Project Gutenberg's Les douze nouvelles nouvelles, by Arsene Houssaye

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Title: Les douze nouvelles nouvelles

Author: Arsene Houssaye

Release Date: April 7, 2004 [EBook #11928]

Language: French

Character set encoding: ASCII

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES DOUZE NOUVELLES NOUVELLES ***




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ARSENE HOUSSAYE

LES DOUZE NOUVELLES NOUVELLES




[Illustration: 001.png]

I

MADEMOISELLE SALOME.


I

Ils valsaient avec emportement, mais avec abandon, ce qui est la grace
supreme de la valse. Il y avait un peu de l'epervier qui enleve une
colombe. On lui en voulait presque, a lui, de sa rapidite vertigineuse,
mais on voyait bien que la jeune fille se livrait sans peur, enivree par
le tourbillon.

Et quand ce fut fini, elle lui dit, tout en se degageant:

--Avec qui, monsieur, ai-je eu le plaisir de valser dans cette reunion
_selected_?

--Oh! mon Dieu, mademoiselle, un nom ridicule; je ne descends ni des
croises ni de l'Oeil-de-Boeuf. Je m'appelle tout betement M. Arthur
Dupont. Maintenant, si vous etes curieuse de savoir ma profession, je
suis auditeur au Conseil d'Etat, profession tout aussi ridicule que
l'est mon nom.

Un physionomiste qui eut etudie la figure de la jeune fille aurait bien
vu passer un nuage sur l'enjouement passionne de la valseuse. Elle
retombait sur la terre du haut de son envolement amoureux.

Arthur Dupont! porter dans le monde un nom qui n'est pas mondain,
n'est-ce pas y paraitre dans un habit mal fait, avec une cravate mal
mise?

La jeune fille reprit son fauteuil avec un sourire impertinent, se
disant tout bas: "Auditeur au Conseil d'Etat! En effet, il a de grandes
oreilles."

Parti pris, car Arthur Dupont avait de jolies oreilles. C'etait
d'ailleurs ce qu'on peut appeler un joli valseur, qui ne deparait ni le
monde ou l'on s'amuse ni le monde ou l'on s'ennuie; profil a peu pres
correct, front lumineux, yeux vifs, bouche spirituelle.

Sa valseuse etait severe; on peut bien s'appeler Arthur Dupont sans
encourir les foudres de la mode.. C'est que cette valseuse avait ete
elevee par sa mere a jouer les Celimenes, celles qui n'aiment que leurs
robes, leur eventail et leur beaute,--meme quand elles ne sont pas
belles. Il est vrai que celle-ci etait bien jolie: figure parisienne a
donner le vertige a ceux qui n'ont pas couru les filles du demi-monde.
Ce qui surtout couronnait son air impertinent, c'est qu'elle portait un
grand nom, que je masquerai ici par celui de Laure de Montaignac.

Une de ses amies la felicita d'avoir si bien valse avec un si bon
valseur.

--Je ne m'en souviens pas, dit-elle d'un air distrait.

Vint une autre valse. Elle prit un mauvais valseur; elle en faillit
briser son eventail. Aussi Arthur Dupont fut-il le bienvenu quand il
se presenta pour la troisieme valse. Elle s'avoua alors que le nom ne
faisait pas l'homme. Ce fut un si joli spectacle de les voir, elle et
lui, valser en tourbillonnant, que tout le monde applaudit comme si on
eut entendu chanter la Patti et jouer Sarah Bernhardt. Laure s'indigna.

--Me prend-on pour une comedienne? Je valse pour moi et non pour la
galerie.

Ceci se passait a l'ambassade d'Espagne. Le lendemain, autre fete chez
Mme Mackay; nouvelles valses; les oreilles parurent moins grandes, le
nom moins vulgaire, tandis que le valseur parut plus entrainant.

Cela continua toute la semaine, si bien que le bruit se repandit dans le
monde que M. Arthur Dupont epousait Mlle Laure de Montaignac.

--Pourquoi pas? dit Arthur a Laure.

Mais Laure repondit a Arthur:

--Comment voulez-vous que je change mon nom contre le votre? Ah! si vous
etiez tout a coup, par un miracle, un homme d'Etat, un ambassadeur, un
grand poete, un grand peintre....

--Je ne suis, helas! rien de tout cela, dit le valseur avec amertume.

Il aimait follement Laure, il ne se croyait pas a une si grande distance
de l'ideal de la jeune fille.

--Encore, lui dit-elle avec un soupir, si vous aviez une ecurie et un
_four in hands_!

--Qu'a cela ne tienne, s'ecria Arthur en lui saisissant la main. Vous
savez que j'ai quelque fortune; des demain j'aurai une ecurie, coute que
coute. Ou la voulez-vous!

--A Chantilly, pour le plus beau _rally-papers_ d'outre-Manche.


II

Ce qui fut dit fut fait.

Autrefois, les jeunes filles revaient un chateau gothique au bord d'un
lac ou d'un etang, un hotel aux Champs-Elysees, un palais d'ete a
Deauville; aujourd'hui, grace au progres des lumieres, leur reve est une
ecurie.

Les hommes sont bien quelque chose pour elles, mais les chevaux! Elles
n'ont pourtant pas lu M. de Buffon; mais leur journal officiel n'est-il
pas le _Sport_ ou le _Jockey_?

Arthur fit merveille, avec la rapidite d'une locomotive a toute vapeur.
Le lendemain, il avait achete au plus celebre sportsman les plus
illustres chevaux. La moitie de sa fortune y passa, mais il pouvait
dire, non pas comme le sultan: "J'ai dans mon serail Fatma, Java, Lama,
Diva, Diana: toutes les sultanes en _a_, mais: J'ai dans mon ecurie
Labrador, Spectator, Gladiator, Chancellor: tous les chevaux en _or_."

Huit jours apres, _Spectator_ gagnait un prix aux courses du printemps;
le nom d'Arthur Dupont etait desormais un nom historique dans l'empire
des turfistes et des hautes mondaines. Seulement, c'etait toujours
Arthur Dupont! Laure, tout en le felicitant, lui dit avec une pointe de
raillerie qui le perca au coeur:

--Pourquoi n'etes-vous pas comte, comme M. de Lagrange? _To be or not to
be!_

--Qu'a cela ne tienne, murmura le triomphateur des courses, je vais
demander cela au pape; c'est une petite affaire de cent mille; mes
chevaux payeront mon titre.

Arthur ne s'etait pas trompe de chiffre. Il fut, de par la cour de Rome,
comte romain, ce qui est tout aussi bon que d'etre comte francais, quand
on n'a rien fait pour cela.

Ce jour-la, Arthur demanda solennellement la main de tres haute et tres
puissante damoiselle Laure de Montaignac.

Il se croyait deja a la tete de la plus jolie femme de Paris. Ah
bien oui! la veille, il y avait eu des courses; un autre sportsman
triomphait; celui-la etait marquis, celui-la descendait de
l'Oeil-de-Boeuf....

Si bien que, le dimanche suivant, le cure de Sainte-Clotilde annonca
au prone qu'il y avait promesse de mariage entre M. le marquis de
N'importe-quoi et Mlle Laure de Montaignac.


III

Un coup d'eventail avait ruine Arthur.

Dans l'enivrement de son coeur, il avait tout sacrifie a cette belle
impertinente. Il ne put se consoler dans cette ecurie qui devait etre
leur chaumiere et leur palais.

Le jeudi, il y eut encore des courses; Arthur fut battu.

Il voyait tomber a la fois ses illusions d'amoureux et de sportsman. Il
avait reve la grande vie: il lui fallait donc tomber dans la vie des
decaves? Sa noblesse de coeur se revolta. A quoi lui servirait son
brevet de comte romain, a lui qui ne pourrait plus faire figure dans le
monde?

Deja on lui avait dit: "C'est un brevet d'invention."

Quand il fut rentre dans son ecurie, un peu abandonne de ses amis,
parieurs desabuses, et maudit par les bookmakers qui avaient eu foi en
lui, il s'arma d'un revolver pour casser la tete au cheval qui l'avait
trahi.

Mais le cheval penchait vers lui sa noble tete, comme pour appeler ses
caresses....

Il l'embrassa; et, retournant vers lui le revolver deja braque sur la
bete, il se cassa la tete a lui-meme.

Il survecut quelques instants, tout juste assez pour dire a un de ses
amis:

--Si tu m'aimes bien, coupe ma tete et porte-la sur un plat d'argent
a cette Celimene d'ecurie, a cette Salome, plus cruelle que la fille
d'Herodiade.


IV

Il expira sur ces mots. Ce fut un vrai chagrin parmi ses amis, car
c'etait un des plus braves coeurs de la nouvelle generation: toujours
gai, spirituel avant son malheur, c'est-a-dire avant sa passion,--avant
son ecurie.

L'ami d'Arthur connaissait Mlle de Montaignac; il etait si indigne du
jeu qu'elle avait joue, il etait si desole de ce tragique denouement,
qu'il n'hesita pas a aller chez la grande coquette des sportsmen, non
pas avec la tete de son ami sur un plat d'argent; mais avec toutes les
coleres comprimees d'un galant homme. On fit quelques facons pour le
recevoir.

Enfin, malgre les preparatifs de la noce, il penetra dans le petit
salon, presque dans le cabinet de toilette de Mlle de Montaignac. Aux
premieres paroles, elle se laissa tomber sur un fauteuil comme une femme
qui s'evanouit; mais elle se remit, bientot.

--Votre ami, dit-elle en le prenant de haut, etait un fou que j'ai voulu
sauver de son neant. Il voulait jouer a la haute vie et n'y entendait
rien du tout.

