Title: Traité des eunuques
Author: Charles Ancillon
Release date: March 31, 2012 [eBook #39320]
Language: French
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pages available at http://gallica.bnf.fr/)
DANS LEQUEL
On explique toutes les différentes sortes
d'Eunuques, quel rang ils ont tenu,
& quel cas on en a fait, &c.
On éxamine principalement s'ils sont propres
au Mariage, & s'il leur doit être
permis de se marier.
Et l'on fait plusieurs Remarques curieuses &
divertissantes à l'occasion des
EUNUQUES, &c.
Par M***. D***.
Imprimé l'an M. DCC. VII.
M O N S I E U R,
J'ai à vous rendre compte de deux choses qui me justifieront envers vous de la liberté que je prends de vous adresser cet Ouvrage, & qui nous justifieront l'un & l'autre envers le Public, si vous trouviez à propos de le faire mettre sous la Presse pour lui en faire part.
La prémiére, que je ne me suis point ingéré de mon chef à traiter le sujet qui fait la matiére de cet Ouvrage; l'occasion qui m'y a engagé est assez singuliére. Il y avoit autrefois ici plusieurs Eunuques Italiens, Musiciens, qui y faisoient grosse figure. Ils se flattérent de faire de grandes & d'illustres Conquêtes, mais ils se trompérent; nos Dames ne se laissérent point éblouïr, & ne se payérent point de la bagatelle.[2]Un Gentilhomme François d'un esprit gai & enjoué les en railla par ces Vers jolis & pleins de sel.
Cependant il y en a eu une qui s'est laissé charmer, & qui a prêté l'oreille aux propositions de mariage qui lui ont été faites par un de ces Eunuques. Une Personne que je considére beaucoup, m'ayant prié de lui dire mon avis, & de le lui donner raisonné par écrit, en forme de consultation, pour détourner cette jeune fille sa parente du dessein qu'elle avoit d'entrer dans un tel engagement, ou en tout cas pour s'en servir ailleurs en cas de besoin. J'y ai travaillé avec plaisir, & j'ai trouvé qu'insensiblement j'avois fait un Livre, de sorte qu'au lieu de laisser mon Ouvrage sous la forme qu'on me l'avoit demandé, je lui ai donné celle qu'il a présentement. Je vous avouë que l'extrait que l'illustre Mr. de Beauval a donné[3] du Livre de Mr. Bruknerus intitulé, Décisions du Droit Matrimonial, n'a pas peu contribué à m'engager dans un éxamen éxact de cette question. J'aurois extrémement souhaité qu'il eût bien voulu dire ce qu'il en pense, & peut-être lui en fournirai-je l'occasion par ce petit Essai lors qu'il en donnera l'extrait.
Les Personnes scrupuleuses trouveront peut-être que c'est là plûtôt l'occupation d'un homme oiseux, que d'un curieux qui cherche à s'instruire. Hujusmodi hærere quæstionibus non tàm studiosi quàm otiosi hominis esse videtur, comme parloit Saint Jérôme consulté par Vitalis sur la fécondité prématurée d'Achas. Ainsi il est bon de les prévenir, ou de les détromper, en leur apprenant que la vocation de l'examiner m'a été légitimement adressée.
Ce n'est pas que je crusse avoir fait un mal, quand je me serois avisé, pour me divertir, & pour changer mes occupations sérieuses dans une étude plus divertissante, de traiter cette matiére. Le Docte Mollerus a fait un Livre qui a pour tître, Discursus duo Philologico-Juridici prior de Cornutis, posterior de Hermaphroditis corumque jure, uterque ex jure Divino, Canonico, Civili, variisque historiarum monumentis, horis otiosis congesti. à M. Jacobo Mollero. Et cet Ouvrage n'a point deshonoré son Auteur, ni diminué l'estime que le Public avoit pour lui. Il est difficile, je l'avouë, de parler des Eunuques sans dire certaines choses capables de choquer un peu la pudeur d'une femme. Mais à l'égard de l'Auteur cela ne lui fait aucun tort, il s'en faut beaucoup que son Livre contienne des ordures & des saletez semblables à celles qui sont dans les Priapeia, sur lesquels Joseph Scaliger, l'un des plus grands Hommes des Siécles passez, a fait des annotations, sans perdre sa réputation. Et à l'égard des femmes, ce qu'on dit de libre & de naturel est exprimé en Latin, qui est une Langue peu entenduë parmi elles. Mais quand on auroit été obligé de s'exprimer en termes capables de blesser la pudeur la plus scrupuleuse, s'ensuivroit-il qu'il auroit fallu se dispenser de discuter un Droit sur lequel on voit assez souvent fonder des disputes importantes, & laisser les choses, à cet égard, dans le doute et dans la confusion? Certes je ne crois pas que personne le prétende ainsi: en tout cas cette prétention seroit aussi ridicule que celle de certaines gens qui aimeroient mieux qu'on eût laissé périr, ou souffrir tout le genre humain, que d'avoir fait des Traitez de Médecine, & de Chirurgie, qui le conserve, qui le préserve, & qui le soulage, parce qu'on a été obligé de nommer les choses par leur nom & sans déguisement, & de parler à découvert de toutes les parties les plus secrettes du corps humain. J'espére que le Public sera équitable sur ce sujet. J'aurois eu plus à craindre du redoutable Mr. Bernard que d'aucun autre, parce que je connois sa délicatesse & sa sévérité, qui ne pardonnent point les moindres fautes, & qui en trouvent même dans des choses qui ont l'approbation des gens qu'il croit aisément être d'un goût au dessous du sien. Mais que pourra-t-il me dire, lui qui annonce avec tant de soin un Livre qui a pour tître[4], les Cérémonies du mariage telles qu'on les pratique présentement dans toutes les parties du Monde, Ouvrage très divertissant, sur tout pour les Dames, écrit en Italien par le Sr. Gaya, troisiéme Edition, â laquelle on a ajoûté d'amples Notes & des Remarques sur le Mariage, avec le Miroir des personnes mariées, ou les Avantures capricieuses du Chevalier H..... avec ses sept femmes, écrites par lui-même dans le tems de sa prison, & mises en Anglois moderne par Mr. Thomas Brown, in 8. pag. 161. & d'avertir ensuite le Public, que les notes qu'on a mises au bas des pages sont très enjouées, & qu'on n'y épargne pas les Prêtres. On sçait combien de contes sales on a accoûtumé de faire sur leur sujet, & combien de vilenies on met sur leur comte. Je ne sçai point au reste, si ce Docteur Thomas Brown dont Mr. Bernard fait ici mention, est ce savant Mr. Brown Chanoine de Windsor, Ami intime de Mr. Isaac Vossius qui lui a dédié son Traité des Oracles Sibyllins, ou cet Ecossois qui a fait un Traité des Fiévres continuës imprimé à Edimbourg en 1695., ou si c'est ce Thomas Brown Docteur Anglois qui a fait la Religion du Médecin. Ce qui me feroit douter que ce fût le prémier, seroit qu'il ne s'est appliqué qu'à des Etudes graves & sérieuses, comme on le remarque par ce que Colomiez dit de lui dans sa Bibliothéque choisie. Ce qui me feroit douter aussi que ce fût le second, c'est la timidité qu'il fait paroître dans la Préface de son Livre, en y déclarant qu'il a eu bien de la peine à se résoudre à produire cet essai touchant les Fiévres continuës; qu'il redoutoit le génie railleur & Satirique si commun à ceux de sa Nation; Que la même frayeur étouffe tous les jours des productions très dignes de voir le jour. Qu'il s'est pourtant déterminé à paroître en public pour ne pas sortir du monde comme un Citoyen inutile & paresseux. Qu'il hazarde ce systême nouveau, & qu'il sacrifie ses scrupules à l'utilité publique. Et si c'est le troisiéme, vous sçavez, Monsieur, ce qu'en a dit Patin, car vous le rapportez dans vos Nouvelles de la République des Lettres[5], C'est, dit-il, un Mélancholique agréable en ses pensées, mais qui à mon jugement cherche Maître en fait de Religion comme beaucoup d'autres, & peut-être qu'enfin il n'en trouvera aucune. Il faut dire de lui ce que Philippe de Comines a dit du Fondateur des Minimes, l'Hermite de Calabre François de Paule, il est encore en vie, il peut aussi-bien empirer qu'amender. On a mis cette pensée de [6]Patin dans le Patiniana un peu déguisée à l'égard du tour & de l'expression, mais la même absolument dans le fond. Si, dis-je, c'est ce Thomas Brown Auteur du Livre intitulé, Religio Medici, qu'on pourroit intituler aussi-bien, Medicus Religionis, comme il est dit dans le Patiniana, qui a traduit en Anglois moderne, ces Cérémonies du Mariage que Mr. Bernard annonce avec tant de soin, & si obligeamment au Public, c'est apparemment un Livre dont la matiére n'est pas trop chaste, ni les expression trop scrupuleuses & trop châtrées. Je n'en parle que par conjecture, car j'avouë que la recommandation de Mr Bernard ne m'a point engagé à le chercher, à l'acheter, & à le lire. Je ne connois que ces Brown. Il y a bien un Docteur en Théologie originaire du Palatinat & présentement Professeur en Langue Hébraïque dans l'Académie de Groningue, Auteur de quelques Dissertations très curieuses, qui se nomme Brawn; mais Mr. Bernard est trop éxact pour avoir confondu Brown avec Brawn, quelque ressemblance qu'il y ait dans ces noms, & quelque facilité qu'il y ait à s'y méprendre.
La seconde chose dont j'ai à vous rendre compte, est le motif qui me porte à vous adresser cet Ouvrage. Je n'en ai point d'autre, Monsieur, que l'estime toute particuliére que j'ai pour vous, & le cas que je fais de l'amitié dont vous m'honorez. Je me suis flatté que vous ne voudriez pas laisser paroître en public un Livre qui pourroit nuire à la réputation de son Auteur, qui est un de vos anciens Amis, & qui se repose sur vous du soin de l'éxaminer & de juger s'il mérite d'être mis sous la Presse: & je me suis persuadé que si vôtre jugement lui étoit favorable, je n'avois rien à craindre de la part du Public, parce que je pouvois espérer une approbation générale, ou en tout cas être assuré d'avoir en vous un puissant appui contre le mauvais goût & contre la Critique maligne, qui pourroient m'entreprendre. Je n'ai garde de faire ici vôtre Panégyrique à l'imitation de ceux qui font des Epîtres Dédicatoires, vos propres Ouvrages font vôtre Eloge, & le jugement favorable & glorieux que le Public en fait, vous est infiniment plus honorable que toutes les louanges qu'on pourroit vous donner dans une Epître. Je finis donc celle-ci en vous assurant que je me sers avec plaisir de cette occasion que j'ai souvent recherchée de pouvoir vous donner un témoignage public de la considération toute particuliére avec laquelle je suis,
M O N S I E U R
Vôtre très humble &
très obéïssant serviteur.
C. D'OLLINCAN.
LE[7] Droit Canon traitant des mariages qui se contractent par Procureurs, ordonne & prescrit des précautions très grandes qu'il fonde sur cette raison, qu'il s'agit d'une affaire grave, difficile & importante, qui peut avoir des suites très dangereuses. Propter magnum quod ex facto tam arduo posset periculum imminere.
Le Droit Civil ne donne pas une idée moindre du Mariage, il le considére comme l'action de la vie la plus considérable, & qui demande le plus de réfléxion; comme un Port favorable, ou comme un naufrage malheureux; comme une chose bien hazardeuse où toute la prudence humaine se réduit ordinairement à des vœux & à des souhaits.[8] Magnum sane excellensque donum à Deo Creatore ad mortales promanavit Matrimonium.
D'un côté le mariage étant l'Ouvrage de Dieu qui a uni les deux séxes, & qui considérant qu'il n'étoit pas bon que l'homme fût seul, lui a donné un être semblable à lui; leur a ordonné à l'un & à l'autre de croître & de multiplier, & a imprimé en eux un desir violent de s'unir ensemble pour la propagation de leur espéce. Cette union ne doit point être fortuite & commune, comme celle des animaux destituez de raison; elle ne doit point être produite par une affection brutale, par une volonté déréglée; elle ne doit point avoir pour but de mettre en sûreté des plaisirs impurs, & de les couvrir d'un nom spécieux & honorable. Ce doit être une conjonction chaste, religieuse, sainte, pleine de piété & de bénédictions; n'ayant pour but que d'éxécuter les ordres de Dieu, qui est son Auteur & son Protecteur. L'Eglise n'approuve & n'autorise que les Mariages de ce dernier caractére, ils ont pour eux la faveur publique, au lieu que les autres n'ont pour eux qu'une haine générale, un mépris très grand, & souvent les malédictions & l'horreur des gens de bien.
De l'autre, comme le Mariage est le fondement de l'Eglise, puis qu'il est appellé par quelques Théologiens Venter Ecclesiæ[9] qui lui engendre des enfans. Et de la Société civile, en ce qu'il est la source des hommes, qu'il éternise le monde, & qu'il donne des héritiers légitimes aux Citoyens, il ne faut pas s'étonner si l'Eglise & la Société Civile s'intéressent dans ce qui le concerne; si elles en réglent les commencemens, le cours, & les suites, & si elles ont pourvû sagement aux inconvéniens qui pourroient naître de l'ignorance des hommes, ou de leur malice.
L'Eglise & la Société Civile ne laissent pas la liberté à tout le monde de faire à cet égard tout ce qu'il lui plaît. [10]Semper in conjunctionibus non solum quid liceat considerandum est, sed & quid honnestum sit. Elles ne permettent point qu'on donne atteinte à la Justice, à l'ordre, au bien, à l'utilité, & à l'honnêteté publiques. Elles ont établi des Loix qui les déclarent bons, ou mauvais, justes, ou injustes, légitimes, ou criminels. Qui les permettent, ou qui les deffendent, qui les confirment, qui les authorisent, qui les protégent, ou qui les cassent, qui les annullent, & qui punissent ceux qui les ont contractez.
Pour répondre au but que je me propose, il s'agit ici de voir dans quel de ces rangs on doit mettre le Mariage des Eunuques. Voici donc le plan général que j'ai dessein de suivre pour éclaircir cette matiére, & pour la régler par une décision incontestable & certaine. Ce Traité sera divisé en trois Parties.
Dans la premiére j'éxaminerai ce que c'est qu'un Eunuque, de combien de sortes il y en a, quel rang ils ont tenu & tiennent dans la Société Ecclésiastique & Civile; & quelle considération on y a eu, & on y a actuellement pour eux.
Dans la seconde, je discuterai leur droit par rapport au Mariage, & j'éxaminerai s'il doit leur être permis de se marier.
Dans la troisiéme enfin, je rapporterai les Objections qui pourroient être faites contre les maximes que j'aurai avancées, & contre les décisions que j'aurai établies, & je tâcherai de les résoudre, & de lever les difficultez qui pourroient y donner atteinte.
Contenus dans cet Ouvrage.
PREMIERE PARTIE. | |||
---|---|---|---|
CHAPITRE | I. | S'il y a des Eunuques, & depuis quel tems il y en a. | Page1 |
CHAP. | II. | Ce que c'est qu'un Eunuque. | 6 |
CHAP. | III. | Combien il y a de différentes sortes d'Eunuques. | 10 |
CHAP. | IV. | Des Eunuques qui sont nez tels. | 16 |
CHAP. | V. | Pourquoi on fait des Eunuques. | 19 |
CHAP. | VI. | Pourquoi quelques hommes se sont faits eux-mêmes, ou fait faire Eunuques par d'autres. | 29 |
CHAP. | VII. | Des Eunuques ainsi nommez à cause de leurs Emplois; Et de ceux qui le sont dans un sens figuré. | 41 |
CHAP. | VIII. | Quel rang les véritables Eunuques ont tenu dans la société civile. | 49 |
CHAP. | IX. | Quelle idée les Peuples ont euë des Eunuques, & quel cas ils en ont fait. | 66 |
CHAP. | X. | De quelle maniére les Loix civiles ont considéré les Eunuques, & quels droits elles leur ont attribué. | 71 |
CHAP. | XI. | Quel rang les Eunuques volontaires ont tenu dans la société civile; de quelle maniére les Loix les y ont considérez, & quels droits elles leur ont attribué. | 85 |
CHAP. | XII. | Quel rang les Eunuques volontaires & forcez, ont tenu dans la Société Ecclésiastique; de quelle maniére l'Eglise & ses canons les ont considérez, & quels droits ils leur ont attribuez. | 91 |
SECONDE PARTIE. | |||
CHAP. | I. | De la nature & du but du Mariage. Que l'Eunuque ne peut y répondre. | 102 |
CHAP. | II. | Les Eunuques ne pouvant pas satisfaire au but du mariage, ils ne doivent pas le contracter. | 110 |
CHAP. | III. | Le Mariage des Eunuques est considéré comme nul & comme non avenu. | 115 |
CHAP. | IV. | Inconvéniens que le Mariage des Eunuques produit ordinairement. | 121 |
CHAP. | V. | Les Loix civiles deffendent le mariage des Eunuques. | 138 |
CHAP. | VI. | La Religion Catholique Romaine ne permet pas le mariage des Eunuques. | 141 |
CHAP. | VII. | La Religion Luthérienne, ou de la Confession d'Augsbourg, ne permet pas le mariage des Eunuques. | 145 |
CHAP. | VIII. | La Religion Réformée ne permet pas le mariage des Eunuques. | 153 |
TROISIEME PARTIE. | |||
Objections | |||
CHAP. | I. | Que la deffense de se marier ne doit point être générale & commune à tous les Eunuques, parce qu'il y en a qui sont capables de satisfaire aux desirs d'une femme. | 158 |
CHAP. | II. | Le mariage est un Contract civil, par lequel il est permis à tout le monde de s'engager. | 165 |
CHAP. | III. | Un Eunuque pouvant remplir tous les devoirs du mariage, excepté ceux qui concernent la génération, il peut le contracter, parce que, consensus non concubitus matrimonium facit. | 170 |
CHAP. | IV. | Quand on ne peut pas être auprès d'une femme comme mari, on doit y être comme frére, & habiter avec elle comme avec une sœur. | 175 |
CHAP. | V. | Si le mariage devoit être deffendu aux Eunuques parce qu'ils ne peuvent pas engendrer, il devroit l'être aussi aux personnes âgées que la vieillesse rend incapables de faire les fonctions du mariage; & ne leur étant point deffendu, il ne doit point l'être aussi aux Eunuques. | 178 |
CHAP. | VI. | Quand la femme qui épouse un Eunuque sçait qu'il est Eunuque, & qu'elle n'ignore point les conséquences de son état, il doit lui être permis de l'epouser si elle le souhaite, parce que, volenti non fit injuria. | 183 |
Fin de la Table. |
Dans lequel on éxamine principalement
s'il doit leur être permis
de se marier.
S'il y a des Eunuques, & depuis quel tems il y en a.
IL est de l'ordre de faire voir qu'il y a des Eunuques avant que d'entreprendre d'en faire la description, & que de raisonner sur leur sujet; Puis que selon le sentiment des Philosophes il est ridicule de raisonner d'une chose avant que de sçavoir si elle éxiste.
Il y a plus de quatre mille ans qu'on parle d'Eunuques dans le Monde; l'Histoire Sainte & l'Histoire Prophane font mention d'une infinité de personnes de cette nature, qu'elles ne mettent ni au rang des hommes, ni au rang des femmes, & qu'elles appellent une troisiéme sorte d'hommes. On en a vû en si grand nombre dans tous les Siécles & dans tous les Païs; & on en voit encore tant qu'il n'est pas permis de douter qu'il n'y en ait eu, & qu'il n'y en ait encore aujourd'hui.
La plûpart des Sçavans croyent que Semiramis Reine des Assiriens veuve de Ninus, & mére de Nynias, a été la premiére qui a fait faire des Eunuques; ils fondent leur opinion sur ces termes d'Ammian Marcellin,[11] Postrema multitudo spadonum, a senibus in pueros desinens, obluridi, distortaque lineamentorum compage deformes, ut quaquà incesserit quisquam, cernens mutilorum hominum agmina, detestetur memoriam Semiramidis Reginæ illius veteris, quæ teneros mares castravit omnium prima. Claudien a crû la même chose,
——— [12]Seu Prima Semiramis astu Assyriis mentita virum, ne vocis acutæ Mollities, levesque genæ se prodere possent. Hos sibi conjunxit similes; seu persica ferro Luxuries Vetuit nasci lanuginis Umbram.
Cependant Diodore de Sicile qui a fait l'Histoire de Semiramis, dans sa Bibliothéque, d'une maniére beaucoup plus éxacte qu'aucun autre, ne dit rien de cette particularité qui méritoit pourtant bien d'être remarquée, si elle eût été certaine & véritable. Il dit seulement que les Bactriens à qui Ninus, qui depuis fut son Mari, faisoit la Guerre, ayant mis les Assyriens en fuite & en déroute, elle s'habilla d'une longue robe, comme un homme, les rallia, se mit à leur tête & triompha des Bactriens. Soit que cette Robe plût aux femmes Medes & aux Perses, soit qu'elles voulussent faire leur cour à Semiramis, elles en prirent de pareilles. Peut-être que cet habillement donna lieu à dire que Semiramis avoit fait des hommes imparfaits, des demi hommes, & que depuis on a conjecturé qu'elle avoit fait effectivement mutiler des hommes. [13]D'autres disent qu'elle s'habilla en homme, & qu'elle fit élever son fils en fille, afin que les Assiriens ayant honte d'avoir une femme pour leur Chef ne prissent point le pretexte de vouloir un Roi, pour mettre son fils sur le Trône à son préjudice;[14]D'autres peu éloignez de cette opinion disent, que son fils étant de sa taille, & ayant la voix semblable à la sienne, elle se déguisa en homme, & fit accroire, afin de regner, qu'elle étoit le fils de Ninus, & non pas sa veuve. Et d'autres disent[15] qu'ayant eu avis dans le tems qu'elle se coiffoir, que Babilone s'étoit révoltée, elle courut en diligence, les cheveux à demi épars, pour la forcer à se rendre à elle, & qu'elle ne remit point sa tête dans son ordre accoûtumé qu'elle n'eût remis cette puissante Ville sous son pouvoir; Que pour cela sa statuë fut honorablement élevée à Babylone au même état qu'elle se trouva quand elle marcha vers ce lieu d'un pas précipité pour tirer vangeance de ses Sujets rebelles; ces cheveux épars joints à la robe qu'elle avait prise la travestissoient d'autant plus en homme.
Diodore de Sicile rapporte une autre circonstance qui est considérable; Il dit que cette Reine élevée d'une condition basse au comble de la grandeur, se plongea dans toute sorte de délices, qu'elle fit choisir les hommes les mieux faits & les plus beaux de son Armée pour s'en servir, mais qu'elle fit mourir tous ceux qu'elle avoit reçûs dans son lit. Il y a plus d'apparence qu'elle les fit Eunuques par un effet d'une jalousie assez ordinaire, de peur qu'après avoir eu d'elle les plus grandes faveurs ils n'allassent s'attacher à quelqu'autre femme; Diodore de Sicile ne le dit point; mais comme il parle après Cresias, ainsi qu'il l'avouë lui même, & que Cresias est un Historien,[16]qui non content d'abuser ceux de son siécle, a voulu faire passer ses fables à la postérité, on ne peut pas ajoûter beaucoup de foi à ce qu'il dit, ni accuser de fausseté ce qu'il obmet. Semiramis donc peut passer pour la première qui ait fait faire des Eunuques; Vossius[17] croit que les Perses sont les Inventeurs de cette méchante & détestable coûtume, & que le mot Latin, spado qui comprend diverses sortes d'Eunuques, tire son nom d'un Village de Perse nommé Spada, où il prétend que la premiére éxécution de cette nature a été faite. Il fortifie son sentiment de ceux de quelques Sçavans du premier ordre qu'il nomme. Je ne veux point me rendre juge entre des hommes si célébres qui ont les uns & les autres des opinions si probables, & dont la certitude est si difficile à trouver. Non nostrum inter hos tantas componere lites, & vitulo hi digni & illi. Je dirai seulement que le premier Eunuque dont l'Ecriture Sainte fasse mention & dont il ne soit absolument parlé nulle part ailleurs,[18]est Putiphar qui acheta Joseph des mains des Madianites; encore verra-t-on dans la suite que ce nom d'Eunuque n'étoit point nouveau dès lors, puis qu'il étoit devenu un nom de Charge & de Dignité; Cependant ce Putiphar acheta Joseph l'an du monde deux mille deux cent septante-six, c'est à dire mille sept cent soixante & dix huit ans avant l'Incarnation de Jesus Christ; Et Cyrus n'a commencé à régner sur les Perses que l'an du Monde trois mille quatre cent vingt & un; C'est à dire qu'on parloit d'Eunuques avant qu'on parlât des Perses, & qu'il n'est pas possible qu'ils soient les péres de ces sortes de gens, parce que si cela étoit la proposition filius ante patrem, qui passe pour monstreuese, seroit pourtant véritable; ce qu'on ne peut pas dire à l'égard de Semiramis qui regnoit sur les Assiriens l'an du monde mille huit cent vingt-six, long tems avant que Putiphar fût né. Quoi qu'il en soit les Perses, les Médes, & les Assyriens ont été de tous les Peuples ceux qui se sont le plus servis d'Eunuques. Et on remarque[19] que Nabucodonosor faisoit couper tous les Juifs & tous les autres prisonniers de guerre, afin de n'avoir que des Eunuques à son service particulier.[20]Et c'est peut-être ce qui a donné lieu à conjecturer que les Perses étoient les inventeurs de l'Eunuchisme.
Ce que c'est qu'un Eunuque.
LUcien en donne une définition fort courte dans son Dialogue des Eunuques. Il dit qu'il n'est ni mâle, ni femelle, & qu'il est un prodige dans la Nature. Mais elle est trop générale, il en faut une plus éxacte & qui le fasse connoître plus particuliérement & plus sûrement. Un Eunuque donc, est une personne qui n'a pas la faculté d'engendrer, par la foiblesse, ou par la froideur de la nature, ou à qui on a retranché les parties propres à la génération; Qui generare non possunt, comme s'exprime la Loi[21]; Qui ont une voix grêle & languissante, la complexion d'une femme, qui n'ont que du poil folet à la barbe; En qui le courage & la hardiesse cedent à la crainte & à la timidité; En un mot, dont les mœurs & les maniéres sont toutes efféminées. Si l'Eunuque est un sujet si chétif & si méprisable à l'égard du corps, il vaut encore moins du côté de l'esprit & du cœur. Voici le portrait que St. Basile en a fait autrefois[22]. Simplicie femme entêtée de l'Hérésie Arrienne s'étoit mêlée de faire des remontrances à ce St. Homme sur sa conduite & sur ses mœurs; Il se justifie & prend à témoin toutes les personnes qui le connoissent, excepté quelques Eunuques qu'il récuse, & dont il fait une peinture affreuse; «S'il est besoin de témoins, dit-il, qu'on ne me produise point d'esclaves ni de misérables Eunuques, gens abominables & sans honneur, qui ne sont ni hommes ni femmes, que l'amour du séxe rend comme furieux; Ils sont jaloux, méprisables, féroces, efféminez, gourmands, avares, cruels, inconstans, soupçonneux, furieux, insatiables. Ils pleurent quand on les prive d'un repas, & pour tout dire en un mot ils sont condamnez au fer dès leur naissance, des gens estropiez de la sorte peuvent-ils avoir l'ame droite? Le fer les rend chastes, mais cette chasteté ne leur sert de rien, leur turpitude les rend furieux, & ils n'en remportent aucun fruit. Peut-être que cette description paroîtra trop satirique & trop outrée, & qu'elle sera suspecte, parce qu'elle est faite par un homme en colere; Mais voici le témoignage d'un homme desintéressé, qui non seulement la confirme & l'autorise, mais même qui y ajoûte de nouveaux traits qui rendent les Eunuques encore plus hideux; c'est Ammian Marcellin qui parle, qui dépose contr'eux, & qui dit,[23]«Que quand Numa Pompilius & Socrate diroient du bien d'un Eunuque, on ne les en croiroit pas, & qu'on les accuseroit de mensonge. Ea re quod si Numa Pompilius vel Socrates bona quædam dicerent de Spadone, dictisque Religionum adderent fidem, à veritate descivisse arguerentur. Il est vrai que sur la fin du même Chapitre il excepte Menophile Eunuque de Mithridate Roi de Pont, dont il parle avantageusement. Il y en a bien encore quelques autres qui ont été dignes de louanges, comme un Favorinus Mordonius, un Eutherius Eunuque de l'Empereur Constans, & depuis de Julien l'Apostat; Un Hermias à qui Aristote sacrifioit comme à un Dieu; sur tout Daniel & ses Compagnons, si tant est qu'ils ayent été Eunuques, comme quelques Interprétes de l'Ecriture Sainte le croyent; Mais le nombre en a été si petit, qu'il n'est pas capable de donner atteinte à l'opinion générale qu'on en donne. L'on peut dire qu'il est des Eunuques comme des Bâtards, qu'ils sont ordinairement mauvais, mais qu'il s'en trouve quelque fois de bons, & comme dit Ammian Marcellin,[24]Inter Vepres rosæ nascuntur, & inter feras nonnullæ mitescunt.
Theodore, Précepteur de l'Empereur Constantin Porphirogenite, s'est avisé, par un dessein singulier & bizarre, d'écrire une Apologie, pro Eunuchismo & Eunuchis, mais on regarde cet Ouvrage de la même maniére qu'on regarde l'Eloge de Busiris par Isocrate, celui de Néron, & celui de la Goutte par Cardan; Celui de la pauvreté par Synesius; celui de l'aveuglement par Passerat; Celui de la laideur & de la fiévre quarte, par Favorin; Celui de la peste par Prævidelli; celui de la guerre par Balth. Schuppius; Celui de l'injustice par Glaucon; celui de la folie par Erasme; celui de la Goinfrerie par Lucien; celui de l'Asne & celui de la Vermine par Heinsius, celui du rien & du néant par Schuppius, par Passerat, & par Duverdier le jeune; Et la magnifique Doxologie du fêtu par Sébastien Rouillard. Ces gens là ont entrepris de louer ce que toute la terre méprise & blâme, s'imaginant que cette singularité exciteroit la curiosité & l'admiration des lecteurs. Mais tous ces livres n'ont point rendu les sujets qu'ils ont traitez plus louables, ni plus légitimes; Et celui qui a pour titre de Multibibus imprimé à Oenozythople sous les auspices de Dionysius Bacchus, n'a pas authorisé les beaux droits & les plaisans priviléges des yvrognes qu'il étale avec beaucoup d'éxactitude & de pompe. On a beau faire des apologies pour cette ridicule, injuste & barbare coûtume de faire des Eunuques, il n'y a personne dans le Christianisme qui ne le déteste, & qui dans l'occasion ne s'écriât à l'encontre comme fit autrefois Seneque,[25]Principes viri, disoit-il, contra naturam divitias suas exercent, excisorum greges habent, exoletos suos, ut ad longiorem patientiam impudicitiæ idonei sint; & quia ipsos pudet viros esse, id agunt, ut quam pauci viri sint. His nemo succurit delicatis & formosis debilibus.
Combien il y a de différentes sortes d'Eunuques.
JEsus Christ lui-même nous apprend combien il y a des differentes sortes d'Eunuques; Il y en a, dit il[26], qui sont nez tels dès le ventre de leur mére; Il y en a qui ont été faits Eunuques par les hommes. Et il y a encore des Eunuques qui se sont faits Eunuques eux-mêmes pour le Royaume des Cieux. Mais la subtilité des hommes, & l'événement, ont donné lieu à des distinctions moins générales. Les diverses questions qui concernent le mariage de gens accusez d'être Eunuques, & la restitution de la dote de la femme, ont obligé à éxaminer les Eunuques de près; & comme on en a trouvé de diverses espéces, on en a fait des Classes différentes. Les Jurisconsultes en font quatre. La premiere est de ceux qui sont nez tels; qui sont Eunuques proprement & absolument ainsi nommez. La seconde est de ceux auxquels, soit malgré eux, soit de leur consentement & par leur propre fait, on a retranché tout ce qui fait l'homme & sa virilité, qui ne peuvent en faire aucun acte, qui sont obligez, de rendre leur urine par un tuyau de métail qu'on leur attache à la place de celui que la Nature leur avoit donné & qu'on leur a coupé; Cela arrive quelquefois à des gens travaillez de quelque maladie qui oblige le Chirurgien à leur faire cette triste operation; mais cela se pratique aussi sur des hommes sains comme nous le verrons dans la suite; C'étoit autrefois une des fonctions de la Médecine comme on le voit au §. 8. de la loi 7. ad legem Aquiliam. Et au commencement de la loi 8. du même tître & sur tout au §. 2. de la loi. 4. ff. ad legem Corneliam de sicariis & veneficiis, où il est expressément deffendu aux Médecins de faire de semblables opérations. La troisiéme Classe est de ceux auxquels on froisse tellement les Cremastéres qu'ils disparoissent, & qu'il semble qu'ils soient évanouïs; La veine qui leur portoit l'aliment étant retranchée, ils se flétrissent, ils se séchent & se réduisent à rien. Cette opération se fait ordinairement en mettant le patient dans un bain d'eau tiéde afin d'amolir ces parties, & de les rendre plus maniables & plus propres à se dissoudre; Après qu'il y a été quelque tems, on lui presse les veines du cou qu'on nomme Jugulaires, & par là on le rend stupide et aussi insensible que s'il étoit tombé en apopléxie, alors il est aisé de le mutiler sans qu'il en sente rien: Cela se fait ordinairement dans la grande jeunesse par la mére ou par la nourrice. On lui faisoit prendre autrefois une certaine quantité d'Opium, & lors qu'il étoit accablé de sommeil on lui coupoit, ou on lui tiroit une partie que la nature a pris beaucoup de soin à fabriquer; mais comme on a remarqué que la plûpart de ceux qu'on Eunuchisoit ainsi mouroient, par ce Narcotique, on s'est avisé de l'autre moyen dont je viens de parler. Les Perses & diverses autres Nations, ont des maniéres de faire, ou de couper les Eunuques, différentes de celles dont on se sert en Europe. Je dis de faire, car ce n'est pas toujours en coupant qu'on Eunuchise; La ciguë & diverses autres herbes font le même office, comme on peut le voir dans l'Ouvrage de Paul Æginette qui traite éxactement cette matiére, sur tout dans le Livre sixiéme de ce docte & curieux Traité. Cette troisiéme sorte d'Eunuques sont ceux qu'on appelle en Droit Thlibiæ. Ceux qu'on nomme Thlasiæ, sont à peu près de la même qualité, toute la difference qu'il y a, c'est qu'on se contente de leur couper les veines qui servent à fortifier les parties viriles, de sorte qu'elles restent bien à la vérité, mais si flasques & si flêtries qu'elles ne sont d'aucun usage; La quatriéme Classe, enfin, est de ceux qu'on appelle Spadones, qui sont nez si mal conformez, ou d'un tempérament si froid, ou qui le sont devenus par quelque incommodité, qu'ils sont incapables de contribuer à la génération. Quoi que ces quatre espéces soient fort différentes entr'elles, & que la derniére soit la plus favorable & la moins malheureuse, cependant les Jurisconsultes ont trouvé à propos de les comprendre toutes sous le nom de spado, ce qui est assez singulier, comme je viens de le dire, puis que la maxime triviale de droit porte que denominatio fit à potiori. Et qu'à proprement parler, ceux qu'on appelle spadones ne sont point Eunuques, puis que par la vertu de la Nature, ou par le secours de l'Art, ils peuvent être remis dans un état parfait; D'ailleurs, specialia generalibus insunt,[27]& comment sous le nom de spado qui n'est pas proprement un Eunuque, peut on comprendre ceux qui le sont réellement & de fait, & sans espérance de retour. Il me semble que nomina debent esse convenientia rebus comme ils le disent eux-mêmes; & que celui ci convient peu à toutes les espéces qu'il renferme; Quoi qu'il en soit, ils l'ont ainsi voulu;[28]spadonum generalis appellatio est, quo nomine tam hi qui naturâ Spadones sunt; item Thlibiæ Thlasiæ sed & si quod aliud genus spadonum est continentur.
