port-Royal. La
plaque est due au sculpteur Raphaël Luglon, qui s'est inspiré du
médaillon de David d'Angers; les frais d'exécution ont été couverts par
une souscription à laquelle ont pris part MM. Jules Claretie, Albert
Sorel, Paul Deschanel, de l'Académie française; le programme de la
cérémonie d'inauguration comportait une séance académique et un banquet,
au cours desquels les sentiments de communauté intellectuelle entre la
Suisse et la France ont trouvé une nouvelle occasion de s'affirmer.
Mémoires du duc de Choiseul (Plon, 7 fr. 50).--Souvenirs du comte de Plancy, publiés par son petit-fils, le baron de Plancy (Ollendorff, 7 fr. 50).--Histoire de la France contemporaine, par Gabriel Hanotaux, t. II (Combet, 7 fr. 50).
Mémoires du duc de Choiseul.
Etienne Charavay avait trouvé les Mémoires de Choiseul, sous forme de lettres, dans la collection Feuillet de Conches et avec M. Jules Flammermont en avait préparé la publication. Mais c'est M. Fernand Calmettes qui les met sous nos yeux, en les enrichissant de notes érudites. Le duc de Choiseul, né le 28 juin 1719, eut des fortunes diverses. Il prit du service dans l'armée de l'empereur et fit la campagne de Hongrie (1739). Plus tard, en 1744, après s'être jeté là où le portait son tempérament, c'est-à-dire dans les plaisirs, il fut attaché aux expéditions du prince de Conti, ce qui lui fit prendre en haine le maréchal de Saxe, dont il relève la morgue, l'insolence et les fautes militaires. Malgré ces tentatives de jeunesse, la guerre n'était pas précisément l'affaire principale du duc de Choiseul, jouisseur avant tout et fin diplomate. En mauvais termes d'abord avec Mme de Pompadour, il en fit la conquête, en l'éclairant sur certaine tendresse dangereuse du roi pour Mme de Choiseul-Beaupré. La favorite lui en sut le meilleur gré, en même temps que Louis XV, pour le même motif, le prenait en aversion. Mais si puissante était Mme de Pompadour qu'elle triompha des résistances royales et fit de Choiseul un ambassadeur à Rome, puis à Vienne (mars 1757), avant de l'élever au rang de ministre des affaires étrangères (7 décembre 1758).
S'il en fallait croire les contemporains, la marquise, en amitié seulement avec Louis XV depuis 1652, aurait eu des bontés pour Choiseul. Après une excellente administration et des efforts pour relever la marine nationale, de laquelle dépendra toujours la prospérité de la France, le duc tomba du pouvoir en 1770. Mme de Pompadour n'était plus là pour le soutenir. Minée par la maladie, d'une effrayante maigreur, elle s'était éteinte lamentablement, le 15 février 1764. Jeanne Bécu, une fille, mariée au comte du Barry, avait été jetée par un ignoble beau-frère dans les bras du roi, lequel l'avait aperçue, pour la première fois, chez son valet de chambre, Lebel. Le 22 avril 1769, Mme de Béarn avait présenté la nouvelle favorite au roi et à la famille royale. Maupeou, le duc d'Aiguillon et surtout l'abbé Terray, amis de la du Barry, se signalèrent par leur acharnement contre Choiseul, qui fut exilé à Chanteloup et ne put revoir Paris qu'après la mort de Louis XV et grâce à l'influence de Marie-Antoinette, laquelle lui savait gré de l'alliance avec l'Autriche. Perdu de dettes, jusqu'à la fin fastueux et amoureux du plaisir, le duc de Choiseul mourut le 8 mai 1775.
C'est à son envoi comme ambassadeur à Vienne que s'arrêtent ses Mémoires proprement dits; mais M. Fernand Calmettes les a fait suivre d'opuscules du duc qui nous renseignent un peu sur ce qui lui advint dans son ministère et après sa chute. Les intrigues de la cour de Louis XV, intrigues de femmes et de courtisans, sont peintes, avec un esprit infini, par le plus fin des diplomates et le plus au courant des choses. Quels portraits dans ces pages, moins éclatants peut-être, mais aussi vifs que ceux de Saint-Simon! Le roi, dans ses débauches, mêlées de terreurs religieuses, nous apparaît à tout instant. Quel effroi à Metz, quand il se croit mourant et chasse, pour la reprendre, la guérison venue, Mme de Châteauroux! Egratigné par le poignard de Damiens(5 janvier 1757), il s'enferme neuf jours dans son lit et refuse de voir Mme de Pompadour, ce qui donne bon espoir aux ennemis de la marquise. Choiseul exécute en deux traits le portrait de M. Rouillé, ministre des affaires étrangères, le prédécesseur de Bernis et le sien: «Tout le monde a connu son imbécillité.» M. de Saint-Florentin «joint au passif des talents un grand actif de friponnerie, de méchanceté basse et sourde; il est peut-être le seul homme dans le royaume qui, à la figure près, a le plus de ressemblance avec le roi.» Ces Mémoires de Choiseul et les opuscules qui les complètent sont pleins de délectation pour le lettré qui connaissait déjà l'esprit du duc en particulier par sa correspondance avec Voltaire. En appendice, M. Fernand Calmettes a encore ajouté de nombreux documents à sa publication principale.