--Pardon, mademoiselle, qu'est-ce que la haute vie?

--Vous le savez bien: c'est la mienne, c'est la votre. _C'est le High
life_.

--Ah! oui, je comprends, c'est celle qui commence sur un break, qui se
continue au pesage, qui s'epanouit au depart et a l'arrivee, qui enfin
fait un tour de valse eperdue pour bien finir sa journee. J'oubliais:
il y a aussi l'Opera et le sermon comme hors-d'oeuvre. Eh bien!
mademoiselle, je suis revenu de cette vie-la, et ce n'est pas ma faute
si mon pauvre ami s'y est jete la tete la premiere, parce qu'il vous
aimait.

--Il m'aimait! Voila un mot hors de saison. Il m'aimait! mais tout le
monde m'aime; je ne peux pas epouser tout le monde. D'ailleurs, vous
savez bien qu'on n'aime plus.

--Ah! oui, vous voulez dire que c'etait bon au temps de l'age d'or; mais
aujourd'hui que nous sommes sous l'age de l'or....

Mlle de Montaignac eut un mouvement de depit, car elle epousait des
millions.

--Enfin, monsieur, votre ami a fait une betise! S'il lui faut une larme,
je la lui donnerai; mais, de grace, brisons la.

Elle s'etait levee; l'ami d'Arthur se leva.

--Je comprends, mademoiselle, il y a des courses aujourd'hui. Seulement,
je dois vous dire encore un mot: mon ami m'a nomme son executeur
testamentaire; voici le premier article de son testament:

"Tu porteras ma tete sur un plat d'argent a Mlle Salome de Montaignac."

Laure fit semblant d'eclater de rire.

--Voila qui est original et inattendu. Et que ferez-vous, monsieur?

La voix de l'ambassadeur siffla comme un serpent.

--Je remplirai mon role d'executeur testamentaire.

Il sortit et salua avec des larmes et des lames dans les yeux.


V

Naturellement, la jolie valseuse d'Arthur ne retarda pas son mariage
d'un jour.

Le surlendemain, Sainte-Clotilde retentit de tous les chants
d'allegresse.

Les vingt duchesses etaient la pour s'amuser du spectacle: les reporters
conterent le menu et effeuillerent, pour la curiosite des curieux toutes
les fleurs d'innocence de la mariee. Mais ce qu'ils ne dirent pas, je
vais le dire:

Pendant la messe, une duchesse demanda a son sigisbee pourquoi Laure
etait si pale et si emue, elle qui n'avait peur de rien. C'est que Mlle
de Montaignac, jetant un rapide regard sur tous ceux qui etaient de la
fete, avait reconnu Arthur Dupont, quoiqu'on l'eut enterre la veille.

C'etait bien lui: cravate blanche, redingote noire, lorgnon dans l'oeil,
sourire sur les levres.

--C'est singulier, dit-elle, quand on a une image dans la tete, on l'a
dans les yeux. Mais, un moment apres, comme son fiance lui presentait
l'anneau nuptial, elle poussa un cri, car elle reconnut dans son fiance
Arthur Dupont.

C'etait lui, toujours lui. Elle se detourna et laissa tomber l'anneau
nuptial qu'il lui avait mis au doigt.--Vision! dit-elle en dominant son
emotion.

En effet, la figure du mort avait disparu sous celle du vivant.

Laure eut une demi-heure de calme; mais, dans la sacristie, quand, tout
le monde vint la feliciter, elle vit passer dans le premier groupe de
ses amis Arthur Dupont, plus enjoue que jamais.--Ah! dit-elle, c'est une
obsession!

Apres la messe, un lunch, avant que les epoux prissent le train de
Venise.

Comment se fit-il qu'au milieu des violettes et des roses-the, sur
un surtout sculpte et cisele par un maitre anonyme, elle vit la tete
d'Arthur Dupont?

Elle detourna les yeux; une seconde fois elle vit ce visage exsangue,
les yeux ouverts. Il semblait qu'il la regardat avec une desolation
railleuse.

Elle ne put s'empecher de dire a son mari:

--Voyez donc!

Mais elle ne vit plus que des roses-the et des violettes.

Le soir, on coucha a Fontainebleau, ou deja les attendaient le valet de
chambre et la femme de chambre.

On avait fait un grand feu dans une chambre a coucher, qui portait le
nom de chambre nuptiale, parce qu'elle a abrite je ne sais combien de
jeunes epousees. Ah! les horribles chambres nuptiales que ces salles
d'auberge que choisissent aujourd'hui les maries de haut parage, ceux-la
qui ont des hotels et des chateaux!

Mlle de Montaignac se resigna a la mode, tout en regrettant son adorable
cabinet de toilette, qui eut empeche Eve d'ecouter le serpent. Elle se
deshabilla lentement, comme une jeune fille qui fait tomber a ses pieds,
une a une, deux par deux, toutes ses illusions.

Laure avait oublie les visions funebres quand, tout a coup, elle
entendit marcher derriere elle. La chambre etait dans le demi-jour; elle
se retourna.

--Ah! s'ecria-t-elle avec terreur.

C'etait Arthur, toujours Arthur; il venait, souriant, une fleur
d'oranger a sa boutonniere.

Laure s'etait jetee de cote, plus morte que vive; mais le mort souriait
toujours.

Il remua les levres, mais il ne parla point.

La mariee, dans l'epouvante, avait mis ses mains sur ses yeux. Quand
elle les rouvrit, elle reconnut que ce n'etait plus Arthur. Son mari lui
prit doucement la main et l'appuya sur son coeur. "Ah! j'ai peur, j'ai
peur, dit-elle."

Les bougies s'eteignirent. La femme de chambre, l'oreille a la porte,
entendit, par intermittences, ces paroles de terreur passionnee: "O mon
ami, aimez-moi toujours, reprenez-moi dans vos bras!"

Mlle de Montaignac ne voulut pas s'appeler Mme Dupont, mais celle de ses
amies qui m'a conte l'histoire m'a dit en riant: "Arthur lui apparait si
souvent la nuit que son premier enfant sera un Dupont!"

[Illustration: 016.png]




JANINA

[Illustration: 019.png]


II

JANINA.


I

La scene se passe au beau milieu du tout-Paris, boulevard Malesherbes,
dans un somptueux appartement.

Madame s'ennuie dans sa chambre a coucher et s'impatiente en voyant la
pendule, qui lui semble marcher a rebours. Elle caresse son beau levrier
et regarde par la fenetre. Mais il ne vient pas!

Heureusement elle entend resonner le timbre. "Oh! qui que tu sois,
j'attends!"

Et, pour commencer, qu'est-ce que Madame? C'est une jolie jeune femme
qui soupire sur trois annees de mariage. Son mari est charmant, quand
il est la,--mais il n'est jamais la!--Pourquoi? puisque sa femme est
charmante. Une douce paleur, legerement bistree sous les yeux; des
levres rouges qui ne sont pas peintes et qui ont faim; la passion les
agite, comme les ailes du nez, qui est d'un millimetre trop court, mais
qui est bien dessine. Les levres, qui ne se touchent pas tout a fait,
permettent de voir, comme dans un ecrin, des dents qui voudraient
mordre. Le menton s'accuse un peu trop; mais quelle adorable volupte
dans les ondulations du cou, sous les vagues rebelles des cheveux noirs!

Si nous etions au bal, nous en verrions bien d'autres; je pourrais
peindre tout a loisir--puisque je le verrais--le sein provocant de
Janina, c'est le nom de la jeune mariee;--je pourrais peindre les
epaules et les bras dans toute la volupte de leur fremissement, brules
par les flammes vives de la valse. Mais, Janina etant chez elle et non
chez les autres, je ne veux pas etre indiscret.

Cependant, le valet de chambre annonce Mme Hamilton, une Americaine
francisee qui court le monde parisien a toute vapeur.

Elle n'a pas une seconde a elle, tant elle est a ses bonnes oeuvres.
Elle se jetterait au feu pour faire le bien, si elle avait le temps. Ses
bonnes oeuvres sont de plus d'une sorte. Curieuse comme Eve, elle veut
etre de tout; prenant sa part des chagrins comme sa part des joies, elle
brouille les amoureux, sauf a les raccommoder. Elle ne permet pas qu'on
fasse rien sans elle. Celle-la n'est pas jolie; voila pourquoi sa vie
est si occupee--pour les autres.

Elle entre chez Janina comme une petite bourrasque.

--Ah! ma chere amie, tu ne sais pas ce qui m'arrive?... Mais que
vois-je?... tu as pleure!... Es-tu folle de ne pas prendre gaiement la
vie, dans une si jolie chambre a coucher!

Cette chambre a coucher etait tendue de peluche bleue, piquee de
broderies Louis XIII. L'ameublement contrastait, puisque c'etait du pur
Louis XVI, en bois laque blanc, filets rose tendre ou bleu de ciel,
dans le ton du plafond legerement azure et seme de nuages touches par
l'aurore.

Mme Hamilton embrassa Janina.

--Comment, mamour, tu t'ennuies ici? Ah! si j'avais comme toi ce beau
lit estrade a baldaquin, cette armoire a trois battants ou tu peux te
voir trois fois dans ses glaces biseautees. Et ce secretaire pour ecrire
de ton style a la Sevigne. Et ce chiffonnier pour cacher tes lettres.
Heureuse femme!

Janina soupira.

--Ah! oui, c'est un paradis. Mais, dans ce beau lit, il manque un homme.
Si je me mire dans ces trois glaces, c'est pour voir mon chagrin. Ce
secretaire ne me sert qu'a ecrire a moi-meme des pages folles que je
cache bien vite dans ce chiffonnier. Mais je n'ai peur de rien, j'ai
pleure toutes mes larmes et je me vengerai....