Il y a diverses autres sortes d'Eunuques; il y en a qui sont appelez de ce nom, catachresticé, parce qu'ils possédent les Charges ou les Dignitez qui étoient données originairement aux Eunuques; Il y en a d'autres qui sont appellez de ce nom par figure, parce qu'ils sont chastes & qu'ils ne se servent pas plus de leurs parties viriles que s'ils n'en avoient point.
Toutes ces sortes d'Eunuques ont un nom général par lequel on prétend qu'ils ont tous été désignez, c'est le nom de Bagoas. Ce nom est celui du personnage qui représente l'Eunuque que Diocles prétend exclurre de la profession de Philosophe, dans le dialogue de Lucien. Il y a eu un fameux Eunuque de ce nom qui étoit à Darius & dont après la mort de ce Prince on fit present à Aléxandre le Grand. Il étoit beau par excellence, & Alexandre l'aima autant que Darius l'avoit aimé. Quinte-Curce en fait l'Histoire en différens endroits[29] de la Vie de son Héros, & j'aurai occasion d'en parler dans la suite de cet Ouvrage. L'Eunuque d'Olopherne, Général de Nabucodonosor, qui assiégea Bethulie & à qui Judith coupa la tête; Cet Eunuque, dis je, qu'Olopherne employa pour disposer Judith à passer la nuit avec lui & qui la conduisit en effet dans sa tente, s'appelloit Bagoas; quoi que quelques versions, & entr'autres celle de Mrs. de Port-Royal l'appelle Vagao. Quoi que ce nom ait été le nom de plusieurs particuliers , cependant Gilbert Cousin, ou en Latin Cognatus, dont l'Illustre M. Baile a fait un article dans le tome premier pag. 974. de son Dictionaire, dit dans la remarque qu'il a faite sur ce mot Bagoas qui se trouve dans Lucien, que dans une Langue barbare il signifie en général un Eunuque; & il insinuë par là que Lucien ne se sert de ce nom Bagoas que parce que c'est un nom qui comprend tout le genre Eunuque.[30]Et il confirme son sentiment par ce Vers d'Ovide,
Il est certain que parmi les Babyloniens Bagoas signifie un Eunuque. Il y en a eu un aussi de ce nom qui a été Eunuque, & dont Plutarque dit beaucoup de choses plus dignes pourtant du silence que de nôtre curiosité. Quelques Sçavans croyent que ce Bagoas dont parle Lucien étoit un homme qui avoit la mine si disgraciée qu'on le prenoit pour Eunuque. Quintilien parle d'un Bagoas & il y a apparence qu'il se sert de ce nom comme d'un nom commun à une espèce d'hommes,[31]car il parle en même tems de Megabyse & de Doriphoron, or il est certain que Megabyse est un nom commun aux Prêtres de Diane,[32]ils devoient être tous Eunuques parce qu'ils avoient la garde des filles qui lui étoient consacrées; Et Doriphoron signifie un homme qui porte une lance; Il est vrai qu'il désigne aussi cette statuë si admirable d'un jeune homme bien fait qui étoit armé d'une lance que Policlete avoit fait, dont il étoit amoureux, & qu'il appelloit sa Maîtresse; mais il suffit qu'il marque aussi un nom général, sous lequel tout homme portant une lance est désigné.
Des Eunuques qui sont nez tels.
IL semble qu'il ne soit point impossible que certaines créatures humaines viennent au monde destituées des parties qui servent à la génération. On voit tous les jours des enfans qui naissent sans yeux, sans oreilles, sans mains, ou sans quelqu'autre partie du corps, il peut aussi aisément arriver que quelques-uns naissent dépourvûs de celles dont il est ici question. La Nature qui produit tous les jours tant de monstres pourroit bien en former un de cette espéce; cependant les Naturalistes disent qu'il n'y en a point d'éxemple. Et en effet, Pline qui rapporte éxactement & amplement[33] les figures humaines monstrueuses dont le nombre & la diversité sont grands parmi tous les Peuples, ne parle point de celles dont il s'agit ici; Je puis dire néanmoins que j'en ai vû une, & peut être a-t-elle été vûë de toute l'Europe; car ses parens ayant remarqué que le Public avoit de la curiosité pour un corps humain aussi singulier que l'étoit celui dont je vai parler, & qu'ils pouvoient amasser beaucoup d'argent en le menant de lieu en lieu & de Païs en Païs, l'ont sans doute porté par tout. Il étoit à Berlin en l'année 1704. C'est un cul de jatte qu'un homme portoit sur le dos dans une boëte; avec cette différence, qu'au lieu que ceux qu'on nomme ainsi n'ont ni jambes, ni cuisses, dont ils puissent se servir, & qu'ils marchent sur leur derriére enfermé dans une jarre, celui-ci n'a pas même un derriére, c'est à dire de fesses; Il a la tête bien faite, le visage beau & doux, le tein brun & les cheveux chatains; mais quoi qu'il ait eu alors plus de vingt ans, il n'avoit point de barbe, ni aucune apparence qu'il en auroit un jour. Il avoit des bras & des mains fort bien proportionnez, son corps étoit assez bien fait, il étoit de la hauteur d'environ deux à trois pieds; c'étoit par le bout d'en bas une espéce de tronc, il marchoit avec ses mains; il avoit deux conduits comme les autres hommes par lesquels la nature se déchargeoit de ses excrémens, celui de devant étoit fort court & fort petit, & au dessous il y avoit un suspensoire flasque & flêtri dans lequel il n'y avoit aucun Crémastére. Je m'informai fort particuliérement de ses parens s'il étoit né ainsi, ils m'assurérent qu'il étoit absolument tel que la nature l'avoit formé. Comme je sçai qu'il ne faut pas toûjours mal juger de la virilité d'un homme, lors qu'on ne lui trouve point de Crémastére au dehors, parce qu'il arrive quelque fois que quoi qu'ils soient demeurez au dedans, & qu'ils ne soient point descendus dans les suspensoires par des obstacles qui se sont opposez à leur sortie, les hommes, néanmoins, qui les ont ainsi cachez ne laissent pas d'être aussi parfaits que ceux qui les ont au dehors: qu'ils sont forts & vigoureux, & qu'ils ont tous les autres signes nécessaires pour prouver la virilité de l'homme, j'éxaminai fort éxactement ce cul de jatte, & lui trouvant d'ailleurs toutes les marques d'un véritable Eunuque, j'en conclûs qu'il l'étoit en effet & qu'il a été produit tel par la nature dans le sein de sa mére. Ainsi voila une preuve qu'il y a des Eunuques qui naissent tels, quoi qu'en disent les Naturalistes, & particuliérement Pline dans le chapitre second du septiéme livre de son Histoire du Monde.
Pourquoi on fait des Eunuques.
S'Il est vrai que Semiramis ait été la premiére qui se soit avisée de faire faire des Eunuques, & que la raison qu'on en rapporte soit certaine, la premiére cause de cette mutilation a été la jalousie de cette Reine, qui après s'être servie des hommes les mieux faits de son Armée, les fit châtrer, de peur qu'ils n'allassent encore depuis servir au divertissement de quelqu'autre femme. Mais sans m'arrêter aux conjectures, voici d'autres causes plus sûres de cet usage.
Les Eunuques ont été faits pour être la garde des filles & des femmes, pour observer leur conduite, & pour empêcher qu'elles ne fissent rien de contraire à la chasteté ou au devoir conjugal; c'est apparemment à cet usage que l'Eunuque a proprement été destiné, le mot même le fait connoître, car il signifie, garde lit, ou garde chambre. C'est encore pour cet usage qu'on en fait dans l'Orient. Mais depuis, les hommes qui n'en avoient que pour en faire un usage légitime, en ont abusé & en ont fait faire pour servir à des usages sales & criminels. Ils choisissoient dans cette vûë les plus beaux garçons qu'ils trouvoient depuis l'âge de quatorze ans, jusqu'à l'âge de dix-sept ans. Saint Grégoire de Nazianze s'en plaint amérement dans la Vie de Saint Basile, & dans son Oraison trente & uniéme. Mais il faut que cette infâme coûtume soit beaucoup plus ancienne, car Juvenal déclame contre cet abus dans l'une de ces[34] Satyres; disant.
Il est vrai qu'ils en ont fait faire pour servir de victimes qu'ils offroient à des Divinitez; c'est contre cette horrible coûtume que Saint Augustin, qui reléve, qui condamne & qui réfute les ridiculitez, les infamies, les cruautez de la Religion des Payens, se déchaîne dans son excellent Livre[35] de la Cité de Dieu. Il falloit même que les Prêtres fussent Eunuques, afin, disoit on, de s'employer aux choses Sacrées plus purement et plus chastement. C'étoit sur tout la pratique des Athéniens;[36]les Prêtres de la Diane d'Ephese étoient aussi obligez d'être Eunuques.
La Religion Chrétienne a eu ses Eunuques malgré elle, & quoi qu'elle les abhorre, un certain Valesius Arabe de Nation, forma une Secte qui soûtint que bien loin que la mutilation fût un obstacle au Sacerdoce, comme le Concile de Nicée l'avoit déclaré, il étoit au contraire absolument nécessaire d'être Eunuque pour l'éxercer. Non seulement ils pratiquoient sur eux-mêmes le cruel éxemple d'Origéne, mais même ils réduisoient dans ce triste état tous ceux qui tomboient entre leurs mains; cette Hérésie est la cinquante-huitiéme de celles que Saint Epiphane réfute.
Depuis on a fait des Eunuques pour avoir des gens qui eussent la voix belle & qui pussent la conserver long tems. Macrobe rend d'amples & de bonnes raisons pour lesquelles les Eunuques ont la voix belle, au chapitre cinquante-deuxiéme de ses Saturnales. C'est principalement le but que les Italiens se proposent encore aujourd'hui lors qu'ils font châtrer des jeunes gens.
L'avarice a poussé des gens à faire des Eunuques pour en trafiquer. Quelques Rélations de Voyageurs nous apprennent, que dans le Royaume de Boulan seul, on fait tous les ans vingt mille Eunuques qu'on envoye vendre en divers autres Etats. L'Histoire de Panione de l'Isle de Chio, que je rapporterai dans la suite, fera voir que ce commerce n'est pas nouveau. [37] On fait Eunuques des gens qu'on veut plonger dans la honte & dans l'ignominie, soit qu'ils ayent été lâches à la Guerre & qu'on veuille les en punir, soit qu'on veuille les noter d'infamie pour quelqu'autre cause que ce soit. Mais voici de plaisans motifs de faire des Eunuques; c'est la raillerie, le ressentiment & l'insulte; On lit une Histoire assez divertissante rapportée sous le Régne de Henri I. qui en est une preuve; «Les Grecs faisoient la Guerre au Duc de Benevent & le traitoient assez mal; Thedbald Marquis de Spolette son Allié étant venu à son secours & ayant fait quelques prisonniers, ordonna qu'on leur coupât les parties qui font les hommes & les renvoya en cet état au Général Grec, avec ordre de lui dire qu'il l'avoit fait pour obliger l'Empereur, qu'il sçavoit aimer beaucoup les Eunuques, & qu'il tâcheroit de lui en faire avoir bientôt un plus grand nombre; le Marquis se préparoit à tenir sa parole, lors qu'un jour une femme, dont ses gens avoient pris le mari, vint toute éplorée dans le Camp, & demanda à parler à Thedbald; Le Marquis lui ayant demandé le sujet de sa douleur; Seigneur, répondit-elle, je m'étonne qu'un Héros comme vous s'amuse à faire la guerre aux femmes lors que les hommes sont hors d'état de lui résister; Thedbald ayant repliqué que depuis les Amazones, il n'avoit pas ouï dire qu'on eût fait la guerre à des femmes; Seigneur repartit la Grecque, peut-on nous faire une guerre plus cruelle, que de priver nos maris de ce qui nous donne de la santé, du plaisir, & des enfans; Quand vous en faites des Eunuques, ce n'est point eux, c'est nous que vous mutilez; Vous avez enlevé ces jours passez nôtre bétail & nôtre bagage, sans que je m'en sois plainte; mais la perte du bien que vous avez ôté à plusieurs de mes compagnes étant irréparable, je n'ai pû m'empêcher de venir solliciter la compassion du Vainqueur. La naïveté de cette femme plût si fort à toute l'Armée, qu'on lui rendit son mari, & tout ce qu'on lui avoit pris. Comme elle s'en retournoit, Thedbald lui fit demander ce qu'elle vouloit qu'on fît à son mari, au cas qu'on le trouvât encore en armes. Il a des yeux, dit-elle, un nez, des mains, des pieds, c'est là son bien, que vous pouvez lui ôter, s'il le mérite; mais laissez lui, s'il vous plaît, ce qui m'appartient.» Apparemment que la femme dont Plaute parle dans son Mercator[38], n'étoit pas de cet avis, ou qu'en tout cas elle regardoit ce bien â elle appartenant, comme un bien de petit rapport & de peu de valeur, car son mari craignoit qu'elle même ne s'en privât,
Les Adultéres étoient faits Eunuques pour peine de leur crime; je pourrois le faire voir par plusieurs éxemples, mais j'en rapporterai trois seulement qui sont précis, l'un sera tiré de Valére Maxime[39], il y est dit que Vibienus & Publius Cernius ayant surpris l'un Carbo Accienus, & l'autre Pontius en adultére ils les firent châtrer; L'autre est contenu dans Martial,[40]
Le troisiéme & le principal est l'éxemple d'Abelard; ce Docteur amoureux ayant abusé d'Héloïse qu'on lui avoit donnée à instruire, les parens de cette fille lui firent couper les parties viriles avec lesquelles il avoit deshonoré leur famille; Ils allérent jusqu'à la racine du mal & l'arrachérent de telle forte qu'ils ôtérent au coupable le pouvoir de la rechute.[41]
Cela étoit passé en loi parmi les Gaulois. La Loi Salique tit. 29. de Adult. Ancillor. porte cette décision servus qui cum aliena ancilla mœchatus fuerit, ea mortua, castretur. On peut dire aussi que cela étoit fondé sur cette loi de l'équité, qui dit que la peine doit être infligée à celui des membres du corps qui a été l'instrument, ou le complice du crime.[42]Job raisonnoit sur ce principe lors qu'il disoit, si j'ai levé la main sur le Peuple, &c. que mon épaule tombe étant desunïe de la jointure, & que mon bras se brise avec tous ses os.
On faisoit aussi Eunuques les Esclaves qui avoient dérobé; voici les termes de la même Loi Salique. Tit. 13. de furt. servor servi qui quidpiam valens quadraginta denarios furati essent, castrari Jubebantur in pœnam, &c.
La nécessité contraint aussi quelquefois de faire des Eunuques; Il se trouve souvent des hommes attaquez de tels maux que le Médecin est obligé d'ordonner cette opération, & le Chirurgien de la faire. La maladie est la cause de ce malheur, & bien loin que ceux qui ont ce sujet d'affliction doivent être regardez de mauvais œil, ils doivent au contraire être plaints & consolez.
On a fait des Eunuques par représailles & en vertu de la Loi du Talion.[43]Herodote nous l'apprend d'une maniére fort agréable par un éxemple curieux; «Hermotime Pedasien qui étoit, dit-il, le plus considérable des Eunuques de Xerxes, fut de tous les hommes celui qui se vengea le mieux de l'injure qui lui avoit été faite. Après avoir été pris il fût vendu à Panione de l'Isle de Chio qui faisoit négoce d'Eunuques, & qui faisoit châtrer tous les beaux garçons qu'il achetoit pour les vendre ensuite bien chérement à Sardis & à Ephese; parce que parmi les Barbares on estimoit plus les Eunuques que les autres, à cause de leur fidélité & de la confiance qu'on pouvoit prendre en eux pour toutes choses; Comme, dis-je, ce Panione à qui Hermotime fut vendu, vivoit de l'infame commerce qu'il faisoit des Eunuques, il fit couper Hermotime de même que plusieurs autres: Mais Hermotime ne fut pas malheureux à tous égards, car ayant été mené de Sardis au Roi avec d'autres présens, il aquit avec le tems plus de faveur & de crédit auprès du Roi que pas un des autres Eunuques: Lors que le Roi fit partir ses troupes de Sardis pour aller à Athenes, Hermotime fut envoyé pour quelque affaire dans un endroit de la Mysie nommé Atarne, où il trouva Panione, qu'il reconnut, & l'ayant abordé il lui parla avec toute sorte de douceur, d'honnêteté & de témoignage d'amitié; Il lui dit premiérement qu'il possédoit par son moyen tous les biens qui lui étoient arrivez, & ensuite il lui promit de lui donner des marques de reconnoissance pour ce bienfait, s'il vouloit venir avec les siens, demeurer dans sa maison; Panione se laissa persuader par ce discours & amena librement sa femme & ses enfans chez Hermotime; Mais il n'y fut pas si-tôt arrivé qu'Hermotime lui parla en ces termes, Oh le plus méchant de tous les hommes qui as jusqu'à présent gagné ta vie du plus détestable de tous les commerces. Quelle injure as tu reçûë, toi ou ceux de ta maison, ou de mes parens, pour m'avoir réduit en ce misérable état dans lequel, d'homme que j'étois je ne suis maintenant ni homme, ni femme? Pensois tu que les Dieux ne vissent pas ce que tu faisois alors? Comme ils sont justes & équitables, infame artisan de malheurs, ils t'ont mis aujourd'hui en ma puissance pour mesurer ton châtiment par tes mauvaises actions. Quand il eut fait ces reproches à ce misérable, il fit amener devant lui quatre enfans qu'il avoit, & le contraignit de les châtrer; Et quand il eut obéi il obligea ses enfans de couper eux-mêmes les parties de leur Pére. Telle fut la vengeance d'Hermotime & telle fut la punition de Panione.» Quelques-uns ont crû qu'il les avoit poussez trop loin & qu'il s'étoit fait justice à lui même. La vengeance de Narses fut bien plus importante présupposé qu'elle soit véritable, car Baronius & plusieurs Auteurs en doutent. Narses ayant vaincu les Barbares & les Gots, & s'étant rendu auprès de l'Empereur Justinien, l'Impératrice Sophie envoya ce Capitaine parmi ses femmes pour filer avec elles, & pour se railler de lui parce qu'il étoit Eunuque. Ce mépris ayant excité la colére & l'indignation de Narses l'obligea à dire ces mots, Je filerai une trame que ton mari ne saura défaire. En effet, dans la suite il mit les Lombards hors de la Jurisdiction de l'Empire. D'ailleurs, j'avouë que je ne vois rien de plus juste que le ressentiment d'Hermotime, & que la peine que méritoit Panione, non seulement pour l'avoir châtré, mais pour en avoir châtré un million d'autres pour satisfaire à son commerce & à son avarice, ne pouvoit être trop grande. Hermotime étoit fondé en Loi; la Loi du Talion a toûjours été établie, on la voit dans la Loi des douze Tables en termes précis,[44]pœna autem injuriarum ex lege duodecim Tabularum propter membrum quidem ruptum Talio erat. L'Empereur Justinien a ordonné depuis positivement la peine du Talion, ou de la pareille, contre ceux qui feroient souffrir cette espéce de martire;[45] Sancimus igitur, dit-il, ut qui in quocunque reipublicæ nostræ loco, quamcumque personam castrare præsumunt aut etiam præsumpserint, si quidem viri sint qui hoc facere præsumpserint aut etiam præsumunt, idem hoc quod aliis feceruns & ipsi patiantur. Cette Loi est conforme à la droite raison; car comme dit Ovide,[46]
Cependant, comme le Christianisme n'approuve point l'Eunuchisme, la Loi du Talion a été abrogée à son égard par l'Empereur Leon, pour les raisons sages & Chrétiennes qu'il en rend dans sa Constitution[47];
Il y a enfin des Eunuques qui se sont faits, ou fait faire Eunuques eux mêmes par divers motifs que nous allons rapporter dans le chapitre suivant.
Pourquoi quelques hommes se sont faits eux-mêmes, ou fait faire Eunuques par d'autres.
IL y a eu des hommes qui se sont faits Eunuques par un esprit de dévotion, dans la pensée de se rendre plus agréables à Dieu, & plus capables de travailler à leur salut. Comme Origéne a été le premier, le Pére pour le dire ainsi, & le Patriarche de ces sortes d'Eunuques, il est bon de faire voir en peu de mots le véritable motif qui l'a fait penser & agir d'une maniére si singuliére à cet égard. Je sçai bien que Justin Martyr[48] parle d'un jeune homme d'Aléxandrie antérieur à Origéne, qui pour faire voir que ceux qui accusoient les Chrêtiens de commettre dans leurs Assemblées des saletez horribles, n'étoient que des calomniateurs, présenta requête à Felix, Gouverneur de cette Ville, pour obtenir de lui un Chirurgien qui le mit hors d'état d'être jamais soupçonné d'aucune impureté; Mais comme Felix le lui refusa parce que les lois Romaines le deffendoient, comme les Canons de l'Eglise le deffendirent depuis, je crois avoir raison de mettre Origéne le premier en ordre; parce que s'il n'a pas été le premier qui ait eu un semblable dessein, au moins a-t-il été le premier qui l'ait éxécuté.
Origéne nâquit à Alexandrie l'an 185. de Jesus Christ. Son Pere nommé Leonidas le fit étudier en Theologie, dans la connoissance de laquelle il se rendit très-sçavant. Le témoignage de Saint Jerôme suffit pour le prouver, car dans le tems même qu'il écrivoit le plus fortement contre Origene il reconnoissoit qu'il avoit été un grand homme dès sa naissance,[49]Magnus vir ab infantia; Il étoit si ardent à professer la Religion Chrétienne, que la persécution s'étant élevée dans Aléxandrie sous l'Empire de Severe l'an 202. de Jesus Christ, il voulut courir au Martyre quoi qu'il ne fut âgé que de seize à dix sept ans; & il y seroit allé si sa mére ne l'en eut empêché en le retenant par force & par adresse. Ne pouvant donc le souffrir lui-même il exhorta son Pere par lettres à l'endurer courageusement. En effet il eût la tête tranchée & ses biens furent confisquez, de sorte qu'Origene fut réduit à la derniere pauvreté. Une Dame riche d'Alexandrie en ayant eu pitié le retira dans sa maison; Elle y avoit avec elle un fameux Hérétique d'Antioche qu'elle avoit adopté pour fils, qui faisoit chez elle des conférences auxquelles les hérétiques & les orthodoxes assistoient indifféremment. Origene conversa bien avec lui, mais il ne voulut jamais avoir de communication avec lui dans la priére, observant religieusement les Réglemens de l'Eglise, & témoignant de l'horreur pour la doctrine des Hérétiques;
Il souhaita de vivre indépendamment d'autrui, & en effet il se mit à enseigner la Grammaire; & depuis, la chaire de l'Ecole d'Alexandrie étant vacante elle lui fut donnée, & comme elle ne lui produisoit pas suffisamment de quoi vivre, il vendit tous ses livres qui traitoient des sciences prophanes, & se contenta de quatre oboles par jour que lui donnoit celui qui les avoit achetez. Il commença alors à mener une vie très-laborieuse & très-austere: & comme son emploi l'obligeoit à être souvent avec des femmes qu'il instruisoit aussi bien que les hommes, pour ôter aux Payens tout prétexte de soupçon de quelque mauvaise conduite à cause de sa grande jeunesse; il se résolut d'éxécuter à la lettre la perfection qu'il se persuadoit que Jesus Christ avoit proposée dans ces paroles de l'Evangile. Il y en a qui se sont faits Eunuques eux mêmes pour le Royaume des Cieux. Il tâcha de tenir cette action secrette, il la cacha même à ses amis; mais il ne put empêcher qu'elle ne fut sçuë. Demetrius Evêque d'Alexandrie en eut connoissance, loua son zele, & l'ardeur de sa foi, mais il changea de langage bien après; car la reputation d'Origéne s'étant répanduë en divers lieux où il étoit allé, Demetrius écrivit contre lui & lui reprocha cette action qu'il avoit louée. Il poussa sa passion si loin qu'il le fit chasser d'Aléxandrie, le fit déposer dans un Concile d'Evêques d'Egypte, & même excommunier, & écrivit par tout contre lui pour le faire rejetter de la Communion de toutes les Eglises du monde. Ce narré tiré d'un Auteur[50] authorisé par l'approbation du public & conforme à ce qu'en dit Eusebe, refute & détruit ce que rapporte Saint Romuald sur ce sujet. Il dit[51] que l'an 232. il s'éleva une sédition populaire dans Alexandrie contre Origene qui l'obligea à se retirer ailleurs, laissant son disciple Heracles en sa place de Recteur des Ecoles de la Ville. On ne sçait pas bien, dit-il, la cause de cette sédition, les uns l'attribuent à la publication qu'il avoit faite de son Periarchon, ou des principes, qui étoit un vrai labyrinthe d'erreurs; & les autres aux efforts qu'il faisoit pour persuader à ses disciples de l'imiter en se faisant Eunuques comme lui, soit par le fer ou par la ciguë, afin d'énerver tout à fait cette partie rebelle du corps, & se priver ainsi de tout mouvement bestial de la chair. Il se range du second avis, parce, dit-il, que ce fut à peu près dans ce tems que cette erreur se convertit en hérésie, par le faux zéle de ce Valesius Arabe dont j'ai déja parlé, & qui en fut le Propagateur[52]. Mais il est certain 1. qu'Origéne n'a jamais fait de violence à personne, il a tenu son action secrette, & si elle s'est divulguée ça été contre son intention;[53]2. Il l'a lui-même condamnée depuis, c'est un fait que le même Auteur dont j'ai tiré l'abregé de son Histoire remarque expressément; Eusebe son plus grand Protecteur en parle d'une maniére qui fait voir qu'il en avoit honte; Il avoit honte aussi d'avoir employé trop de tems à l'étude des sciences profanes, & il s'en excuse dans le second livre de son apologie, ou de sa deffense.[54]Les passages où Origene lui-même a condamné son action sont dans son sermon 15. sur St. Matthieu, au ch. 19. V. 12. & dans son ouvrage contre Celse, liv. 7. Il n'y a qu'à lire aussi ce qu'il dit dans son Traité septiéme sur le Chapitre dix-huitieme de St. Matthieu pour être convaincu qu'il a bien changé d'avis, voici ses termes; Nos autem si spiritales sumus verba spiritus spiritualiter accipiamus & de tribus istis Eunuchizationibus ædificationem introducentes moralem. Eunuchi nunc moraliter abstinentes se a veneriis sunt appellandi; Eorum autem qui se continent differentiæ tres sunt. Ceux qui sont Eunuques dès le ventre de leur mére, sont, dit-il, ceux qui le sont par tempéramment, qui sont nez froids ou impuissans; ceux que les hommes ont fait, sont, ajoute-t-il, ceux qui le sont par raison, ce sont ces Philosophes qui faisant profession d'une sagesse mondaine, s'abstiennent du commerce des femmes par des maximes humaines, ou ceux ausquels une fausse honte, ou les loix publiques les deffendent: Les Ecclesiastiques de l'Eglise Romaine sont de ce nombre. Ceux enfin qui se font Eunuques pour le Royaume des Cieux sont, dit-il, ceux qui sont chastes par vertu & par pieté, pour être mieux disposez au service de Dieu, & dans l'intention d'être mieux disposez au service de Dieu, & dans l'intention de lui être plus agreables.[55]Socrate l'Historien dit qu'Origene, qu'il nomme Doctor Valde sapiens, avoit reconnu que les préceptes de la Loi de Moïse ne pouvoient pas s'entendre à la lettre & qu'il falloit leur donner une explication plus sublime, & il ajoute que, præceptum de paschate ad altiorem divinioremque sensum traduxit, ce qui fait voir d'autant plus qu'Origene étoit revenu de l'ancienne erreur dans laquelle il avoit été, qu'il falloit entendre à la lettre ce qui est contenu dans le Vieux & dans le Nouveau Testament;
Valesius dont j'ai déja parlé vint après lui, & comme les disciples vont toûjours au delà de leurs Maitres, (si tant est que Valesius qui n'étoit qu'imitateur d'Origene, puis que cet ancien Docteur ne lui avoit jamais enseigné ni recommandé cette cruelle doctrine, puisse ou doive passer pour son disciple) enchérit beaucoup sur la pratique d'Origéne; car au lieu qu'Origéne n'avoit considéré les paroles de Jesus Christ que comme un Conseil, qu'il ne l'avoit pratiqué que ad melius esse comme parlent les Philosophes, par desir de parvenir à la perfection; & pour ôter à ses ennemis tout prétexte de juger mal de ses conversations avec des filles qu'il enseignoit, Valesius au contraire changea cette action volontaire en action nécessaire, & forçoit tous ceux qui tomboient entre ses mains à se faire Eunuques; car lors qu'ils ne vouloient pas le faire eux mêmes il les y contraignoit, il les lioit sur un banc & leur coupoit de ses propres mains leurs parties viriles, en leur disant qu'il falloit accomplir à la lettre ce qu'avoit dit nôtre Seigneur, Qu'il y avoit des Eunuques qui s'étoient faits Eunuques pour le Royaume des Cieux.
Cette secte qui fut appellée la secte des Valesiens, ou des Eunuques, ne dura pas long tems; 1. parce qu'elle fut absolument condamnée par le premier Concile général de Nicée à l'occasion de Leontius Prêtre qui s'étoit fait Eunuque; 2. parce que ceux qui avoient subi la peine, avoient souffert de si horribles douleurs, & avoient été si fort en danger de mourir, que cela donna de la frayeur aux autres qui abandonnérent cette secte; 3. & enfin, parce qu'étant deffendu par les loix Romaines de se faire Eunuque, il falloit en demander la permission au Magistrat Civil; on se fit une honte de faire cette démarche, d'autant plus qu'on étoit en quelque sorte assuré d'être presque toûjours refusé, témoin le refus qui fut fait à ce jeune garçon dont Justin Martyr fait mention dans sa seconde Apologie à l'Empereur Antonin, qui alla demander cette permission au Préfect Augustat, parce que le Médecin ne vouloit pas mettre la main sur lui, timore pœnæ.[56] Voila le commencement, le progrès, & la fin de cette secte.
D'autres motifs ont succédé à ceux d'Origéne & de Valesius, & il y a eu des gens qui se sont faits Eunuques eux-mêmes par des raisons différentes. Tout le monde sçait l'histoire de Combabus, elle est dans Lucien, mais l'illustre Monsieur Bayle l'a renduë fort publique accompagnée de toutes ses circonstances dans son Dictionnaire historique[57]. Combabus étoit un jeune Seigneur sçavant dans l'Architecture, à la Cour du Roi de Syrie. Il fut choisi par ce Monarque pour accompagner la Reine Stratonice dans un voyage assez long qu'elle devoit faire, pour aller bâtir un Temple à Junon suivant les ordres qu'elle en avoit reçûs en songe. C'étoit un très beau garçon, il crût que le Roi concevroit infailliblement quelque jalousie contre lui, il le supplia donc très instamment de ne lui point donner cet Emploi, & n'ayant pû obtenir cette dispense il se compta pour mort s'il ne prenoit garde à lui d'une maniére qui ne souffrit point de reproche. Il obtint seulement sept jours pour se préparer à ce voyage; voici donc quels furent ses préparatifs. Dès qu'il fut à son logis, il déplora le malheur de sa condition, qui l'exposoit à la triste alternative de perdre sa vie ou son séxe, & après avoir bien soûpiré il se coupa les parties secrettes qu'on ne nomme pas, & les mit bien embaumées dans une boëte qu'il cacheta; lors qu'il fallut partir il donna la boëte au Roi en présence d'un grand nombre de personnes, & le pria de la lui garder jusqu'à son retour. Il lui dit qu'il y avoit mis une chose dont il faisoit plus de cas que de l'or & de l'argent & qui lui étoit aussi chére que la vie. Le Roi mit son cachet sur cette boëte & la donna à garder au Maître de sa garderobe. Le voyage de la Reine dura trois ans, & ne manqua pas de produire ce que Combabus avoit prévû, de sorte que l'évenement justifia la précaution qu'il avoit prise.
Cette action de Combabus produisit un autre motif de se faire Eunuque. Ses amis intimes voulurent l'être pour le consoler de sa disgrace, fondez sur cette ancienne maxime, que c'est une consolation pour les malheureux que d'avoir des compagnons de leur infortune. Lucien ajoûte que cette conduite des amis de Combabus a servi de fondement à une coûtume qui s'observoit tous les ans, de mutiler plusieurs personnes dans le Temple que Stratonice & Combabus avoient fait bâtir, & il dit qu'ils se mutiloient, sive Combabum consolantes, sive Junoni, &c.
Mais voici d'autres motifs bien différens de celui de Combabus & de ses amis; un jeune Gentilhomme bien fait, ayant vaincu sa Maîtresse par ses instances & par sa persévérance, ne pouvant par un malheur qui lui arriva, profiter de sa Conquête, parce qu'il ne fut pas le Maître des instrumens de sa passion; qui ne voulurent pas lui obeïr, & qui furent de glace pendant que son cœur étoit embrasé, mortifié de cette triste avanture, il se les coupa, dès qu'il fut de retour au logis, & les envoya à sa Maîtresse comme une victime sanglante capable d'expier l'offense qu'il lui avoit faite. Montagne qui rapporte l'histoire[58] fait cette exclamation, si ç'eût été par discours & Religion comme les Prêtres de Cybele, que ne dirions-nous d'une si hautaine entreprise!
Le même Montagne raconte l'action d'un païsan de son voisinage, qui se fit Eunuque par une raison bien différente; ce fut par chagrin contre sa femme, & par emportement. Ce bon homme rentrant dans sa maison, sa femme qui étoit jalouse de lui à outrance, & qui le tourmentoit sans cesse, lui ayant fait un mauvais accueil à son ordinaire, fondé sur les soupçons que sa jalousie lui donnoit, il se coupa, avec la serpe qu'il tenoit, les parties qui lui donnoient de l'ombrage & les lui jetta au nez.