Souvenirs du comte de Plancy.
Ces souvenirs du comte de Plancy sont précédés d'une introduction par M. Frédéric Masson. Bien qu'il soit mort seulement en 1855, à l'âge de soixante-dix-sept ans, M. de Plancy avait disparu complètement de la politique depuis le second retour des Bourbons en 1815. Plus rien ne l'intéressait du monde des vivants; retiré dans son château et dans ses terres de Champagne, attaqué sans raison dans son honneur, il s'était précipité du haut d'une de ses tourelles, le cou déchiré par un rasoir, mais sans trouver la mort, car des branches bienfaisantes avaient atténué sa chute. Tout jeune il avait, après Brumaire, fréquenté Barras, dans sa plaisante retraite de Grosbois, égayée par des intrigues amoureuses et agitée par des conspirations politiques. Là il vit Thérèse Cabarrus ou Mme Tallien,--Tallita dans l'intimité. «Rien n'égalait sa beauté lorsqu'elle apparaissait dans une simple robe de mousseline que retenait négligemment une ceinture. Aspasie ne devait pas être plus belle: son port, son ensemble et ses formes étaient d'une déesse.» Tallien, au contraire, l'homme de Thermidor, avait une contenance timide et embarrassée. Le jeune comte de Plancy épousa la fille de Lebrun, le troisième consul, plus tard architrésorier de l'Empire, homme prudent entre tous. Préfet de la Doire en Piémont, M. de Plancy devait terminer sa carrière publique dans la préfecture de Seine-et-Marne. On a versé dans ce volume de souvenirs toute sa correspondance administrative. Nous avons là, dans des documents précieux, un tableau du gouvernement de la province sous l'Empire et de tout ce qui regardait alors un préfet, personnage presque universel. A la première invasion, Seine-et-Marne souffrit étrangement. Quelles réquisitions I Quelles luttes avec les soldats étrangers! Les Bourbons maintinrent dans son poste M. de Plancy; mais, après les Cent Jours, il n'échappa à la proscription que grâce à la protection de M. Decazes. Singulière époque! M. Decazes lui-même, juge à la Cour d'appel, avait condamné des gens pour avoir, sous l'Empire, crié: «Vive le roi!» et sous la royauté: «Vive l'empereur!» A Fontainebleau, M. de Plancy avait été embrassé par Napoléon; il avait, peu de temps avant cette accolade, diné dans le même palais avec le comte d'Artois. La masse de sa correspondance est avec M. de Montalivet, ministre de l'empereur, et une partie avec l'abbé de Montesquiou, ministre de Louis XVIII. Anecdotes piquantes et surtout lettres et matériaux pour l'histoire: voilà ce que fournit le volume de M. de Plancy.
Histoire de la France contemporaine.
M. Hanotaux n'écrit rien qui n'intéresse vivement le public. Sa valeur personnelle, la haute situation qu'il a occupée donnent à tout ce qui sort de sa plume un attrait singulier. Après avoir narré la vie du cardinal de Richelieu, il s'est attaché à l'Histoire de la France contemporaine, dont le tome deuxième vient de paraître. Nous avions déjà une Histoire contemporaine, fort documentée, de M. Samuel Denis, conduite jusqu'à l'échec de restauration monarchique de 1873 et jusqu'à l'établissement du Septennat. Comme dans son premier volume, M. Hanotaux, dans le second, côtoie un peu l'oeuvre de son prédécesseur. Le livre commence à la chute de M. Thiers. (24 mai 1873) et à l'élection à la présidence de la République du maréchal de Mac Mahon avec M. le duc de Broglie vice-président du conseil et chef réel du gouvernement. Que voulait la droite? Que voulaient ceux qui avaient renversé M. Thiers? Préparer la restauration de la monarchie. On sait comment le dessein échoua. Le comte de Chambord, dans une première lettre du 5 juillet 1873, affirma sa résolution de ne pas se séparer du drapeau blanc. Malgré cette manifestation, le comte de Paris se rendit en août à Frohsdorf, où s'opéra non la fusion, mais la réconciliation familiale. Les groupes de droite nommèrent un comité de neuf membres, chargé de préparer le retour; et, plein de confiance, M. Chesnelong se rendit auprès du comte de Chambord, persuadé qu'il le ferait revenir sur sa détermination.