--Voyons, voyons, ma Janina.... Un million de dot! une figure d'ange! Et
ton mari te trompe; mais n'es-tu pas vengee en pensant qu'il te
trompe avec une drolesse sans orthographe, celle qu'on appelle _la
Faramineuse_.

--Helas! a quoi me sert-il de savoir la grammaire, si ce n'est a
conjuguer le verbe _je souffre_ a tous les temps.

--Ne te desole pas, nous arrangerons cela.

Un silence.

--Que veux-tu que je fasse? J'ai tout tente pour reconquerir Fernand.
Il est affole par cette fille. Ah! quel est donc son secret pour
l'enchainer ainsi?

--L'amour n'a pas de secret; c'est l'amour, voila tout.

--Et quand on pense qu'on a supprime les lettres de cachet! Ah! si
j'etais roi, comme j'enverrais toutes ces coquines a Saint-Lazare.

--Il est vrai qu'il n'y a plus de place!

Encore un silence!

Tout d'un coup, Mme Hamilton bondit sur son fauteuil comme la pythonisse
sur son trepied.

--_Eureka_! pour dire un mot grec en latin.

--Tu as trouve?

--Oui. Dans les naufrages, il faut tout risquer. Puisque c'est ici le
naufrage de ton bonheur, mets les chaloupes a la mer.

--Pourquoi ces metaphores hors de propos?

--C'est que je lis des romans. Ecoute bien. Tu vas aller de ce pas a
l'hotel du Louvre, ou il n'y a jamais de Parisiens, car ce n'est pas
comme au Grand-Hotel. Tu ecriras a la Faramineuse,--on dit qu'elle
s'appelle Caroline Berlin.--Tu la prieras de venir te trouver pour une
affaire qui l'interesse. N'oublie pas de signer ta lettre: princesse
Pacinska, ou Pacinskoff.

--Eh bien! quand j'aurai cette fille sous la main?

--Je sais bien que tu auras envie de la mettre en pieces. Mais il faudra
que tu aies le courage de lui sourire...

A cet instant, le valet de chambre annonca la comtesse d'Oriac, une
femme austere, qui ne riait plus, peut-etre parce qu'elle avait trop ri.
Sur quoi, Mme Hamilton salua et s'eloigna en toute hate.

--Pardonnez-moi, madame, dit Janina a la nouvelle venue, je cours apres
cette folle, car j'ai un mot a lui dire.

La jeune mariee rejoignit Mme Hamilton, qui lui dit en quelques mots ce
qu'elle devait faire a l'hotel du Louvre.

--Tu es toquee, dit Janina en eclatant de rire pour cacher ses larmes.


II

Ce qui n'empecha pas Janina d'aller a l'hotel du Louvre.

C'est la que se passe la seconde scene, dans une de ces chambres bien
numerotees qui font la joie d'une etrangere et qui feraient le desespoir
d'une Parisienne.

Elle avait ecrit a la Faramineuse, par la main de Mme Hamilton.

Il n'y avait pas une heure qu'elle attendait, quand Caroline Bertin, qui
ce jour-la n'avait rien a faire, vint en personne pour repondre a la
lettre d'appel, inquietee d'ailleurs par ce singulier autographe.

Des que la jeune femme entendit frapper, elle noua un double voile. Elle
ouvrit et se mit a contre-jour pour parler a Caroline Bertin.

--Mademoiselle, j'arrive de Russie. Je sais que vous etes a la mode et
je ne m'en etonne point en vous voyant. Vous faites la pluie et le beau
temps dans les regions de la galanterie. Voulez-vous que je vous donne
dix mille francs pour...

--Donnez toujours, princesse, nous verrons apres. C'est que le mari de
Janina n'etait pas si genereux. Il fallait lui arracher les billets de
cinq cents francs. La jeune mariee deploya dix billets de mille francs
comme si elle eut deploye son eventail. La Faramineuse les saisit avec
ivresse.

--Tout ce qu'il vous plaira, madame.

Caroline Bertin s'attendait a recevoir une declaration a bout pourtant.

--Mademoiselle, je sais votre vie intime. Vous avez pour amant le
vicomte de***, qui a ete le mien. Je veux le voir sans l'avertir.
Faites-moi le sacrifice de m'ouvrir pour cette nuit votre chambre a
coucher, ou vous ne serez pas.

--De tout mon coeur, princesse.

--A quelle heure rentre votre amant?

--Il vient toujours a minuit et demi.

--Eh bien! je serai la avant minuit.

Disposez tout pour que la comedie soit bien jouee; je donnerai cinq
cents francs a votre femme de chambre. Naturellement, il n'y aura pas
une bougie allumee; il n'y aura pas meme une bougie dans la chambre a
coucher, car je ne veux pas etre reconnue.

Caroline Bertin etait silencieuse. Elle ne voulait pas rendre les dix
mille francs, mais elle ne voulait pas perdre le vicomte. Enfin, une
idee folle lui passant pas l'esprit, elle parut se resigner.

--Soyez tranquille, princesse. J'ai une petite gueuse de femme de
chambre qui est trop futee pour faire une betise... Donnez-moi toujours
les cinq cents francs... Ca lui donnera du coeur a l'ouvrage.

Naturellement, elle trouvait que ce serait de la folie de donner plus de
cinq louis a une femme de chambre.

Janina, qui deja n'avait pas une haute estime pour la Faramineuse, lui
donne cinq cents francs sous un regard de pitie.

--Donc, a minuit, dit-elle.

Caroline Bertin tendit la main a Janina, qui ne daigna pas comprendre;
la jeune femme voulait bien qu'on lui tendit la main pour recevoir de
l'argent, mais non pour serrer la sienne.

En descendant le grand escalier de l'hotel du Louvre, la courtisane
rencontra le prince Rio.

--D'ou viens-tu, Caroline?

La Faramineuse prit un air mysterieux pour conter l'histoire au prince.

--Voila un mari heureux! s'ecria-t-il en riant.

--Prince, vous avez votre coupe, mettez-moi a ma porte pour causer un
peu.

Que se dirent-ils?

Cependant la pseudo-princesse eclatait en sanglots.

Est-il possible que je vais jouer cette comedie? Oh! non, je ne la
jouerai pas.

Elle s'offensa de toute sa dignite.

--Et pourtant, comme je serais heureuse de dire demain a mon mari:
"Comment avez-vous passe la nuit?"

Affolee par sa passion, la temeraire jeune femme etait capable de tout,
hormis de trahir Fernand. Elle se disait que peut-etre Mme Hamilton
avait raison et qu'il fallait tout risquer pour ne pas tout perdre. Qui
sait s'il ne voudrait pas recommencer toujours cette nuit-la?


III

Jusqu'a onze heures, Janina, comme un roseau au vent, s'inclinait tour a
tour sous la volonte et l'indecision, se disant: "Je n'irai pas," quand
elle etait decidee a tenter l'aventure; se disant: "J'irai," quand elle
avait renonce a tout.

Ce qui la decida, coute que coute, vaille que vaille, c'est que son mari
ne rentra pas pour diner. Il lui ecrivit un mot qui la glaca.

Comme il aspirait a un secretariat d'ambassade, il lui parlait du
ministre.

--Encore un mensonge! dit-elle en jetant la lettre au feu. Le ministre,
c'est sa maitresse; eh bien! je serai son ministre, moi!

La Faramineuse demeurait rue Royale, dans un petit appartement qui
etait une premiere station vers les splendeurs de la vie de courtisane.
Jusque-la elle avait eu plus de dettes que de rentes sur l'Etat. Son
capital se composait de cinquante mille francs de diamants, d'un
mobilier de toutes les paroisses et d'un temperament de soupeuse. Pas
une obole de plus!

Janina fut presque surprise de trouver cet interieur quelque peu
melancolique.

--Comment, murmura-t-elle en entrant, il se plait mieux sur ce fumier
que dans mon nid de dentelles!

Elle jeta ses yeux partout, avec la curiosite d'une grande dame chez une
courtisane. Elle commenca par dechirer une photographie de son mari, a
la glace de la cheminee. Presque aussitot, en feuilletant un roman de
cuisiniere, elle trouva comme signet une autre photographie. On pourrait
croire que c'etait celle de M. Alphonse, placee a la bonne page. Pas
du tout. C'etait le portrait d'un prince Rio, qui aime toutes les
compagnies--meme les mauvaises.

La Faramineuse se servait de cette photographie en guise de
coupe-papier.

Janina reconnut le prince. Elle le rencontrait dans le monde. Elle
constata une fois de plus qu'il ressemblait a son mari.

Cependant, l'heure allait sonner. La jeune femme, de plus en plus pale,
entendait battre son coeur. Il lui semblait qu'elle allait mourir. Elle
tomba agenouillee et demanda pardon a Dieu.

Quand elle se releva, le hasard la mit en presence d'une bouteille
de fine champagne. Pour se donner du courage, elle fit comme ces
comediennes qui ont peur a leur entree en scene: elle but a pleine
volee.

Je ne sais si le courage lui vint plus tard, mais la fine champagne ne
l'empecha pas de s'ecrier:

--Quoi! c'est moi, moi Janina de R., qui vais me mettre dans ce lit!

Elle avait reconnu, d'ailleurs, que la Faramineuse lui avait donne luxe
du beau linge. Caroline Bertin, en la quittant, avait achete au Louvre
une magnifique paire de draps brodes au plumetis avec une couronne de
princesse.

Ce n'etait pas une vaine depense: cela lui servirait pour les grands
jours. Mais au moins la princesse en aurait la virginite!