Voici une autre espéce de gens qui se font Eunuques; ce sont des hommes qui craignent la lépre ou la goutte, & qui pour jouïr de l'avantage qu'il y a à en être éxempt, aiment mieux perdre ceux qu'ils pourroient tirer de leurs parties viriles. Il est certain que la lépre n'attaque point les Eunuques: outre l'expérience voici ce que Mr. le Prêtre conseiller au Parlement de Paris en rapporte dans les Questions Notables de droit.[59]Antipathia verò Elephantiasis veneno resistit; Hinc Eunuchi, & quicumque sunt mollis, frigidæ & effœminatæ naturæ, nunquàm aut rarò lepra corripiuntur; & quidem quibus imminet lepræ periculum de consilio medicorum, sibi virilia amputare permittitur. c. ex pars. 11. ex. de corpor. vitiatis ordinandis, vél non; Quod etiam aliquando permiserunt nonnulli leprosis ministrantes, manifesto experimento, magnoque vitæ & sanitatis commodo.[60]Mézeray dit, dans la Vie de Philippe Auguste, qu'il a lu qu'il y avoit des hommes qui apprehendoient si fort la ladrerie, cette vilaine & honteuse maladie, qu'ils se châtroient pour s'en préserver.
Les Eunuques ne sont jamais chauves, parce qu'ils ont le cerveau plus entier que les autres hommes à qui Venus en fait perdre une bonne partie, leur semence tirant de là sa principale origine. Ils sont aussi éxempts de la goutte, Hyppocratest[61], & [62]Pline en rendent de très bonnes raisons. Cœlius Rhodiginus, le dit aussi au chapitre trentiéme du livre quinziéme, lectionum antiquarum; Et dans quelqu'autre endroit de ce même Ouvrage il dit, que les Eunuques seuls sont éxempts d'être offensez de certaine vapeur qui sort de la terre en quelques lieux de l'Egypte, avec une telle puanteur qu'elle fait mourir toute autre sorte de personnes. C'est apparemment la même chose que ce qui est rapporté par Ammian Marcellin[63], & par Dion dans la Vie de Trajan touchant la grotte de Hierapoli. Il y a, disent-ils, une citerne close de toutes parts, sur laquelle on a bâti un Theatre, de dessous lequel il sort un vent si pernicieux à toutes sortes d'animaux qu'ils meurent incontinent, après en avoir été atteints, excepté les hommes châtrez qui ne se sentent point du tout de la malignité de ce vent.
D'autres se sont faits Eunuques par fantaisie & par folie, témoin cet Athée qui n'en avoit point d'autre raison que son caprice, & qui le fit par pure extravagance. Témoin encore plusieurs autres dont les noms & l'histoire sont rapportez dans l'excellent Ouvrage de Theodore Zuinger intitulé, Theatrum Vitæ humanæ.[64]
Il y a des gens, enfin, qui se font Eunuques, parce qu'étans condamnez à la mort ils craignent l'infamie ou les douleurs du supplice & veulent les prévenir par cette opération qui les tuë infailliblement, parce qu'elle est mal faite & mal dirigée. D'autres étans accusez de crimes graves & énormes craignent d'être appliquez à la question, & pour éviter cette terrible épreuve & la confession qu'elle extorqueroit de leur bouche, ils s'ôtent la vie par cette mutilation.
Des Eunuques ainsi nommez à cause de leurs Emplois; Et de ceux qui le sont dans un sens figuré.
CEux qui ont rempli des dignitez qui avoient été originairement occupées par des Eunuques, ont été eux-mêmes appellez Eunuques, de la même maniére que ceux qui occupent dans les Tribunaux & dans les Conseils, les places qui n'étoient autrefois données qu'à des vieillards sont encore appellez aujourd'hui Sénateurs. Les Eunuques avoient divers Offices & faisoient des fonctions différentes dans les Cours des Princes. Ceux qui ont succédé à ces Offices ont été appellez Eunuques, & c'est en ce sens qu'il est parlé dans l'Ecriture Sainte des Eunuques de Pharao Roi d'Egypte, de David, des Rois d'Israël, des Rois de la Judée, d'Assuerus Roi de Perse, des Rois de Babilone, de celui de la Reine de Candace; & du Président, ou de l'Intendant des Eunuques. On peut dire même que ce mot, Eunuque étoit autrefois un terme général qui signifioit toutes sortes d'Officiers des Rois ou des Princes de quelque qualité & de quelqu'ordre que fussent ces Officiers. Ces Eunuques n'étoient ainsi appelez que parce qu'ils représentoient dans leurs Emplois les Eunuques proprement ainsi nommez qui y avoient été leurs predécésseurs. Les premiers étoient Eunuques, ratione impotentiæ & ademptæ virilitatis; les autres ne l'étoient que ratione officii. Putifar, par éxemple, qui étoit l'Eunuque de Pharao, ne l'étoit que parce qu'il possédoit une Charge qui n'avoit été occupée jusques là que par des Eunuques. On n'en peut point douter, puis que Putifar avoit une femme, & une fille nommée Asenech, que l'on a crû avoir été mariée à Joseph. Nous verrons plus particuliérement dans la suite quels postes ou plûtôt quels rangs, les Eunuques tenoient dans les Cours de ces Rois & de ces Princes, & dans d'autres Cours dans lesquelles ils étoient établis; voyons présentement ce que c'est qu'un Eunuque, ce mot étant pris dans un sens figuré.
On appelle Eunuque un homme chaste, qui vit sagement dans le Célibat. Tels étoient les Juifs Esseniens dont parle Joseph l'Historien[65] & ces Juifs Pharisiens qui demeuroient dans la continence, & qui se faisoient pour cela des violences ridicules & superstitieuses, qui gardoient dis-je la virginité pendant plusieurs années pour le Royaume des Cieux, dans la pensée qu'ils le méritoient & qu'ils se l'aqueroient par cette voye. Il y a plusieurs Interprétes très sensez qui croyent que quand Jesus Christ dit dans Saint Matthieu qu'il y a des Eunuques qui se sont faits Eunuques eux-mêmes pour le Royaume des Cieux, il fait allusion à ces deux Sectes de Juifs. Qu'il n'entend point prescrire aux Chrétiens ce qu'ils doivent faire à cet égard, mais qu'il leur parle de ce qui s'étoit pratiqué jusqu'alors dans le Judaïsme depuis que la République, & la Religion corrompuë étoient passées aux Juifs. Il blâme la témérité de ces gens qui se faisoient Eunuques, pour le dire ainsi, dans la vûë de gagner le Paradis par-là, soit en demeurant Eunuques pendant un certain tems, comme si la continence n'étoit pas au dessus des forces humaines, & comme si ce n'étoit point un don de Dieu qu'il accorde à peu de gens. En effet il ne dit pas aux Chrétiens qu'il y en aura qui se feront Eunuques, ou qu'il doit y en avoir qui doivent se faire Eunuques, mais qu'il y en a qui se sont faits Eunuques par le passé. Le mot[66] Grec qui est employé dans l'Original est un prétérit, ce qui marque non ce qui se pratiquoit parmi les Chrétiens, ou ce qui devoit se pratiquer à la suite parmi eux, mais ce qui s'étoit pratiqué avant eux & qui se pratiquoit encore alors parmi quelques sectes de Juifs.[67]Saint Epiphane réfute les Hérésies de ces deux sortes de Sectes, & fait voir éxactement en quoi elles consistoient alors.[68]Un célébre Docteur Anglois prétend que ceux dont Jésus Christ parle dans Saint Matthieu, sont ceux qui vivent chastement, parce que Dieu l'a commandé, soit qu'ils soient mariez ou non.
Je n'étendrai pas trop loin la signification figurée du mot, Eunuque; Tout le monde sçait que le mot châtré qui est à peu près le même que celui d'Eunuque, se dit des choses dont on a retranché quelque partie. Il y a eu des femmes Eunuques; Andramis premier Roi de Lydie a été le premier qui en a fait châtrer, il s'en servoit au lieu d'hommes Eunuques. On dit un livre châtré, lors qu'on en a retranché quelque chose, par éxemple, la traduction que Mr. d'Ablancourt a faite de l'Eunuque de Lucien, est châtrée, parce que sous prétexte d'en retrancher quelques obscenitez, il en a ôté plusieurs périodes. On dit des Côtrets châtrez, une ruche de Mouches à miel châtrée; des Arbres & des Ceps de vigne châtrez. On dit même qu'on a châtré un homme quoi qu'il ait encore ses parties viriles, lors qu'on l'a châtré de la langue ou de quelqu'autre membre du corps que ce soit;
Un Auteur moderne[70] dit qu'on remarque entre les bizarreries étranges de Domitien qu'il fit arracher les Vignes de plusieurs Provinces particuliérement des Gaules; & que comme à son avénement à l'Empire, affectant la réputation de bon Prince, il avoit deffendu de plus couper les jeunes garçons (car le luxe & l'inhumaine volupté des riches se donnoit impunément la licence de faire cet outrage à la nature pour avoir des Eunuques à la mode des Orientaux.) Le Philosophe Appollonius, grand ennemi de la Tyrannie dit ce bon mot qui a été relevé & conservé, que ce Prince véritablement avoit conservé la virilité aux homes, mais qu'il avoit châtré la terre. Voilà donc la terre Eunuque, mais c'est une raillerie d'Appollonius, & il ne la rapporte que pour faire voir en combien de sens & de maniéres, ce mot peut-être pris.
Il y a eu des Eunuques dans le mariage quoi qu'ils fussent fort en état d'en remplir les devoirs; Quelques Interprêtes croyent que tels étoient ces Eunuques dont il est parlé au chapitre cinquante-sixiéme d'Esaïe, mais il y a peu d'apparence, car il est dit qu'ils ne sont que des troncs desséchez ce qui ne convient qu'aux véritables Eunuques. Il y en a une infinité d'autres qui ne souffrent aucune contestation, tel est celui dont Gregoire de Tours parle dans son Histoire de France. Un certain Sénateur de Clermont en Auvergne, qu'il dit s'être nommé Injuriosus, fils unique, fut fiancé à une fille aussi unique & de sa qualité, mais riche. S'étant Epousez quelques jours après, on les mit au lit en la maniére accoûtumée. D'abord que l'Epouse y fut, elle se tourna du côté de la muraille, soupira & pleura amérement. Le jeune Epoux surpris, lui demanda, la pressa, & la conjura par Jésus Christ Fils de Dieu, de lui dire ou de lui faire entendre sagement quel étoit le sujet de sa tristesse, elle lui dit qu'elle avoit fait vœu de demeurer Vierge toute sa vie, & que se voyant sur le point de violer son vœu, elle croyoit que Dieu l'avoit abandonnée. Qu'au lieu de Jésus Christ qu'elle croyoit avoir pour Epoux qui lui avoit promis de lui donner le Royaume des Cieux pour présent des nôces, elle n'avoit qu'un homme mortel qui ne pouvoit lui donner que des choses périssables, & fit de grandes exclamations sur ce sujet. Ce jeune homme qui avoit beaucoup de piété lui représenta que comme ils étoient l'un & l'autre enfans uniques, on les avoit mariez ensemble afin d'avoir lignée & de perpétuer leur famille Noble; & afin sur tout que leurs biens ne tombassent point dans des mains étrangéres. Elle repliqua que le monde & ses richesses n'étoient rien; que la pompe de ce siécle n'étoit qu'une fumée; que la vie n'étoit qu'un vent, & qu'il valoit bien mieux aquerir les biens du Paradis, & la Vie éternelle. Elle dit tout cela d'une maniére si vive & si touchante, qu'elle persuada son Epoux, & qu'elle en tira ces paroles si conformes à ses desirs. Que si c'étoit sa volonté de s'abstenir de toute convoitise, & de toute œuvre de la chair, il lui promettoit de se conformer à son intention. Elle lui dit que c'étoit une chose difficile à pratiquer, cependant, que s'il tenoit parole & que tous deux demeurassent Vierges dans ce monde, elle lui feroit part d'une partie du Douaire qui lui avoit été promis par son Epoux & Seigneur Jésus Christ, lors qu'elle se donna, & qu'elle se voua à lui comme Epouse & Servante. Il lui renouvella sa promesse, l'assura qu'il effectuëroit ce à quoi elle l'exhortoit, & s'étans donnez la main l'un à l'autre ils s'endormirent; Ils couchérent depuis dans un même lit pendant plusieurs années sans blesser leur Vœu de chasteté. Tout cela n'a été sçû qu'après leur mort. L'Epouse étant décédée la premiére, son Epoux fit ses funérailles, & la mettant dans le sepulchre, il dit ces paroles à haute voix, Je te rends graces, Seigneur Dieu Eternel, de ce que je te restituë ce trésor aussi entier que je l'avois reçû de toi en dépôt. L'Histoire dit, que l'Epouse lui répondit comme en soûriant, Pourquoi révéles-tu un secret sans en être requis? Et elle ajoûte un autre miracle que je ne rapporte point, parce qu'il ne s'en agit point ici.
Nicéphore Calliste[71] & l'Histoire tripartite[72] rapportent à peu près la même chose d'un Ægyptien nommé Amon qui a été depuis Religieux. La différence qu'il y a eu, c'est que ç'a été le mari qui a sermoné sa femme, au lieu que dans l'histoire précédente ç'a été la femme qui a persuadé son mari. Mais la même chose précisément est arrivée à l'Empereur Henri. Il a vécu avec l'Impératrice Chunegonde sa femme comme le jeune Gentilhomme Auvergnat dont je viens de parler, vécut avec la sienne. Chunegonde étoit une Princesse qui joignoit la jeunesse à la beauté, cependant ayant dit à Henri qu'elle avoit fait vœu de chasteté, il vécut avec elle comme avec sa sœur. Lors qu'il fut au lit de la mort, il rendit un témoignage public devant tous les Princes & les Seigneurs de sa Cour; Vierge, leur dit-il, vous me l'avez donnée, & Vierge je vous la rends. Ils ont été canonisez l'un & l'autre pour cela par Eugéne III. comme l'illustre Mr. Godeau nous l'apprend dans ses Eloges[73]. On peut dire à peu près la même chose de Marcien qui vécut de même en Eunuque avec Pulcheria sa femme, & de plusieurs autres; Mais les éxemples que je viens de rapporter suffisent. Si quelqu'un veut en voir un plus grand nombre, qu'il lise le chapitre septiéme du Livre quatriéme de Marule; & le Livre neuviéme de l'Histoire de Cromerus, dans lequel il trouvera l'Histoire de Bolislaus V., & de Cunegonde sa femme, qui d'un consentement mutuel vécurent ensemble toute leur vie dans une parfaite continence; ce qui a donné lieu à un Polonois nommé Clément Latinius de faire ces deux Vers,
Quel rang les véritables Eunuques ont tenu dans la société civile.
COmme on a mis de tout tems une grande différence entre les Eunuques qui étoient nez Eunuques, ou qui avoient été faits tels dès leur naissance, ou par force dans un âge plus avancé, & entre ceux qui se sont faits Eunuques eux-mêmes volontairement, il est nécessaire de les distinguer ici. J'en ferai donc deux classes, & d'abord j'éxaminerai quel rang les Eunuques forcez que je mets dans la premiére, ont tenu dans la société civile.
On ne peut pas faire une histoire éxacte & suivie qui montre le rang que ces sortes de gens ont tenu dans la société civile, cela méneroit trop loin & m'écarteroit trop de mon but. Je dirai donc seulement, qu'il paroît par l'Histoire Sainte, & par l'histoire profane, que les Eunuques ont possédé les premiéres & les principales Charges dans les Cours, & qu'ils ont eu la confiance & la faveur de leurs Princes; Et je me contenterai d'en donner quelques éxemples.
Je ne parlerai point d'une raison odieuse pour laquelle les Princes les aimoient autrefois; Tout le monde sçait l'histoire de Sporus[74]; Néron le fit châtrer, & sa folie fut si grande qu'il tâcha de lui faire changer de séxe; Il lui fit prendre l'habit de femme, il l'épousa ensuite avec toutes les formalitez accoûtumées, il lui donna un douaire, un voile nuptial, & le tint dans sa maison en qualité de femme; à propos de quoi quelqu'un dit assez plaisamment que le monde eût été bien heureux si son Pére Domitien eût eu une telle femme; Il fit habiller ce Sporus à la maniére des Impératrices, & le faisant porter en litiére il l'accompagna aux Assemblées & aux marchez de la Gréce, & à Rome dans le quartier des sigillaires, où il le baisoit à chaque moment. Je ne rapporte que cet éxemple, parce que j'en ai dit assez sur ce sujet dans le chapitre cinquiéme de cette premiére partie de mon Ouvrage.
Nous voyons dans le Livre d'Esther[75] que sept Eunuques étoient les Officiers ordinaires du Roi Assuerus, & qu'en particulier l'Eunuque Egée avoit le soin de garder les femmes de ce Roi;[76]Il y en avoit deux autres nommez Bagathan & Tharés qui commandoient à la premiére entrée du Palais du Roi;[77]l'Histoire de Judith nous apprend, que les Huissiers de la Chambre d'Olopherne étoient des Eunuques, & que Vagao, ou Bagoas en étoit le principal; c'étoit lui qui avoit soin de la personne du Maître & de ce qui concernoit sa garderobe & son lit;[78]l'Eunuque de la Reine de Candace qui fut batisé par Philippe, étoit un des premiers Officiers de cette Reine, & Sur-intendant de ses finances, & de tous ses trésors;[79]c'étoit un Eunuque qui commandoit les troupes de Sedecias Roi des Juifs. Cyrus victorieux de tous ses ennemis, Crœsus & Sardes étans entre ses mains, ayant pris Babylone, établit sa demeure dans le Palais Royal de la plus grande Ville de l'Univers; & considérant qu'on ne l'y voyoit pas de bon œil, & qu'on ne lui vouloit point de bien, crût qu'il avoit besoin d'une forte Garde pour la sûreté de sa personne. Il ne prit cependant que des Eunuques pour ses gardes & pour les Officiers de sa Maison; & les raisons qui l'y portérent sont amplement & éxactement déduites sur la fin du chapitre sixiéme du Livre septiéme de son Histoire ou de la Cyropedie. On donnoit les enfans en garde aux Eunuques, on leur laissoit le soin de les élever, de leur donner de[80]l'éducation, de les instruire dans les belles lettres, & de leur enseigner les sciences & les disciplines; Tous ces différens emplois les avoient rendus recommandables dans le monde. Les Rois & les Princes, soit qu'ils eussent été leurs éléves, soit qu'ils ne l'eussent point été, les estimoient & les honoroient particuliérement; Ils avoient en eux beaucoup de confiance, & ces Eunuques profitant de ces avantages se rendoient insensiblement les Maîtres du Gouvernement & de l'Etat, & abusérent beaucoup de leur crédit; la Religion Chrétienne en a quelquefois souffert. Les Cours se remplissoient de ces sortes de gens, ils s'emparoient de tous les principaux emplois. Voici un éxemple bien précis qui justifie cette vérité; C'est la Cour de l'Empereur Constance, elle étoit pleine d'Eunuques & ils y étoient les maîtres de toutes les affaires; Voici de quelle maniére Mr. Herman en parle dans l'excellente Vie de[81]St. Athanase. «Avant que d'attaquer le Prince même, ce Prêtre Arrien fut assez adroit pour gagner ceux qui étoient autour de lui, car la familiarité qu'il avoit avec[82] l'Empereur l'ayant fait connoître de l'Impératrice il entra aussi dans la familiarité de ses Eunuques, & particuliérement dans celle d'Eusebe qui étoit le premier de cette troupe efféminée, & l'un des plus méchans hommes du monde;[83] Ayant prévenu l'esprit de cet Eunuque il pervertit les autres par son moyen; ensuite il fit passer ce poison mortel dans l'ame de l'Impératrice, & dans le Cœur des Dames de la Cour; ce qui a fait dire à St. Athanase que les Arriens se rendoient terribles à tout le monde, parce qu'ils étoient appuyez du crédit des femmes.
«Après cela il ne fut pas difficile à ce Prêtre Arrien de se rendre Maître de l'esprit de l'Empereur, qui étoit lui-même l'esclave de ses Eunuques dont il avoit rempli toute sa Cour, & qui ne suivoit en toutes choses que les conseils & les mouvements de ces hommes lâches.
«Mais quelque crédit qu'eussent tous les autres, ce n'étoit que comme de petits serpens qui ne faisoient que ramper, au lieu qu'Eusébe son grand Chambellan levoit la tête avec orgueil;[84]& en effet il se rendoit si formidable par sa puissance, que selon les historiens, pour en concevoir quelqu'idée qui fût conforme à la vérité, il suffisoit de dire que Constance avoit beaucoup de crédit auprès de lui. Eux de leur côté le flatoient jusqu'à lui donner le tître de Roi éternel.[85]Ils nous ont aussi dépeint ses excellentes qualitez par ce bel Eloge, qu'il avoit une vanité insupportable, qu'il étoit également injuste & cruel, qu'il punissoit sans éxamen ceux qui n'étoient convaincus d'aucun crime, & qu'il ne faisoit point de discernement entre les innocens & les coupables.[86]Les Auteurs prophanes sont remplis de plaintes contre la malignité & la domination Tyrannique de cet Eusébe & des autres Eunuques de Constance, mais ils ne considérent que les maux qu'ils firent à l'Etat, & nous avons sujet de déplorer ceux que l'Eglise ressentit par leur violence; On vit ces hommes[87] voluptueux & efféminez, à qui les hommes du monde confient à peine les moindres emplois qui concernent le service de leurs maisons, & que l'Eglise bannit de ses conseils, selon ses régles saintes & inviolables, devenir les Maîtres & les Souverains de toutes les affaires de l'Eglise, & dominer dans ses jugemens, parce que Constance n'avoit point de volonté que celle qu'ils lui inspiroient, & que ceux qui portoient le nom d'Evêques, trouvoient de la gloire & du mérite à être les Ministres & les fidéles éxécuteurs de toutes leurs passions & à devenir les acteurs des piéces de Théatre, que ces hommes si méprisables & si corrompus avoient composées.[88] Nous allons donc voir que ce furent eux qui causérent tous les maux & tous les desordres que l'Eglise souffrit alors, comme certes ils étoient très-dignes d'être les Protecteurs de l'hérésie Arrienne, & les ennemis de la divine fécondité du Pére éternel. Voici ce que St. Athanase ajoûte à cela. L'Eunuque Eusébe, dit-il, étant arrivé à Rome, sollicita d'abord Libére de souscrire la condamnation d'Athanase, & d'entrer dans la Communion des Arriens, disant que c'étoit la volonté de l'Empereur, & l'ordre exprès qu'il lui portoit de sa part; & ensuite après lui avoir montré les présens par lesquels il tâchoit de le séduire, il lui prit la main & lui dit, laissez-vous persuader par l'Empereur, & recevez ce qu'il vous donne. Mais cet Evêque s'en défendit fortement & justifia sa résistance par ce discours........ Voilà, dit-il, ce que répondit Libére à Eusébe, mais cet Eunuque étant moins affligé de ce qu'il n'avoit pas souscrit la condemnation d'Athanase, que de ce qu'il trouvoit en sa personne un ennemi de leur Hérésie, & ne considérant pas qu'il étoit devant un Evêque, après lui avoir fait de grandes menaces, il le quitta, sortit avec les présens qu'il venoit de lui offrir, & fit une chose aussi contraire à la maniére d'agir des Chrétiens, qu'elle étoit même au dessus de la témérité des Eunuques........ Une action si généreuse ayant augmenté la colére & le transport de cet Eunuque, il irita l'Empereur en lui réprésentant qu'il ne devoit plus se mettre en peine de ce que Libere ne vouloit pas signer la condamnation d'Athanase, mais de la disposition d'esprit qu'il faisoit paroître contre leur Hérésie qui lui étoit si odieuse qu'il prononçoit nommément des Anathêmes contre les Arriens; Il échauffa aussi par ce discours l'esprit des autres Eunuques, & il y en avoit un très grand nombre à la Cour de l'Empereur, qui pouvoient tout auprès de lui, & sans la participation desquels il ne faisoit rien. Constance écrivit donc à Rome, continuë nôtre Saint, & il y envoya tout de nouveau des Officiers de son Palais, des Secrétaires, & des Comtes, avec des lettres qu'il adressoit au Gouverneur de la Ville; Et il leur avoit donné l'ordre, ou de surprendre Libére par leurs ruses & par leurs artifices pour le faire sortir de Rome & l'envoyer à la Cour, ou d'employer ouvertement la violence & l'outrage afin de le persécuter. Ces écrits remplirent toute la Ville de frayeur & d'épouvente, & ce n'étoit qu'embuches de toutes parts. Combien y eut-il de familles à qui on fit des menaces? Combien de personnes reçûrent des commandemens contre Libére? Combien eut-il d'Evêques qui se cachérent quand ils virent ces excès? Combien y eut-il de Dames illustres qui se retirérent à la Campagne à cause des calomnies dont les chargeoient ces ennemis de Jésus Christ? Combien y eut il de solitaires qui se trouvérent exposez à leurs embuches? Combien firent-ils persécuter de personnes qui avoient établi leur demeure dans la solitude pour le reste de leurs jours? Quels soins ne prirent-ils point par plusieurs fois, de faire garder les ports, & les portes de la Ville, de peur qu'aucun Catholique n'y entrât pour voir Libére? Rome connut alors par expérience quelle étoit la conduite de ces impies qui déclaroient la guerre à Jésus Christ même, & elle apprit pour l'avenir ce qu'elle n'avoit pas crû jusqu'à ce tems-là, pour ne l'avoir sçû que par le récit des autres, sçavoir de quelle maniére ils avoient renversé toutes les autres Eglises en tant de Villes différentes.
«C'étoit des Eunuques qui faisoient tous ces desordres, & qui étoient auteurs de tous les excès que les autres commettoient de toutes parts. Et il n'est pas en effet étrange, que comme l'Hérésie des Arriens fait profession de nier le Fils de Dieu, elle s'appuye du crédit des Eunuques, qui étans naturellement stériles, & ne l'étans pas moins dans l'ame en ce qui regarde les actions de piété & de vertu que dans le corps, ne peuvent du tout souffrir que l'on parle du Fils de Dieu. Cependant, l'Eunuque de la Reine d'Ethiopie ne comprenant pas ce qu'il lisoit, crût les instructions que lui donna Saint Philippe touchant le Divin Sauveur. Mais les Eunuques de Constance ne peuvent souffrir que Saint Pierre ait autrefois confessé sa Divinité; Ils s'élévent même contre le Pére Eternel quand il déclare que c'est son Fils, & s'emportent de fureur contre ceux qui disent que c'est le véritable Fils de Dieu; c'est pour ce sujet que la Loi deffend de les admettre dans les Jugemens Ecclésiastiques. Mais les Arriens viennent de les en rendre les maîtres. Constance ne prononce rien que ce qui leur est agréable, & ceux qui portent le nom & la qualité d'Evêques, n'en disent mot, & regardent tous ces desordres avec dissimulation. Hélas! Qui sera celui qui écrira un jour cette Histoire, & qui fera passer jusqu'à une autre génération la rélation funeste de tant de tristes événemens? Qui poura croire un jour de si grands excès quand on entendra dire que des Eunuques à qui on confie à peine le soin des affaires domestiques, & dont le service est suspect en ces rencontres, parce que c'est un genre de personnes qui n'aiment que le plaisir & qui n'ont point d'autre but que d'empêcher dans les autres ce que la nature leur a refusé à eux-mêmes; Que ces Eunuques, dis-je, gouvernent maintenant les Eglises!»
Ce Saint fait paroître une juste indignation contre les Eunuques qui étoient alors absolus à la Cour, & qui se sont rendus éxécrables à leur siécle & à toute la postérité. L'Arrianisme étoit tellement répandu parmi eux, qu'en ce tems-là porter le nom d'impie & celui d'Eunuque étoit la même chose, selon Saint Grégoire de Nazianze[89]. Et leurs violences ont été si odieuses aux Payens mêmes, qu'Ammian Marcellin a écrit d'eux, qu'ayant toûjours de la fierté & de l'aigreur, & n'ayant pas les liaisons domestiques & les engagemens naturels qu'ont les autres hommes, ils n'embrassent que leurs richesses qu'ils considérent comme leurs très chéres & très agréables filles. [90] Mr. Herman dit, que l'Histoire de ce combat est devenuë si célébre dans toute la postérité, que les Payens mêmes en ont marqué l'événement; mais qu'il aime mieux puiser dans les sources pures que d'avoir recours à ces ruisseaux si bourbeux; Et que comme il préfére avec raison le témoignage de Saint Athanase à celui de tous les Auteurs de ce siécle, c'est par ses propres paroles qu'il doit commencer l'importante relation de laquelle j'ai tiré ce que je viens de rapporter sur ce sujet.
Les Eunuques avoient été tout-puissans du tems du grand Constantin, Pére de l'Empereur Constance dont je viens de parler. Il les avoit élevez aux premiéres Dignitez & les appelloit ses Amis; mais ayant appris combien ils étoient pernicieux à l'Etat, il les en avoit dépouillez, & les avoit réduits à se borner uniquement aux affaires domestiques.[91]Il y a dans le Code Théodosien une Loi qui nous apprend que tout l'Empire avoit gémi sous l'oppression de ces sortes de gens, sans avoir osé se plaindre; mais que l'Empereur en ayant eu connoissance, avoit publié cette Loi, par laquelle il invite tout le monde à venir dire ses griefs; il promet d'écouter lui-même ce qu'on aura à dire contre ces sortes de gens, & de punir ceux qu'on aura convaincu de quelque crime. Il les fit exclurre du Sacerdoce dans le fameux Concile de Nicée qu'il assembla. Cependant, quoi qu'ils fussent, pour le dire ainsi, dégradez & destituez de tous les Emplois publics, civils & militaires, comme ils approchoient de l'Empereur & qu'ils en avoient l'oreille, ils étoient encore formidables, & on les craignit jusques à ce qu'ils fussent entiérement éloignez. Licinius qui a été son Allié, & pendant quelque tems son Compagnon à l'Empire, les haïssoit beaucoup; il les appelloit la tigne & la vermine de l'Etat;[92] mais comme Licinius a été un Tyran, & un Prince qui s'est rendu odieux par plusieurs raisons, ce qu'il a fait dans des vûës particuliéres, ne peut point être tiré à conséquence.[93] Aléxandre Sévére ne les avoit point aimez, il les appelloit tertium hominum genus; Et au lieu que Heliogabale qui l'avoit précédé avoit été leur esclave, & Eunuque lui-même, il les humilia & les abaissa, il les réduisit à un fort petit nombre. Il en donna plusieurs à ses Amis, & pour montrer le peu de cas qu'il en faisoit, il leur dit en les leur donnant que s'ils n'avoient pas de meilleures mœurs que celles qu'ils avoient euës jusqu'alors, ils pouvoient les tuer sans forme de procès. Il est extrémement loué dans l'Histoire de n'avoir pas imité les Rois de Perse qui se laissoient tellement gouverner par les Eunuques, que ces sortes de gens les cachoient à leurs Sujets, qui ne pouvoient leur rien dire ni en recevoir aucune réponse que par leur canal; Ils leur rapportoient les choses comme il leur plaisoit, souvent tout autrement qu'elles n'étoient, & prenans grand soin que le Roi ne sçût que ce qu'ils vouloient bien qu'il sçût, il arrivoit souvent de grands inconvéniens, parce qu'ils donnoient telles impressions qu'il leur plaisoit, & au Roi, & à ses Sujets;[94]L'Histoire d'Orsines en est une preuve; Orsines étoit un descendant de Cyrus, le plus grand Seigneur de la Perse, & le Sang le plus noble de l'Orient; Il fit de grands présens aux Principaux de la Cour d'Aléxandre, & négligea Bagoas; Quelqu'un lui ayant dit qu'il avoit mal fait, parce qu'Aléxandre aimoit cet Eunuque; Il répondit qu'il honoroit les Amis du Roi, mais non pas ses Eunuques; Et que les Perses se servoient autrement de ces gens-là que les Grecs; Ce discours ayant été rapporté à Bagoas il jura la ruine d'Orsines, homme d'une vie sans reproche; En effet, il fit tant de faux & de secrets rapports contre lui à Aléxandre, qu'il l'aigrit & qu'il l'anima contre lui, de sorte qu'enfin il le fit mettre dans les fers, & le condamna à la mort. Bagoas ne fut pas content de faire traîner un innocent au supplice, il eut bien l'impudence de le frapper dans le tems qu'il alloit mourir, mais Orsines l'envisageant avec indignation lui dit, j'avois bien ouï dire que des femmes avoient autrefois régné dans l'Asie, mais il m'est nouveau d'y voir régner un infame Eunuque. Aléxandre Sévére instruit de tous les desordes que ces Eunuques avoient fait, il les dompta tous, & les réduisit presque à rien. Ces Eunuques étoient des gens qui vouloient sçavoir tout ce qui se faisoit à la Cour, & qui vouloient qu'on crût qu'il n'y avoit qu'eux qui le sçussent; c'étoit à eux à qui on s'adressoit pour obtenir des graces du Prince; les Gouvernemens de Province ne s'obtenoient que par leur moyen, & ils vendoient à deniers comptans ce que le Prince donnoit desintéressément. Cet Empereur aimoit assez la solitude, il vouloit être seul ordinairement après le dîner & à certaines heures du matin, personne alors ne pouvoit le voir. Un certain Vetronius Turinus profitoit de cette retraite & faisoit croire aux gens, que dans ce tems là il lui persuadoit & lui faisoit faire tout ce qu'il vouloit, il le faisoit passer pour un fat qu'il conduisoit à son gré, & sous ce prétexte il promettoit à tout le monde ce qu'on lui demandoit, & se faisoit fort de le faire agréer ou éxécuter par Sévére, moyennant quoi il recevoit & amassoit des sommes immenses. Comme il n'étoit pas vrai que l'Empereur fût tel qu'il le disoit, ni qu'il eût le crédit dont il se vantoit, il ne tenoit parole à personne, ce qui donna lieu à bien des gens de murmurer. Cette conduite de Turinus étant enfin parvenuë à la connoissance de l'Empereur, il voulut qu'on se rendit partie contre lui & qu'on l'accusât, de sorte que ce qu'il avoit promis & qu'il n'avoit point effectué, & les sommes qu'il avoit touchées pour cela ayant été découvertes, Sévére le fit attacher à un poteau dans un lieu passant, & le fit mourir par la fumée qui s'élevoit vers lui d'un bois verd & humide qu'on avoit allumé;[95]Et pendant qu'il souffroit son supplice il y avoit un homme qui crioit, fumo punitur qui vendidit fumum.