Sous les paroles polies, le messager ne saisit pas tout ce que le prince cachait d'inflexibilité: il rentra triomphant... la monarchie était faite. Déjà les carrosses du roi étaient commandés chez Binder, quand le 30 octobre 1873, par une parole nette et éclatante, le comte de Chambord réduisit à néant toutes les espérances. Dans sa subtilité le duc de Broglie imagina de proroger pour sept ans les pouvoirs du maréchal. Le Septennat, en attendant de meilleurs jours, offrait dans sa pensée, non pas une demeure permanente, mais un abri provisoire. Il fut voté le 19 novembre 1873. Que le comte de Chambord ait voulu, par sa persistance à maintenir le drapeau blanc, se soustraire au fardeau de la royauté, nous ne le pensons pas. Il avait, à un degré trop marqué, le sentiment de sa prédestination. Aussi vint il incognito à Versailles et demanda-t-il au maréchal une visite que celui-ci n'accorda pas. Voilà quels événements constituent le fond principal du tome II de M. Hanotaux. Chemin faisant, l'historien s'exerce aux portraits, à celui du duc de Broglie, de Léon Gambetta, du duc Decazes qui fit partie du second ministère de Broglie (26 novembre 1873). Le tableau de la prospérité industrielle et agricole de la France et de son épanouissement littéraire, scientifique et artistique, est tracé largement.
Peut-être des esprits mal faits reprocheront-ils à M. Hanotaux certaines erreurs fort légères: il nous montre, par exemple, Gambetta, avide de savoir, le cherchant partout, écoutant à Notre-Dame le père Gratry. Le père Gratry, à la voix faible, ne se produisait que dans de petites chapelles. M. Renan, nous dit-il «avait joué sa conception religieuse... sur l'authenticité d'un palimpseste». Je ne vois pas trop ce que les palimpsestes, manuscrits à deux écritures superposées, viennent faire ici.
Pour M. Hanotaux, Taine--laborieux, à la phrase travaillée,--est «un
esprit spontané». Mais pourquoi relever ces menus détails dans cette
histoire entraînante, rapide, racontée d'autant mieux que son auteur a
fait lui-même de l'histoire? Aimable, envers tous, M. Hanotaux possède,
parmi beaucoup d'autres, la première qualité de l'historien, qui est la
sereine impartialité.
E. Ledrain.
Une reprise: à gauche, M. Breittmayer; à droite, M. Lusciez. |
Les «amateurs» à la porte de l'établissement Chéri-Halbronn. |
LE DUEL BREITTMAYER--LUSCIER.
LE NOUVEL AMBASSADEUR DES ÉTATS-UNIS
Le général Horace Porter, qui
représentait les Etats-Unis auprès de la République française depuis
1897 et dont la physionomie était si sympathique aux Parisiens, va
quitter son poste le 4 mars prochain.
M. G. von Lengerke-
Meyer.Il doit être remplacé par M.
George von Lengerke-Meyer, actuellement ambassadeur à Rome.
Né à Boston, la ville intellectuelle des Etats-Unis, M. George von Lengerke-Meyer appartient à une excellente famille d'origine germanique. Il compte parmi les brillants élèves de la fameuse université de Harvard. Ancien membre de la législature de l'Etat de Massachusetts, c'est l'un des plus jeunes membres du corps diplomatique américain. Directeur de plusieurs compagnies financières et industrielles, il possède une immense fortune. Il a la réputation d'un sportsman passionné.
PIERRE MAEL
M. Charles Causse, le romancier connu sous le nom de Pierre Maël, vient
M. Charles Causse
(Pierre Maël).--
Phot. E. Pirou.de mourir à l'âge de quarante-cinq ans, emporté, malgré sa vigueur peu
commune, par une attaque de grippe infectieuse. Il s'était destiné à la
marine; mais, à la suite d'une chute grave qu'il fit étant aspirant et
qui lui laissa une claudication irrémédiable, il avait été réformé.
Après avoir rédigé pendant quelque temps le courrier parlementaire à la
Gazette de France, il abandonna le journalisme pour la carrière
littéraire.
Une de ses premières oeuvres, le Torpilleur 29, marqua le commencement de sa réputation. Il devait conserver la faveur du public en produisant régulièrement de nombreux romans, où à une imagination très vive s'allient la faculté descriptive et des qualités d'observateur.
Il est juste de constater que, sous le pseudonyme de Pierre Maël, M. Causse a écrit la plupart de ses ouvrages en collaboration avec M. Charles Vincent, lequel, par traité en bonne et due forme, hérite en toute propriété de cette signature sociale. Ainsi, Pierre Maël survit à lui-même et, chose plus curieuse encore, il peut vivre éternellement, rien n'empêchant une série indéfinie d'écrivains de se léguer entre eux sa personnalité littéraire et ses droits jusqu'à la consommation des siècles.