A peine deshabillee, Janina s'ecria: "Jamais!" Un peu plus, elle
remettait sa robe.

Mais elle entendit du bruit. Il fallait franchir le Rubicon.

Elle eteignit les deux bougies du candelabre, elle les jeta dans la
cheminee et se nicha dans le lit, ou elle fit semblant de dormir.

La Faramineuse lui avait dit que son amant la surprenait toujours
endormie.

La porte s'ouvrit.

--Lui! murmura Janina. O mon Dieu, faites-nous mourir tous les deux.

A ce moment, la femme de chambre repetait encore au nouveau venu sa
lecon--bien apprise.


IV

Ici, les documents font absolument defaut a l'historien. Ce qu'il sait
bien, c'est ceci:

Le lendemain, bien avant l'aurore. Janina s'envola comme un oiseau qui
ne bat que d'une aile; ou plutot, pour parler en prose, elle s'habilla
en toute hate vers quatre heures du matin, l'heure ou elle savait que
son mari s'echappait des bras de la Faramineuse. Sa longue pelisse
cachait sa tete comme son corps, mais elle ne se trouvait pas encore
assez cachee pour sortir de chez une fille et pour rentrer chez une
honnete femme!

Rentra-t-elle chez une honnete femme?

Fut-elle vraiment bien surprise quand sa fille de chambre lui dit, tout
ebahie de la voir rentrer si tard sans etre en toilette de bal:

_--Madame sait-elle que Monsieur est revenu de tres bonne heure avec une
fievre de cheval?_

Fut-ce pour Janina le _Mane, Thecel, Phares_ venant la surprendre dans
l'enivrement de son triomphe,--ou de sa defaite? Savait-elle, a ce
moment, que le beau prince entrevu en photographie dans le vulgaire
roman que lisait la Faramineuse avait pris--nouveau Jupiter--les plumes
et le nid d'Amphitryon?

Je ne sais par quelle indiscretion l'histoire courut vaguement, sans
toutefois qu'on arrachat les masques. Ce qui est certain, c'est qu'une
amie de la Faramineuse lui dit un jour: "On pretend que tu as touche dix
mille francs pour rapatrier une femme avec son mari.

--Ma chere amie, j'ai touche quinze mille francs: dix mille francs de la
dame, et cinq mille francs du prince.

--C'etait donc un prince?" La Faramineuse se mordit les levres.

Ste Therese a dit: "Nous avons dans le coeur la source des larmes qui
lavent nos peches." Janina qui avait tant pleure, pleura encore.

Son mari ne retourna pas chez la Faramineuse.--Ni elle non plus.




LE

HUITIEME PECHE CAPITAL

[Illustration: 037.png]


III

LE HUITIEME PECHE CAPITAL


I

C'etait la plus invraisemblable des extravagantes heraldiques.

Il l'aimait jusqu'au ciel: Il l'aimait jusqu'aux abimes. C'etait l'ame
de son ame, la chair de sa chair, la vie de sa vie.

Des qu'elle n'etait plus sous sa main ou sous ses yeux, tout s'arretait
en lui, le mouvement de l'idee et le battement du coeur. Il se croyait
dans un Sahara sans oasis, il ne respirait plus que du feu. Et pourquoi
l'aimait-il?

Elle n'etait ni belle ni jolie; pas meme la beaute du diable; mais elle
avait du diable--je ne sais quoi de la perversite des filles d'Eve qui
donne le vertige a ceux que l'amour affole. Et puis elle avait des
yeux! Ces yeux pers, profonds comme la mer, entrainants comme la vague,
eclatants comme la tempete. Et puis, elle avait des levres rouges, des
framboises parfumees qui riaient sur ses dents aigues. Et puis, elle
avait un sein provocant, qui donnait a sa desinvolture je ne sais quoi
de batailleur et de va-de-l'avant.

Quand il voyait ce sein, il tombait agenouille et demandait a Angele la
grace d'y cueillir des fraises, expression que j'abandonne aux lettres
de l'avenir.

Si toutes celles qui ne sont ni belles ni jolies n'etaient pas aimees,
ce serait un desastre sur la terre, qui ne vit que par l'amour.

Mais de qui parlons-nous?

J'oubliais. Nous parlons de monsieur et de madame Falbert, deux jeunes
maries qui filent les derniers jours de leur lune de miel.

Je ne dresserai pas l'arbre genealogique des Falbert, non plus que celui
des Aymar, quoique tout le monde descende d'Adam et Eve, c'est-a-dire
que les hommes sont toujours plus ou moins trompes par les femmes. Voila
la vraie noblesse hereditaire, puisque c'est la noblesse des passions.

Leonce Falbert, licencie en droit, s'etait marie a la veille de
plaider sa premiere cause. S'il s'etait marie, ce n'etait pas dans
la preoccupation d'avoir beaucoup d'enfants, mais parce qu'il avait
rencontre dans une petite fete mondaine Mlle d'Aymar, qui prenait tous
les coeurs au cotillon. Il n'y fit pas trop le chevalier de la triste
figure. Il soupa a cote d'elle, il la cajola par toutes les caresses
de la causerie et des oeillades, si bien que Mme Agnes dit a sa fille,
quelques jours apres:

--Sais-tu pourquoi tu es distraite? C'est parce que tu penses a M.
Leonce Falbert.

--Pas du tout, maman.

--Alors, s'il demandait ta main, tu lui dirais de repasser?

--Non, je lui dirais oui;

--Et pourquoi epouserais-tu plutot qu'un autre M. Leonce Falbert?

--Par curiosite.

--Ah! je te reconnais bien la; tout ce que tu fais et tout ce que tu
feras, curiosite, curiosite, curiosite!

--Mais, maman, un roman que j'ai lu malgre toi m'a dit l'autre jour
qu'il fallait lire toutes les pages du livre de la vie.

--Ce roman, ma chere Angele, ne parle pas comme un livre, mais comme un
roman; car il est dit aussi que, si la vie n'etait pas un mauvais livre,
on ne s'y amuserait pas. J'espere que tu ne prends pas au serieux toutes
ces betises-la?

Mlle Angele ne repondit pas, mais elle pensa que, si sa mere pensait
ainsi, c'est qu'elle etait revenue de ces "betises-la".

Si Mme d'Aymar avait parle a sa fille de Leonce Falbert, c'est que le
matin meme une amie etait venue lui confier les esperances du futur
avocat.

--Futur avocat! s'ecrie la mere; ma fille reve de tous les palais,
excepte du Palais de Justice.

--Rassurez-vous, ma chere amie, M. Leonce Falbert n'est pas si bete que
de se planter devant un mur mitoyen; il sera avocat stagiaire, mais
ce sera le stage de la politique. Son pere, qui est membre du conseil
general de son pays, le fera passer depute aux prochaines elections
legislatives.

--Quelle est son opinion?

--Il n'en a pas.

--Alors, je lui donne ma fille.

Vraie mere de famille! Elle comprenait qu'un homme politique qui n'a pas
d'opinion doit arriver a tout, quel que soit le gouvernement. Outre que
M. Leonce Falbert n'avait pas d'opinion, son pere lui donnait vingt-cinq
mille livres de rente. Mme d'Aymar en donnait a peu pres autant a sa
fille, si bien que les jeunes maries pourraient faire bonne figure dans
le monde du palais et de la politique.

Le mariage se fit a trois semaines de la. On se demanda comment Leonce,
avec une si belle tete, avait pu s'amouracher d'un petit chafouin comme
Angele; car elle eut beau balayer arrogamment l'eglise d'une belle
traine de dentelle, nul ne dit au passage: _La mariee est jolie_. Seuls,
les charnels, les lascifs, les libertins louerent la coupe de son sein.
"Cette belle coupe renversee," disent les poetes. Les poetes disent
encore: "Un sein abondant." La, il eut fallu dire surabondant. Aussi les
meres des filles anemiques disaient-elles tout haut: "C'est scandaleux;
je ne permettrais pas a ma fille de pareilles avant-scenes."


II

Cependant le marie entraina la mariee, pour la nuit des noces, dans une
villa de son departement, qui avait recu les plus beaux decors pour
cette premiere representation.

Angele n'eut pas besoin que les matrones vinssent a la rescousse pour la
decider a franchir le seuil de la chambre nuptiale. Tout est entrainant
pour une curieuse.

Par malheur pour Leonce, ce n'etait pas l'amour qui la prenait par la
main. Aussi, ce fut avec un eclat de rire et non avec des larmes qu'elle
passa le Rubicon.

Elle le repassa, toujours rieuse, se demandant ingenument pourquoi
Leonce ne riait pas comme elle.

Mais il etait si amoureux qu'elle lui pardonnait d'etre un peu trop
sacerdotal dans sa passion.

Le jeune licencie ne songeait pas a plaider d'autre cause que celle de
son bonheur. Comme on avait manque les derniers bals de juin et la fete
du Grand Prix, Angele voulut bien s'attarder dans sa villa, car on lui
avait donne le nom de la Villa Angele. Elle s'amusa a y jeter tout
l'alliage du Louis XVI et du japonisme, ce qui emerveilla les voisins de
campagne--par oui-dire--puisqu'on vivait dans une maison fermee, avec
quelques journaux, un peu de musique et beaucoup de primeurs. Tous les
matins, Paris apportait des nouvelles, des fraises, des crevettes, des
dentelles, des cerises et des chiffons.

Angele etait gourmande et coquette. Les femmes qui ne sont pas belles
ont la fureur de se faire belles. Ce n'etait pas pour son mari que la
jeune femme travaillait sa figure, c'etait pour elle-meme.