Les Eunuques furent plus considérez sous Constantin pendant un certain tems. Ils le furent encore plus sous Constance, comme je l'ai fait voir. Ce Prince ni ses fréres, ne furent ni aimez de leurs Sujets, ni craints de leurs ennemis, comme Constantin leur Pére l'avoit été, & ils avoient peine à soûtenir une partie du fardeau qu'il avoit porté lui seul avec tant de gloire; les Eunuques furent en crédit sous leur Régne. Il paroit qu'ils ont encore été en faveur du tems de Theodose le jeune;[96]car on voit dans le Code qui a été fait par son ordre, qu'au lieu que ceux qui obtenoient des confiscations étoient obligez d'en donner la moitié au fisc, il dispensa ses Eunuques de cette obligation & leur laissa le tout. Et Zozime[97] remarque que cet avantage porta ces Eunuques à commettre mille faussetez insignes, comme de faire entendre au Prince que ceux dont ils demandoient que les biens fussent confisquez à leur profit étoient morts sans laisser de veuves, d'enfans, ni de parens, ce qui causoit souvent la désolation de plusieurs familles, & des larmes & des gémissemens aux héritiers légitimes, qui étoient souvent de vieilles veuves caduques ou infirmes, & des orphelins innocens. Il est certain pourtant qu'il fit un Edit qui deffendoit qu'aucun Eunuque ne fut du nombre des Patriciens, mais ce fut par une vûë particuliére, & pour deshonorer Antiochus qu'il contraignit par là à se renfermer dans un Cloître. [98] Lucien nous apprend que Philœterus qui le premier a eu la Principauté de Pergame étoit Eunuque, & qu'il a vécu quatre vingt ans. Il y a eu un autre Prince nommé Hermias qui a été Eunuque; Il ne pouvoit jamais souffrit que personne parlât en sa présence de couteau, ni de section, parce qu'il s'imaginoit qu'à cause qu'il étoit Eunuque, ces mots lui étoient adressez. [99] Si l'extrait d'une lettre écrite de Batavia dans les Indes occidentales le 27, Novembre 1684. contenu dans une lettre de Mr. de Fontenelles, reçûë à Rotterdam par Monsieur Bânage, fait le recit d'une avanture véritable, comme on peut le croire, puisque l'illustre Mr. Bayle qui l'a rapporté ne la donne point pour fabuleuse, & qu'il la certifie en quelque sorte, bien loin de la rendre suspecte; Mreò Reine de l'Isle de Borneo, veut que tous ses Ministres soient Eunuques; Eénegu, Princesse qui lui dispute le Trône, ne veut point d'Eunuques dans sa Cour. Comme nous ne sçavons pas quel succès, ont eu les contestations & la guerre que ces deux Princesses ont euës entr'elles, ni par conséquent laquelle des deux jouït présentement de l'Empire, on ne sçait pas si les Ministres de la Reine de l'Isle de Borneo sont Eunuques, ou s'ils ne le sont point. On peut dire seulement que Mreò agit comme Plautiames qui du tems des Antonins fit châtrer tous ceux qui devoient servir à Maison de Plautilla sa fille que Caracalla avoit épousée, sans épargner les hommes non plus que les jeunes garçons, comme nous le voyons dans les recueils de Constantin Porphyrogenéte sur Dion.
Pour peu de connoissance qu'on ait de l'histoire de la Cour Ottomane, on n'ignore pas que les Eunuques y parviennent aux premiéres dignitez de l'Etat, & qu'il n'y a qu'eux, à proprement parler, qui les possédent. Les deux plus illustres Bascha qui ayent eu de la réputation pendant les guerres si célébres dans l'histoire, étoient Eunuques;[100]l'un a été Halis, & l'autre Sinar. Mr. de Thou rapporte un bon mot dit par le premier, il se moqua, dit-il, du Courier qui lui annonçoit comme une fort mauvaise nouvelle, la prise de la Ville de Strigonie par les Chrétiens l'an 1556, lui disant qu'il avoit bien fait une autre perte lors qu'on lui avoit enlevé la plus importante piéce qu'il eut. Et Paul Jove nous apprend que ce fut une truye qui Châtra Sinar en lui arrachant & devorant le membre viril, comme il dormoit à l'ombre, dès sa plus tendre jeunesse.
Tout ce que je viens de dire ne concerne le rang que les Eunuques ont tenu dans la société civile que par rapport aux Princes & aux Souverains; il est bon de voir aussi quelle idée les Peuples en ont euë & quel cas ils en ont fait.
Quelle idée les Peuples ont euë des Eunuques, & quel cas ils en ont fait.
LEs Eunuques ayans abusé de la faveur des Princes, comme on l'a vû dans le chapitre précédent, & s'étans rendus les Tyrans impitoyables de leurs sujets, il ne faut pas douter que ces sujets ne les ayent eus en horreur, & qu'ils ne les ayent craint beaucoup plus qu'ils ne les ont aimez.
Mais il ne s'agit point ici de sçavoir ce que les Peuples ont pensé de leur servitude & de leur oppression, & du crédit de ces Eunuques qui les tyrannisoient; Il n'est ici question que d'éxaminer quelle opinion les Peuples avoient d'un Eunuque entant qu'Eunuque, & non point d'un Eunuque entant que Tyran; & quelle idée ils s'en faisoient.
L'histoire nous apprend non seulement qu'ils les méprisoient souverainement, mais même qu'ils avoient de la répugnance à les voir. [101] Les Eunuques ne sont que des troncs desséchez, selon l'expression d'Esaïe, de ces arbres secs qui le sont jusqu'à la racine, & qui comme parle Osée, ne porteront plus de fruits; de ces arbres qu'il faut couper, c'est à dire détruire, & en abolir la mémoire: car pourquoi faut-il encore qu'ils occupent la terre? Il n'y a personne qui ne voulût donner le premier coup pour les renverser ou pour les arracher; ce sont des Créatures imparfaites, en un mot des monstres auxquels la nature n'avoit rien épargné, mais que l'avarice, la luxure, le luxe, ou la malignité des hommes ont défigurées.
S'ils ont été quelquefois dans la prospérité & dans l'élévation, les Peuples ont regardé ces avantages comme des productions erronées de l'esprit gâté & du cœur corrompu des Princes qui les ont élevez & chéris; Ils s'en sont même moquez entr'eux, & lors qu'ils ont osé le faire en public, ils ont fait éclater leur haine & leur mépris & pour les Eunuques & pour le choix qu'on en faisoit.
Tout le monde sçait que Caligula fit son Cheval Consul, & qu'il voulut qu'on lui rendit tous les honneurs qui sont dûs à cette dignité. Il prit envie de même à Arcadius de faire Flaac Eutrope qui étoit le Maître de sa garderobe & l'un de ses Eunuques, de le faire, dis-je, Consul, & ç'a été le premier, ou plûtôt le seul de cette qualité qui ait été pourvû de cet Emploi; aussi voit-on dans Claudien comment on s'irrita alors de cette conduite. Ce Poëte fit une Satyre piquante contre cet Eutrope après qu'il fut désigné Consul de Rome, & il le réprésente comme une vieille qu'on avoit revêtuë des honneurs du Consulat. [103] Ceux qui ont quelque teinture de l'Histoire Ecclésiastique sçavent comment Jean Evêque de Constantinople a déclamé contre cet Eutrope, & combien il a contribué à sa perte*. Il eut une fin digne de lui & des actions inhumaines qu'il avoit commises. Cet Eunuque ayant dessein de chatier quelques personnes qui s'étoient réfugiées dans les Eglises, il fit ensorte que l'Empereur publia une Loi par laquelle il étoit deffendu de s'y réfugier, & permis d'en tirer ceux qui s'y réfugieroient. Quelle injustice de violer ainsi le droit des Aziles! Mais il en fut puni bien-tôt après; car à peine la Loi fut-elle publiée qu'il encourut les mauvaises graces de l'Empereur, & qu'il fut obligé de rechercher le même azile que les autres. Comme il étoit caché sous l'Autel & qu'il y trembloit de peur, Jean monta au pupitre d'où il avoit accoûtumé de prêcher pour être plus aisément entendu, & fit une invective contre lui. L'Histoire ajoûte que l'Empereur lui fit couper la tête, qu'il fit ôter son nom d'entre les noms des Consuls, & qu'il fit effacer des Registres la loi qu'il avoit fait publier. Le chagrin qu'eurent les honnêtes gens de le voir dans ce poste fut cause de sa ruine. En effet, Gainas Goth, Général de l'Empereur, se révolta de dépit de voir cet Eunuque dans l'éclat de cette haute dignité, & ne voulut jamais se remettre dans son devoir qu'on ne lui apportât la tête d'Eutrope. On comparoît Eutrope à Gorgon, parce qu'il faisoit ses tours si adroitement que peu de gens s'appercevoient de ses ruses; on le regardoit comme une de ces pestes qui régnoient alors dans les Cours des Princes. Il vendoit les Charges de la Magistrature & les Jugemens; Il disposoit du Gouvernement des Provinces en faveur de qui il vouloit;[104] & non content d'avoir été fait Consul, il tâchoit de se rendre Maître de l'Empire. Il étoit insolent même envers son Prince, & il tomba dans sa disgrace pour avoir manqué de respect envers l'Impératrice.
Les Peuples n'avoient pas du mépris seulement pour ces sortes de gens, ils avoient aussi de l'aversion pour eux; & si leur nom a passé pour un tître de Dignité, il a été aussi une injure, & on ne pouvoit en faire une plus sensible à un honnête homme que de l'appeller Eunuque.[105]Les Eunuques ont été de si mauvais augure, même parmi les Payens, que Lucien assure en plus d'un lieu qu'ils faisoient par leur rencontre, rebrousser chemin à beaucoup de personnes, qui aimoient mieux rentrer chez elles que de passer outre.[106]Cela se rapporte assez à ce que dit Pline de l'aversion que les animaux-mêmes ont pour ceux de leur espéce qu'on a mutilez. Il remarque que si on châtre un rat, il fait fuir tous les autres qui aiment mieux abandonner leur séjour ordinaire que de le souffrir parmi eux. Ce n'étoit pas pourtant pour cette raison que Diocles vouloit exclurre Bagoas de la chaire de Philosophie. Lucien en allégue d'autres tout à fait différentes, plus graves & plus vraisemblables.
De quelle maniére les Loix civiles ont considéré les Eunuques, & quels droits elles leur ont attribué.
L'Empereur Domitien deffendit au commencement de son Régne à toutes sortes de personnes, tant dans l'Empire Romain, que dans ses limites, d'avoir la hardiesse d'entreprendre de châtrer les petits enfans;
Cette Ordonnance passa pour un avantage très grand, & pour une action digne d'un Prince sage & généreux;[108]Martial l'en félicite par cette belle Epigramme,
Cependant il est certain que son motif ne fut nullement louable, car il ne fit cette deffense, comme le remarque Xiphilin dans sa Vie, & Dion Cassius, qu'en haine de Tite son frére qui aimoit les Eunuques.[109] Suetone ne rapporte pas cette particularité, mais elle n'en est pas moins certaine. Cette Loi & cette Ordonnance, n'est pas mise dans le Code au tître des Eunuques, sous le nom de Domitien, ni sous celui de Nerva, qui fit depuis la même deffense, mais sous les noms de Constantin & de Leon[110]; cependant, Suetone ne permet pas de douter qu'elle ne soit de lui. L'illustre & le célébre Monsieur de Leibnitz à qui j'ai proposé cette difficulté par maniére de conversation, m'a donné cet éclaircissement, que la Loi dont il s'agit ici étoit mise sous les noms de ces deux derniers Empereurs, parce qu'ils l'ont renouvellée, & qu'on ne sçavoit alors que par le moyen de l'Histoire, que Domitien & Nerva en fussent les premiers Auteurs, à peu près comme il en est de ces Loix somptuaires, des Ordonnances contre les Duels, & de divers Réglemens de cette nature qui passent pour être les Ouvrages des Princes modernes qui les publient, quoi qu'on sçache par le moyen de l'Histoire, que d'autres Princes les ont donnez à leurs Peuples plusieurs siécles auparavant.
L'Empereur Adrien enchérit sur cette belle constitution, par un meilleur motif, & deffendit non seulement qu'on fit Eunuques par force ceux qui ne le souhaitoient pas, mais il deffendit même de faire Eunuques ceux qui le souhaitoient. Il y a trois Loix consécutives sur ce sujet dans le tître, ad legem corneliam de sicariis & veneficis.[111] Voici les termes de la premiére. Constitutum quidem est ne spadones fierent, eos autem qui hoc crimine arguerentur corneliæ legis pœna teneri, eorumque bona meritò fisco meo vindicari debere; sed & in servos qui spadones fecerint ultimo supplicio animadvertendum esse. Et qui hoc crimine tenentur, si non adjuerint, de absentibus quoque tanquàm lege Cornelia teneantur, pronuntiandum esse. Planè si ipsi qui hanc injuriam passi sunt, proclamaverint, audire eos Præses Provinciæ debet, qui virilitatem amiserunt; Nemo enim liberum servumve invitum, sinentemve castrare debet; Neque quis se sponte castrandum præbere debet. Ac si quis adversus Edictum meum fecerit Medico quidem qui exciderit capitale erit, item ipsi qui se sponte excidendum præbuit. Voici les termes de la seconde de ces Loix, Hi quoque qui Thlibias faciunt, ex constitutione D. Hadriani ad Ninium hastam, in eadem causa sunt qua hi qui castrant. Et voici enfin les termes de la troisiéme, Is qui servum castrandum tradiderit pro parte dimidia bonorum mulctatur ex Senatus consulto quod Neratio Prisco & Annio Vero Consulibus factum est. Tout cela montre que l'Eunuchisation étoit regardée comme une chose honteuse, odieuse, & préjudiciable à la société aussi bien qu'à la personne sur laquelle elle étoit pratiquée.[112]Qui hominem, libidinis vel promercii causa castraverit, Senatus Consulto pœna legis Corneliæ punitur.[113] Et si puerum quis castraverit & pretiosiorem fecerit Vivianus scribit cessare Aquiliam, sed injuriarum erit agendum, aut ex Edicto Ædilium, aut in quadruplum. Ce mot pretiosior est obscur, comment un homme mutilé, dégradé, pour le dire ainsi, de sa qualité d'homme, pouvait-il être devenu plus prétieux? Voici le sens de ce mot, c'est que comme les Eunuques étoient aimez & carressez par les Princes, qu'ils étoient élevez aux premiéres Dignitez de leur Etat, leur condition en étoit devenuë par là, au moins à cet égard, beaucoup plus considérable, c'est ce qui paroît par la Loi 4. au Code de præpositis sacri cubiculi. Mais l'Empereur Justinien qui est venu depuis & qui a bien considéré les maux qui naissoient de cette coûtume, soit aux particuliers, soit au public, a réïtéré les mêmes deffenses, dans son Code[114] où il décide que, tanquam homicida punitur ille qui castrat aliquem, & dans deux chapitres de ses Nouvelles[115], à la tête desquelles il a mis une belle Préface qui en contient les motifs; Il traite cette action d'impie, de lâche, de honteuse, de deshonnête, & de criminelle, & il dit qu'on a commis cette espéce de crime sur une grande multitude de gens, que peu en ont échappé sains & saufs, qu'à peine en a-t-on pû sauver trois de quatrevingt & dix qui sont venus à sa connoissance; Il considére ces Eunuchisations comme des meurtres, comme des actions contraires à l'intention de Dieu, & de la nature, & à l'intention de ses propres Loix. Il est deffendu sous de griéves peines dans ce titre du Code dont je viens de parler, de vendre ou d'acheter les Romains qui ont été faits Eunuques, soit dans l'Empire Romain, ou dans les Païs étrangers. Il y est aussi deffendu, sous peine de la vie, de faire des Eunuques dans l'Empire Romain: celui qui auroit donné son esclave pour en faire un Eunuque en étoit pour la confiscation de la moitié de ses biens.[116] L'Empereur Leon s'est encore déclaré depuis en termes bien plus forts. Virtutis, dit-il, ad procreandum à Deo naturæ inditæ exectio non minore cum audacia identidem committitur quàm si apud Deum nulli pœnæ obnoxia esset, cùm tamen vel maxime sit; Et quanquam veteribus Legislatoribus curæ fuerit, ut id malum ultrice lege excideretur, quo respublica ab istiusmodi invento munda esset; haud scio tamen, cum si qui alii, huic certe præscripto obtemperari atque à naturæ mutilatione abstineri æquum sit, quamobrem non ita faciant homines, sed tanquam utilitatem quamdam istiusmodi adversus Generandi vim, insidias reputantes, membra quæ homini nascendi causam suppeditant, lancinent, & creaturam aliam quam qualis, conditoris sapientiæ placuerit in mundum introducere contendant. Hoc igitur cùm inultum relinquendum non putemus, lege in id pœnam constituentes, quibus adeò divinam creaturam deformare religio non est, eorum audaciam, auxiliante Deo reprimere conemur. Il appelle ceux qui font des Eunuques, Naturæ insidiatores, detestandæ hujus artis artifices; il les condamne & il finit cette excellente constitution par ces belles paroles, si in albo Imperatorii famulatus sit, artifex detestandæ hujus artis primùm albo eximatur. Un homme qui faisoit un Eunuque étoit considéré comme un Notaire ou un Tabellion qui faisoit un acte faux; le lieu où l'action avoit été commise étoit considéré comme un lieu où on avoit commis un crime de leze Majesté. Mornac qui a fait un excellent Commentaire sur le tître du Code qui traite de Eunuchis, dit avoir vû dans un Historien de France, qu'un soldat fut puni pour avoir ôté à un Moine ce qu'il croyoit lui être inutile, chose inouïe, dit cet Historien, quod inaudita apud nos fuerat. Messire Claude de Ferriere qui a fait aussi une espéce de Commentaire sur le même tître, rapporte la même Histoire; mais il y ajoûte ses réfléxions, & quoi que bon Catholique il dit, qu'il y a des gens qui disent, qu'il seroit à souhaiter que solos Eunuchos haberet Ecclesia Ministros, pour empêcher les desordres que nous ne voyons qui trop souvent, sans ceux qui nous sont inconnus. Il est vrai, ajoûte-il, qu'il y en a plusieurs qui pourroient y avoir intérêt; cependant, je crois qu'il vaut mieux laisser les choses comme elles sont, & ne pas faire du mal à ceux qui ne veulent que le bien de leurs prochains. Quoi qu'il en soit, il paroît que les Loix ont regardé l'action de faire des Eunuques comme abominable, & l'Eunuque lui-même comme un monstre, aussi ne leur ont-elles jamais accordé les droits & les priviléges qu'elles accordent aux autres hommes.[117] Par éxemple il ne leur a point été permis de tester. J'avouë que l'Empereur Constance qui leur en avoit accordé la faculté parce qu'il faisoit tout ce qu'ils vouloient, a donné une Loi qui porte que, Eunuchis liceat facere Testamentum, componere postremas exemplo omnium volontates, conscribere codicillos, salvâ testamentorum observantiâ; Mais tous les Jurisconsultes estiment que cette liberté ne concerne que les Eunuques qui étoient près de sa Personne, ou près de celle de l'Impératrice. Il est certain que dans quelque degré de faveur que les Eunuques fussent, ils n'ont jamais été considérez que comme des Esclaves. Ils ont toûjours été le jouet des Princes, qui ont même abusé quelquefois de leur servitude; on peut dire qu'il a été d'eux à cet égard, comme de ces Genuches qui sont carressées dans les cabinets des Grands & vêtuës de toile d'or. Or il est certain que ce n'a été qu'à ces Eunuques privilégiez qu'il a été permis de faire Testament. L'Empereur Leon en rend la raison dans sa Nouvelle trente-huitiéme, mais bien plus particuliérement dans la Loi Jubemus, qui est la quatriéme au Code de præpositis facii Cubiculi, & de omnibus cubiculariis & privilegiis eorum. Le tître seul, pour le dire en passant, fait voir qu'il s'y agit des Eunuques, mais il le dit expressément comme on va le voir; Nam cùm hoc privilegium, dit-il, videatur principalis esse proprium Majestatis ut non famulorum sicut privatæ conditionis homines sed liberorum honestis utatur obsequiis, periniquum est eos duntaxat pati fortunæ deterioris incommoda; sed testamenta quidem ad similitudinem aliorum qui ingenuitatis insulis decorantur pro suâ liceat eis condere voluntate. Il y ajoûte néanmoins une réfléxion qui les distingue des hommes libres;[118]Intestatorum verò nemo dubites facultates, ut pote sine legitimis sucessoribus defunctorum fisci juribus vindicari; Et ce qui fait voir clairement qu'il s'agit du droit des Eunuques, c'est qu'il dit dans cette même Loi que, hæc omnia tunc diligenti observatione volumus custodiri cùm sponte suaque voluntate quis dederit Eunuchum sacri Cubiculi Ministeriis adhæsurum. Voila donc les Eunuques mis sur le pied des Esclaves; on en excepte les Gardes du Prince, mais cette exception ne fait que confirmer la régle, Exceptio in non exceptis firmat regulam. En général donc il est certain qu'ils ne peuvent instituer des héritiers, ni être eux-mêmes héritiers instituez. Dès qu'ils sont morts leurs biens sont vacans & dévolus au Fisc. Ils sont même considérez comme gens infames, indignes des Priviléges accordez par les Loix, témoin cette belle déclaration du Jurisconsulte Paulus,[119]Quamvis nulla persona excipiatur, tamen intelligendum est de his legem sentire qui liberos tolere possunt; Itaque si Castratum libertum Jurejurando quis adegerit, dicendum est non puniri patronum hâc lege. Ils ne peuvent point adopter, la Loi est précise contr'eux sur ce sujet,[120]sed & illud utriusque adoptionis commune est, quod & ii, qui generare non possunt, (quales sunt spadones) adoptare possunt, Castrati autem non possunt. J'avouë que l'Empereur Leon les a, pour ainsi dire, réhabilitez par la Nouvelle vingt-sixiéme, dans laquelle il les autorise à adopter; la raison qu'il en rend est assez plausible, quemadmodum, dit-il, cui vocis usus ademptus est, quæ linguæ munia sunt per manum ad implere, & qui sermonem labiis fondere nequit per scripturam ad ordinandas res suas procedere, non prohibetur. Ita neque qui quod genitalibus privati sunt liberos non habent, horum indigentiam alio modo compensare vetandum est; cependant on peut dire qu'elle n'est point juste, car c'est un principe de Droit aussi bien que de Philosophie & de bon sens, que, adoptio naturam Imitatur, de là vient que pro monstro est ut major sit filius quàm pater;[121] Et qu'on prescrit l'âge dans lequel on peut adopter, toûjours en sorte que les proportions d'âge soient gardées. Comment donc seroit-ce imiter la nature que de permettre à un homme, qui non seulement n'a jamais pû en produire d'autres, mais qui n'a pas eu la capacité & les choses naturelles requises pour en produire d'autres, d'en adopter quelques-uns? Il faut observer d'ailleurs que l'adoption n'étoit permise originairement qu'aux personnes qui avoient eu des enfans, & qui les avoient perdus, pour les consoler de leur mort. On a étendu depuis cette faculté jusqu'à ceux qui n'avoient aucun empêchement manifeste d'avoir des enfans, mais qui par l'événement n'en avoient point eu; les femmes mêmes ne pouvoient point adopter, parce qu'elles sont incapables de l'effet principal de l'adoption qui est la puissance paternelle, cependant elles peuvent adopter[122] ex Indulgentia principis, ad solatium liberorum amissorum. Mais ce seroit abuser de l'adoption que de l'accorder à des gens qui n'ont point eu, & qui n'ont pû avoir des enfans; ce ne seroit plus imiter la nature, ce seroit la surpasser, ou plutôt ce seroit lui insulter, & donner des enfans à des gens auxquels elle a ôté le moyen d'en produire.[123]Les Jurisconsultes ont eu tant d'égard à ces considérations qu'ils n'ont pas même voulu permettre qu'un de ces Eunuques auxquels il étoit permis de tester instituât un posthume pour son héritier, voici comment en parle Ulpien dans la Loi sed est quæsitum §. I. sed si Castratus sit, Julianus Proculi opinionem secutus non putat posthumum hæreden posse instituere, quo jure utimur. J'avouë que je me suis étonné que Schneidevin, si savant & si judicieux ait soûtenu, qu'un Eunuque pouvoit être tuteur. Il est vrai qu'il semble qu'il n'entende parler que de ces gens impuissans qui n'ont qu'une partie de ce que la nature donne aux autres, & sa comparaison donne lieu de le croire; «Comme on ne peut point, dit-il[124], refuser une Tutelle sous prétexte qu'on n'a qu'un œil, ou qu'on est ce que les Jurisconsultes appellent Morbosus, un homme qu'il appelle spado ne peut pas prétendre non plus d'être éxempt d'une Tutelle dont il doit être chargé;» Et il confirme son opinion par le §. spadonem 2. de la 6. ff. de Ædilitio Edicto & redhibitione, & quanti minoris, qui contient ces termes,[125]spadonem morbosum non esse, neque vitiosum Verius mihi videtur, sed sanum esse, sicuti illum qui unum testiculum habes, qui etiam generare potest. Ce qui me persuade qu'il ne s'agit point là d'un Eunuque proprement ainsi nommé, c'est que ce même titre distingue entre ce qu'il appelle[126] morbosus & vitiatus, & qu'il distingue ce qu'il appelle vitium simplex, de vitio corporis penetrante usque ad animum.[127]Il nomme particuliérement ceux qui præter modum, timidi, cupidi, avarique sunt aut iracundi; Comment est-ce qu'un homme lâche & timide comme l'est un Eunuque, peut servir d'appui & de secours à un mineur qu'il auroit sous sa Tutelle, peut-être que ce pupile seroit plus hardi, plus entendu & plus vigoureux que lui.[128]Quoi qu'il en soit cela me paroît contraire à l'ordre & à l'équité, j'ajoûte même à l'intention du Droit, car Tutelam administrare virile munus est, & ultrà sexum fœmineæ infirmitatis tale officium est. J'avouë que je me suis étonné quelquefois que les Loix les ayent admis à s'enrôler,[129] Qui cum uno testiculo natus est, quive amisit, jure militabit, secundum Divi Trajani rescriptum; La raison de cette Loi me la rend d'autant plus surprenante, Nam & Ducis Sylla, ajoûte-t-elle, & Cotta memorantur eo habitu fuisse naturæ. Est-ce que parce qu'il y a eu deux grands hommes parmi les Eunuques, par une exception très particuliére à la régle, il y a lieu de statuer que tous les autres sont capables de porter les armes? Comme le combat conjugal est différent de ceux qui se donnent à la guerre, les armes le sont aussi; Et comme les Eunuques ne les ont point, ils ne peuvent point entrer aussi dans cette agréable milice; C'est la décision de Plaute dans cette ingénieuse allusion,[130] si amandum est, amare oportet testibus præsentibus. Enfin, les Eunuques ne pouvoient paroître de leur chef dans aucun acte solemnel;[131]ad solemnia adhiberi non potest, cùm juris Civilis communionem non habeat in totum, ne Prætoris quidem Edicti. Il ne faut avoir qu'une teinture fort legère du Droit pour sçavoir que l'état des personnes consiste en trois choses, qui sont, la liberté, la bourgeoisie, & la famille, & que lors que quelqu'un est déchû de l'une de ces trois choses, il souffre un changement notable dans son état; suivant cela qu'est-ce qu'un Eunuque? Et quelles faveurs les Lois ont-elles pû lui faire? Quintilien nous donne une idée fort juste de la nature d'un Eunuque & du droit qui lui convient[132]. Pour moi, dit-il, quand je considère la nature, il n'est point d'homme qui ne paroisse plus beau qu'un Eunuque, & je ne crois point que la Providence puisse se dégoûter jamais assez de ses ouvrages pour souffrir que la débilité passe pour une perfection, & que l'infirmité ait un rang parmi les bonnes choses. Je ne puis m'imaginer que le fer puisse rendre beau ce qui seroit un monstre s'il naissoit en l'état dans lequel la section l'a pû réduire. Que l'imposture d'un séxe artificiel donne tant de plaisir que l'on voudra, les mauvaises mœurs n'auront jamais assez d'Empire sur la raison, pour faire passer pour bon ce qu'elle a pû faire passer pour beau & pour précieux..... Qui parmi les célébres Sculpteurs, ou parmi les grands Peintres, quand il tâche de répresenter les corps les plus parfaits, voudroit en retrancher de telles choses? Et prendre pour leurs modelles ou un Bagoas, ou quelque Megabize, plûtôt qu'un Doriphoron capable de tous les éxercices de la guerre, & de tous les jeux? Ou que de jeunes gens belliqueux? Ou de ces athlétes dont le corps a été admiré?
Je me suis assez étendu sur cette matiére je passe à une autre; J'ajoûte seulement ici par forme d'éclaircissement, qu'il faut faire toûjours une grande différence entre les Eunuques volontaires qu'on a fait tels de leur gré & de leur consentement, & entre ceux qu'on a été contraint de faire tels pour leur sauver la vie, ou par quelqu'autre nécessité semblable; les uns ont toûjours été odieux & méprisables, mais les autres ont été à plaindre, & ont été dignes de support & de secours.
Quel rang les Eunuques volontaires ont tenu dans la société civile; de quelle maniére les Loix les y ont considerez, & quels droits elles leur ont attribué.
SI les Eunuques forcez, c'est à dire ceux qu'on a fait tels dans leur jeunesse, dans un tems de persécution, ou par l'ordre d'un Tyran, & ceux qui le sont devenus par accident, ont toûjours été l'objet du mépris & de la raillerie des hommes. Quelle indignation n'ont-ils pas dû concevoir contre ces ames lâches & basses, qui par des vûës d'intérêt & d'ambition, se sont fait retrancher la partie extérieure de leur corps la plus noble & la plus utile à la société? la Loi les condamne au dernier supplice comme des homicides d'eux-mêmes. Et voici comment l'Empereur Adrien parle contr'eux,[133] Ac si quis adversus Edictum meum fecerit, Medico quidem, qui exciderit capitale erit. Item ipsi qui se sponte excidendum præbuit. On les regardoit autrefois comme des infames du premier ordre, on les bannissoit de la compagnie des hommes, & on ne souffroit pas qu'ils fussent instituez héritiers n'étans en cet état ni homme, ni femme. Voici un éxemple précis qui donnera une juste idée du cas qu'on en a fait, & des droits qu'on a voulu leur attribuer; c'est Valére Maxime qui le fournit[134]; «Que dirai je, s'écrie-t-il, de l'ordonnance du Consul M. Æmile Lepide? n'est elle pas d'une très grande conséquence? Genutius Prêtre de Cybelle Mére des Dieux, ayant obtenu du préteur Cn. Oreste, qu'il seroit remis en la possession des biens que lui avoit laissez Nevianus, par Testament, Sardinius dont l'affranchi avoit ainsi favorisé Genutius en appella devant le Consul Mamercus, soûtenant que Genutius s'étant volontairement privé des parties qui le faisoient homme, ne devoit point être mis au rang ni des hommes, ni des femmes, ce qui fut cause que la Sentence du Préteur fut cassée. L'Arrêt est digne de Mamercus & d'un Prince du Senat, car il empêcha que les siéges de nos Juges ne fussent souillez de la vûë d'une si indigne personne que Genutius, & que sous prétexte de demander justice, sa voix efféminée & lascive n'y fut entenduë.» Ceci suffit sur cet article, parce qu'au reste on peut leur appliquer ce que j'ai dit dans les chapitres précédens. Je dirai seulement, qu'il faut encore distinguer les Eunuques volontaires entr'eux; Qu'un Combabus & d'autres semblables, sont exceptez de cette haine & de cette condamnation publique si justement dûës aux autres, ce n'est pas qu'ils soient tout à fait excusables, mais on peut dire qu'ils le sont en quelque sorte, parce que de deux maux ils croyent éviter le pire. Ils imitent ce Marchand dont parle Juvénal, ou plûtôt le Castor,
Ce Poëte étoit apparemment du sentiment des vieux naturalistes qui ont crû & qui croyent encore que le Castor coupe ses parties viriles afin de se délivrer des mains des chasseurs, parce qu'il croit qu'on ne le poursuit que pour les avoir; Mr. le Baron de la Hontan nous a bien détrompez de cette vieille erreur, voici ce qu'il dit sur ce sujet.
«[136]Au reste, n'en déplaise aux découvreurs de la nature, aux chercheurs de merveilles & de secrets sur les terres de cette Divine ouvriére, il n'est point vrai que les Castors se mutilent & se fassent Eunuques pour échapper à la trop pressante poursuite des Chasseurs; Non, ces mâles estiment plus leur séxe, & font plus de cas que cela de la propagation de leur rare espéce. Je ne puis même concevoir sur quel fondement on a bâti une si grande chimére. Premièrement, la matiére qu'il a plû à la secte d'Hypocrate de nommer Castoreum n'est pas renfermée dans ces précieuses & multipliantes parties; Elle est dans un réceptacle, un véhicule, ou une maniére de poche qui est singuliére à la machine organique de ces animaux, & que la nature semble n'avoir formée que pour eux; l'usage que le Castor fait de cette matiére, c'est de s'en nettoyer & dégager les dents lors qu'elles sont pleines de la gomme de quelque arbrisseau dans lequel il aura mordu. Mais quand j'accorderois que le Castoreum est dans les testicules, comment cet animal pourroit-il les couper sans se déchirer tous les nerfs des aînes auxquels ils sont attachez près de l'os pubis (trouvez-moi Officier Huron qui parle plus pertinemment d'Anatomie,) mais en me mettant sur mes louanges j'ai perdu la conséquence que je voulois tirer de ce déchirement de nerfs; N'importe, je ne démorderai pas pour cela de mon scientifique raisonnement. C'étoit bien à Elian, & à d'autres rêveurs de Naturalitez comme lui, de nous venir parler de la Chasse des Castors? Avoient-ils puisé cette connoissance dans les méditations du cabinet? S'ils avoient eu la gloire de vivre comme moi parmi ces Amphibies, ils auroient sçû qu'un Castor ne s'embarasse point du tout d'un Chasseur; vous sçaurez d'abord que cet animal a la précaution de ne point s'éloigner du bord de l'étang où sa cabane est construite; De plus, il a toûjours l'oreille au guet, & sitôt que par le moindre bruit, il soupçonne qu'on lui en veut, il plonge, & nage entre deux eaux jusqu'à ce que n'y ayant plus de danger, il puisse rentrer sûrement chez soi. Si cette raison ne vous semble pas de poids pour les Castors terriens, je vous renvoye à l'os pubis. Autre argument péremptoire. Si le Castor, pour arrêter la poursuite de l'ennemi, faisoit la sanglante opération qu'on lui attribuë, la nature lui auroit donné en cela un instinct fort imparfait; car quand cet Animal n'auroit plus son Castoreum on ne lui feroit pas la chasse avec moins d'ardeur; Le Castoreum est le butin le moins important, ou plûtôt ce n'est rien en comparaison de la peau; Celle-ci est la proye dominante & la maîtresse piéce de la bête; Ainsi ce pauvre Castor, pour se sauver de l'avarice du Chasseur, devroit tout au moins s'écorcher tout vif, & lui jetter sa peau; encore ne sçai-je après cela si cette barbare & insatiable figure nommée homme ne voudroit pas la chair & les os de cet innocent animal.....[137]Sa fourure est bizare, & bien différente d'elle-même; Elle est formée de deux sortes de poils opposez. L'un est long, noirâtre, luisant, & gros comme du crin; l'autre délié, uni, long de quinze lignes pendant l'hyver, en un mot, le plus fin duvet qui soit au monde; Il n'est pas nécessaire de vous avertir que c'est cette seconde espéce de poil que l'on cherche avec tant d'empressement, & que ces animaux méneroient une vie plus sûre & plus tranquille s'ils n'étoient vétus que de crin.» Il fait une histoire & une description fort curieuses du Castor; outre que cet illustre Voyageur est un homme sçavant, de bon sens & de bon goût, très capable de penser, de raisonner, & de juger juste sur un sujet tel que celui ci qui ne demande que la vûë & du discernement; J'ai remarqué en lisant Pline[138], qu'un vieux Médecin de son tems qu'il nomme Sextius, diligentissimus Medicinæ veteris autor, étoit à peu près du même sentiment que Mr. le Baron de la Hontan; Comme j'ai eu l'honneur de voir ce Baron curieux, à qui le Public a l'obligation d'avoir aquis plusieurs connoissances rares, & de l'entretenir, c'est avec connoissance de cause que je parle de lui avec tant d'éloges;[139]J'ai beaucoup de respect pour les doctes Auteurs des Journaux de Trevoux, & beaucoup de reconnoissance du fruit que je tire de leurs veilles & de leurs travaux, mais ils me pardonneront, s'il leur plaît, si je n'entre point dans les sentimens qu'ils ont si peu favorables à ce Voyageur digne, à mon avis, d'une meilleure réputation que celle qu'ils tâchent de lui établir dans le monde.