LE CARDINAL LANGÉNIEUX
Le cardinal Langénieux, archevêque de Reims, a succombé le 1er janvier,
dans son palais archiépiscopal,
Le cardinal Langénieux.
--Phot. Fréon. à la maladie de coeur dont il souffrait
depuis longtemps et qui s'était aggravée au cours d'un voyage récent à
Rome. Il était âgé de quatre-vingts ans.
Né à Villefranche-sur-Saône (Rhône) en 1824, ordonné prêtre à Saint-Sulpice en 1850, il fut vicaire à Saint-Roch, devint curé de Saint-Ambroise en 1863 et de Saint-Augustin en 1867. Après avoir été quelque temps vicaire général de l'archevêché de Paris, il était appelé à l'évêché de Tarbes en 1873 et, deux ans plus tard, à l'archevêché de Reims; il reçut la pourpre cardinalice en 1886.
Durant sa longue carrière, Mgr Langénieux montra de remarquables qualités d'administrateur, auxquelles il joignait une parfaite urbanité; c'était un de nos prélats les plus en vue et les plus dévoués au Saint-Siège, toujours prêt à protester contre les actes du pouvoir civil, comme il le fit naguère lors de l'expulsion des congrégations. Il pratiquait en outre brillamment l'éloquence de la chaire.
LE DUEL BREITTMAYER-LUSCIEZ
Voici encore un duel sensationnel, en ce qu'il mettait aux prises deux escrimeurs renommés: MM. Georges Breittmayer et Lusciez. Provoqué par des attaques dirigées dans la presse contre M. Breittmayer, il devait être plus extraordinaire encore, puisque celui-ci devait se rencontrer aussi, avec un second adversaire, M. Willy Sulzbacher, non moins fameux dans le petit monde des armes.
C'est l'établissement Chéri, à Neuilly, qui avait été choisi comme lieu de la rencontre le 31 décembre. Les curieux, naturellement, avaient devancé les combattants, afin de ne rien perdre du spectacle. Et c'est en vain que MM. Breittmayer, Lusciez et Sulzbacher avaient stipulé, dans les procès-verbaux préliminaires de la rencontre, qu'aucun spectateur ne serait admis. On a dû transiger: la galerie a abandonné le terrain même du duel, le ring. Mais on l'a logée dans des appartements voisins; les plus intrépides se sont juchés sur le toit, sur le siège de leurs voitures.
Ils ont assisté à de belles passes d'armes. M. Breittmayer, d'abord atteint légèrement à l'angle interne de l'oeil gauche, puis à l'avant-bras, demandait à continuer le combat et blessa à son tour M. Lusciez à l'aisselle droite. Le combat reprit de nouveau jusqu'au moment où M. Lusciez, pris d'une crampe, fut impérieusement contraint de s'arrêter.
Les quatre témoins et l'arbitre M. Chevillard, considérant le caractère particulièrement acharné de la rencontre et rendant hommage à la bravoure et à la correction des deux adversaires, intervinrent alors auprès d'eux pour les réconcilier. M. Lusciez et M. Breittmayer se réconcilièrent et M. Sulzbacher suivit galamment cet exemple et serra à son tour la main de M. Breittmayer.
Mme LARDIN DE MUSSET
Mme Lardin de Musset vient de s'éteindre à Paris, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans.
Soeur du poète célèbre, pour qui elle éprouvait une très vive affection, elle avait vécu auprès de lui; aussi était-elle mieux que personne renseignée sur les faits se rattachant à la biographie intime de son frère. Sa mémoire, demeurée fidèle jusqu'à l'extrême vieillesse, abondait en souvenirs qu'elle aimait à évoquer devant les visiteurs amis, séduits par le charme de sa conversation. Elle possédait en outre des papiers fort intéressants dont la communication faite de la meilleure grâce du monde à des écrivains contemporains, notamment à notre excellent confrère Adolphe Brisson, leur fut une précieuse contribution pour des études anecdotiques et littéraires.
Parmi les reliques qu'elle gardait pieusement, il faut signaler un portrait d'Alfred de Musset, copie de l'original par Laurelle, et des albums de caricatures paysannes que l'auteur des Nuits s'amusait à croquer, lorsqu'il allait visiter sa soeur en Touraine.
Mme Lardin de Musset était la mère du préfet actuel d'Indre-et-Loire.
Nous publierons avec nos prochains numéros: LE BERCAIL... pièce en trois actes, de M. Henry Bernstein, le grand succès du théâtre du Gymnase; LA CONVERSION D'ALCESTE, de Georges Courteline, que va jouer la Comédie-Française; L'INSTINCT, de M. Henry Kistemaeekers, en répétition au théâtre Molière; LA MASSIÈRE, de M. Jules Lemaître, dont la première représentation est imminente au théâtre de la Renaissance.