Peu a peu la villa egaye ses portes, surtout quand il fut decide qu'on y
passerait la belle saison, grace a quelques petites fetes panachees de
Parisiennes et de provinciales; Angele trouvait amusant, je cite sa
phrase, de faire une omelette aux fines herbes et aux petits oignons des
femmes des Champs-Elysees et des femmes champenoises.

Mais, les jours de solitude, que faire dans une villa apres les
premieres joies du nouveau et du renouveau? Angele se mit a ecrire un
roman, mais au centieme feuillet elle brula tout.

Cette devorante toujours affamee de curiosite, avait perce son mari a
jour; elle trouvait qu'il commencait a rabacher ses sentiments. Elle
avait d'abord voulu l'aimer en francais, en latin et en grec, mais
il etait a bout de science. Dans son culte pour Angele, il faillit
apprendre l'hebreu, apres lui avoir conte toutes les passions de Paris,
de Rome et d'Athenes. N'allez pas croire que ce fut un perverti. C'etait
un idealiste parcourant toute la gamme de l'adoration.

Autrefois, les grandes passions duraient toujours; temoin Philemon et
Baucis, pour ne donner qu'un exemple. Aujourd'hui, la vapeur emporte
tout. Leonce eut peur, par les airs distraits de sa femme, de la voir
bientot s'ennuyer dans le tete-a-tete ou de devenir bas-bleu. Il fut le
premier a lui conseiller de voir quelques voisins de campagne.

--Mais, mon cher Leonce, qui voir dans ce pays perdu?

--M. le cure.

--Oui, s'il veut que je le confesse.

--Le notaire.

--Peut-etre, j'ai songe a faire mon testament.

--Le percepteur des contributions.

--Oui, je l'ai vu l'autre jour a la messe avec son jeune frere, le
sous-lieutenant de chasseurs, qu'il faut inviter aussi.

--Nous l'inviterons.

--Vous choisissez bien votre monde, vous allez etre jaloux, n'est-ce
pas, monsieur mon mari, du notaire, du percepteur et du cure?

--Jaloux! s'ecria le mari. Grace a Dieu, vous etes de celles qui
commandent le respect.

--Vous croyez?

Il faudrait une grande actrice pour bien dire ce mot comme le dit la
jeune femme; mais le mari ne comprit pas.


III

Quelques jours apres, Mme Leonce Falbert recevait a diner, dans son
incomparable salle a manger des champs, le cure, le notaire, le
percepteur et le sous-lieutenant.

Elle s'etonna d'abord de trouver que ces gens-la n'etaient pas beaucoup
plus betes que les Parisiens. Il est vrai que le cure avait etudie au
seminaire de Saint-Sulpice, le notaire dans une etude de Paris et le
percepteur--c'etait bien mieux--etait ne rue Richelieu et avait fait son
stage au ministere des finances. Je ne parle pas du sous-lieutenant, qui
portait bien sa tete et son sabre.

On dina donc gaiement. Angele trouva que le notaire n'etait pas trop
timbre et que le percepteur nouait galamment sa cravate blanche. Le
cure n'avait pas trop preche, parce qu'il buvait doctement. Le
sous-lieutenant se grisa.

Quant tout le monde fut parti:

--Eh bien! Angele, je suis enchante de tous les quatre;
recommencerons-nous?

--Toutes les semaines.

Ce fut avec le cure que le notaire fit la visite "de bonne digestion".
Le percepteur vint tout seul.

Tout justement Leonce venait de partir pour Paris. Aussi Angele
retint-elle le visiteur pendant toute une heure. Etait-ce pour lui ou
pour son frere?

Ce magistrat de la cote personnelle etait un gamin de Paris qui cassait
les vitres sans savoir s'il les payerait. Il ne doutait de rien et
s'aventurait en tout. La jeune femme, deja ennuyee, eprouva un vif
plaisir a ce jabotage a la diable.

Le percepteur avait vu tout de suite qu'on pouvait se risquer a "la
blague" avec cette gentille diablesse. Il fut eblouissant contre tout
attente, non pas qu'il ne repandit beaucoup de similor dans la causerie,
mais, loin de Paris, c'etait encore de la vraie monnaie.

Quand il s'en alla, Angele sentit le froid tomber autour d'elle.

Mais, par bonheur, le sous-lieutenant parut a son tour et commenca
le siege de cette jeune vertu. Angele lui fit comprendre qu'il ne la
prendrait pas d'assaut. Mais elle lui avoua qu'elle aimait a voir les
travaux du siege.

Revint Leonce, plus passionne que jamais. Tout un jour sans voir sa
femme! Il la trouva plus distraite que la veille.

--Angele, tu ne m'aimes pas?

Il se jeta a ses pieds et lui montra deux larmes.

Mais ce n'etaient que deux larmes de mari.

C'est la pour elle le malheur de ceux qui ne sont pas aimes de
s'acharner a leur proie et de vouloir vaincre la nature rebelle. Leonce
s'acharna a cette oeuvre maudite, parce qu'il souffrait horriblement.

--Je veux la vie ou la mort! disait-il, se trainant toujours aux pieds
d'Angele, dans la paleur d'un condamne qui attend son recours en grace.

Obsedee de tant de caresses qui ne portaient pas, de tant de paroles qui
ne parlaient pas au coeur, Angele dit a Leonce:

--Eh bien! non, je ne t'aime pas!


IV

Ce fut comme un coup de couteau. Il sembla a Leonce qu'une lame froide
lui percait le coeur.

Il foudroya sa femme d'un regard et courut eperdument a travers le parc,
dechire par toutes les betes feroces du desespoir.

Il maudissait cette femme adoree, mais en meme temps il s'avouait qu'il
ne pourrait pas vivre sans elle.

L'amour est lache. Leonce retourna dans le petit salon, ou Angele
feuilletait un roman, calme et souriante comme toujours.

--Angele, je t'aime! Dis-moi, tu n'as pas voulu me tuer par tes odieuses
paroles?

--Mon cher, vous etes fou! Ne faudrait-il pas toujours chanter la meme
chanson? Pour Dieu! laissez-moi respirer.

Il lui arracha le livre des mains.

--Le roman n'est pas la, lui dit-il.

Mais elle se leva furieuse et ressaisit les pages a moitie dechirees.

Il n'y avait plus rien a dire. Leonce alla pleurer tout seul dans son
cabinet de travail, se demandant si c'en etait fait de son reve et de
lui-meme.

Il ne revit sa femme qu'au diner, ou il hasarda ces mots:

--Si vous vous ennuyez ici, Angele....

--Pas du tout. Si vous vous ennuyez vous-meme, vous pouvez retournera
Paris pour vos affaires....

--Mes affaires! je n'en ai qu'une, celle de vivre pour vous et avec
vous.

--Eh! mon Dieu, nous ne faisons pas autre chose depuis trois mois. Je
sens que les feuilles me poussent aux mains et les racines aux pieds.

On ne dit pas un mot de plus.

Dans les grandes phases de la vie, il faut toujours un confident. Leonce
n'avait la qui que ce fut a qui ouvrir son coeur! Le lendemain, il
repartit pour Paris, ne sachant d'ailleurs pas bien pour quoi faire,
mais fuyant la solitude, cette implacable ennemie de ceux qui souffrent
par le coeur. A Paris, il trouva un ami.

--Pourquoi cette paleur, Leonce?

--Ah! si tu savais comme je suis malheureux. Et le jeune marie conta,
une a une, toutes ses tortures.

Il ne montra sa blessure ni a sa soeur ni a sa mere.

--Tu es toujours bien heureux, Leonce.

--Oh! oui, bien heureux, ma mere.


V

Il revint le soir.

Il etait onze heures; il passa par la petite porte du parc, pour ne
pas reveiller les gens; il fut tres surpris de voir de la lumiere a la
fenetre du petit salon.

Angele, qui etait une dormeuse, n'etait donc pas encore couchee?

Il ne fallut a Leonce que quelques secondes pour etre devant la fenetre.

Que vit-il? La derniere page de son-bonheur!

Angele enveloppait dans sa chevelure denouee la figure du jeune
sous-lieutenant.

Leonce jugea qu'il n'avait qu'une chose a faire: c'etait de laisser cet
homme et cette femme a leur folie. Il prit le train de minuit, jurant de
ne plus jamais revoir ce pays, deux fois cher jusque-la:


VI

Ce fut Angele qui courut a Paris le lendemain.

Comme son jeu etait joue avec le sous-lieutenant, elle apparut toute
charmante a la porte du petit appartement de Leonce.

Elle fut effrayee de sa paleur et de sa desolation.

Aussi prit-elle sa voix feline:

--Eh bien! je m'ennuyais, me voila.

Qui le croira? Vous le croirez. Le mari laissa tomber aux pieds de la
femme toutes ses jalousies et toutes ses douleurs.

--Je sais tout, lui dit-il; vous etes infame, je devrais vous tuer, mais
je vous aime: nous partirons ce soir pour l'Italie.

--Oh! l'Italie! c'est mon reve! Elle embrassa dix fois son mari.

--Si tu savais comment je t'aime!

Il fut terrible:

--Ne denouez pas vos cheveux, lui dit-il d'une voix qui sifflait.

Et, apres un soupir et un silence glacial:

--J'ai une question a vous faire, Angele, vous y repondrez en toute
liberte de conscience.

--Oui, mon Leonce.

--Pourquoi m'avez-vous trahi?

Angele ne repondit pas.

--C'est par amour naturellement.

--Non.

--Eh bien! pourquoi m'avez-vous trahi?

En toute liberte de conscience, Angele repondit:

--Par curiosite!