Quel rang les Eunuques volontaires & forcez, ont tenu dans la Société Ecclésiastique; de quelle maniére l'Eglise & ses Canons les ont considérez, & quels droits ils leur ont attribuez.
DIeu a eu de tout tems en abomination toutes fortes d'animaux mutilez.[140] Vous n'offrirez point au Seigneur, dit-il, tout animal qui aura ce qui a été destiné à la conservation de son espéce, ou rompu, ou foulé, ou coupé, ou arraché, & gardez-vous absolument de faire cela dans vôtre Païs. Cette deffense est générale, mais il en a fait une qui concerne l'homme en particulier,[141] L'Eunuque, dit-il, dans lequel ce que Dieu a destiné à la conservation de l'espéce, aura été ou retranché, ou blessé d'une blessure incurable, n'entrera point en l'Eglise du Seigneur.
Quelques Interprétes de l'Ecriture Sainte croyent, que par le mot Eglise qui est employé dans ce dernier passage, il faut entendre l'Assemblée du Peuple Juif, & que Dieu deffend ici, que ceux que[142]les hommes avoient faits Eunuques, comme parle Jésus Christ, fussent admis dans les Assemblées & dans les Charges publiques. Je ne rapporterai point ici les divers sens spirituels que Théodoret, Clément Aléxandrin, & divers autres Péres de l'Eglise, ont donné à ce passage; on y verroit pourtant qu'une certaine sorte de stérilité, & l'impuissance, sont des choses indignes, & qui éloignent de Dieu; mais ces explications m'éloigneroient trop de mon sujet. Je dirai donc seulement, que par ce mot Eglise, dont les Eunuques sont exclûs, il faut entendre, non seulement l'Assemblée des Juifs & leur Magistrature, mais même tous leurs Priviléges; L'Eunuque ne peut jouïr d'aucun de leurs avantages, il ne peut jamais être censé faire partie du Peuple Saint, ni être Israëlite, ni fils d'Abraham; ni jouïr des Priviléges de la Nation Sainte, comme d'espérer qu'on lui prêtera de l'argent à intérêt, qu'il aura part au bénéfice du Jubilé, c'est à dire qu'il jouïra des Priviléges de l'année septiéme de rémission; Les Eunuques sont bannis en un mot de la Société politique des Juifs, ut non habeantur Cives, nec habeant jus civicum apud Judæos. C'est en ce sens que ce mot Eglise est pris au ℣. 4. du chapitre 20. des Nombres; & au ℣. 2. du chapitre 20. du Livre de Judith. Voila une terrible malédiction, la Loi de Dieu est bien plus sévére contre les Eunuques, que les Loix Politiques & Civiles que j'ai rapportées. Il semble presque que cette Jurisprudence ait changé sous la Nouvelle Alliance; En effet, bien loin d'éloigner les Eunuques de l'Eglise, si on en croyoit Origéne, ou les Valésiens, il faudroit être Eunuque pour aquérir le Ciel; mais j'ai fait voir dans un des chapitres précédens, que les paroles de Jésus Christ sur lesquelles ils avoient fondé leur opinion, n'ont rien innové à cet égard, qu'ils l'ont eux-mêmes reconnu depuis, & je vais faire voir positivement, que la Jurisprudence de l'Eglise Chrétienne condamne les Eunuques volontaires & quelques-uns des autres. Cette Jurisprudence est établie par le droit Canon[143]; Corpore verò Vitiati, y est-il dit, similiter a sacris officiis prohibentur; Cela est un peu général, mais voici quelque chose plus particulier,[144]si quis pro ægritudine naturalia a Medicis secta habuerit; similiter & qui a Barbaris aut qui a Dominis suis castrati fuerint, & moribus digni inveniuntur hos Canon admittit ad Clerum promoveri. Si quis autem sanus non per disciplinam Religionis & abstinentiæ sed per abscissionem a Deo plasmati corporis existimat posse à se carnales concupiscentias amputari, & ideò se castraverit, non eum admitti decernimus ad aliquod clericatus officium. Quod si jam fuerit ante promotus ad Clerum, prohibitus a suo Ministerio deponatur. La raison de cette différence est rapportée dans le Canon 8. après avoir parlé de ceux qui sont tels lors que, casu aliquo contigerit dum operi rustico curam impendunt, aut aliquid facientes seipsos non sponte percutiunt, & les avoir opposez aux Eunuques volontaires, in illis enim, dit-il, voluntas est vindicanda quæ sibi causa fuit ferrum injicere, in istis autem casus veniam meruit; Il dit la même chose de ceux que les Barbares, la Maladie, un Tyran, ou un Ennemi, ont mutilez, ceux-là sont dignes de compassion & de support.
Cette Jurisprudence est beaucoup plus ancienne que le decret de Gratien dont j'ai tiré les décisions que je viens d'alléguer, elle est établie par le Concile de Nicée qui est le premier œcuménique; voici le premier de ses Canons; «Si quelqu'un étant malade a été fait Eunuque par les Médecins, ou s'il a été coupé par les Barbares, qu'il demeure dans le Clergé & dans l'état Ecclésiastique; Mais si étant sain il s'est retranché lui-même, il faut que s'il est du Corps du Clergé, il s'abstienne des fonctions de son Ministére, & qu'à l'avenir on n'admette plus au rang des Ecclésiastiques aucun de ceux qui en auront usé de la sorte;» Et comme il est manifeste que cette ordonnance regarde ceux qui ont agi de cette maniére de propos délibéré, & qui se sont coupez eux-mêmes, cela ne regarde point ceux qui auront été faits Eunuques par les Barbares, ou par leurs Maîtres, ils peuvent être reçûs dans le Clergé selon les régles de l'Eglise, pourvû que d'ailleurs ils en soient dignes. Ce Canon du Concile de Nicée est rapporté dans la Vie de Saint Athanase faite par Mr. Herman, & suivi des réfléxions de ce judicieux Auteur. Il ne sera point inutile de les rapporter ici, ne fut-ce que pour épargner la peine de les chercher ailleurs; «On ne peut pas dire au vrai quelle a été l'occasion qui a porté les Péres du Concile de Nicée à traiter de cette maniére, & à user de cette juste sévérité contre ceux qui se faisoient Eunuques par leurs propres mains; Il est certain que cette mutilation volontaire qui étoit deffenduë par les Loix Civiles, & particuliérement par celles de l'Empereur Adrien, ne pouvoit être approuvée par l'autorité de l'Eglise; le zele inconsidéré d'Origéne qui s'étoit coupé lui même, en expliquant d'une maniére trop littérale le chapitre dixneuviéme de l'Evangile de Saint Matthieu, avoit été condamné par Demetrius son Evêque, quoi qu'il admirât en même tems cette action comme un transport extraordinaire de piété. L'abus de quelques Hérétiques nommez Valesiens qui retranchoient ainsi toutes les personnes de leur Secte, avoit déja été considéré comme un excès aussi contraire aux sentimens de la véritable Religion qu'aux régles communes de l'humanité. Toutes ces considérations font bien voir la justice de ce premier Canon de Nicée, mais elles ne nous apprennent point quelle en a été l'occasion. Quelques uns prétendent que ce Canon fut fait à l'occasion du Prêtre Leonce, depuis élevé par les Arriens à l'Episcopat d'Antioche, qui perdit son rang pour s'être ainsi mutilé lui-même; mais en ce que Theodoret ajoûte que son Ordination étoit contre les Loix du Concile de Nicée, il donne quelque lieu de croire que ce Prêtre n'avoit pas encore commis un si grand excès, & que ce ne fut que depuis le tems de cette sainte Assemblée, que le desir de converser plus librement avec une fille nommée Eustolie, le porta à armer ses propres mains contre lui-même, en imitant Origéne. Quoi qu'il en soit ceux qui étoient devenus Eunuques, ou par maladie, ou par une violence étrangére, ne sont point exclus des Dignitez de l'Eglise; Et c'est ainsi que S. Germain, & S. Ignace, ont rempli si dignement le Patriarchat de Constantinople. Mais ceux qu'un faux zele pour la chasteté, ou quelqu'autre considération, a porté à une action si barbare, sont jugez indignes des fonctions de leur Ministére, s'ils sont déja du nombre des Clercs, ou d'être élevez à la Cléricature s'ils sont encore parmi les Laïques;» A l'égard de ceux qui se sont faits Eunuques par intérêt, par ambition, ou par quelqu'autre motif, lâche, bas, & odieux, ce n'est pas assez de les exclure des Charges Ecclesiastiques, il faut les réputer & les tenir pour si infames, qu'on les bannisse de la compagnie des hommes; c'est ainsi que l'antiquité en a agi, comme je l'ai fait voir dans l'éxemple de Genutius. Je passe plus loin encore, car j'estime que non seulement ils doivent être couverts d'opprobre & de honte, mais même qu'ils doivent être punis comme d'un crime capital; En effet, le droit les déclare homicides d'eux-mêmes;[145]si quis absciderit semet ipsum, id est si quis computaverit sibi virilia, non fiet Clericus, quia sui est homicida, & Dei conditioni inimicus. Si quis cum Clericus fuerit absciderit semet ipsum, omninò damnetur, quià sui homicida est. Il est bon d'entendre ce mot homicida; car il n'est pas vrai, à parler proprement, que celui qui se fait Eunuque, se fasse mourir; mais c'est parce qu'il se met en danger de mourir dans l'opération; car comme on l'a vû dans un des chapitres précédens, l'Empereur dit, que de quatrevingt-&-dix qu'il a vû couper, à peine en est-il échappé trois; Il est donc appellé homicide de soi-même, propter homicidii periculum quod sequi poterat sectionem; au même sens qu'il est dit dans le chapitre dernier de la distinction quatrevingt-&-septiéme, que quiconque expose un enfant en est homicide; la raison de cela est qu'il ne faut pas considérer ce qui arrive, mais ce qui pouvoit arriver. Prætor non ait cujus casus nocere posset, dit la Loi, ex his Verbis, ajoûte-t-elle,[146]manifestatur non omne quidquid positum est, sed quidquid sic positum est ut nocere possit, hoc solum prospicere Prætorem ne possit nocere, nec spectamus ut noceat, sed omninò si nocere possit Edicto locus sit; Coërcetur autem qui positum habuit, sive nocuit id quod positum erat, sive non nocuit. J'ajoûte à la disposition du Droit, qu'outre les cas qui y sont exceptez, il y en a un qui mérite d'être considéré, c'est lors que le salut de tout le corps éxige qu'on en retranche cette partie, car c'est une maxime du bon sens que præstat partis quàm totius facere jacturam. Mais j'ai fait voir que la piété ni la Religion ne pouvoient pas servir de prétexte à cette infame éxécution; Non est licita ad servandam aliquam virtutem. V. G. Castitatem, quia non desunt alia media quibus cum Dei gratia possit homo & assequi & tueri hanc virtutem. Au reste, il y a une remarque à faire sur ce sujet qui n'a pas été trouvée indigne des plus habiles Critiques, & des plus célébres Jurisconsultes; Mornac la rapporte dans son Commentaire sur la Loi, si quis Cod. de Eunuchis. Voici en quoi elle consiste. Le Canon neuviéme de la distinction cinquante-cinquiéme contient ces mots, Eunuchus si per insidias hominum factus est, vel si in persecutione ei sunt amputata virilia, vel si ita natus est dignus, fiat Episcopus; ce mot Episcopus a paru là mal placé, on a eu recours, pour s'éclaircir sur le doute qu'on en a eu au Canon des Apôtres vingt-&-uniéme, & on y a trouvé dans l'éxemplaire Grec le mot χλεοικὁς, & non pas celui d'Episcopus. Ce qui avoit donné lieu à ces Savans de douter étoit, dit Mornac, que l'indécence & la difformité d'un homme sans barbe & efféminé, desagréable & méprisable dans le Public, ne permettoit pas de croire que l'Eglise l'eût élevé sur une de ses premiéres chaires pour y enseigner, y présider sur tout le reste du Clergé, & pour le dire ainsi, pour dominer sur lui: Cette réfléxion n'est point inutile ici, car il paroît que quelque support que l'Eglise ait eu pour ces malheureux, l'état de leur personne a toûjours été si vil & si abject, que quelques dignes qu'elles fussent d'ailleurs, elle n'a jamais voulu les placer dans les lieux éminens, ni leur conférer des Dignitez illustres & considérables.
Je finirai ce chapitre & cette premiére Partie de mon Ouvrage tout ensemble, par quelques remarques qui ne seront point inutiles à mon sujet. Je dirai d'abord que je n'ai point prétendu faire une Histoire naturelle des Eunuques, ni une Histoire éxacte du sort qu'ils ont eu dans tous les siécles, & dans tous les Païs; les mœurs des Nations & des tems sont fort différentes, on voit à la honte de la raison humaine, que ce qui a été du goût du Public dans un siécle, déplaît beaucoup dans un autre. Cette bizarerie paroît sur tout parmi les différens Peuples qui ont différens génies. Ce défaut de virilité n'est pas également honteux par tout, il rend considérables en plus d'un lieu des gens qui sans cela ne le seroient point: leur nom n'est pas également une injure dans tous les Païs; Ils ont éxercé les premiers Emplois & reçû des honneurs qui ne cédoient qu'à ceux qui étoient rendus aux Souverains. On voit encore presque la même chose dans tous les Païs du Levant, dans la Perse, dans l'Egypte, dans la Mesopotamie, & il est de notoriété publique qu'à la Porte du grand Seigneur, & dans la vaste étenduë de son Empire qui s'étend dans les trois parties de l'ancien Monde, les Eunuques possédent une autorité presque pareille à la Souveraine; Ils étoient autrefois les yeux & les oreilles des Rois de Perse, ils le sont encore de l'Empereur des Turcs. Les Romains au contraire ont toûjours eu en horreur ces demi-hommes, & abominé la Castration; voici comment César en parle à l'occasion d'une infinité de personnes auxquelles le Roi Pharnacés avoit fait perdre la virilité[147], quod quidem supplicium, dit-il, gravius morte Cives Romani ducunt; cependant on voit que peu après du tems des Antonins Plautianus fit faire un grand nombre d'Eunuques, comme je l'ai dit ailleurs; Et aujourd'hui les Italiens en ont beaucoup & en font cas.[148]Mr. Chevreau nous apprend qu'ils nomment vertueux leurs Castrati qui ont la voix belle, & qu'ils honorent du même tître les Courtisanes, quand elles chantent, qu'elles dessinent, qu'elles jouent de la Guitare, ou qu'elles font un Madrigal. La Reine Christine les appelloit, la Virtuosa Canaglia. C'est une chose qui est digne de remarque, qu'il n'y a proprement que l'Italie, qui n'est qu'un coin de terre en comparaison de tout le reste du monde Chrêtien, qui produit des Eunuques. Il seroit fort difficile de rapporter exactement tout ce que le caprice des hommes leur a fait faire à cet égard dans tant de siécles qui se sont écoulez, & parmi tant de Peuples qui ont habité toutes les parties du Monde; D'ailleurs, comme ce n'est point le but de cet Ouvrage, il me suffit de conclure de tout ce que j'ai dit jusques ici, qu'il ne paroît aucune Ordonnance, aucune Loi, ni aucune Constitution, qui réglent le mariage des Eunuques, ce que l'on trouveroit infailliblement dans les Historiens anciens & modernes, ou dans les compilateurs du Droit, s'il leur avoit été permis d'en contracter, & s'il s'en étoit effectivement contracté, de même qu'on en trouve concernant la faculté de se faire Eunuque, de tester, d'adopter, d'éxercer la Tutelle, & d'être appellé en témoignage; on y trouve au contraire des Loix qui les deffendent absolument. C'est ce qu'il s'agit d'éxaminer plus particuliérement dans la seconde Partie de cet Ouvrage.
Dans laquelle on discute le droit des Eunuques par rapport au mariage; & dans laquelle on éxamine s'il doit leur être permis de se marier.
De la nature & du but du Mariage. Que l'Eunuque ne peut y répondre.
MOn dessein n'est point de faire ici l'éloge du Mariage, & moins encore d'outrer les choses sur ce sujet, comme a fait un Auteur moderne dont les éxagérations ont été fort relevées[149]. Je n'ai pas dessein non plus d'éxaminer à fond la matiére du mariage; Sanchez & Pontius y ont trouvé de quoi faire chacun un gros volume in folio; & nous avons vû depuis peu, qu'un Ecclésiastique de Florence nommé Charles Mazzi, a tâché de traiter succinctement ce sujet & de réduire ce qu'on en a dit en abregé comme il paroît par le titre de son Ouvrage, qui est, Mare Magnum Sacramenti Matrimonii in exiguo; Cependant, son Livre est un Volume in folio; Ce qui a donné lieu à un habile homme de dire[150], que puis que l'Auteur, en nous donnant un in folio, ne nous montre qu'en petit l'ocean du mariage; combien de volumes faudroit-il pour nous le montrer en grand? Quoi qu'il en soit, c'est une matiére si vaste, si agitée, si pleine d'écueils, que les Théologiens Casuistes ne sçavent comment faire pour l'épuiser, & qu'ils se trouvent souvent incertains de la route qu'ils doivent tenir; Je me contenterai donc de poser quelques principes généraux par lesquels je ferai connoître la nature & le but du mariage, pour en tirer ensuite des conséquences nécessaires au sujet particulier que je traite.
Le Mariage est, selon la définition que les Jurisconsultes en donnent, un consentement de l'homme & de la femme, de passer leur vie ensemble dans une union perpétuelle, qui ne soit séparable que par la mort de l'un ou de l'autre;[151]Viri & mulieris conjunctio individuam vitæ consuetudinem continens. Quoi que cette définition soit donnée par des Jurisconsultes qui ont été les oracles de la Jurisprudence, j'oserai dire néanmoins qu'elle n'est point juste; car si elle l'étoit, la Tourterelle qui ne s'accouple qu'avec un mâle, & qui ne se laisse point approcher par un autre lors que le premier est mort, auroit contracté un mariage; ce qu'on ne peut pas dire d'une bête destituée de raison & d'intelligence. D'ailleurs, le concubinage constant avec une seule femme seroit aussi un véritable mariage, ce qui est contraire à l'institution de son union. Toutes les unions qui sont indivisibles dans la société ne sont pas des mariages; cependant, pour ne pas disputer ici contre une définition reçûë depuis tant de siécles, je dirai seulement qu'elle contient deux expressions qui demandent quelqu'éclaircissement; l'une est le mot conjunctio, il ne se prend pas simplement pour le consentement des contractans, il se prend aussi pro corporum commixtione. L'autre est le terme individuam, il s'entend de ceux qui contractant mariage lesquels sont censez avoir dessein de vivre ensemble dans l'union jusqu'à la mort de l'un ou de l'autre, car le divorce étoit permis chez les Romains, comme on le voit par le tître entier du Code de Repudiis, & du Digeste De Divortiis & Repudiis. Ce que je dirai dans la suite de ce chapitre pourra satisfaire aux doutes auxquels ces mots ont donné lieu.
Le Mariage est la plus excellente de toutes les unions. 1. Parce que c'est Dieu qui l'a institué dans le Paradis terrestre, durant l'état d'innocence. 2. Parce qu'il n'y a rien qui convienne mieux à l'homme que le mariage, ni qui se rapporte plus parfaitement à ses besoins. 3. Parce que le mariage est très nécessaire au monde pour y conserver les Sociétez, & pour y entretenir la sagesse & la pudeur.
La différence des séxes & ces paroles, croissez & multipliez, que Dieu a prononcées lui-même lors qu'il les joignit ensemble, qu'il institua le mariage & qu'il le benit, font voir manifestement que le but de cette union n'est autre que la propagation du genre humain. Cette union ne peut donc point passer pour un simple consentement de demeurer ensemble, comme quelques-uns l'ont crû, mais pro corporum commixtione, ou pro copula carnali. Ces paroles de Dieu, & ils seront deux dans une même chair, ne signifient autre chose. Les Canonistes ne regardent le gendre & la fille que comme une seule & même personne, comme un seul & même enfant, si vir & uxor non jam duo sed una caro sunt, Non aliter est nurus reputanda quam filia, or ils ne peuvent être una caro que par la consommation du mariage, non aliter vir & uxor mulier non possunt una caro fieri nisi carnali copulâ sibi cohæreant; ce sont les termes qui sont employez dans le droit Canon[152]. En effet, si ces paroles ne signifioient qu'un simple consentement, quel sens pourroit-on donner à cette expression de Saint Paul, Ne sçavez-vous pas que celui qui s'attache avec une femme débauchée est fait un même corps avec elle, car les deux, est-il dit, deviendront une même chair. Un homme qui commet paillardise avec une femme, ne s'engage pas à demeurer toûjours avec elle, comment donc est-il fait un même corps avec elle? Ce ne peut être que per corporum commixtionem, ou per copulam carnalem, comme je l'ai dit; Or quel but peut avoir cette conjonction, selon l'intention de Dieu qui en a été l'Instituteur? Ça été de procurer lignée, d'engendrer des enfans; Croissez & multipliez, dit-il, voila pourquoi je vous joins ensemble; Il ne dit pas, divertissez-vous, donnez l'essor à vos passions brutales. Faites tout ce que vos sens & la nature éxigeront de vous, uniquement dans la vûë de leur plaire & de les satisfaire. D'ailleurs, Adam étant dans l'état d'innocence, le dessein de Dieu ne pouvoit pas être de lui donner cette liberté, il n'avoit point alors de ces convoitises charnelles qui sont nées avec ses successeurs depuis sa chute. Il est vrai que quelques Interprétes ont crû que ce mot croissez ne regardoit que la grandeur du corps; mais outre qu'il est certain que le mot original signifie, fructifiez, & que c'est en ce sens qu'il est dit au Pseaume 132., l'Eternel a juré la vérité à David, il ne s'en détournera point, je mettrai du fruit de ton ventre sur ton Trône, c'est à dire, quelqu'un des tiens & de ta postérité; c'est en ce même sens qu'Elizabeth dit en passant à Marie, benit est le fruit de ton ventre, les Auteurs profanes se servent de la même expression dans le même sens, témoin celui-ci du Poëte Claudien,[153]
Cette expression est aussi connuë dans le droit Canon[154], dans lequel Mater in procreatione filiæ dicitur radix, Filius Verò flos & pomum, outre tout cela dis-je, il est certain que le mot multipliez qui suit celui-ci, fructifiez, ôte toute l'ambiguité qu'il pouroit y avoir; & d'ailleurs, le Prophete Malachie explique les paroles de Dieu d'une maniére claire & qui ne laisse aucun doute dans l'esprit; Il parle à un mari de sa femme légitime en vertu d'un Contract qu'il a fait avec elle, & il lui dit, N'est-elle pas l'ouvrage du même Dieu, & n'est-ce pas son souffle qui l'a animée comme vous? Et que demande cet Auteur unique de l'un & de l'autre, sinon qu'il sorte de vous une race d'enfans de Dieu! Saint Paul nous en donne un Commentaire à peu près pareil, lors que parlant des veuves il dit,[155]qu'il veut que les jeunes se marient & qu'elles mettent des enfans au monde; on prend donc des femmes & on se marie avec elles pour en avoir des fils & des filles, afin de multiplier & de ne point laisser périr nôtre nombre, comme s'exprime le Prophete Jerémie[156]. Dieu donc n'a établi le mariage que pour susciter lignée, & par ce moyen nous rendre en quelque façon vivans après nôtre mort;[157]Natura nos docet parentes pios liberorum procreandorum animo & voto uxores ducere. ...... Et enim id circò Filios filiasve concipimus atque edimus ut ex prole eorum, earumve, diuturnitatis nobis memoriam in ævum relinquamus; De là vient que quelques Interprétes estiment que Jésus Christ dans Saint Luc[158], dit que ceux qui seront ressuscitez ne se marieront point; car, dit-il, ils ne pourront plus mourir, comme s'il vouloit dire que le mariage n'étant établi que pour nous substituer des successeurs après nôtre mort il ne sera plus nécessaire de se marier après la résurrection, puis qu'alors on ne pourra plus mourir. Le desir d'avoir lignée est dans l'homme & dans la femme, mais on dit qu'il est plus grand aux femmes qu'aux hommes, & que de là vient que ce contract a pris son nom de la femme plûtôt que de l'homme, Matrimonium, dit-on[159], a matris nomine, non adepto jam, sed cum spe & omine jam adipiscendi. Mais j'avouë que je ne suis point du tout de ce sentiment, car il est certain que l'homme perpétuant son nom & sa réputation par le moyen de ses enfans, doit souhaiter beaucoup plus d'en avoir, que la femme dont le nom est éteint lors qu'elle se marie, parce qu'elle prend celui de son mari, & dont la réputation consiste uniquement à faire son devoir envers son mari & envers sa famille, la gloire de la femme, au reste, étant le mari, comme parle Saint Paul; D'ailleurs, pour me servir de l'expression des Canonistes[160], filius matri ante partum est onerosus, in partu dolorosus, post partum laboriosus. Je croirois donc qu'il seroit plus vrai-semblable de dire que le mariage prend son nom de la femme, parce qu'elle contribuë plus au mariage que l'homme. Quoi qu'il en soit, il résulte toûjours de tout ceci, que le desir d'engendrer est le but & la fin du mariage; les Philosophes eux-mêmes en conviennent, Quem admodùm, disent-ils, homo naturaliter & substantialiter est Animal, ita est vivens, Naturalissimum autem opus viventium est generare sibi simile; perfectum est, disent-ils encore, unum quodque, cum simile sibi producere potest. Suivant ces maximes, comment le mariage peut-il convenir à un Eunuque? Comment peut-il être capable de le contracter? Et ne paroît-il pas que l'Eunuchisme & le mariage sont deux choses incompatibles & essentiellement opposées? Aussi les Payens, quoi qu'ils ne se conduisissent qu'à la lueur de la raison humaine obscure & bornée, ne vouloient pas qu'on contractât mariage à aucun autre but qu'à celui de procréer lignée. Voici un éxemple qui le fait bien voir; «Septitie mére des Trachales Ariminsens, pour leur faire dépit, bien qu'elle fût hors d'âge de porter enfans, épousa un Publicius aussi fort âgé, & par un testament les priva de sa succession; ces deux fils s'en étans plains au Divin Auguste, il déclara le mariage nul, & cassa le testament, voulant que ses enfans fussent ses héritiers, & refusant même au vieillard l'avantage que cette femme lui faisoit à cause qu'ils avoient contracté leur mariage sans espérance d'avoir lignée. Si la justice même s'étoit mise dans son Trône, & qu'elle eût pris connoissance de cette affaire, auroit elle plus équitablement & plus gravement prononcé?» Parmi les bêtes mêmes qui n'ont point péché & qui sont toutes demeurées dans les termes de leur nature, qui suivent toutes leur ordre, les femelles ne souffrent le mâle que pour devenir méres.
Les Eunuques ne pouvant pas satisfaire au but du mariage, ils ne doivent pas le contracter.
LEs Eunuques qui contractent mariage sont de mauvaise foi & méritent d'être punis. Premiérement ils commettent une fausseté insigne. Ils se donnent pour hommes & ils ne le sont point; la fausseté, selon les Jurisconsultes[161], est actus dolosus veritatis mutandæ gratia ad alterum decipiendum factus, quem lex pro falso habet, & lege Cornelia de falsis coërcet. Il n'est pas nécessaire que les Eunuques pour être coupables de fausseté ayent dit positivement qu'ils étoient capables de satisfaire aux Loix de mariage, il suffit que sçachant les Loix ils se soient engagez dans cette union & qu'ils ayent donné lieu par là à croire qu'ils pouvoient en remplir les devoirs.[162]Car falsum committitur non dicto sed facto, comme on le voit par tous les cas qui sont rapportez dans la Loi Quid sit falsum quæritur, 23. ff. ad legem Corneliam de falsis.
En second lieu, ils promettent ce qu'ils ne peuvent point tenir. On fait différence en droit entre Sponsalia & Matrimonium; sponsalia sunt mentio & repromissio nuptiarum futurarum; ce sont les termes de la loi premiére ff. de sponsalibus. Ce mot sponsalia vient du mot spondere qui signifie promettre. Le droit Canon est fort différent du droit Civil en ce qui concerne les fiançailles des Enfans, ou des Adolécens. Le premier[163] décide nettement que sponsalia amborum Infantium, vel alterius tantum per supervenientiam majoris ætatis non validantur, nec publicam honestatem inducunt.[164]L'Autre au contraire dit absolument que sponsalibus contrahendis ætas contrahentium definita non est, mais il ajoûte ces mots, ut in matrimoniis. C'est à dire, in Matrimonio non consideratur principaliter ætas, sed potentia generandi. L'état des contractans doit être certain, parce qu'il faut qu'ils soient capables de le consommer. S'il arrive que l'un n'en soit pas capable, il n'y a point de mariage parce que, ubi datur permixtio habilis cum inhabili vitiatur actus, quando requiritur concursus habilitatis in utroque, c'est une maxime qui est manifestement démontrée par les Canonistes qui ont commenté la Loi, utile non debet per inutile vitiari. C'est sur cela que le chapitre second de Frigidis est fondé; Il porte précisément ces mots, sicut puer qui non potest reddere debitum, non est aptus conjugio, sic qui impotentes sunt minime apti ad contrahenda matrimonia reputantur. Un enfant n'est pas propre au mariage parce qu'il ne peut point en remplir les devoirs. Il y a du plaisir à lire la dispense d'âge que l'Archevêque de Tours accorda dans le Mariage de Louïs, Dauphin, fils du Roi Charles Sept, & de Marguerite d'Ecosse, parce que l'Epoux n'avoit que quatorze ans, & que l'Epouse n'en avoit que douze; comme si une dispense de cette nature étoit une chose qui fût au pouvoir des hommes; il n'y a que la Nature qui puisse en accorder de telles[165]. Justinien a fixé la puberté à quatorze ans, & le droit Canon a fixé celle des filles à douze, mais il excepte de cette Loi générale celles, in quibus malitia supplet ætatem. Mais la nature n'est point assujettie aux Loix Civiles ni aux Loix Canoniques; Elle sort quelquefois de ses propres régles, elle est tantôt avare, & tantôt prodigue de ses faveurs. L'Ecriture Sainte parle de Salomon qui engendra Roboam à l'âge d'onze ans, & d'Achaz qui engendra Ezechias à l'âge de dix ans. S. Jérôme, le Pape S. Grégoire, Scaliger, Mr. Bochart, & plusieurs autres, ont rapporté des cas singuliers. Ils ont vû un garçon de dix ans avoir eu un enfant de sa nourrice; ils ont vû d'autres éxemples de ces fruits précoces[166], mais ni l'autorité des hommes, ni leur artifice, n'avoit rien contribué à leur production. Les Eunuques qui n'ont plus ce que la nature leur avoit donné pour être capables du mariage, ont beau recourir à la faveur & à l'autorité des hommes, ils ne les mettront jamais en état de le consommer, & jamais ils n'obtiendront d'eux le pouvoir d'éxécuter ce qu'ils auront promis par leur engagement. Ils ont donc tort de promettre solemnellement ce qu'ils sçavent ne pouvoir absolument tenir par eux-mêmes quelque secours qu'ils reçoivent d'autrui; Paria censentur jurare & Religione data fide promittere; Et ils ne sont point excusables par la raison que les Jurisconsultes en rendent; Permittenti non subvenitur quando tempore promissionis difficultatem sciebat. Les Canonistes parlant du mariage de David avec la Sunamite[167], si tant est que c'en ait été un véritable, puis que Bethsabée, Abigail, & ses autres femmes & ses concubines, vivoient encore, mettent en question si David fit bien de l'épouser, n'étant point en état de consommer le mariage avec elle; Et ils ne l'excusent que parce qu'il ne la prit point par un mouvement de convoitise, de son bon gré, mais par l'avis, ou plutôt l'ordre des Médecins, & pour satisfaire aux Principaux de son Royaume. Ils disent encore que la vie de David ayant été prolongée par ce moyen; Adonias ayant été vaincu, & le Régne de Salomon bien établi, on doit en juger favorablement.
Enfin, le mariage est une espéce de contract de vente & d'achat, le mari aquiert la puissance du corps de la femme, & la femme aquiert la puissance du corps du mari. A Rome autrefois le mariage se faisoit per emptionem; c'est donc un contract de bonne foi dans lequel le Jurisconsulte dit[168] que le dol doit être présumé lors qu'on tient malicieusement quelque chose de secret; Comme donc dans un contract de vente rien ne doit demeurer inconnu ni douteux: que l'acheteur doit avoir connoissance du vice de la chose qu'on lui vend, ou de la maladie secrette & cachée dont l'animal vendu pourroit être atteint. De même aussi dans cette espéce d'achapt toute la fraude doit être imputée à l'Eunuque qui a caché son impuissance. Fragosus éxamine dans son excellent Ouvrage qui a pour tître, Regimen Reipublicæ Christianæ. Impedimenta matrimonii an sint revelanda quandò sunt omninò secreta, & il décide la question[169] en disant, que celui qui ne révéle pas les empêchemens lors qu'ils sont diriments, péche mortellement; le mariage de ces sortes de gens est si odieux qu'il est toûjours déclaré nul & comme non avenu dès que leur état est découvert.
Les nôces qui se faisoient parmi les Romains, per coëmptionem, se célébroient de cette maniére; Après quelques cérémonies, se se coëmendo interrogabant, vir ita, an sibi mulier mater familias esse vellet? illa respondebat, velle; Interim mulier interrogabat an vir sibi pater familias esse vellet, ille respondebat velle. Sic mulier in viri conveniebat manum; c'est à ce propos que Virgile a dit,
Servius observe que ce mot emat, se rapporte à l'ancien usage de contracter. On peut voir toutes les solemnitez de ces sortes de mariages dans le Livre sixiéme de la Cité de Dieu de Saint Augustin, & dans le chapitre neuviéme du Livre sixiéme des Antiquitez Romaines de Rosinus.
Le Mariage des Eunuques est considéré comme nul & comme non avenu.
C'Est une maxime en Droit, que falsum quod est, nihili est. Les Eunuques qui s'unissent avec une femme, la trompent; Ils ne contractent point mariage avec elle puis qu'ils ne sont pas capables de contribuer de leur part comme ils le devroient à la substance du mariage; Ainsi on peut dire que ce n'est qu'un vain phantôme, ce n'est qu'un mariage feint & simulé, & nullement un mariage réel & véritable. De là vient que quand il s'agit de séparer une femme qui a été surprise par un Eunuque, on ne dissout point le mariage, mais on déclare qu'il n'y en a point eu. C'est sur ce principe que toute la Jurisprudence de ces sortes de conjonctions est fondée[170]. Elle fait voir qu'il n'y a ni mari, ni femme, ni dote, ni douaire. La loi in causis, contient une décision précise sur ce sujet, si maritus, dit-elle, uxori ab initio matrimonii usque ad duos annos continuos computandos coire minime propter naturalem imbecillitatem valeat, potest mulier vel ejus parentes sine periculo dotis amittendæ repudium marito mittere. La loi si serva servo, s'explique bien plus clairement[171]; si spadoni, dit-elle, mulier nupserit, distinguendum arbitror castratus fuerit, nec ne; ut in castrato dicas dotem non esse, In eo qui castratus non est, quia est matrimonium, & dos & dotis actio est. Au second cas le mari a action pour la dote, & la raison qui en est donnée, c'est qu'il y a mariage, & par conséquent dans le premier cas il n'y a point de mariage, puis qu'il n'y a point d'action pour la dote; cette matiére mérite qu'on s'y étende un peu davantage.
Il semble ordinairement que dès là qu'une femme est liée par contract avec un homme, & que les cérémonies de l'Eglise ont rendu ce lien solemnel, il y a un véritable mariage, mais on se trompe; cette erreur est fondée sur cette maxime de Droit que j'expliquerai dans la suite. Consensus non concubitus matrimonium facit. Voici un Jurisconsulte qui nous en détrompe, c'est Ulpien qui prononce formellement sur ce sujet. Non omnes conjunctiones implent conditionem cùm nupserit, putà enim nundum nubilis ætatis in domum mariti deducta, non paruit conditioni si nupserit vel si ei conjuncta fit, cujus nuptiis erat interdictum.[172] Ce n'est point assez d'avoir passé contract, d'avoir épousé à la face de l'Eglise, d'avoir été menée dans la maison de l'Epoux, d'avoir été mise entre ses bras, toutes ces circonstances ne sont que des apparences du mariage, mais elles ne font pas le mariage. Il faut que le mari & la femme ayent été nubiles & capables de le consommer. C'est donc avec raison que l'Empereur Justinien a décidé dans ses Institutes, que si cette femme perd son mari avant qu'elle ait été viri potens, elle ne lui a jamais été femme légitime;[173] Nec vir, nec uxor, nec nuptiæ, nec matrimonium, nec dos intelligitur. Le Jurisconsulte Labeo s'explique encore plus clairement,[174]quando pupillæ, dit-il, legatum est, quandocumque nupserit, si ea minor quàm viri potens nupserit, non ante ei, legatum debebitur quàm viri potens esse cœperit, quia non potest videri nupta que virum pati non potest; L'Histoire[175] rapporte un fait qui est digne de remarque; François I. souhaitant de tirer le Duc de Cléves du parti de l'Empereur Charles-Quint, & de l'engager dans le sien, pressa & contraignit Marguerite de France sa Sœur, & Henri d'Albret Roi de Navarre son beau-frére, de lui donner en mariage Jeanne leur fille qui n'étoit âgée que de huit à neuf ans; le mariage fut conclû & arrêté, solemnisé dans la Ville de Châteleraud, l'Epouse conduite au lit nuptial; cependant, par jugement du Pape, il a été dit depuis, qu'il n'y avoit point eu de mariage, & cette jeune Princesse a été mariée de nouveau à Antoine de Bourbon; C'est sur ce principe sans doute que les Tribunaux[176] ont permis à une fille qui avoit été mariée à l'âge de sept ans avec le Frére aîné, de se marier ensuite avec le frére Cadet, lorsqu'elle est parvenuë dans un âge Nubile. Ce seroit autoriser un Inceste si on considéroit le premier mariage comme un véritable mariage. Et il paroît bien qu'il n'est point du tout consideré comme tel;[177]Il est même deffendu aux Prêtres par les Conciles de marier des gens notoirement incapables d'éxercer les fonctions du mariage. Les Canonistes sont beaucoup plus décisifs sur cette matiére que les autres Jurisconsultes, car ils vont jusques là qu'ils disent que contractus ante pubertatem etiam cum nisu carnalis copulæ non facit Matrimonium. On sçait ce que c'est que Pubertas, en tout cas le chapitre troisiéme du même tître l'enseigne; Puberes, dit-il, a Pube sunt vocati id est a Pudentia corporis nuncupati, quia hæc loca primo lanuginem ducunt; Quidam tamen ex annis pubertatem existimant, id est eum esse puberem qui tredecim annos implèvit, quamvis tardissimè pubescat; Certum est autem eam puberem esse, quæ ex habitu corporis pubertatem ostendit, & generare jamjam potest, & puerperæ sunt quæ in annis puerilibus pariunt; De sorte que suivant cette définition les Eunuques ne sont jamais puberes, & n'étans d'ailleurs jamais capables du mariage, ceux qu'ils contractent sont nuls par eux-mêmes. Les Conciles & les Papes deffendent expressément de faire les cérémonies prescrites par l'Eglise, comme de donner la bénédiction, &c. pour des mariages nuls, tels que sont ceux dont je viens de parler, afin qu'elles ne soient pas faites en vain. Je conclûs donc, que non est inter eos matrimonium quos non copulat commissio sexus, comme il est dit dans le Decret de Gratien[178]; Non est dubium, dit-il, illam mulierem non partinere ad matrimonium cum quâ commistio sexus non docetur fuisse.[179]Qui matrimonio conjuncti sunt & nubere non possunt, illi non sunt conjuges; Voici en un mot ce que c'est que le mariage au sentiment des Canonistes, In omni matrimonio, disent-ils[180], conjunctio intelligitur spiritualis quam confirmat & perficit conjunctorum commistio corporalis. Dès là donc que dans le mariage des Eunuques il n'y a jamais eu de véritable mariage, parce qu'il n'y a jamais eu de véritable conjonction, on ne prononce point de dissolution, on dit simplement qu'il n'y a point de mariage, & que la partie plaignante est en liberté d'en contracter un avec qui bon lui semblera.[181]Tum propriè non fit divortium, sed fit declariatio, ut alii sciant illam societatem non esse conjugium, & conceditur personæ quæ habet naturæ vires integras ut etiam vivente altero impotente possit contrahere cum alio.[182]L'Eglise Romaine qui considére le mariage comme un Sacrement, ne le dissout jamais,[183]quo ad vinculum, elle ne sépare la partie plaignante que, quo ad thorum; lors donc qu'elle permet à la partie plaignante de se remarier, c'est qu'elle estime qu'il n'y a point eu précédemment de mariage; c'est donc se moquer & abuser des cérémonies les plus graves de la Religion que de les faire intervenir dans un acte faux & chimérique pour autoriser une imposture, qui produit des inconvéniens qu'il seroit très bon de prévenir. On peut dire même que ces gens-là sont dans le cas de la Novelle que l'Empereur Justinien a donnée[184], pour punir celui des conjoints qui se trouvera avoir causé mal à propos la dissolution du mariage. Solon avoit fait auparavant une Loi contre ceux qui ne pouvoient pas rendre les devoirs dûs à leur femme; Il donnoit à ces femmes l'action d'injure contre ces maris impuissans.
Inconvéniens que le Mariage des Eunuques produit ordinairement.
LE[185]Poëte Claudien parlant d'un Eunuque, l'appelle une vieille ridée. Térence lui donne le même nom, Eunuchum, dit-il[186], illumne obsecro Inhonestum hominem, quem mercatus est here, senem mulierem; Mais Martial pousse la Satyre & l'injure plus loin, il ne se contente pas de dire, en parlant de Numa qui avoit vû un Eunuque effeminé,[187]
Toute la différence qu'il y a, c'est que Martial parle de deux hommes qui se faisoient passer pour femmes, & que je parle d'hommes qui sont véritablement comme des femmes, & auxquels ce qui est dit dans la Loi, cùm vir nubit. cod. ad legem Juliam de Adulterio, convient à peu près. Ce sont les Empereurs Constantius & Constance qui y parlent, cùm vir, disent-ils, nubit ut fæminæ viris, paritura quid cupiatur, ubi sexus perdidit locum, ubi scelus est id, quod non proficit scire, ubi Venus mutatur in alteram formam, ubi amor quæritur nec videtur. Cet assemblage ne produit point l'effet que la femme en avoit espéré;[189] sic virgò intacta manet, inculta senescit; selon l'expression de Catulle & d'Ovide.[190] Ce n'est point là l'intention de cette femme, ni le but du mariage,
ou plûtôt comme s'exprime le même Poëte qui dit plusieurs véritez en raillant d'une maniére très agréable & très enjouée,
Si cette idée paroît outrée, il y en a une autre qui n'est pas plus avantageuse aux Eunuques, & dont les conséquences ne sont pas plus favorables à eux & à leurs femmes.
Ce ne sont que des demi-hommes;[193] Juvenal appelle un Eunuque semivir. Mais c'est trop dire en leur faveur; ce ne sont que des arbres stériles, des troncs desséchez, comme s'exprime Esaïe.
Voila la véritable description d'un Eunuque; Et voici deux traits qui en achévent le portrait; l'un est donné par les Jurisconsultes, & l'autre par un Ecrivain sacré.
L'Eunuque est un homme toûjours malade, & toûjours languissant,[195]morbosus; Par conséquent incapable de faire les fonctions de la vie active; sin autem ita spado est, dit le Jurisconsulte Paulus, ut tam necessaria pars corporis ei penitus absit, morbosus est; c'est un malade impuissant qui voit l'occasion d'agir & qui ne peut; Qui comme Tantale se voit au milieu des biens & des plaisirs & qui ne peut point les goûter; on peut dire de lui ce qu'Horace dit[196] de son avare, «mon ami, lui dit-il, vous avez entendu parler de Tantale? Il meurt de soif au milieu d'un fleuve dont l'eau fuit aussi-tôt qu'il veut boire. De qui pensez-vous rire? C'est de vous que parle la Fable sous un nom emprunté; vous dormez sur des sacs d'argent entassez autour de vous les uns sur les autres, vous les dévorez des yeux, cependant vous n'oseriez non plus y toucher qu'à des choses sacrées; Et ce sont des richesses en peinture à vôtre égard.» La différence qu'il y a, c'est que l'avare peut & ne veut point se donner du plaisir de son bien, & que l'Eunuque voudrait bien, mais qu'il ne peut point, & en cela on peut dire, que la comparaison de lui à Tantale est plus juste, que celle qu'Horace fait de son avare à Tantale; On peut dire à l'Eunuque plus à propos qu'à l'avare,
Tant s'en faut donc qu'une femme à ses côtez soit un bien qui lui donne de la joye, il l'afflige au contraire beaucoup, parce qu'il ne peut point en profiter; c'est une vérité que le Sage a reconnu, & c'est le second trait qui achéve la peinture de l'Eunuque; Il est de la façon de l'Auteur de l'Ecclésiastique, soit qu'il soit Jésus Sirach, soit que ce soit Salomon; il parle d'un homme qui porte la peine de son iniquité[197], & il dit qu'il voit les viandes de ses yeux & qu'il gémit comme un Eunuque qui tient une vierge & qui soûpire; cette comparaison est très juste, il porte la peine de son iniquité, soit qu'il n'ait eu autre vûë que de tromper une femme pour profiter de ses biens, ou de ses avantages; soit que par une brutalité monstrueuse il s'abandonne à une intempérance qu'il n'est pas dans son pouvoir de soûtenir; Quoi qu'il en soit une femme est trompée; Et elle peut dire à juste tître, ce qu'Auguste disoit lors qu'il se trouvoit assis entre Virgile & un autre Poëte de son tems, sedeo inter suspiria & lacrimas. Et si cette fraude étoit autorisée il en résulteroit plusieurs inconvéniens qui paroissent naturellement, & qui se font voir d'eux-mêmes.
1. Une femme languiroit & sécheroit d'ennui à côté d'un homme de cette nature, car elle a beau l'exciter, ses efforts sont inutiles, c'est pourquoi n'ayant ni les douceurs du mariage, ni l'apparence d'en jouïr, elle s'affligeroit en secret. Cela n'est point sans éxemple. L'Histoire nous apprend que l'Empereur Constantius eut pour femme Eusebia, Princesse très belle, & de la beauté de laquelle on parloit par tout avec admiration. Constantius étoit un homme mol, efféminé & affoibli par de longues & continuelles maladies; Eusebia qui étoit dans la fleur & dans la vigueur de son âge, eût de fréquentes maladies de femmes, & enfin se consuma, & finit ses jours étique, séche, & défigurée du chagrin secret, de n'avoir jamais eu la douce & aimable compagnie de son Epoux, sans que l'excellence de sa beauté, la jeunesse de son âge, ni le souverain honneur d'être Impératrice, ayent pû lui apporter le moindre plaisir, ni la moindre satisfaction, bien loin d'avoir pû la consoler. Cela a pû être permis à un Empereur, du moins n'a-t-on pû lui en demander raison; mais on ne peut point permettre la même chose à un particulier dont l'intention injuste est de rendre une femme misérable pour satisfaire à quelqu'une de ses iniques passions; Il n'est pas juste de le favoriser dans l'entreprise de faire mourir une femme innocente, vierge & martyre.
2. Il pourroit arriver qu'une femme n'auroit pas la force de soûtenir une si terrible épreuve, ni assez de fermeté pour résister aux tentations auxquelles elle se trouveroit exposée. L'esprit est prompt, mais la chair est foible, & il ne seroit pas trop surprenant qu'une femme ne trouvant pas chez elle de quoi satisfaire à une passion irritée, ne reçoive d'ailleurs des secours nécessaires pour la calmer.[198]Un de mes Amis m'a dit en conversation, qu'il se rencontra un jour chez un Baillif du Païs, dans le moment qu'une femme mariée à un Suisse, vint toute émûë, ayant un petit enfant sur ses bras, se plaindre à lui que son mari étoit Eunuque. On lui demanda si cet enfant qu'elle portoit n'étoit point à elle: Elle répondit qu'oui, on lui dit pourquoi donc elle disoit que son mari étoit Eunuque puis qu'il lui avoit fait un enfant; elle repliqua que cet Enfant n'étoit point de lui, qu'elle ayant bien remarqué qu'il ne faisoit rien qui vaille depuis plusieurs années qu'elle étoit avec lui, elle avoit prié un ouvrier maçon qui travailloit chez elle de lui faire voir s'il ne feroit pas mieux: que l'ayant mise sur un coffre qui étoit près de là, il lui avoit fait cet enfant dans un seul coup; & que son mari n'avoit pû en faire autant dans plusieurs années avec tous ses efforts. Le mari ayant été cité à sa requête, & depuis visité, on ne lui trouva point de chrémastire, il avoua qu'il en avoit perdu un à l'Armée par un coup de fusil, & qu'il avoit perdu l'autre par une maladie; l'affaire ayant été envoyée dans l'Université voisine; le mariage fut cassé, & la femme s'est mariée à son autre homme. Cet Eunuque voyoit bien que sa femme ayant un enfant, il falloit qu'elle eût eu affaire avec quelqu'autre que lui, cependant il ne disoit mot; les gens de ce caractére ne sont point jaloux. Je crois même que si on proposoit aux Eunuques qui se marient d'accorder cette permission à leur future Epouse, dans leur Contract de mariage, ils n'en feroient aucune difficulté, cela ne seroit pas sans exemple. Je n'alléguerai pas le Jugement solemnel rendu contre un Cocu qui se plaignoit, dans lequel il est condamné à reprendre sa femme & à faire cesser les bruits qu'il avoit répandus, fondé sur ceci qui est le motif de l'Arrêt tel qu'il lui a été prononcé,[199]
Je ne rapporterai pas non plus diverses décisions que l'on trouve dans le Cocu imaginaire de Moliére parce que tout cela n'est que fiction; mais je rapporterai un éxemple très véritable dont voici le cas; La feuë Comtesse de Moret avoit été mariée en troisiéme nôces à Mr. de Vardes Gouverneur de la Capelle, & en avoit eu ce Mr. de Vardes, Capitaine de cent Suisses, que le Roi de France envoya en Espagne dès que son mariage avec l'Infante fut conclû, pour complimenter de sa part la future Reine; cette Comtesse de Moret fut aussi mére du Comte de Moret bâtard de Henri IV. qui fut tué proche de Castelnaudary en l'année 1632, lors que Mr. de Montmorancy fut pris en Languedoc; c'est elle qui est célébre dans l'Euphormion de Barclay sous le nom de Casina, il y est dit qu'elle fut aussi mariée au Comte de Cesy Sancy qui depuis fut envoyé Ambassadeur à Constantinople, & on y voit la description d'un Contract de mariage d'un homme qui veut bien être Cocu, & qui promet & s'oblige à le souffrir; clause qui fut éxécutée paisiblement & sans aucun empêchement: Peut-être cette Dame s'étoit-elle mal trouvée dans ses mariages précédens de n'avoir pas pris cette précaution dans ses Contracts. Cette précaution seroit d'autant plus juste & plus raisonnable aux femmes des Eunuques que ces hommes efféminez ne peuvent faire eux-mêmes ce qu'ils doivent; Et ils sont d'autant plus traitables sur cet article, que ne pouvant s'acquitter de leurs devoirs, ils consentent, pour éviter les plaintes & les reproches, qu'une femme se satisfasse comme elle peut. Ils les y portent même très souvent, & ils leur en fournissent eux-mêmes les moyens quand il en est nécessaire. Et s'il arrive quelquefois que leurs femmes ayent du panchant au libertinage & à la débauche, ils favorisent leur inclination & profitent de leur prostitution. Témoin ce Didyme efféminé contré lequel[200]Martial a fait une Epigramme si satyrique. C'a été le seul Eunuque qui ait eu une femme, du moins qui soit de ma connoissance. Et ce Didyme confirme ce que je viens de dire, car il produisoit lui-même sa femme, & en faisoit un infame commerce dans la vûë de s'enrichir.
3. Il se rencontreroit beaucoup de femmes qui, de peur de tomber dans l'un ou dans l'autre de ces deux extrémitez que je viens de remarquer, ne voudroient jamais s'engager dans le mariage sans avoir mis à l'épreuve celui qui les rechercheroit, & sans avoir mis en pratique le conseil qu'Ovide[201] a donné aux Amans de tous les siécles, c'est à dire, de prendre garde, unde legat quod amet ubi retia ponat; car pour suivre la même idée de ce Poëte,
Mais les femmes n'ont pas un pressentiment secret de la validité, ou de l'invalidité d'un homme; Ainsi elles voudront s'en assurer en personnes sages avant que de serrer les nœuds d'un lien indissoluble; ce n'est plus la coûtume de faire mettre les hommes nuds avant que de solemniser leurs mariages, Platon le vouloit ainsi[203]. Ceux qui croyoient que c'étoit afin de voir la beauté & la belle disposition d'un corps, se trompent; ce n'étoit que pour voir à l'œil par l'inspection des parties si l'homme ne vouloit pas tromper une femme; Cela étoit d'autant plus nécessaire que tout le monde n'étoit pas, & n'est pas encore d'aussi bonne foi que le Pére de l'Empereur Galba, Suétone dit[204] qu'il étoit de petite taille, & bossu, que cependant, Livia Ocellina fille belle & riche en étoit amoureuse à cause de sa Noblesse, mais qu'il se dévêtit, & lui montra l'imperfection de son corps, de peur qu'elle l'ignorant ne se trouvât trompée dans la suite. Je ne sçai d'ailleurs si cette inspection suffiroit, car il y a peu de filles qui sçachent à quoi il tient qu'un homme soit capable d'être marié; Ce n'est que par l'usage qu'elles s'en instruisent;[205]Mr. de Thou rapporte que Charles de Quellenec, Baron de Pont en Bretagne, avoit épousé Catherine de Parthenas, fille & héritiére de Jean de Soubize, mais qu'il y avoit déja quelque tems que la mére de sa femme lui avoit fait un procès pour faire rompre son mariage, sous prétexte qu'elle prétendoit qu'il étoit impuissant; Que son procès n'étoit point encore terminé lors du Massacre de la S. Barthélemi, dans lequel il fut tué; Que son corps ayant été jetté comme les autres, devant le Louvre, & exposé à la vûë du Roi, de la Reine, & de toute la Cour, un grand nombre de Dames qui n'avoient point d'horreur d'un spectacle si cruel, & qui regardoient curieusement et sans honte, ces corps tout nuds, jettérent particuliérement les yeux sur le Baron de Pont, & l'éxaminérent avec soin pour voir si elles pourroient découvrir la cause ou les marques de l'impuissance qu'on lui avoit reprochée. Je doute qu'avec toute leur application à éxaminer ces objets elles en ayent été plus sçavantes sur ce sujet. Les Dames Romaines ne se contentoient pas de la vûë, elles jugeoient des hommes sur un témoignage plus sûr, sur la force & sur l'adresse qu'ils faisoient paroître dans les jeux publics. Il ne falloit que cela pour être regardé par une femme Romaine comme un homme accompli.[206]Sed gladiatorem fecit hoc illos Hyacinthos; ces précautions ne sont point inutiles quand on songe que c'est pour toute sa vie qu'on s'engage, car nous ne sommes plus au tems qu'on faisoit des Contracts de Mariage ad tempus.[207] Comme celui que Mr. de Varillas[208] dit avoir vû dans la Bibliothéque du Roi, fait entre deux personnes de qualité du Comté d'Armagnac, pour sept ans seulement, se réservant néanmoins la liberté de le prolonger s'il étoit trouvé à propos.
4. Il arriveroit que des femmes qui auroient eu trop de vertu pour commencer leur mariage ab illicitis, & par un crime, & qui ne pourroient demeurer toute leur vie dans l'inaction près d'un phantôme de mari, seroient contraintes de faire du vacarme pour en être séparées. Une honnête femme ne trouve sa consolation que dans un époux, comme le disoit Agrippine à Tibére lors qu'elle lui demandoit un mari; En effet, quand une femme n'est point honnête elle trouve suffisamment hors du mariage de quoi contenter la nature; on rencontre rarement des femmes de l'humeur de celles de Domitius Tullus dont Pline fait l'histoire dans l'une de ses Epîtres, & qui est rapportée avec des Réfléxions enjouées,[209]par Mr. Bayle dans l'article d'Afer. Ce qui est rapporté dans le Ménagiana est assez le goût commun des femmes. Il y est dit que dans une compagnie d'hommes & de femmes, on s'entretenoit de l'air que devoient avoir un homme & une femme pour être bien faits; Quelqu'un dit que pour être bien fait un homme devoit tenir de l'homme & sentir son homme, & que pour les femmes il n'aimoit point celles qui étoient homasses, & moi, reprit une femme aussi-tôt, je suis de vôtre sentiment, je n'aime point les hommes efféminez. On peut ajoûter pour Commentaire de ces paroles qu'elles n'aiment point les maris, tels que celui dont parle Mr. de la Fontaine.
Nous ne sommes plus au tems de Jean V. Duc de Bretagne qui disoit[210] qu'il tenoit une femme assez sage quand elle sçavoit mettre différence entre le pourpoint & la chemise de son mari. D'ailleurs, quand il y en auroit encore de telles, il est certain que plus elles sont grossiéres, & moins elles entendent raison sur ce chapitre. Lors que la nature parle & que la raison ne la retient point, elle veut être absolument obéïe. Mr. de Varillas met en fait que les femmes les plus spirituelles ont toûjours été les plus faciles.[211]Torquato Tasso a fait un discours exprès pour le prouver; Et Mr. de Voiture s'est plaint d'avoir souvent trouvé des Bergéres trop grossiéres pour être trompées par un habile homme: les plus fines entendent mieux raison. De sorte que les grossiéres & les fines se laissent aussi difficilement tromper l'une que l'autre, sur le chapitre dont il s'agit.
Je me suis étonné en lisant l'extrait que Mr. Bernard a fait du Recueil des Traitez de Paix, &c. de voir qu'il y traite de malheureuse Marguerite Duchesse de Carinthie, à laquelle l'Empereur Louïs de Baviére a accordé des lettres de divorce d'avec Jean fils du Roi de Bohème pour cause d'impuissance; voici ses termes. «La piéce, dit-il, est considérable...... par la maniére dont cette malheureuse Princesse explique qu'elle en a usé, & par les soins qu'elle dit avoir pris pour faciliter à son mari les moyens de lui rendre les devoirs d'un véritable Epoux.» Il rapporte les termes dans lesquels la chose est conçûë, mais il dit qu'il ne les traduit pas.
Puis que j'ai dit que je me suis étonné; il est bon que je dise aussi la raison de mon étonnement. D'un côté cette Epithéte de malheureuse ne peut pas avoir été donnée par Mr. Bernard à cette Duchesse, pour avoir obtenu des lettres de Divorce, car au contraire elle doit être réputée avoir été bien heureuse d'avoir été séparée d'un homme impuissant; non seulement la justice qu'on lui a faite à cet égard, mais encore la délivrance d'un joug si pesant méritoit qu'on la qualifiât bien-heureuse, plûtôt que malheureuse. Si Mr. Bernard avoit parlé de cette Dame par rapport au tems qu'elle étoit sujette à son mari, il auroit eu raison de la traiter de malheureuse parce qu'elle l'étoit en effet; mais il en parle par rapport au tems de sa liberté, & en ce cas elle avoit été malheureuse, mais elle ne l'étoit plus. Mr. Bernard est un homme trop judicieux pour avoir fait cette méprise; c'est donc parce qu'elle a osé demander des lettres de divorce, se plaindre de l'impuissance de son mari, dire les raisons qui la justifioient & les moyens par lesquels elle s'en étoit convaincuë, & par lesquels elle en persuadoit ses Juges. Or Mr. Bernard est trop bon Théologien & trop bon Politique, & il sçait trop bien l'Histoire Ecclésiastique & Prophane pour ignorer que la Religion, la conscience, l'honneur & la pudeur, n'obligent point une femme qui n'a pas assez de courage naturellement pour souffrir le Martyre & pour se laisser mourir à petit feu, qui ne peut pas y suppléer par des souffrances volontaires & qui n'a pas la force de se mortifier par une longue & perpétuelle continence, à demeurer auprès d'un mari impuissant & incapable de lui rendre les devoirs de mari; s'il croyoit que la conscience & la Religion obligent une femme qui se trouve dans ce cas à y demeurer & à y garder un profond silence, il tomberoit dans l'Hérésie de ces Abeliens dont Saint Augustin réfute l'erreur dans le chapitre 87. de son Livre des Hérésies. S'il croyoit que l'honneur & la pudeur exigent d'elle cette patience outrée, il donneroit dans la vision de ces fanatiques qui croyent qu'il vaut mieux souffrir la mort que de découvrir à un Médecin, ou à un Chirurgien, une partie secrette qui seroit attaquée; & qui ont mis au nombre de leurs Saintes Marie fille de Charles le Hardy Duc de Bourgogne, mariée à l'Empereur Maximilien I., fils de Frideric III. Un cheval fougueux que l'on avoit donné à cette Princesse, la secoua & la fit tomber si rudement qu'elle en eut la cuisse rompuë; elle en mourut n'ayant pû gagner sur sa pudeur d'exposer le haut de sa cuisse à la vûë des Chirurgiens & des Médecins qui apparemment l'auroient pû guérir. Mr. Bernard feroit donc bien de s'expliquer un peu plus clairement au hazard de faire ses extraits un peu plus longs; car on peut dire qu'il lui arrive quelquefois d'être fort obscur, parce qu'il veut affecter d'être fort court. En attendant qu'il s'explique, je veux lui faire la justice de croire qu'il n'a pas donné dans les sentimens que je viens de remarquer, mais qu'il a donné dans cette pensée de Mr. Boileau;[212]
Si cela est, il n'a pas pris garde qu'on a fait voir aux Moralistes qu'ils se trompent fort lors que pour donner de la confusion à l'homme sur ses défauts ils le conduisent à l'école des bêtes; je le prierois d'en voir les preuves dans le Dictionaire de Mr. Bayle, si je n'étois averti qu'il ne lit point les Ouvrages de cet illustre Auteur. Mr. de Beauval[213] pourra donc le détromper sur ce sujet, & lui faire voir en particulier, que l'éxemple de la biche n'est point juste, s'il veut se donner la peine de lire l'extrait que cet Ecrivain sçavant & judicieux a fait de ce Dictionnaire. Je dirai seulement, que si cette Duchesse de Carinthie, dont Mr. Bernard parle, étoit coupable, le corps de droit entier, mériteroit d'être condamné; il fournit aux femmes des actions & des loix contre leurs maris Eunuques, ou impuissans, au lieu que, selon la Théologie scrupuleuse de Mr. Bernard, il devroit réprimer l'incontinence de ces femmes, & s'écrier contre celles qui oseroient se plaindre.
Les Loix Civiles deffendent le mariage des Eunuques.
COmme le mariage d'un Eunuque ne peut pas subsister, il a été de la prudence des Législateurs de ne point permettre qu'il fût contracté. L'honnêteté publique, ni la Justice, ne veulent pas qu'on laisse faire des choses qu'elles ne peuvent pas laisser subsister;[214]Dirimunt matrimonium contractum, impendiunt matrimonium contrahendum C'est une maxime que les Canonistes qui ont écrit sur le chapitre unique de Sponsalibus & Matrimoniis ont solidement établie.[215]Elle est conforme à la disposition du Droit Civil, il deffend de faire les fiançailles avec les personnes entre lesquelles il empêche de contracter mariage. Quamvis, dit-il, verbis orationis cautum sit, ne uxorem tutor pupillam suam ducat, tamen intelligendum est ne desponderi quidem posse; Nam cum quâ nuptiæ contrahi non possunt, hæc plerùmque ne quidem desponderi potest. Nam quæ duci potest, jure despondetur; l'argument est à peu près pareil, a Nuptiis permissis ad sponsalia permissa; ab iisdem prohibitis ad eadem sponsalia interdicta; à matrimonio valido ad matrimonium contrahendum; & ab eodem invalido ad idem interdicendum. Puis que le Contract de mariage & les solemnitez qui se font ensuite, ne sont & ne marquent autre chose qu'une promesse qui est faite entre deux personnes, de se rendre les devoirs de mari & de femme, il est manifeste que ceux qui ne peuvent pas se les rendre ne doivent pas se marier, & que les mêmes raisons qui dissoudroient le mariage s'il étoit contracté, doivent empêcher qu'on ne le laisse contracter en effet; L'Empereur Leon qui a décidé nettement le cas[216], est allé bien plus loin; car non seulement il a deffendu aux Eunuques de se marier, mais même il a prononcé & donné une peine contre ceux qui se marieroient, & contre celui qui les épouseroit; c'est dans la Constitution 98. qui a pour tître, de pœna Eunuchorum si uxores ducant; Le motif de cette ordonnance est très beau, c'est, dit-elle, que ce mariage n'étant rien de réel, on ne peut sérieusement l'accompagner des Cérémonies Sacrées qui font une partie de l'essence du mariage. Elle mérite d'être lûë toute entiére, & je la rapporterois sans en rien obmettre, si elle n'étoit un peu trop longue par rapport à la bréveté de cet Ouvrage; mais voici à quoi elle aboutit, propterea sancimus, dit-elle, ut si quis Eunuchorum ad matrimonium procedere comperiatur, & ipse stupri pœnæ obnoxius sit, & qui sacerdos istiusmodi conjonctionem profanato sacrificio perficere ausus fuerit Sacerdotali dignitate denudetur.[217]L'Histoire dit qu'Auguste mit ordre à la confusion avec laquelle on avoit accoûtumé de voir les Jeux, il assigna à chacun la place qui lui étoit dûë, les hommes mariez entr'autres, ceux même de basse condition y avoient la leur.[218]Mais Martial nous apprend que les Eunuques n'osoient pas s'asseoir sur leurs bancs, ni se mêler parmi eux. Voici comme il parle à Dydime, qui d'un ton superbe parloit des Edits de Domitien concernant les Théatres, & de l'espérance qu'il avoit qu'ils seroient observez.
Ce Didyme avoit une femme, cependant on ne le considéroit pas comme un homme marié, parce qu'il étoit Eunuque. La Constitution de l'Empereur Leon n'étoit pas encore donnée, car on peut dire que depuis ce tems il n'y a point d'éxemple qu'aucun Eunuque ait eu la permission de se marier, excepté celui de Saxe Gotha dont je parlerai dans la suite. Toutes les Sociétez Ecclésiastiques ne se sont pas contentées d'improuver & de blâmer ces sortes de mariages, elles les ont même expressément deffendus.
La Religion Catholique Romaine ne permet pas le mariage des Eunuques.
LA Religion Romaine qui considére le mariage comme un Sacrement, n'a garde de permettre qu'on prophane un de ses Mystéres. Quelques éxemples authentiques que je rapporterai serviront de preuves à cet égard.
Bernard Automne, Avocat célébre au Parlement de Bordeaux, rapporte dans la seconde partie de sa Conférence du Droit François avec le Droit Romain[219], un cas qui s'est présenté de son tems au Parlement de Paris sur ce sujet. Il fait d'abord quelques réfléxions sur le paragraphe Spadonum de la Loi Pomponius, qui est la sixiéme ff. de Ædilitio Edicto, & il trouve étrange, avec raison, qu'Ulpien qui est Auteur de cette Loi, décide qu'un homme auquel on a coupé un doigt de la main, ou du pied, soit malade, ou comme il s'exprime, morbosus, & qu'un Eunuque auquel la partie du corps la plus nécessaire manque, ne le soit pas. Il dit que cela le surprend, qu'il n'en voit pas la raison. Que la cause de la génération qui donne même le nom d'homme à la personne qui la porte, étant retranchée ce n'est plus un homme; qu'il lui semble que qui de vingt parties en retranche une fait moins de tort à la personne, que quand de deux il lui en ôte une. Aussi ajoûte-t-il, le Parlement de Paris a jugé par Arrêt du 5. Janvier 1607. en faveur de Claudine Godefroy, qu'il y avoit juste sujet de ne point contracter mariage, & de ne point passer outre à la célébration avec un homme avec lequel elle étoit fiancée, parce que les Médecins & les Chirurgiens assuroient dans leur rapport qu'il n'avoit qu'un testicule, quoi que même ils ajoûtassent qu'il pouvoit pourtant engendrer. Le célébre Etienne Pasquier étant autrefois consulté sur un sujet à peu près pareil, répondit par cette Epigramme.
Il pouvoit y joindre l'Epigramme 99. du Livre septiéme de Martial, qui finit par ce Vers si expressif.