VII

J'avais dit: La femme est la quatrieme vertu theologale, mais c'est le
huitieme peche capital.

Le huitieme peche capital, c'est LA CURIOSITE.

[Illustration: 054.png]




LE STOICISME D'UNE PARISIENNE
OU COMMENT IL FAUT LIRE UN ROMAN


[Illustration: 057.png]



IV

LE STOICISME D'UNE PARISIENNE
OU COMMENT IL FAUT LIRE UN ROMAN


I

Je ne lis pas de romans parce que j'en fais. Ou plutot je lis sans cesse
le roman toujours ouvert qui s'appelle Paris. Voila le roman des romans,
mais encore faut-il savoir le lire. Quelques romanciers en chambre se
torturent l'esprit pour inventer des chapitres vraisemblables. Plus d'un
depense beaucoup de talent a faire verser des larmes aux personnages
de son imagination, sans se douter qu'en regardant par la fenetre il
verrait des scenes bien plus emouvantes.

Le tout-Paris deborde au Cafe des Ambassadeurs par les beaux jours, avec
le meme entrain qu'a la foire de Neuilly. Quand je dis le _tout-Paris_,
pour me servir d'un mot consacre, je devrais dire aussi le
tout-Pontoise, car il y a la, comme ailleurs, les acteurs et les
spectateurs, ceux qui aiment a entrer en scene et ceux qui aiment a
regarder la comedie sans y rien comprendre, ce qui rappelle le mot
d'une provinciale au Conservatoire, en pleine symphonie: "Quand ca
commencera-t-il?"

La comedie, il n'est pas de jour qu'on ne la donne au Cafe des
Ambassadeurs: comedie imprevue, comedie bouffonne, mais aussi
tragi-comedie. Quand on entre la, on n'est pas bien sur de n'y trouver
une aventure ou un duel.

J'y dine ca et la en gaie et docte compagnie: avec Alberic Second,
Carolus Duran, Camille Rogier, Monjoyeux, Coupvent des Bois, Du
Sommerard, Du Boisgobey--et quelques princesses egarees.--Il m'arrive
d'y diner tout seul, presque toujours dans le jardin sous les grands
ormes plantes par le duc d'Antin, devant le parterre de fleurs en vue de
la fontaine jaillissante. Ce sont la des aperitifs inappreciables.

C'est surtout quand je dine seul, etudiant mes voisins et mes voisines,
que je lis le roman parisien. Chaque petite table pourrait fournir un
chapitre.


II

Un soir que j'etais arrive tard, j'eus toutes les peines du monde a
trouver un coin presqu'en dehors des limites, si bien que les promeneurs
des Champs-Elysees m'effleuraient en passant.

Un de mes amis, beau pourfendeur de moulins a vent, Parisien de Madrid,
car il y a la des Parisiens de tous les pays, m'avait offert une place
a sa table, mais il etait en trop bonne fortune et je le remerciai en
saluant sa Dulcinee. C'etait la premiere fois que je voyais cette dame.
Je m'apercus bientot qu'on la regardait beaucoup, parce que c'etait une
nouvelle venue, aussi ne se sentait-elle pas bien chez elle a cette
table pourtant hospitaliere, egayee par une bouteille de vin de
Champagne dans un seau tout perle de glace, ce qui n'empechait pas une
bouteille de Chateau-Laffitte, datee de 1865, de faire bonne figure,
sans parler des crevettes et des radis, qui sont comme le sourire rose
d'un bon diner.

La dineuse etait fort jolie, beaute expressive et parlante sous son
chapeau-ombrelle, cette feerique creation de la mode pour le minois
parisien.

A premiere vue, cette jeune femme paraissait s'amuser a cette petite
fete plus ou moins intime; mais pour quiconque la regardait bien,
l'inquietude prenait son coeur.

Elle semblait enchantee d'etre la, comme tant d'autres qui s'y deploient
en queue de paon, mais elle aurait bien voulu etre ailleurs. Elle
semblait craindre les oeillades qui la devisageaient, ce qui lui donnait
plus de charme encore.

--Eugenie, vous ne m'ecoutez pas! lui cria l'Espagnol.

Elle etait distraite et n'appreciait pas tout l'esprit de son compagnon
d'aventure. C'etait bien dommage.


III

Le diner touchait a sa fin. Je fumais ma derniere cigarette, la dame
buvait sa derniere coupe de vin de Champagne, l'Espagnol jetait dans le
vide son dernier mot, quand je vis passer tout pres de moi un homme et
un enfant:

Cet homme, jeune encore, figure severe, chapeau d'une autre saison,
redingote rapee, paraissait appartenir a l'honorable corporation des
travailleurs a la plume d'un ministere ou d'une banque.

Il y en a comme cela cent mille dans Paris, des heros du devoir
quotidien, qui trainent la misere sans jamais lui jeter sur le dos la
robe d'or de la fortune. Ils assistent a toutes les fetes sans en etre,
vrais comparses a qui on ne sert que des festins illusoires.

Celui-ci promenait une petite fille de sept a huit ans, toute pale,
quelque peu attristee, mais qui prenait un vif plaisir a voir au passage
tous les tableaux de la vie aux Champs-Elysees.

Elle s'etait arretee devant les chevaux de bois, en demandant a son pere
de la mettre a califourchon sur le plus joli; mais le pere avait repondu
de sa voix grave: "Pas aujourd'hui!" Deja il avait dit le meme mot
devant le petit carrosse des chevres. Pareille reponse devant le cirque.
Tout ce qu'il pouvait faire, c'etait de payer les plaisirs qui ne
coutent rien. La petite fille, d'ailleurs, n'insistait pas: elle savait
que son pere etait pauvre et qu'il lui fallait souvent se refuser le
tramway, meme les jours de pluie.

Elle sembla s'amuser a voir tant de gourmands et de gourmandes attables
a toutes ces petites tables si bien servies.

--Vois, papa, il y a aussi des enfants. Le pere soupira.

--Oui, dit-il en embrassant sa fille, mais ce n'est pas la notre
cuisine.

Et comme l'enfant voulait s'attarder:

--Allons-nous-en, reprit-il, tu sais qu'il y a loin d'ici a l'ile
Saint-Louis.

Une soudaine emotion avait pali la figure du pere.

S'il voulait entrainer l'enfant, ce n'etait pas parce qu'il y avait loin
des Champs-Elysees a l'ile Saint-Louis, c'est qu'il venait de voir la
jeune femme qui dinait avec l'Espagnol.

On ne saurait peindre les sentiments qui passerent dans ses yeux et sur
ses levres. C'etait la colere, l'indignation, l'amour trahi, la jalousie
resignee.

Il ferma les yeux comme s'il revait. Deux larmes sillonnerent ses joues.
Ce fut a cet instant qu'un mot inattendu s'echappa des levres de la
petite fille.

--Maman!

L'homme prit l'enfant dans ses bras pour etouffer ses sanglots. Que
voulez-vous, ce n'etait pas un stoicien. C'etait un pauvre mari qui
venait de retrouver sa femme et qui n'avait pas le courage de comprimer
son coeur.

Sa femme avait quitte la maison, son homme et son enfant depuis six
mois. On ne s'etait pas revu; on avait beaucoup pleure a la maison;
peut-etre avait-on pleure hors la maison.

Mille fois la petite fille avait demande a son pere si sa mere
reviendrait le lendemain. Elle ne savait pas pourquoi elle etait partie;
mais, quoiqu'elle fut jeune encore, elle ne questionna pas son pere
quand elle vit sa mere attablee en face de l'Espagnol: les enfants
comprennent tout.


IV

Le pere s'etait donc eloigne; mais a l'instant ou la petite fille disait
"maman!", la dineuse ressentait un coup au coeur.

--Lui!

Ce n'etait qu'une demi pervertie; elle se leva, cette mere, et courut a
sa fille, sans s'inquieter de l'Espagnol, qui se demandait si elle etait
folle. Le pere n'etait pas a dix pas de moi quand la mere lui voulut
prendre l'enfant dans les bras.

--Marguerite, dit-elle toute egaree.

Mais le pere gardait bien sa fille. Vainement Marguerite voulut se jeter
dans les bras de sa mere, l'homme tenait l'enfant a distance.

--Madame, votre diner refroidit, vous savez bien que votre fille n'est
plus votre fille: je vous defends de la toucher. Vivez de votre luxe,
comme nous vivrons de notre misere. Nous serons encore plus riches que
vous, grace a Dieu.

Et, parlant a Marguerite:

--Tu vois bien, mon enfant, que cette femme n'est pas ta mere,
puisqu'elle a des diamants aux oreilles et que tu n'as pas de souliers a
tes pieds.

L'homme, par sa colere comme par sa dignite et sa tristesse, avait
frappe la femme d'immobilite. Elle baissait la tete, et ne savait que
faire; d'un cote son coeur, de l'autre cote son orgueil.

Le mari disparut, emportant Marguerite.

L'Espagnol survint.

--Vous etes folle, ma belle amie, de nous donner ainsi en spectacle. Qui
est-ce donc que cet homme?

La femme dit tout haut, de l'air du monde le plus degage:

--C'est mon frere. J'ai voulu embrasser ma niece qui est ma filleule.

Et l'Espagnol, entrainant la dame:

--Toutes ces scenes de famille me font pitie. Prenez-vous une glace
avant le cafe?

Naturellement j'avais tout vu sans avoir l'air de ne rien voir. Pour mes
voisins, je n'avais suivi des yeux que la fumee de ma cigarette. Aussi
l'Espagnol me dit-il, comme si rien ne s'etait passe.

--Vous ne me refuserez pas de prendre le cafe avec nous.

--Oui, repondis-je, dans ma curiosite de mieux connaitre cette femme.

J'allai donc m'asseoir a la table de l'Espagnol qui, pour me faire
honneur, demanda au petit Japonais, car il y a la un Japonais, comme
partout, de la fine champagne vraiment fine: quatre francs le petit
verre. Et Dieu sait si le verre est petit!

On causa de ceci et de cela, sans rappeler le moins du monde la scene de
famille.

Mais l'Espagnol s'etant eloigne de quelques tables, appele par Angel de
Miranda, qui regalait deux femmes du monde, je dis sans preambule a la
jeune mere.

--Vous avez bien envie de pleurer, n'est-ce pas?

Elle me regarda et montra deux larmes. Je lui pris la main.

--A la bonne heure, voila le coeur qui parle.

--En doutiez-vous?

--Eh bien, alors, que diable faites-vous ici?

--Ah! c'est toute une histoire, l'histoire d'une fille bien elevee,
mariee a un brave homme qui meurt a la peine. Si vous saviez ce que
c'est que la vie a Paris avec dix-huit cents francs par an!

--Oui, c'est la misere noire, parce que c'est la misere qui ne rit
jamais.

--Que voulez-vous qu'on fasse dans un interieur ou il n'y a ni de
quoi vivre ni de quoi s'habiller. Je me suis extenuee a faire de la
tapisserie et du coloriage, ne me couchant jamais qu'apres minuit.
J'avais fait le sacrifice de moi-meme, mais ma fille etait si gentille!
Comment n'avoir pas de quoi la faire belle, la pauvre petite? Mon mari!
Je n'avais plus le courage de sortir avec lui, si mal habilles, lui
comme moi. Et la cuisine! Je ne suis pas gourmande, mais a la fin
l'estomac se revolte.

--Et vous aimez mieux cette cuisine des Ambassadeurs?

--Ma foi, oui; je ne me fais pas meilleure que je ne suis; mais quand
j'ai vu ma fille, qui peut-etre n'avait pas dine, j'aurais voulu etre a
cent pieds sous terre.

--Croyez-moi, lui dis-je, puisque Dieu vous a donne une fille, soyez sa
mere.

--Et que voulez-vous que je fasse?

Je ne suis pas un apotre, mais je crois que je pris la parole
evangelique.

--C'est bien simple, madame, vous allez sauter dans un fiacre qui
arrivera plus vite que votre mari et votre fille dans l'ile Saint-Louis;
vous monterez quatre a quatre, apres avoir defendu a la portiere de rien
dire; un quart d'heure apres vous, le pere et l'enfant ouvriront la
porte. Vous les recevrez a genoux, et tout le monde sera content.

La jeune femme me regarda pour voir si je ne me moquais pas d'elle.

--Pourquoi me dites-vous ca.

--Je vous dis ca, parce que j'ai vu votre enfant pleurer.

Mais j'eus beau dire, la mere coupable ne se laissa pas gagner a sa
cause. Elle fit la superbe; elle declara qu'elle s'etait fanee dans
cette vie absurde. Elle "engueula" son mari--le pauvre homme!--parce
qu'il n'avait pas eu le genie, comme tant d'autres, de lui donner sa
place au soleil. Quand il revenait vers elle, il ne lui apportait que
sa tristesse. Elle parla de son heroisme a elle pour lutter contre
la cuisine des pauvres gens. Elle en etait devenue anemique. Elle se
promettait de faire sa fille riche pour l'affranchir de toutes les
peines de sa mere.

Comme elle etait en train de se donner raison, l'Espagnol vint reprendre
sa place. Je desesperais de rendre a la mere l'enfant. Mais voila qu'a
propos d'un mot malsonnant, ils se disputent tous les deux, comme on
se dispute quand on ne s'aime pas, car ils en etaient, comme a dit
Chamfort, au contact de deux epidermes.

Naturellement, j'attisai la dispute en donnant raison a tous les deux;
si bien que tout a coup elle s'emporte, elle se leve, elle brise sa
coupe, elle s'enfuit comme une bourrasque.

L'Espagnol, qui latinisait un peu, eclata de rire en disant: _Fugit ad
salices_.

Eh bien! qui le croirait? elle retourna chez son mari, dont tous les
torts etaient effaces par les torts de l'amant. Dans sa gourmandise des
joies de ce monde, elle avait deja mange trop de fruit defendu. Le foyer
la reprit a l'enfer.


V

Le lendemain, je recus un petit billet renfermant ces lignes:

  "Monsieur, vous avez raison. Dieu peut me
  faire subir toutes les miseres sans pour cela
  effacer le bonheur que j'ai eu de me retrouver
  mere sous le pardon de mon mari. Il m'a
  dit: J'ai tout oublie. Mais moi, je me souviens.
  Ma fille dans mes bras, tous les sacrifices
  me seront doux. C'est egal, puisque vous
  aimez les enfants, faites-moi vendre des eventails,
  c'est tout ce que je sais faire.

  EUGENIE."

Plaignons les femmes pauvres qui veulent vivre de leur travail. En voila
une qui peint des eventails, tout juste au moment ou les Japonais nous
en envoient de tres jolis a vingt-quatre sous la douzaine.

Heureusement que le mari a fait un pas en avant dans son petit emploi
au ministere des finances, sur la recommandation d'un de mes amis. La
pauvre petite Marguerite aura une robe de plus a chaque saison.


VI

Le 14 juillet,--un jour de fete, pour ceux qui travaillent, un jour de
travail pour ceux qui ne font rien--je dinais encore dans le jardin du
Cafe des Ambassadeurs.

Ce ne fut pas sans emotion que je vis tout a coup passer le mari, la
femme et l'enfant.

Le mari donnait le bras a sa femme et tenait sa fille par la main. Il
etait grave et pensif, mais presque souriant; on pouvait juger que les
blessures du coeur etaient fermees.

La femme, toute reveuse, me parut, helas! bien moins jolie. Elle
detourna la tete en passant, en proie peut-etre aux souvenirs et
regrets!

--Maman, lui dit Marguerite en lui montrant les tables pavoisees de
dineuses, maman, te souviens-tu?

Sans regarder, la mere repondit a mots rapides:

--Je ne me souviens pas.

La famille rapatriee allait ecouter les chanteuses de l'Alcazar, mais
_extra muros_, promeneurs du dehors qui ne payent pas leur place. Le
mari dit a sa femme:

--Nous en sommes pour longtemps encore aux plaisirs qui ne coutent rien,
mais n'y a-t-il pas les plaisirs qui coutent trop cher!


VII

N'avais-je pas vu en action un roman a la Diderot sur un fond de
Florian. Cela me reposait de tant d'histoires a haut ragout qui
finissent mal.

Mais je n'en etais pas au dernier mot.

Hier, a l'Opera, j'ai vu la femme au bras de l'Espagnol.

Et plus belle que jamais!

Elle vint a moi d'un air degage: "Je vois bien ce que vous me dites par
vos regards? Tant pis! C'etait au-dessus de mes forces."

Elle conta comment elle avait ete stoique--pendant six semaines!--en
reprenant le collier de misere. Elle avait encore une fois ruine ses
mains a laver ses nippes et celles de sa fille. C'etait le travail de
Penelope. Elle ne pouvait plus s'accoutumer a la vertu, peignant des
eventails devant le pot-au-feu. Son mari, un saint a encadrer, avait
beau lui promettre a vingt ans de la une chaumine en Normandie avec une
vache, des cochons et des poules, ces joies-la etaient trop lointaines:
elle aimait mieux un hotel a Paris, la coquine!

--Voyez-vous, lui dis-je, vous feriez mieux de continuer a peindre des
eventails que de jouer de l'eventail.

--Pour se donner raison, elle me dit:

--Je ferai une dot a ma fille.

A quoi je repondis:

--Et votre mari, lui ferez-vous une dot?

[Illustration: 074.png]





TROIS PAGES DE LA VIE DE VALLIA

[Illustration: 077.png]



V

TROIS PAGES DE LA VIE DE VALLIA


I

Qu'est devenue Mme la comtesse de la Chatre, qui, dans son joli nid des
Champs-Elysees, appelait tous les oiseaux chanteurs de son temps? On n'a
jamais ete plus charmante ni plus hospitaliere. La Gueronniere tronait
melancoliquement sur la branche; aussi disait-on: "Ah! le bon billet
de la Chatre a La Gueronniere!" Ces oiseaux bleus s'enivraient de
platonisme et roucoulaient les dernieres phrases de l'amour aerien
sur les airs connus de Lamartine. Ce que c'est qu'une bonne ecole.
Aujourd'hui, l'ecole est fermee; on ne roucoule plus, on s'engueule a
belles dents et l'on casse la branche aux chansons. M. Thiers n'a-t-il
pas ete le chef des naturalistes quand il disait d'une femme ou a une
femme: "Belle chair. Je voudrais y mordre?"

La comtesse de la Chatre est sans doute allee ou vont les roses d'antan.
Le coup de foudre de 1870 l'a emportee dans l'oubli. Ses salons ne se
sont pas rouverts, ce qui est bien dommage, car on n'y rencontrait que
des gens d'esprit et des charmeuses.

Et puis, c'etait le dernier salon ou l'on jouait de la harpe, ce qui
faisait la joie d'Henry de Pene, de Saint-Victor, de Guy de Charnace,
d'Emile de Girardin et d'Henri Delaage, ce familier de la maison, qui
avait predit toutes les catastrophes du second empire--et la chute de
Vallia.

Un soir, apres-diner, Mme de la Chatre nous avait promis une joueuse de
harpe incomparable.