Les Dictionaires de Furetiére & de Trevoux disent au mot Eunuque, qu'il a été jugé par Arrêt de la Grand-Chambre du 8. Janvier 1665. qu'un Eunuque ne pouvoit pas se marier, du consentement même des Parties. Les Auteurs de ces deux excellens Ouvrages ont tiré cet Arrêt du Journal des Audiences[220] & c'est encore ce même Arrêt qui est rapporté par Mr. Claude de Ferriére à qui le Public a l'obligation d'avoir mis en François la Jurisprudence Romaine, & de l'avoir conférée avec les Ordonnances Royaux, les Coûtumes de France, & les Décisions des Cours Souveraines.[221]Il dit dans le tome prémier de sa Jurisprudence du Digeste, qu'un Eunuque reconnu pour tel, ne peut pas contraindre un Curé à célébrer son mariage avec une fille qui y consent.
Le chapitre dixiéme du Livre quatriéme des Arrêts d'Anne Robert, qui ne traite que de la dissolution du mariage pour cause de frigidité & d'impuissance, montre que c'est une Jurisprudence constante, que les Eunuques ne peuvent pas se marier.
Sixte Cinquiéme fit autrefois une Bulle qu'il envoya en Espagne, par laquelle il déclaroit nuls les mariages des Eunuques.
Mais voici un fait historique qui est décisif sur ce sujet. Il est rapporté par le docte Mr. Strik, fils de l'illustre & célébre Mr. Strik, Professeur en Droit à Halle, le véritable Papinien de nôtre siécle.[222] Il dit dans sa dispute inaugurale pour le Doctorat, dans laquelle il traite, de matrimonii nullitate, qu'étant en Italie il n'y a pas long tems, il a vû qu'un des principaux Musiciens du Duc de Mantouë nommé Cortona, ayant voulu épouser une fort jolie Musicienne qui étoit au service du même Prince nommée Barbaruccia, ils furent obligez d'en demander la permission au Pape qui la refusa absolument & sans retour.
La Religion Luthérienne, ou de la Confession d'Augsbourg, ne permet pas le mariage des Eunuques.
LEs Théologiens & les Jurisconsultes de cette Communion sont fort scrupuleux sur cette matiére, & leurs motifs sont très judicieux & très conformes à la raison & à la Religion.
Gerhard, l'un de leurs plus grands Théologiens & qui a réduit presque tous les Ouvrages de Luther en lieux communs, dit précisément dans le lieu de conjugio[223], qu'il ne doit pas être permis à une femme d'épouser un Eunuque. Le motif qui le porte à prononcer cette décision, est que le mariage ayant pour but principalement d'engendrer lignée & de se procurer une postérité, il ne faut pas le laisser contracter à des gens qui ne sont point capables de parvenir à ce but, & tels sont, dit-il, les Eunuques & les Spadons. Que quoi que quelqu'un d'eux ayant encore un chrémastere puisse connoître une femme ils ne sont point propres au mariage; parce que bien loin d'engendrer des enfants, ils ne sont pas même capables de satisfaire aux desirs d'une femme, ni d'éteindre l'ardeur que la nature a allumée dans leur tempéramment. Le second motif de ce grand homme est, qu'une femme ne trouvant pas dans la personne de son mari la satisfaction qu'elle souhaite, elle tombe aisément dans le crime. Le troisiéme motif est qu'une femme est trompée par un phantôme de mariage, comme est celui d'un Eunuque; car soit qu'elle ait ignoré l'état de cet homme avant que d'entrer dans aucun engagement avec lui, soit qu'elle en ait eu connoissance, & qu'elle ait eu pour lors meilleure opinion de ses forces qu'elle ne devoit, il est certain qu'elle se trouve toûjours trompée. Or les Loix doivent prévenir ces sortes de cas, & non seulement conseiller des femmes téméraires, mais même les empêcher de s'exposer à un danger évident.
La délicatesse de ces Théologiens va si loin qu'ils ne permettent pas à un Hermaphrodite de se marier, à moins qu'un séxe ne prévale si visiblement & si considérablement sur l'autre, qu'il n'y ait rien à craindre pour les suites de son engagement; & si cet Hermaphrodite fait difficulté de se laisser éxaminer par des Médecins, des Chirurgiens & des Matrônes, il se rend suspect dés là, & toute permission de se marier lui est refusée.
C'est une maxime générale & constante parmi eux, que l'impuissance quelle qu'elle soit, & de quelque cause qu'elle procéde, rend un mariage contracté, nul, le résout, & empêche, lors qu'elle est connuë auparavant, qu'on ne permette de le contracter. Il y a néanmoins une exception à cette régle générale, c'est que si cette impuissance est survenuë depuis qu'il est contracté, par quelque accident que ce soit, elle ne le dissout point. Cela est fondé en Droit Civil, & en droit Canon.[224]Nihil enim tàm humanum esse videtur quàm fortuitis casibus mulieris maritum, & contra uxorem viri, participem esse. Le Canon quod autem 27. quæst. 2. est positif & précis, impossibilitas coëundi, dit-il, si post carnalem copulam inventa fuerit in aliquo, non solvit conjugium;[225]si verò ante carnalem copulam deprehensa fuerit, liberum facit mulieri alium virum accipere. C'est aussi le sentiment de Luther dans son Traité de vita conjugali[226].
La Jurisprudence Ecclésiastique, ou Consistoriale de cette Communion est conforme à celle de leurs Théologiens. Carpzovius qui en est l'oracle en rapporte des décisions dans la Jurisprudence Ecclésiastique, ou Consistoriale.[227]Le nombre deuxiéme de la définition seiziéme du tître premier porte précisément ces mots, non permittendum mulieri ut Eunucho nubat. J'avouë que j'ai lû avec quelqu'étonnement dans l'extrait que le sçavant Mr. de Beauval vient de nous donner d'un Livre de Mr. Brucknerus qui a pour tître, Décisions du Droit Matrimonial,[228]Que le cas s'étant présenté à la Cour de S. A. E. de Saxe, un Eunuque Italien son Chambellan ayant épousé une jeune fille qui étoit avertie de son état, & du consentement de son pére, quelques Théologiens entreprirent de troubler ce mariage comme nul & invalide, & que d'autres le prétendirent bon & valable; mais que le Souverain ayant vû les avis partagez, avoit confirmé le mariage sans tirer à conséquence pour l'avenir. On peut dire au sujet de cette discorde de sentimens entre les Théologiens de l'Electorat de Saxe, ce que ce même judicieux Auteur, Mr. de Beauval, dit ailleurs[229] en parlant des divers Conciles qui s'assemblérent au sujet de la Secte des Valésiens; Divers Conciles, dit-il, s'assemblérent là-dessus & augmentérent le desordre par la contradiction de leurs Decrets. Tant il est vrai, ajoûte-t-il, à la honte de la raison humaine, que la dévotion la plus bizarre & la plus ridicule, trouve des Deffenseurs. Il est certain, à la honte de la raison humaine, que les sentimens les moins raisonnables trouvent des gens qui les soûtiennent. Mais le cas que je viens de rapporter, est un cas particulier qui ne l'emporte pas sur toutes les Décisions publiques & générales, d'autant moins que le Prince même qui l'a autorisé a déclaré que c'étoit sans tirer à conséquence pour l'avenir. D'ailleurs, quand il l'auroit autorisé purement & simplement il n'en seroit pas plus valide, & cette permission ne lui donnerait pas plus de force; car par la disposition du Droit, les mariages deffendus par les Loix ne sont pas moins injustes & illicites, quoi que le Prince ait permis par rescript, de les contracter, parce que ces mariages étans contraires aux Loix, le rescript qui a été obtenu portant permission de les contracter est censé être subreptice, & avoir été obtenu du Prince par surprise.[230]Voici les termes de la Loi. Precandi quoque imposterùm super tali conjugio (Imò potius contagio) cunctis licentiam denegamus ut unus quisque cognoscat impetrationem quoque rei cujus est denegata petitio, [231]nec si per subreptionem post hanc diem obtinuerit, sibimet profuturam.
Au reste, il auroit été fort à souhaiter que Mr. de Beauval, qui nous rapporte ce cas, & qui raisonne avec tant de solidité & de justesse sur toutes les matiéres qu'il traite, eut bien voulu nous dire son sentiment sur cette célébre question du mariage des Eunuques; on a fait grace très souvent à sa modestie, j'en donnerai quelques preuves afin qu'on ne croye pas que je le charge mal à propos d'une obligation & d'une reconnoissance qu'il ne doit point. Après, par éxemple, qu'il a donné un extrait fort éxact & fort judicieux du Traité de la Nature & de la Grace, de Mr. Jurieu, il le finit par ces paroles humbles,[231]que, comme cet Ouvrage est plein de Réfléxions très métaphisiques, on lui pardonnera s'il a bronché quelque part. Parle-t-il de la Réponse d'un nouveau Converti à la lettre d'un Réfugié pour servir d'adition au Livre de Dom Denis de Ste. Marthe, intitulé, Réponse aux plaintes des Protestants; après avoir raisonné en habile Politique sur cette matiére, il finit par ces paroles modestes; mais rentrons dans les bornes de nôtre territoire dont nous avons tant résolu de ne point sortir, & ne faisons point de course dans la Politique sur laquelle d'autres travaillent avec tant de succès. Il s'excuse très souvent sous divers prétextes, comme on pourroit le voir par les renvois que je mets à la marge, & il s'excuse sous divers prétextes, & quoi qu'on sçache qu'il est très capable de manier adroitement les matiéres qu'il rejette par humilité, on a fait grace, je le répéte, on a fait grace très souvent à sa modestie. Mais ici il n'a point d'excuse, il s'agit d'une question qui est entiérement de son ressort, à moins qu'il n'ait crû que le sujet étant trop riche l'auroit engagé à sortir des bornes d'un extrait, & à faire un Traité complet. Peut-être qu'il a vû que c'étoit une matiére si rebattuë, qu'il n'étoit pas nécessaire de la présenter encore au Public dans cette occasion, dans laquelle il ne se propose que de faire l'extrait du Livre qui lui tombe entre les mains, & non pas de traiter à fond les sujets dont il s'y agit. En effet, il dit[232] que, la question s'il est permis aux Eunuques de contracter mariage à été souvent agitée. Il a raison en cela à certain égard. Il est vrai que Melchior Inchoffer a fait un Ouvrage de Eunuchismo qui a été imprimé à Cologne in 8. en l'année 1653. Nous avons la dissertation de Eunuchis de Gaspar Loischerus imprimé à Leipsik in 4. en l'année 1665. On a vû un Sermon Anglois de Samuel Smith sur la conversion de l'Eunuque du chapitre huitiéme des Actes des Apôtres, imprimé à Londres in 8. en l'année 1632. Il y a un Traité de Franc. de Amoya, Baëtici, intitulé, Eunuchus, sur la Loi Eunuchis. V. c. qui testamenta facere possunt, & qui se trouve dans ses observations imprimées à Geneve in folio en l'année 1656. Il y a un Traité de Marcell. Francolinus de Matrimonio spadonis utroque testiculo carentis, imprimé à Venise in 4. en l'année 1605. Il y a un autre Traité de Eunuchis, de Théophile Raynauld, dont Mr. Bayle se sert souvent très à propos. La Lettre 112. de la Mothe le Vayer, qui se trouve dans le tome onziéme de ses œuvres, traite des Eunuques en général. Nous avons enfin la Dissertation de Saldenus de Eunuchis, qui est la sixiéme du Livre troisiéme de ses Otia Theologica. Et un Recueil de consultations & de décisions sur ce sujet, dont je parlerai dans la suite de cet Ouvrage. Mais je dirai pour ma justification, d'avoir entrepris de traiter de cette matiére après tant de grands hommes, & non pas pour réfuter ce que dit Mr. de Beauval, que la plûpart de ces Auteurs ne se trouvent plus que dans les Catalogues, ou dans les Bibliothéques, & que d'ailleurs, ils traitent des Eunuques en général, & descendent peu dans le détail. La question dont il s'agit ici y est entr'autres fort rarement & fort briévement traitée. On en voit quelque chose dans les Ouvrages des Jurisconsultes, des Médecins, & des Théologiens, on y trouve quelquefois des préjugez qu'ils ont rapportez; mais outre que tout ce qui y est ainsi répandu est fort succinct, on ne peut point dire qu'on puisse en induire une Jurisprudence, ou une Théologie Casuistique certaine & universelle sur le mariage des Eunuques.
La Religion Réformée ne permet pas le mariage des Eunuques.
IL n'est pas difficile de faire voir que la Religion Réformée ne permet pas le mariage des Eunuques. Il n'y a aucune autre Communion Chrétienne qui se soit déclarée aussi formellement qu'elle sur ce sujet, outre qu'il est tout à fait opposé à l'Esprit dont elle est animée, & à la Doctrine qu'elle professe, elle en a fait un Canon exprès de sa Discipline: Discipline que l'on sçait être le résultat, ou plûtôt la Quintessence de ses Synodes Nationaux. Cet article est le quatorziéme du chapitre treiziéme qui traite des mariages; voici quels en sont les termes.
Comme ainsi soit que la principale occasion du mariage soit d'avoir lignée & de fuir paillardise, le mariage d'un homme notoirement Eunuque, ne pourra être reçû ni solemnisé en l'Eglise Réformée.
Le célébre Mr. de Larroque qui a fait voir la conformité de cette Discipline avec celle des anciens Chrétiens, montre que telle étoit la Jurisprudence de l'Eglise primitive. J'avouë que cette Discipline ne faisoit loi qu'en France, mais depuis que l'Edit de Nantes y a été révoqué, que les Réformez ont été contraints d'en sortir, & que la plûpart d'eux se sont réfugiez dans le Brandebourg, Sa Majesté le Roi de Prusse l'a autorisée dans ses Etats pour ce qui concerne les François qui y sont établis[233], & en a ordonné l'éxécution lors qu'on pourroit s'y conformer sans donner atteinte à ses Droits Episcopaux; de sorte que c'est une Loi en Brandebourg parmi ces nouveaux Sujets, aussi sacrée qu'elle l'étoit en France. C'en est une aussi parmi ses anciens Sujets, & parmi tous les Protestans d'Allemagne. C'est ce qu'on peut voir par un Livre imprimé à Halle en l'année 1685. & recueilli par Jérôme Delphinus, qui a pour tître, Eunuchi conjugium, Die Kapaunen heyrath. Hoc est scripta & judicia varia de conjugio inter Eunuchum & virginum Juvencelam anno 1666. contracto, à quibusdam supremis Theologorum Collegiis petita, posteà hinc inde collecta, ab Hieronimo Delphino C. P. Halæ apud Melchiorem Delschlagen 1685. Et par la Décision donnée sur le cas que j'ai rapporté dans le chapitre quatriéme de la seconde Partie.
La République de Geneve a reçû la même Jurisprudence, & divers cas qui s'y sont présentez font voir qu'elle y est observée. Paul Cypræus dit dans son excellent Traité de Connubiorum jure, «que cette sage République a une Loi qui deffend aux hommes de se marier avant l'âge de dix-huit ans, & aux filles avant quatorze, & qu'il ne suffit pas de compter les années, mais qu'il faut avoir égard principalement à la vigueur du corps & du tempéramment, en ces termes,[234] Qu'avec l'âge on ait égard à ce que la corporence portera. Il est vrai que les Rélations du Levant nous apprennent, que les Banians Gentils de ce Païs, estiment tellement la conjonction matrimoniale, qu'ils se marient presque tous dès l'âge de sept ans; & elles ajoûtent, que s'ils meurent, comme il arrive quelquefois, avant que d'être mariez, la coûtume est de louer & de gager une fille qu'ils font coucher avec le mort pour lui donner cet avantage d'avoir été marié avant que son corps fut brûlé selon la coûtume du Païs. [235]Mais Mr. le Vayer fait diverses réfléxions qui font voir que cette coûtume n'est pas tout à fait vaine, & que s'ils se marient à sept ans, ils sont capables du mariage autant que d'autres Peuples le sont dans un âge plus avancé. La diverse position des lieux, dit-il, rend nos tempérammens si différens en toutes choses, que Solin nous fera considérer des femmes qui deviennent grosses d'enfan à cinq ans. Beato Odorico le confirme dans son Itineraire; & l'on a vû depuis peu de tems dans le Royaume du Mogol une fille âgée de deux ans seulement qui avoit le sein gros comme une nourrice, & qui ayant eu ses purgations un an après, accoucha d'un garçon.
La même Jurisprudence Ecclésiastique est établie en Angleterre comme il paroît par le chapitre septiéme du titre de matrimonio[236] dans la Réformation des Loix Ecclésiastiques, faite prémiérement de l'autorité de Henri VIII. & achevée & publiée ensuite par Edouard VI., ce chapitre traite, de his quæ matrimonium impediunt; & voici ses termes, Quorum natura perenni aliqua Clade sic extenuata est, ut prorsus veneris participes esse non possint, & conjugem lateat quamquam consensus mutuus extiterit & omni reliqua ceremonia matrimonium fuerit progressum, tamen verum in hujusmodi conjunctione matrimonium subesse non potest, destituitur enim altera persona beneficio suscipiendæ prolis & etiam usu conjugii caret.
Les Théologiens de Hollande & leurs Jurisconsultes distinguent, de même que tous les autres, les causes qui empêchent le mariage, en deux classes, alia, disent-ils,[237] (impedimenta) à lege; Illa sunt ætas immatura, mentis impotentia, corporis ad cohabitationem incapacitas; Ista sunt a morbo incurabili, ut ex. gr. lepra; à Culpa, à diversitate Religionis, a propinquitate sanguinis. J'avouë pourtant que Voëtius qui est un des plus grands hommes qui ait été dans les Provinces Unies depuis plusieurs siécles, me paroît hésiter sur le parti qu'il doit prendre au sujet du mariage des Eunuques. Il ne se détermine point à la vérité, & renvoye l'éxamen de ces sortes de questions aux Jurisconsultes & aux Juges auxquels il dit que la connoissance en appartient plus légitimement qu'aux Théologiens.[238] Ce sont donc eux qu'il faut consulter, & comme le Droit Civil & le Droit Canon sont observez dans ces Provinces, au moins dans les cas qui ne sont pas déterminez par leurs Loix & par leurs Coûtumes, il est aisé de conclurre que le mariage des Eunuques n'y est point permis. Voici en un mot les cas, qui selon les Jurisconsultes, empêchent de contracter mariage.
Fin de la seconde Partie.
Dans laquelle on répond aux objections qui peuvent être faites contre ce qui est contenu dans la seconde Partie de cet Ouvrage; & dans laquelle on les réfute.
Premiére Objection.
Que la deffense de se marier ne doit point être générale & commune à tous les Eunuques, parce qu'il y en a qui sont capables de satisfaire aux desirs d'une femme.
Réponse à cette Objection.
POur éxaminer cette Objection & pour y répondre avec ordre, il faut voir premiérement, de quelle nature sont ces desirs auxquels un Eunuque est capable de satisfaire, s'ils sont légitimes & permis; & en second lieu, quels Eunuques sont capables de satisfaire à ces desirs.
Arnobe[239] dit que les Eunuques sont fort amoureux, & majoris petulantiæ fieri atque omnibus postpositis pudoris & verecundiæ frænis in obscœnam prorumpere vilitatem; Térence le dit en d'autres termes, Ph. infanis, dit-il,[240]Qui ist huc facere Eunuchus potuit. P. Ego illum nescio qui fuerit, hoc quod fecis, res ipsa indicat.... P. At pol ego amatores mulierum esse audieram eos maximos, sed nihil potesse. Mais pour ne point alléguer des témoignages si anciens, le P. Théophile Raynauld dit dans son Livre de Eunuchis, qu'il a lû quantité d'exemples de commerce impur entre des femmes & des hommes mutilez, & il se moque de la confiance qu'on a en eux. André du Verdier dit la même chose dans ses diverses leçons, à propos de quoi il rapporte la Sentence d'Apollonius de Tyanée contre un Eunuque du Roi de Babylone qui fut trouvé couché avec une des favorites de ce Roi. Cependant, il est certain qu'un Eunuque ne peut satisfaire qu'aux désirs de la chair, à la sensualité, à la passion, à la débauche, à l'impureté, à la volupté, à la lubricité. Comme ils ne sont pas capables d'engendrer ils sont plus propres au crime que les hommes parfaits, & ils sont plus recherchez par les femmes débauchées, parce qu'ils leur donnent le plaisir du mariage sans qu'elles en courent les risques.
[242] Témoin cette femme de Petrone qui parlant à un homme qui fait cet aveu, non intelligo me virum esse, non sentio, funerata est pars illa corporis quâ quondam Achilles eram, s'exprime en ces termes, Nunc etiam languori tuo gratias ago, in umbra voluptatis diutiùs lusi. Cette femme étoit du caractére de cette Gellia contre laquelle Martial a fait cette sanglante Epigramme adressée à Pannicus,[243]
C'est cette Gellia dont Martial fait ailleurs un si vilain portrait; & des larmes de laquelle il parle de cette maniére,[244]
[245]L'Ecclésiastique dit, que celui qui viole la Justice par un jugement injuste, est comme l'Eunuque qui veut faire violence à une jeune vierge. On sçait qu'il y a eu autrefois des Païs où les Princesses vierges étoient confiées à la garde des Eunuques. Le Sage compare la Justice à une de ces vierges, & les Juges à ceux qui auroient dû la garder avec une fidélité pleine d'un profond respect. Quelques Eunuques sont donc capables de satisfaire à quelques desirs d'une femme, mais tous ces desirs sont illégitimes & ne peuvent point être permis dans le mariage, obscænæ procul hinc discedite flammæ![246]Une femme qui a ces desirs est une paillarde, & un Eunuque qu'elle souffre dans son lit est l'instrument de son crime. Voici la Sentence qui les déclare coupables l'un & l'autre;[247] origo quidem amoris honesta erat, sed magnitudo deformis; nihil autem interest ex qua honesta causa quis insaniat; unde & Xistus Pithagoricus in sententiis; Adulter est, inquit, in suam uxorem amator ardentior; In aliena quippe uxore omnis amor turpis est, in sua nimius. Sapiens judicio debet amare conjugem, non affectu; non regnet in eo voluptatis impetus, nec præceps feratur ad coitum; nihil est fœdius quàm uxorem amare quasi adulteram. Saint Jérôme prononce leur condamnation plus clairement & plus expressément; Liberorum ergò, dit-il, in matrimonio concessa sunt opera, voluptates autem quæ de meretricum amplexibus capiuntur in uxore sunt damnatæ. Les Casuistes décident même fort précisément, que les mariages qui se font par amourette, comme on parle, sont très blâmables. Les mariages déréglez, disent-ils, ont été la cause du déluge;[248]les fils de Dieu voyans que les filles des hommes étoient belles, prirent celles d'entr'elles qui leur avoient plû; ces mariages furent cause de la ruine de toute la terre.
Le desir légitime & permis d'une femme est d'avoir des enfans.[249]Donnez moi des enfans, disoit la chaste Rachel à Jacob son mari. Didon se voyant sur le point d'être abandonnée de son Ænée, lui parle en ces termes,[250]
Je veux être mère, je veux engendrer des enfans, & c'est pour cela que j'ai pris un mari, c'est là le langage d'une femme honnête & sage: & bien loin que, selon les régles de la fausse pudeur de certaines gens, elle soit blamable, lors qu'elle se plaint de ce que son mari n'est pas capable de satisfaire à ses justes desirs, & qu'elle demande d'en être séparée, elle est au contraire très digne de louanges de ne pouvoir se résoudre à faire toute sa vie les actions d'une impudique;[251]volo esse mater, volo filios procreare & ideò maritum accepi, sed vir quem accepi frigidæ naturæ est, & non potest illa facere propter quæ illum accepi. C'est là le but légitime du mariage. Il est vrai qu'on n'y parvient pas toûjours; il y a des femmes stériles, mais on n'en sçait pas la cause; il ne manque rien à elles, ni à leurs maris, de ce qu'il faut pour engendrer, l'un n'a rien à reprocher à l'autre, c'est à Dieu qu'ils doivent demander des enfans: ils sont dans le cas de[252]Jacob, qui disoit à sa femme lors qu'elle lui demandoit des enfans, suis je Dieu? Quoi qu'il en soit, lors qu'on se marie, il faut suivre le conseil que l'Ange Raphael donnoit à [253]Tobie, «Ecoutez-moi, lui dit-il, & je vous apprendrai qui sont ceux sur qui le Démon a du pouvoir; lors que des personnes s'engagent tellement dans le mariage qu'ils bannissent Dieu de leur cœur, & de leur esprit, & qu'ils ne pensent qu'à satisfaire leur brutalité comme les chevaux & les mulets, qui sont sans raison, le Démon a pouvoir sur eux. Mais pour vous la troisiéme nuit vous recevrez la bénédiction de Dieu, afin qu'il naisse de vous deux des enfans dans une parfaite santé. La troisiéme nuit étant passée vous prendrez cette fille dans la crainte du Seigneur, & dans le desir d'avoir des enfans, plûtôt que par un mouvement de passion, afin que vous ayez part à la bénédiction de Dieu.»
Tous les Eunuques ne sont pas capables de satisfaire même à ces desirs impurs dont je viens de parler; les Jurisconsultes distinguent les Eunuques.Quantùm inter est, disent-ils, inter hæc vitia quæ Græci, κακονθειαν vitiositatem dicunt, interque παθως id est perturbationem, aut νὁσον, id est morbum, aut αρρωςιαν, id est ægrotationem, tantum inter talia vitia & cum morbum ex quo quis minus aptus usui sit, differt; les uns péchent en quantité d'humeur radicale, d'autres en qualité, d'autres en quantité & en qualité tout ensemble; & enfin, sin autem quis ita spado est ut tàm necessaria pars corporis ei penitùs absit, morbosus est, dit la Loi 7. ff. de Ædilitio Edicto & Redhibitione, & quanti minoris. Mais de quelque nature qu'ils soient, il ne leur doit point être permis de se marier, parce qu'ils ne peuvent satisfaire qu'à des desirs impurs, illégitimes, illicites, & qui bien loin d'être approuvez, ne doivent pas même être tolérez.
Seconde Objection.
Le mariage est un Contract civil, par lequel il est permis à tout le monde de s'engager.
Réponse à cette Objection.
IL y a plusieurs causes pour lesquelles le mariage ne peut être contraint; les Jurisconsultes en ont renfermé les principales dans ces trois Vers;
Mais il faut entrer dans un éxamen plus particulier de cette matiére qui est digne d'attention;
C'est un principe en droit, que Edictum Matrimonii est prohibitorium, c'est à dire, que Matrimonium cuilibet contrahere licet, cui non prohibetur. Il n'est donc pas si généralement permis qu'il n'y ait des cas & des personnes auxquelles il soit deffendu.
Les causes qui empêchent le mariage sont en assez grand nombre & de diverse nature. Les unes sont tirées également du Droit Civil, & du Droit Canon; les autres émanent uniquement du Droit Civil, & les autres sont établies particuliérement par le Droit Canon.
Celles qui sont communes à l'un & à l'autre droit, sont l'âge de puberté qu'on n'a point atteint; la parenté, l'alliance, la différence de Religion, l'impuissance du mari, ou de la femme, & l'honnêteté publique;
Celles qui sont particuliéres au Droit Civil, sont l'état de la personne, si elle est esclave & qu'on ait crû qu'elle étoit libre; le rapt, la puissance qu'on a sur la fille, propter periculum impressionis sive coactionis; l'inégalité du rang étoit aussi autrefois une cause qui empêchoit le mariage, mais elle a été retranchée dans le Droit Civil nouveau, c'est à dire, par les Constitutions des derniers Empereurs. Jure novissimo inter eas personas nuptiæ non prohibentur.[254]
Celles enfin qui sont particuliéres au Droit Canon, sont de deux sortes, les unes déclarent le mariage illégitime & inutile tout ensemble, tels sont les ordres sacrez qu'on a pris, le vœu solemnel qu'on a fait, ou la profession d'une vie réguliére, le rapt, & le crime; les autres rendent illégitime seulement, telles sont les fiançailles contractées avec une autre femme; le simple vœu, la deffense du Supérieur; le tems deffendu par l'Eglise; la parenté spirituelle qu'un maître contracte en enseignant à une jeune fille les principes de la Religion; l'hérésie, la pénitence publique, & le crime: ce crime dont le Droit Canon parle ici a diverses espéces. 1. L'inceste. 2. La mort qu'un mari a donné à sa femme pour en épouser une autre. 3. La mort donnée à un Prêtre; le rapt fait de la promise d'un autre. 4. Un mariage contracté auparavant avec une Moinesse, ou une Religieuse.
Voila donc beaucoup de causes qui empêchent de contracter mariage, de sorte qu'on ne peut pas dire qu'il soit permis à tout le monde, & toûjours, de le Contracter. L'impuissance du mari est une des principales, aussi est-elle également établie par le Droit Canon, comme je l'ai fait voir amplement dans la seconde partie de cet Ouvrage.
Cette Jurisprudence n'est pas particuliére aux Contracts de mariage, elle s'étend aux accords, aux Pactes, & à toute sorte de Contracts; Edictum Contractuum est prohibitorium, c'est à dire, omnibus contrahere licet quibus non prohibetur; mais il est défendu à certaines gens de contracter. 1. Par la nature, lors qu'ils ne sont point capables de donner leur consentement, tels sont les fous, les innocens, les furieux, les prodigues, qui sont mis au même rang que les furieux; les yvrognes pendant qu'ils sont yvres; les enfans en bas âge, les sourds & les muets. 2. Par la Loi, tels sont les fils de famille; le pére même auquel il n'est point permis de contracter avec son fils qui est sous son pouvoir; une femme, un esclave, un Gouverneur de Province, propter periculum metus & impressionis.[255] 3. Par les hommes, ab homine, par convention faite entr'eux, par éxemple, Mævius a vendu son cheval à Titius à condition qu'il ne le revendroit point ou que s'il le revendoit ce ne pourroit être qu'à certaines personnes, il n'est pas permis à Titius de le vendre à une autre. Mævius, en le lui vendant lui a imposé la loi, Rei enim suæ quisque moderator est, & arbiter; Rei suæ legem quisque dicere potest. 4. Enfin, par les Coûtumes des lieux où l'on se trouve, par éxemple, Donationem contrahere conjuges prohibentur ne promercalis inter eos amor fiat, &c.
Il est des choses comme des personnes, il n'est pas permis de contracter de toute sorte de choses; il y en a dont la nature défend de contracter, d'autres, la Loi, & d'autres les accords faits entre les hommes; les choses Sacrées, Religieuses & Saintes, sont d'une nature à n'entrer jamais dans le commerce des hommes; un homme libre, liberi hominis contractus non est. Les choses impossibles. Certaines choses sont deffendues par la Loi, telles sont celles par lesquelles le Public recevroit du préjudice, ex quibus utilitas publica læderetur. Les choses infames & mal-honnêtes qui sont contre les bonnes mœurs. La succession d'un homme vivant, contractus de futura successione viventis. Ab homine. Par accord fait entre les hommes, par éxemple, si quis caveat ne vicinus quærat aquam in suo solo. C'est donc une erreur de croire qu'il soit permis à tout le monde de contracter; il est encore moins permis à tout le monde de contracter mariage. On dit communément que le Contract est le pére de l'obligation, vulgò dicitur contractus pater obligationis, mater verò actionis, obligatio. Tous ceux qui contractent sont tenus de donner ou de faire ce qu'ils ont promis, omnis obligatio vel in dando vel in faciendo consistit, ac demùm, disent les Jurisconsultes, nisi quis id, aut det, aut faciat quod daturum se facturumve promisit, actione coram Magistratu proposita, ad id cogi potest; sans cela ce seroit un Contract frustratoire & ridicule. Comment un Eunuque peut-il s'obliger à procréer lignée? Et quand il s'y seroit obligé, comment pourroit-on le contraindre à éxécuter sa promesse? Tout cela est impossible; or ex sui natura res quæ nec dari nec fieri ullo modo potest, in contractum deduci non debet; impossibilium enim nulla est obligatio; voila la régle de Droit;[256]sub conditione data, non data censentur, cessante conditione; itaque deficiente conditione contractus celebratus censetur resolutus ab ipso initio.[257] On se marie sous la condition que le mari engendrera lignée, s'il ne peut l'engendrer le mariage est nul & résolu. L'honnêteté publique veut donc qu'on l'empêche, & il vaut mieux le deffendre, que d'être obligez ensuite à le casser, comme je l'ai fait voir ailleurs.
Troisiéme Objection.
Un Eunuque pouvant remplir tous les devoirs du mariage, excepté ceux qui concernent la génération, peut le contracter parce que, consensus non concubitus matrimonium facit.
UN[258]sçavant homme & bel esprit tout ensemble dit, qu'il faut sur tout qu'un homme sçache son métier; car, ajoûte-t-il, il est honteux qu'on dise de nous, que nous sçavons excepté ce que nous devons sçavoir. On peut dire qu'il est ridicule de prétendre qu'un mari soit un bon mari, remplissant bien les devoirs du mariage, lors qu'il n'est pas capable d'en faire les principales fonctions. Il n'est pas d'un mari comme de ce bouffon dont le Cardinal du Perron a parlé.[259]Etant à Mantouë le Duc lui fit voir un bouffon qu'il disoit être Magro Buffone, & non Haver Spirito. Le Cardinal répondit que ce bouffon avoit pourtant de l'esprit, & le Duc lui ayant demandé pourquoi? Parce, lui dit-il, qu'il vit d'un métier qu'il ne sçait pas faire; le métier de mari n'est pas la même chose, on n'en vit point, lors qu'on ne le sçait pas faire;
Quand cela n'est point une femme souffre beaucoup, une nuit lui paroît bien longue,
Témoin les angoisses & les sueurs froides de cette femme dont parle Martial[262],
Ce n'est donc pas dans la pratique qu'on trouve la vérité de cette maxime,[263]Consensus non Concubitus matrimonium facit. Voyons en quel sens, & de quelle maniére on la trouve dans la Théorie.
Les Jurisconsultes mettent une grande différence entre le consentement qui se donne aux fiançailles, & celui qui se donne aux nôces; l'un ne consiste qu'à promettre de célébrer les nôces, & l'autre consiste à promettre qu'on consommera le mariage.[264]Aliud est, disent-ils, Nuptias contrahere, aliud ad Nuptias contrahendas se se obligare. L'un de ces consentemens fait une paction, de futuro conjugio. L'autre au contraire en fait une de præsenti. Dans l'un ce n'est qu'une promesse de accipienda uxore; Dans l'autre c'est l'exécution de cette promesse, uxor accipitur. Promssio prius facta verbis, rebus ipsis, & factis ratificatur. Il y a autant de différence entre ces deux consentemens, qu'il y en a entre la promesse & l'exécution. Dans l'un l'homme ne consent pas d'être aussi-tôt mari & de consommer le mariage, il promet seulement de le devenir. Mais dans l'autre, l'homme eo ipso momento maritus fieri vult, & eo animo & destinatione consentit ut sit matrimonium. Il promet de le consommer; c'est au premier de ces deux cas qu'il faut appliquer la maxime dont il s'agit ici.
Mais voici le sens véritable de cette maxime, & l'application qu'il en faut faire. Elle signifie que la simple cohabitation ne fait point l'essence du mariage; il ne suffit pas d'avoir connu charnellement une femme pour en conclure qu'on est marié avec elle, le consentement de l'un & de l'autre d'être marié ensemble, est absolument nécessaire. Ce consentement n'est point celui que ces deux personnes se donnent mutuellement de se connoître l'une l'autre, consensus cohabitandi & individuam vitæ consuetudinem retinendi facit conjugium, selon le sentiment des Jurisconsultes; ce n'est donc ni le consentement seul, ni la cohabitation seule, qui font séparément le mariage, c'est l'assemblage de tous les deux. D'ailleurs, le consentement dont il est ici question, ad Nuptiarum probationem, sed non ad Nuptiarum substantiam, pertinet. Le but de cette maxime n'est pas de déclarer en quoi consiste l'essence du mariage, mais à quel tems il faut le fixer, & de quel moment il faut compter qu'il est contracté. Non ex concubitu nuptiæ fatis probantur, sicuti & retrò secubitu matrimonium non dissociatur, seu separatione Thori aut habitationis. Ces unions & ces séparations ne concluent rien; il y a des conjectures plus certaines établies par les Jurisconsultes pour juger de la consommation du mariage; ils les tirent ex comparatione personarum, ex vitæ conjunctione, ex vicinorum opinione, ex deductione in domum mariti; ex aquæ & ignis acceptione, ex dotalibus instrumentis, seu tabulis nuptialibus, seu testatione, ce qui, au rapport de Busbeque, fait parmi les Turcs, la différence de la femme & de la concubine. Mais tout cela n'est point l'essence du mariage, ce sont des conjectures, ou des preuves, par lesquelles on peut juger qu'il y a un mariage contracté entre certaines personnes. Si le mariage ne consistoit que dans le consentement on pourroit bien dire comme cette femme qu'Ovide fait parler,
Objection quatriéme.
Quand on ne peut pas être auprès d'une femme comme mari, on doit y être comme frére, & habiter avec elle comme avec une sœur.
Réponse à cette Objection.
CEtte objection est fondée sur le chapitre Laudabilem est infrà[265], qui contient ces mots, quod si ambo consentiant simul esse, vir etiam & si non ut uxorem, saltem habeat ut sororem, la glose sur ces mots ambo, dit précisément qu'il faut que l'un & l'autre consentent, quia cum nullum sit matrimonium non tenetur alter alteri.
Deux réflexions détruiront l'objection fondée sur ces paroles. La prémiére, qu'elles sont rélatives à la faculté qui est donnée à la femme de faire résoudre son mariage, après que pendant un certain tems elle s'est assurée de l'impuissance de son mari; elle peut faire casser son mariage, à moins que l'un & l'autre ne veuillent bien habiter ensemble comme frére & sœur. Il paroît donc par là qu'il s'agit d'un mariage contracté, & non pas d'un mariage à contracter. Qu'il s'agit d'un homme reconnu impuissant après une longue expérience, & non point d'un Eunuque qui est notoirement impuissant, & qui ne peut par aucun ressort de la nature, ni par aucun artifice de l'art devenir jamais capable d'engendrer.
La seconde réfléxion consiste en ce qu'il faut que l'une & l'autre des parties consente de rester ensemble sur ce pied de frére & de sœur: ce qui montre qu'il n'y a plus de lien entr'eux; que le premier consentement qu'ils ont donné à leur union n'ayant pas produit l'effet pour lequel il avoit été donné, il est naturellement & ipso facto révoqué. Qu'il en faut un nouveau donné sur connoissance certaine de la personne; qu'alors ce n'est plus un mariage, mais une union de support qui ne peut être qu'onéreuse à la femme; car enfin, le doux nom de sœur n'est pas capable de consoler de la perte des avantages de la qualité de femme. Quand on est une fois marié on ne s'aime plus qu'entant qu'on est mari & femme. Comme cette Biblis dont Ovide nous fait l'histoire, une femme n'aime point d'être appellée sœur par un homme qui tient lieu de mari.
En un mot, cette objection tombe d'elle-même, puis qu'elle ne concerne que des mariages contractez avec des hommes reconnus impuissans par l'usage; & qu'il s'agit ici de sçavoir s'il doit être permis à des Eunuques connus pour tels, de contracter mariage.
Cinquiéme Objection.
Si le Mariage devoit être deffendu aux Eunuques parce qu'ils ne peuvent pas engendrer, il devroit l'être aussi aux personnes âgées que la vieillesse rend incapables de faire les fonctions du mariage; & ne leur étant point deffendu, il ne doit point l'être aussi aux Eunuques.
Réponse à cette Objection.
CEtte objection est fondée sur un faux
principe, sçavoir qu'on n'a droit d'être
marié qu'entant qu'on est capable d'engendrer;
si cela étoit, dès qu'un mari &
une femme n'engendrent plus, ou lors
que la femme est stérile il faudroit les démarier.
Ce principe & la conséquence
qui s'en tire naturellement sont si absurdes,
qu'il suffit de les proposer pour les
faire rejetter.
Si cette Objection n'est point fondée sur ce principe elle est encore moins soûtenable; car un homme, à moins que d'être retourné en enfance, ou que d'être attaqué de quelqu'infirmité capitale, est capable d'engendrer dans quelqu'âge qu'il se trouve. On voit mille éxemples dans le monde de vieillards qui ont eu des enfans à l'âge de quatrevingt & dix ans, qui est l'âge le plus avancé de l'homme; de sorte qu'on peut dire qu'un homme bien constitué peut engendrer toute sa vie; cependant, s'il étoit tellement décrépit qu'il ne pût faire aucune fonction du mariage, qu'il fût comme un Eunuque, j'avouë qu'il agiroit contre l'institution du mariage, & que le Magistrat, ou ses Supérieurs Ecclésiastiques feroient très bien de l'en empêcher en lui représentant ce qu'Ajax dit à Ulysse dans les Métamorphoses d'Ovide,
Qu'il va faire comme le mâle des Alcyons qui étant si vieux qu'il ne peut se remuer, s'apparie avec sa femelle & meurt en cet état. A moins que cet homme n'eût eu plusieurs enfans dans sa jeunesse, ou qu'il eût eu une femme stérile, en ce cas il peut très légitimement, à mon avis, épouser une femme d'un âge proportionné au sien,[267]parce que le feu de la jeunesse étant passé dans l'un & dans l'autre, & les inconvéniens que je remarquerai dans le chapitre suivant n'étant point à craindre, c'est proprement dans ce cas qu'un mari recevant beaucoup d'aide & de secours de sa femme il peut la regarder comme sœur, s'il ne peut la regarder comme femme, puis que lui ni elle ne peuvent point procréer lignée.
Mais la principale raison est, que les gens auxquels on n'a que la vieillesse à reprocher, auroient pû, peut-être, engendrer, & ont, peut-être, effectivement engendré dans leur jeunesse; ils ont donc la faculté d'engendrer, mais ils n'engendrent point en effet; l'âge est en eux un obstacle plus puissant que la nature qui les avoit rendus capables d'engendrer. Or ne voit-on pas que la nature fait souvent des efforts, ou que la Providence lui donne des forces par le moyen desquelles elle surmonte les obstacles de l'âge.[268]Je ne rapporterai point la Fable du bon Vieillard Hircus qui pria trois Dieux qui vinrent chez lui, de lui donner un fils, quoi que sa femme fût déjà fort avancée en âge, ce qu'ils lui accordérent; les Sçavans croyent que c'est l'histoire d'Abraham & de Sara, déguisée: mais j'alléguerai le témoignage de Valesque de Tarente qui dit, comme une chose fort merveilleuse, dans son Philonium[269], qu'il a vû une femme qui avoit ses mois à l'âge de soixante ans, & qui eut un fils à l'âge de soixante-sept ans. Et le témoignage de Mauricius Codeus, qui dit dans son Commentaire sur le premier Livre d'Hypocrate touchant les maladies des femmes, qu'il a appris qu'une Demoiselle a eu ses mois étant âgée de soixante & dix ans, & qu'elle avoit conçû un enfant bien formé, dont elle avoit avorté pour avoir été trop agitée du mouvement d'un Coche dans lequel elle avoit été. La Loi si major au Code de legitim. Hæred. parle d'un enfant mis au monde par une femme qui avoit passé cinquante ans. Cornelia dont Pline parle, eut après soixante-deux ans Volusius Saturninus qui fut Consul. Et le Docte Joubert dit positivement, qu'une femme mariée à un Coûturier dans la Ville d'Avignon, nommé André, domestique du Cardinal de Joyeuse, continua d'enfanter jusqu'à l'âge de septante ans. Mais si la nature ne peut pas surmonter ces obstacles, Dieu qui est le Maître de la nature, ne les surmonte-t-il pas souvent, en donnant des enfans à des femmes qui ont perdu l'espérance d'en avoir,[270]Sara, & Anne, qui depuis[271] fut mère de Samuel, en sont des exemples. Il donne, dit le Psalmiste, à celle qui étoit stérile la joye de se voir dans sa maison la mére de plusieurs enfans.[272]Le Prophete Esaïe dit la même chose, & l'expérience l'a justifié si souvent qu'il n'y a point lieu d'en douter.
Il y a donc bien de la différence entre le mariage des Vieillards & celui des Eunuques. Dieu se sert souvent de moyens humains pour faire des Miracles. Les personnes fort âgées peuvent servir de moyens, mais les Eunuques n'ayans point ces moyens, ils ne peuvent point être des instrumens dans la main de Dieu pour faire ces miracles. Ainsi on peut dire que, ni naturellement, ni surnaturellement, ils ne peuvent point engendrer, & que par conséquent ils ne sont en nulle maniére, ni capables, ni dignes du mariage.
Sixiéme Objection.
Quand la femme qui épouse un Eunuque sçait qu'il est Eunuque, & qu'elle n'ignore point les conséquences de son état, il doit lui être permis de l'épouser si elle le souhaite, parce que volenti non fit injuria.
Réponse à cette Objection.
CEtte maxime Volenti non fit injuria, est établie par le Droit Civil, & par le Droit Canon; l'un dit,[273]que usque adeò autem injuria quæ fit liberis nostris, nostrum pudorem pertingit, ut etiam si volentem filium quis vendiderit patri, suo quidem nomine competit injuriarum actio, filii verò nomine non competit, quia nulla injuria est quæ in volentem fiat; l'autre Droit dit que,[274]scienti & consentienti non fit injuria; Elle est tirée de la Loi 145. ff de diversis regulis juris, qui porte, que nemo videtur fraudare eos qui sciunt & consentiunt, & elle est en quelque sorte expliquée par le §. si intelligatur. 6. de la Loi prémiére, Dig. de Ædilitio Edicto. Si intelligatur vitium, morbus que mancipii ut plerùmque signis quibusdam solent demonstrare vitia, potest dici edictum cessare; hoc enim tantùm intuendum est ne emptor decipiatur. Pour pouvoir conclure qu'une femme est trompée volontairement & de son consentement, il faut qu'il conste & qu'il apparoisse clairement & manifestement qu'elle n'a été ni induite, ni séduite; qu'elle a sçû les defauts de l'Eunuque, & les incommoditez qu'elle en souffriroit, sans cela elle est trompée, & elle est trompée par surprise & non pas volontairement. J'ajoûte qu'il faut qu'une femme soit assurée de sa continence & de sa chasteté, qu'elle sçache que les defauts de l'Eunuque, & les incommoditez qu'elle en souffrira, mettront l'une & l'autre de ces deux vertus très souvent à l'épreuve, & qu'elle pourra sûrement soûtenir toutes ces épreuves, sans cela, présupposé que volenti non fiat injuria le Magistrat ni ses Supérieurs Ecclésiastiques ne doivent point lui permettre de s'exposer à la tentation, & de se mettre dans un danger évident de tomber dans le crime comme je le ferai voir dans la suite de ce chapitre; il ne doit point lui permettre par conséquent de se marier; l'Objection tombe dans ce cas. Il y a d'autres exceptions à cette régle générale, que les Jurisconsultes rapportent; par éxemple,[275]si quis puellam volentem rapuerit; si quis filium volentem intervertat. Si quis servum volentem corrumpat; & plusieurs autres semblables. Le sens véritable de cette maxime est, qu'une personne qui a consenti à l'injure qui lui a été faite, ne peut point agir par action d'injure contre l'injuriant. Voici donc l'application qu'il faut faire de cette maxime au cas du mariage d'un Eunuque. Lors qu'un mariage est déclaré nul par, ou à cause de l'impuissance du mari, il n'est pas seulement condamné à rendre la dote qu'il a reçûë de sa femme, pour laquelle il n'est point admis ni reçû à faire cession de biens, mais aussi aux dommages & intérêts envers elle, & elle n'est point tenuë à la restitution des bagues qui lui avoient été données. Mais lors qu'elle a sçû, avant que de l'épouser, qu'il étoit impuissant, elle peut bien faire casser son mariage, ou plûtôt faire dire qu'il n'y en a point, mais elle ne peut pas intenter l'action d'injure ou de dommages & intérêts, parce que volenti non facta fuit injuria. Elle mérite qu'on lui fasse ce reproche d'Horace[276] Prudens emisti vitiosum, dicta tibi est lex, insequeris tamen hunc & lite moraris iniqua. C'est là la Jurisprudence universelle de tous les Païs. Mais pour répondre solidement & d'une maniére qui soit sans replique à cette Objection, je ne puis faire rien de mieux que de me servir des termes du Docte Cypræus, tels qu'ils sont contenus dans les Articles 41. & 42. du Paragraphe treiziéme du chapitre neuviéme de son excellent Ouvrage, de Jure connubiorum: en détruisant l'Objection ils finiront aussi très dignement ce chapitre & cet Ouvrage.[277]«Quæritur si mulier spadoni vel Eunucho fidem dederit, non ignara eum hoc vitio affectum, vel post sponsalia resciverit, eum virum non esse, & nihilominus nuptias consummare cupiat, id ei concedendum fit? Et si quidem constiterit eum ad commixtionem conjugalem inhabilem esse, nuptiis illi inter dicendum & sponsalia dissolvenda existimaverim. 1. Quod lege Divina spadones prohibeantur mariti fieri. Deuteronom. 13. Itaque nec illis mulieres nubere possunt. 2. Quod & Imperatorum constitutionibus id vetitum est. 3. Quod ejusmodi conjugium Benedictionis non sit capax. 4. Quod nulla istarum causarum propter quas conjugium à Deo institutum est, hic locum habeat. 5. Propter periculum, ne mulier alibi amori operam dare incipiat, (ut est natura hominum proclivis ad libidinem) & conjugio, cujus usum nullum habere potest, pro velamento turpitudinis utatur. Nec ad rem facit quod mulier sciens volens nuptias illas cupiat; Nam in re tanti momenti Magistratus est partibus consulere qui suis commodis consulere non possunt, cùm perire volens audiendus non sit. Nam verendum est, ut dixi, ne mulier ejus pertæsa conjunctionis alium portum quærat quo se se recipiat, ut Theognidis verbis utar. Quibus incommodis Magisstratum mederi oportet, usque adeò ut etsi de viri vitio aut morbo non quæratur uxor, nihilominus hisce nuptiis intercedere debeat.»
Sed quid si mulier sciens volens spadoni nupserit, & matrimonium consommatum sit? Resp. sibi Imputare debet quæ ei quem scit virum non esse, nupserit. Interim tamen matrimonium ἁγαμος γἁμος, id est pro nullo habendum est, ut quod contra leges inter eas personas coiërit, quæ matrimonio jungi non possunt. Quâ de Causâ etiamsi cum facti non pœniteat, nihilominus à Viro discedere debere, & si nolit, segregandam esse existimaverim. Neque enim mulier prava & legibus prohibita suâ conniventia recta efficere potest. Et Conjugium confirmatur officio carnali, Verum antequàm confirmetur, impossibilitas officii solvis vinculum conjugii. 33. Quæst. 1. cap. 1. Verba Augustini. Quamvis contra sentiat Papa Alexander, vel ut alii volunt, Lucius, cap. requisivisti, 33. Quæstione prima, qui vult eas quæ pro uxore haberi non possunt, pro sororibus habendas; quod vix est ut defendi possit, idque propter illas, quas commemoravimus causas.
FIN.
NOTES:
[1] Comme l'illustre Mr. Bayle étoit encore en vie quand cette Dédicace a été faite, on n'a pas trouvé qu'il fut nécessaire d'y rien changer, quoi qu'il soit mort depuis.
[2] Mr. de Montpinslon.
[3] Histoire des Ouvrages des Savans. Mois de Janvier, Février & Mars 1706. pag. 84. & suiv.
[4] Nouv. de la Répub. des Lett. Janv. 1704 p. 117.
[5] Nouvelles de la République des Lettres tom. 1. Mois d'Avril 1684. pag. 117.
[6] Patiniana pag. 25.
[7] Capitul. 9. tit. 19 de procuratoribus lib. 1. sexti Decretal.
[8] Imperat. Leonis constitut. 26. in princip.
[9] Novel. 21. tit. 1. de Nuptiis. In præfat.
[10] L. 197. de divers. regul. Jur.
[11] Liv. 14. ch. 6.
[12] In Eutrop. lib. 1. V. 339.
[13] Christophori Helvici Theatrum Historicum pag. 5.
[14] St. Remuald. Thresor Chronol. & Histor. fol. tom. 1. pag. 79.
[15] Valere Maxime liv. 9, ch. 3. art. 13.
[16] Lucien dans son dialogue Intitulé le menteur ou l'Incredule.
[17] Etymologicon Linguæ Latinæ.
[18] Genese Ch. 37. V. 36.
[19] Joseph. Antiq. Judaic. liv. X. ch. 16.
[20] St. August de civit. Dei. tom. 1. pag. 603.
[21] L. 2. §. 1. ff. de Adoptionibus.
[22] Lettre 117. dans la traduction que Mr. l'Abbé de Bellegarde a faite des Epitres de S. Basile.
[23] Lib. 16. cap. 7.
[24] Lib. 16. cap. 7.
[25] Controvers. 33. lib. 5.
[26] St. Matth. ch. 19. V. 12.
[27] L. 147. de div. reg. Jur.
[28] L. 121. ff. de verbor. significat.
[29] Liv. 6. ch. 5. & sur tout. liv. 10. ch. 1.
[30] Liv. 2. Eleg. 2.
[31] Voy. Plin. liv. 13. ch. 4.
[32] Plutarq. In Alexandr.
[33] Liv. 7. ch. 2.
[34] Satyr. 10. V. 306. 307.
[35] Liv. 6. ch. 10.
[36] Voy. Crinitus de honnesta disciplina liv. 9. S. Romuald fol. tom. 2. pag. 185.
[37] Luithprand. Ticinensis. liv. 4. de rebus per Europam gestis. cap. 4. Meibomius. Rerum Germanicar. tom. 1. c. 47. pag. 247. Camerar. Meditat. Historic. tom. 1. lib. 5. cap. 19.
[38] Act. 1. Scen. 2.
[39] Liv. 6. ch. 1. art. 13.
[40] Liv. 2. Epigr. 60.
[41] Voyez cette Histoire dans le Diction. Histor. & Crit. de Mr. Bayle. Les Articles Abelard, Heloïse, Foulques & Paraclet.
[42] Ch. 31. V. 21, 22.
[43] Herodote liv. 8.
[44] Instit. lib. 4. tit. 4. de Injuriis. § 7.
[45] Novell. 42. ch. 1.
[46] Amor. lib. 2. Eleg. 3. V. 3. & 4.
[47] Novell. 60.
[48] Apol. 2. pag. 71. adressée à l'Empereur Antonin.
[49] Epistol. 5. 6. ad Pammachium de Erroribus Origini.
[50] Dupin nouvelle Bibliothéque des Auteurs Ecclésiastiques tom 1. pag. 121. &c. tiré d'Eusebe liv. 6. ch. 2. §. 19. traduction Françoise, les chapitres de laquelle ne se rapportent point à l'Edition Gréque ni Latine.
[51] S. Romuald. tom. 2. pag. 185. du tresor Hist. & Chronol. in fol.
[52] Eusebe parle de cette sédition, mais il n'en dit pas la cause, liv. 6. ch. 41. &c.
[53] Voyez la Vie de Tertullien & d'Origéne, par Mr. de la Motte ch. 5. sur la fin.
[54] Dupin ibid. ubi supra. Et Eusebe ibid. ch. 19.
[55] Liv. 5. ch. 21.
[56] l. 4. §. 2. ff. ad legem Corneliam de sicariis et Veneficiis.
[57] Voyez Diction. Hist. & Crit. de Mr. Bayle tom. 1. pag. 955. & suiv.
[58] Essais liv. 2. ch. 29.
[59] Centuries 1. ch. C. de separatione ex causa luis Veneraæ.
[60] Abreg. Chronol. tom. 2. pag. 639.
[61] Voyez Hippocrat. lib. Aphorism. 28. & 29.
[62] Plin. lib. II. cap. 37.
[63] lib. 23.
[64] Tom. 17. lib. 3. tit. defectus testium vel naturâ, vel casu Eunuchi, spadones, castrati. Et tit. Hermaphroditorum & sacrorum ridiculorum.
[65] Joseph. Antiquit. Judaïq. liv. 18. ch. 2. idem de la guerre des Juifs liv. 2. ch. 7.
[66] Ευνουχισαν.
[67] Liv. 1. tom. 1. Heres. 15. 16.
[68] Mr. Dodwel, dans les additions aux Oeuvres Posthumes & Chronologiques de Pearson; dans sa digression sur le ch. 6. à l'occasion de le prétenduë Domitille, Vierge & Martyre.
[69] Plaut. in Aulular. Act. 2. Scen. 2. V. 72. 73.
[70] Mezerai Histoire de France avant Clovis in 12 pag. 160.
[71] Liv. 8. chap. 41.
[72] Liv. 1. ch. 12.
[73] Elog. 5. des Empereurs. Elog. 9. des Impératrices.
[74] Dior. Cassius, in Neron. Art. 28.
[75] Ch. 1. V. 10.
[76] Ibid. ch. 2.
[77] Judith ch. 12.
[78] Act. ch. 8. V. 26.
[79] Jérémie ch. 52. V. 25.
[80] Plat. de leg. lib. 3.
[81] Grégoire de Nazianze Oraison 23.
[82] Athanas. ad solitar. pag. 384.
[83] Amm. Marcell. liv. 18.
[84] Ibid. liv. 15.
[85] Ibid. l. 8. ch. 15.
[86] Julian. Imperat. ad Atheniens. pag. 501.
[87] Athan. ad solitar. pag. 834. 835.
[88] S. Athanas ad solitar. pag. 852 & Herman Vie de S. Athanase liv. 7. ch. 10.
[89] Gregor. Nazianz. orat. 31.
[90] Liv. 7. ch. 10.
[91] Liv. 9. tit. 1. l. 4.
[92] Eusebe Hist. Eccles. liv. 10 ch. 8.
[93] Ælius Lampridius.
[94] Quint. Curt. lib. 10. cap. 1.
[95] Ælius Lampridius in sever.
[96] Cod. Theod. liv. 10, tit. 10, liv. 34.
[97] Liv. 5. pag. 800.
[98] Lucian. Macrob.
[99] Voyez Nouvelles de la République des Lettres Janvier 1686, art. 10. tom. 5. pag. 87.
[100] Liv. 17.
[101] Esaïe ch. 56. V. 3. Osée ch. 9. V. 16. Luc ch. 13. V. 7.
[102] Claud. in Eutrop. lib. 1.
[103] Socrate Hist. Eccles. liv. 6. ch. 5.
[104] Sozomene liv. 8. ch. 7.
[105] In pseud. & in Eunuch.
[106] Liv. 3. ch. dernier.
[107] Martial. liv. 6. Epigram. 2.
[108] Liv. 9. Epigram. 7.
[109] Sueton. invit. Domitian ch. 7. art. 4.
[110] Tit. 8. liv. 48. ff.
[111] tit. 8. liv. 48. ff.
[112] l. 3. §. 4. tit. Eod.
[113] liv. 26. §. 28. tit. 2. l. 9. ad legem Aquiliam.
[114] liv. 4. tit. 42. l. 1.
[115] Authent. coll. 9. tit. 24. Nouv. 142.
[116] Leo. Constitut. 60.
[117] Vid. qui testament. facere poss. l. 5.
[118] l. 6 ff. de liberis & posthum. hæred. instituendis vel exhæredandis.
[119] l. 6. ff. de Jure patronatus.
[120] §. sed & illud. In insitut. lib. 1. tit. II. de Adoph.
[121] Ibid. ff. 4.
[122] d. ff. fœminæ Institut de adopt.
[123] L. 6 ff. de liber. & posth. hæred. Instituendis vel exhæredandis L. 29. §. penult. de in officios. Testam.
[124] Schneidevin. sur les Instituts. liv. 1. tit. 25. §. 7.
[125] Institut. de hæred. qualit. & differ. l. 4.
[126] L. I. §. 11.
[127] L. 20. §. 7. ff. qui Testamenta facere possunt.
[128] L. I. cod. quand Mulier. Tutor. off. lung. pot.
[129] L. 4. liv. 49. tit. 16. de Re militati.
[130] Plaut. in Curcull.
[131] L. 20, §. 7. ff. qui testam. facer. poss.
[132] Institut. orator. lib. 5, cap. 12.
[133] L. 4. ff. ad leg. Cornel. de siccar.
[134] Liv. 7. ch. 7. exempl. 6.
[135] Juven. Satyr. 11. Aristote lib. 7. cap. 5. Histor. Animal. Æsop. in Apol. Ælian. lib. 6. cap. 33. Plin. lib. 37. cap. 6.
[136] Voyages de la Hontan dans l'Amérique Septentrionale tom. 1. lett. 16. pag. 181. &c.
[137] Ibid. 185. 186.
[138] Lib. 32. cap. 3.
[139] Voyez Mémoires pour l'histoire des Sciences & des beaux Arts, mois de Mai 1704. article 10. page 301. &c. tom. 7.
[140] Levitiq. ch. 22, V. 24.
[141] Deuteron. ch. V. 1.
[142] Matth. ch. 19 V. 12.
[143] Distinct. 55. c. 1.
[144] Ibid. c. 10.
[145] Ibid. c. 5.
[146] L. si verò 5. §. II. lib. 9. ff. tit. 3. de his qui effuderint, vel dejecerint.
[147] De Bell. Alexand.
[148] Cheviæana tom. I. pag. 200.
[149] Voyez les Nouvelles de la République des Lettres par Mr. Bayle tom. 4. pag. 948.
[150] Ibid. tom. 7. pag. 1466.
[151] Institut. lib. 1. tit. 9. §. 1.
[152] Decret. 2. pars. causa 35. quæst. 1. & 2.
[153] In Eutrop. lib. 1.
[154] Cap. tunc salvabitur 33. Quæst. 5. & ibid. Gloss. fin.
[155] 1. Timoth. ch. 5. V. 14.
[156] Jérém. ch. 29. V. 6.
[157] L. 220. ff. deverbor. signif. §. 3. in fin.
[158] Chap. 20. V. 35. & 36.
[159] Aul. Gel. lib. 18. cap. 6.
[160] Cap. extr. de convers. infidel.
[161] Nouvel. 73. in princip.
[162] L. Eleganter 24. §. qui reprobos. ff. de pignor. act.
[163] Sext. decretal. lib. 4. tit. 2. capitul. unic.
[164] L. 14. ff. de sponsal.
[165] L. vehenda 10. §. 1. ff. ad leg. Rhod. de Jactu.
[166] Voyez S. Jerôme Epitr. 2. tom. 1. p. 11.
[167] 1. Liv. des Rois ch. 1.
[168] L. ea quæ commendandi causa ff. §. ult. de contrala. empt.
[169] Part. 1. lib. 5. disput. 12. §. 10. num. 351.
[170] Lib. 5. tit. 17. l. 50.
[171] Lib. 23. tit. 3 de Juro dotium l. 39. §. 1.
[172] Voyez le Tresor ou la Biblioth. du Droit Franç. par Mre. Laurent Bouchet tom. 2. pag. 691.
[173] Tit. de Nuptiis §. 12.
[174] L. 30. ff. quando dies leg. vel fideic. cedat.
[175] Vid. Pruckneri manuale mille quæstionum illustrium Theolog. Centur. 8. Quæst. 43.
[176] Voyez le Tresor, ou la Biblioth. du Droit François par Mre Laurent Bouchel tom. 2. pag. 689.
[177] Capitul. 10. Decretal. Gregor. lib. 4. tit. 2.
[178] Decret. 2. pars caus. 37. quæst. 2. c. 17.
[179] Ibid. c. 30.
[180] Ibid. c. 37., &c.
[181] Voy. Schneidewin. in institut. lib. 1. Tit. 10. pars 4.
[182] De divortio. num. 22.
[183] On peut voir sur ce sujet les ch. 62. & 64. de la 2. Centurie des Arrêts de Mr. le Prêtre.
[184] Collat. 4. Novell. 22. tit. de causis solutionis cum pœna.
[185] In Eutrop. lib. 1.
[186] Terence Eunuch. Act. 2. Scen. 3.
[187] Epigr. 52. lib. 10.
[188] Epigram. 42. lib 12.
[189] Carmen Nuptiale lib. 1. m. 63.
[190] Ovid. Amor. lib. 3. Eleg. 7.
[191] Audoënus Epigramm. 55.
[192] Ibid. Epigram. 275.
[193] Juven. Satyr. 6. V. 513.
[194] Ovid. ubi suprà.
[195] Liv. 21. tit. 1. de æditit. Ædicto. l. 7.
[196] Horat. Sermon. lib. I. Satyr. I.
[197] Ch. 30. V. 21.
[198] Mr. Ocluen Capitaine de Cavalerie, & l'un des Membres de la Société Royale de Berlin.
[199] Voyez Livre sans nom pag. 33.
[200] Lib. 5. Epigr. 42.
[201] Ovid. de arte Amandi. lib. 1.
[202] Ibid.
[203] Plat. lib. 10. de legib.
[204] In Galb. cap. 3.
[205] Thuan. Histor. lib. 52.
[206] Tacit. Annal. lib. 4 cap. 53.
[207] Plin. Epist. 18. lib. 8.
[208] Voyez Valesiana pag. 57.
[209] Diction. Histor. & Crit. 2. Edit. tom. 1. pag. 355.
[210] Bouchet Annales d'Aquitaine fol. 143. versò. Dans Bayle Réponse aux questions d'un Prov. tom. 1. pag. 423.
[211] Voyez l'Histoire des Ouvrages des Sçavans, mois de Septembre 1687. pag. 109. & 110.
[212] Saty. 2.
[213] Hist. des Ouvr. des Sçav. mois de Juillet 1696. pag. 506.
[214] Sext. Decretal. lib. 4. tit. 1.
[215] L. 60. ff.; P2: ff lib. 23. tit. 2. de ritu nupt. §. 5.
[216] §. si advertus Institut. de Nuptiis.
[217] Sueton. in August. cap. 44.
[218] Liv. 5. Epigram. 42.
[219] Pag. 513.
[220] Liv. 6. ch. 2.
[221] Voyez aussi l'Histoire des Ouvrages des Sçavans mois de Septembre 1690. art. 1. tom. 7. pag. 10. & suiv.
[222] §. 28. pag. 20.
[223] §. 235. pag. 358.
[224] L. si dotem. 22. §. si maritus. 7. ff. solut. Matrimon.
[225] Can. quod autem.
[226] Tom. 2. Jenens. German. fol. 156. 6.
[227] Lib. 2. tit. 1. de Matrimon. & Nupt. definit. 16. & Tit. 11. definit. 200.
[228] Hist. des Ouvrages des Sçavans, mois de Février 1706. art. 7. pag. 89. & suiv.
[229] Ibid. mois de Décembre 1691. art. 3. pag. 175.
[230] Lib. 5. Tit. 8. Cod. si nuptiæ ex rescripto petantur l. 2.
[231] Hist. des Ouv. des Sçav. mois de Novembr. 1687. pag. 321. Ibid mois de Mai 1688. art. 4. pag. 35. Ibid. mois de Juillet 1688. art. 10. Ibid mois de Septembre 1688. pag. 38. Ibid. Octobre 1688. art. 13. Ibid. Janvier 1689. pag. 473. Ibid. Février 1689. art. 4. Ibid. Mars 1689. art. 1. pag. 13. 16. Ibid. Février 1692. pag. 280. Ibid. Août 1692. pag. 540. Ibid. Avril 1695. art. 5.
[232] Mois de Février 1706. art. 7. pag. 89.
[233] Voyez la Déclaration du Roi de Prusse sur ce sujet du 7. Decembre 1689.
[234] Chap. 9. §. 2. num. 13.
[235] B: Voyez les Oeuvres de Mr. le Vayer Homelie Académique, Homel. 2.
[236] Impress. Londini in 4. ann. 1640. pag. 40. 41.
[237] Voëtii Polit. Ecclesies pars prima lib. 3. Tractat. 1. de matrimonio lectio 2. cap. 1. quæst. 3.
[238] Voyez de l'usage & de l'autorité du Droit Civil dans les Etats des Princes Chrétiens traduit du Latin d'Arthurus Duck Iuriscons. Angl. liv. 2. pag. 234.
[239] Lib. 5.
[240] Terent. Eunuch. Act. 4. scen. 3.
[241] Iuvenal. Satyr. 6. V. 366.
[242] Cap. 89.
[243] Liv. 6. Epigr. 67.
[244] Lib. I. Epigr. 34.
[245] Ch. 20. V. 2. 3.
[246] Ovid. Metamorph. lib. 9.
[247] Caus. 32. quæst. 4. c. origo. &c. liberorum ergò.
[248] Genes. chap. 6. V. 2.
[249] Genes. ch. 30. V. 1.
[250] Æneid. lib. 4.
[251] Vid. c. penult. & fin. 32. quæst. 7. a. solet quæri. 32. q. 2. c. non enim 32. q. 1. c. tantum. 32. q. 4.
[252] Genes. ch. 30. V. 1.
[253] Tobie ch. 6. V. 16. & suiv.
[254] Novell. 78. cap. 3. Novell. 117. cap. 6.
[255] L. in re mandata cod. mandati.
[256] L. 10. l. 14. de adim. legat.
[257] L. 8. in princip. ff. de pericul. & commot. rei vendit.
[258] Vigneuil Marville tom. 1. pag. 376.
[259] Perroniana pag. 44.
[260] Juven. Satyr. 6. V. 324. 325.
[261] Martial. Epigr. 7. lib. 4.
[262] Lib. 11. Epigr. 82.
[263] L. 30. ff. de divers. Regul. jur.
[264] L. Si pœnam ff. de verbor. obligationib.
[265] Capitul. 5. Decretal. lib. 4. tit. 15. de Frigidis & Maleficiatis.
[266] Metamorphos. lib. 9. V. 465.
[267] Ovid. fast. lib. 5.
[268] St. Romuald. Tresor Hist. & Chronol. in fol. tom. 1. pag. 93.
[269] Ibid. pag. 231.
[270] Genes. ch. 21.
[271] 1. Samuel. ch. 1.
[272] Esaïe. ch. 54. V. 1.
[273] L. 1. §. usque adeò 5. ff. de injuriis & famosis libellis lib. 47. tit. 10.
[274] Sext. decretal. lib. 5. tit. de regul. jur. Regula 25.
[275] Novell. 22. cap. per occasionem. 6.
[276] Lib. 2. Epist. 2. V. 18.
[277] L. 6. de Appellat.