Quand cette merveille apparut, ce fut comme une vision, tant elle etait
blanche, mince, svelte, diaphane. Avec cela, la grace brisee des stances
romantiques. Elle semblait descendre d'une des fresques d'Ange de
Fiesole.

Il me parut impossible que ces doigts legers eussent raison de la harpe
doree qu'on apporta devant elle; mais, des qu'elle se mit a l'oeuvre,
tout le monde fut emerveille de sa force comme de son jeu. La victoire
est toujours aux femmes minces. Toutefois, apres la premiere melodie, la
jeune fille abandonna la harpe pour tomber, toute pale, sur le fauteuil
le plus proche. On courut a elle, comme pour la secourir. "Ce n'est
rien," dit-elle. Mais ses deux jolis seins, enfermes dans son corsage
a la Pompadour, semblaient battre des ailes comme des colombes dans une
cage trop petite.

Mme de la Chatre la souleva et me pria de la conduire avec elle dans
sa chambre, dont les fenetres etaient ouvertes. Je l'emportai dans mes
bras. La joueuse de harpe se pencha sur la balustrade d'une des fenetres
pour respirer l'air vif.

Il y a trop de monde, me dit-elle. Comme je demeure a deux pas d'ici, je
suis venue bien vite, bien vite, j'ai monte l'escalier en toute hate. A
peine entree, on m'a trainee sans pitie devant la harpe; vous comprenez
pourquoi je me suis presque evanouie.

Les maitresses de maison sont cruelles, comme les directeurs de theatre;
elles sacrifient tout a leur monde. Elles bruleraient la maison pour
donner un feu d'artifice.

La joueuse de harpe, qui etait revenue a elle, me demanda si l'on
pouvait, sans rentrer dans les salons, passer par l'antichambre pour
partir.

--Oui, mais vous allez faire un vrai chagrin a tous ceux qui vous ont
entendue, s'ils ne vous revoient pas.

--Qu'est-ce que ca me fait?

--Et a moi donc?

--Je ne sais pas pourquoi je suis venue ici, puisque je ne connais meme
pas la maitresse de la maison. On m'a dit que c'etait pour me donner de
la celebrite, parce qu'il n'y a ici que des gens celebres. Mais je la
connais cette monnaie-la! Tout cet hiver j'ai joue dans de pareilles
maisons; je n'en suis pas plus connue ni plus riche.

--Ce n'est donc pas pour vous amuser que vous jouez de la harpe?

--Pas le moins du monde. Je joue de la harpe et du violon comme d'autres
font de la peinture sur porcelaine ou trepignent sur une machine a
coudre.

--Comment, avec une figure de duchesse et une desinvolture de marquise,
vous n'avez pas cent mille livres de rente?

--Cent mille livres de rente! Si vous voulez m'envoyer un de ces beaux
messieurs ou une de ces belles dames pour payer mes dettes, vous me
ferez bien plaisir. Mais, de grace, conduisez-moi dans l'antichambre.

La comtesse de la Chatre, qui etait retournee donner des nouvelles de la
harpiste, reparut alors.

--Mademoiselle, vous avez fait tant de plaisir que vos admirateurs sont
tout oreilles.

--Madame la comtesse, je suis a bout de forces; je reviendrai a votre
prochaine fete, mais donnez-moi la liberte.

Sur ces mots, la harpiste prit mon bras et m'entraina vers une petite
porte entr'ouverte. La comtesse comprit qu'elle ne devait pas insister.

--Eh bien! me dit-elle en serrant la main de la jeune fille,
conduisez-la chez elle; c'est a deux pas d'ici.

Me voila jetant une pelisse sur la harpiste, ouvrant la porte,
descendant l'escalier et la conduisant chez elle.

--Etes-vous attendue? lui demandai-je en arrivant a sa porte.

--Attendue? Je suis seule au monde, comme dans la chanson.

--Seule au monde! Si vous retombez en syncope, qui donc vous fera
respirer des sels?

Elle me regarda avec un sourire railleur.

--Oui, oui, je vous vois venir, vous voudriez bien que je retombasse en
syncope, tete-a-tete avec vous.

--Ma foi, non. La preuve, c'est que, si vous voulez, nous irons comme
deux amis souper ensemble? Mais vous avez l'air de vivre de l'air du
temps.

--Vous figurez-vous que, jouant de la harpe avec des cachets de
celebrite, je puisse souper tous les jours au Cafe Anglais?

--Si vous vouliez!

--Oui, mais je ne veux pas.

--Les femmes ont tort de s'imaginer qu'elles ne rencontreront jamais
parmi les hommes un bon diable qui ne demandera pas la monnaie de sa
piece.

La harpiste me regarda a brule-regard.

--Eh bien! moi, je n'ai jamais rencontre ce diable-la. Chaque fois
qu'un homme m'a dit un mot, depuis l'age de quinze ans, c'etait un mot
d'amour. Aussi j'ai pris en horreur les hommes et l'amour.

Et, tournant le dos a sa porte, Mlle Vallia reprit:

--Allons souper, car je n'ai pas dine, ce qui m'arrive trop souvent.

Je la mis en voiture et je la conduisis au Cafe Anglais, me promettant
un vif plaisir a la voir souper pour tout de bon. La pauvre musicienne
mourait de faim, car elle mangeait chez elle beaucoup plus de doubles
croches que de perdreaux truffes.

Je passe toute une histoire de famille que j'abandonne aux romanciers
en chambre: Un pere libertin qui mange la fortune de sa femme, laquelle
meurt a la peine avec quatre enfants sur les bras. Vallia avait alors
seize ans, avec une annee de Conservatoire et la protection du maestro
Auber, qui protegeait beaucoup trop de musiciennes. Son frere,
sous-lieutenant d'artillerie, ne pouvait la secourir. Elle avait vecu
avec une de ses soeurs, qui vivait a la diable, cachant la courtisane
sur la fille du monde. Quand Vallia vit trop d'amoureux chez sa soeur,
elle eut peur de l'abime et prit pied dans un petit rez-de-chaussee des
Champs-Elysees, ou elle esperait vivre honnetement en donnant des lecons
de solfege, de violon et de harpe. En effet, elle avait vecu, mais a la
condition de mourir de faim.

Au Cafe Anglais, comme je n'avais aucune arriere-pensee de faire le
beau, je ne demandai pas un cabinet particulier. J'entrai dans le salon,
avec le seul dessein de faire bien souper Vallia.

On nous apporta un perdreau truffe et une bouteille de vin de la
Tour-Blanche. Le garcon proposait de decouper l'oiseau, mais Vallia lui
dit:

--Halte-la! je vous connais; vous allez garder pour vous la carcasse,
c'est-a-dire ce qu'il y a de meilleur.

Et de sa main delicate, mais ferme, elle decoupa lestement le perdreau.
Sa figure s'etait illuminee comme celle d'un gourmand.

Nous en etions a la premiere bouchee, quand une femme qui tentait de
souper au voisinage survint et me dit a mi voix:

--En bonne fortune?

--Jamais de la vie, lui repondis-je tout haut. Si j'etais en bonne
fortune, je ne serais pas ici; le bonheur se cache.

La survenante etait une musicienne de mauvaise vie, surnommee
_Double-Croche_. Pourquoi Double-Croche? Quand je vous aurai dit qu'elle
avait passe par le Conservatoire, je ne vous aurai encore rien dit....

Je n'aime pas les periphrases. Double-Croche, parce qu'elle trainait
toujours un homme et une femme. Pour quoi faire?

C'est qu'elle avait pour la musique une passion desordonnee, jouant du
violon avec celui-ci et du piano a quatre mains avec celle-la. Elle ne
savait pas ce qu'elle aimait le plus; aussi elle devisageait Vallia d'un
regard etrange.

Tout a coup elle s'ecria:

--Vallia! Je ne te reconnais pas; et toi, me reconnais-tu?

Vallia, qui l'avait a peine regardee, leva les yeux et murmura:

--Heloise!

Toutes les deux avaient ete de la meme classe au Conservatoire.

--Tu joues toujours la harpe?

--Oui. Et toi, tu joues toujours du violon?

--Oh! mais j'ai renvoye ces jours-ci mon violon a Stradivarius, car je
n'ai pas le temps d'en jouer.

--De quoi joues-tu?

--Je joue de mon reste.

On n'est pas plus eloquente.

Il n'y avait a Paris qu'une femme plus pale que Vallia: c'etait Heloise;
mais Vallia avait la paleur chaste de celles qui pleurent, tandis que
Double-Croche avait la paleur diabolique de celles qui s'amusent.

--Voulez-vous que je soupe avec vous?

--Pas du tout, repondis-je, croyant etre agreable a Vallia.

Mais la harpiste dit d'un air engageant:

--Pourquoi pas?

Et elle demanda un second perdreau.

Jusque-la Double-Croche n'avait rien demande, sous pretexte qu'elle
attendait quelqu'un, ce quelqu'un que le dieu Hasard envoie aux femmes
qui attendent.

Il ne me fallut pas longtemps pour m'apercevoir qu'entre les deux
eleves du Conservatoire il y avait d'etranges affinites. Double-Croche
magnetisait Vallia par la douceur penetrante de ses yeux comme par les
caresses de sa voix.

--Ah! tu verras, lui dit-elle, quels jolis duos nous jouerons!

Il faut tout etudier quand on passe en philosophe dans la vie
parisienne.

Double-Croche dit ensuite a Vallia qu'elle l'avait toujours bien
aimee; puisqu'elle la retrouvait, elle ne serait pas si bete que de la
reperdre. Et Vallia, qui n'avait pas d'amie, tomba dans l'abime avec
abandon.

Je n'etais plus la qu'un confident de comedie; je tentai de ramener
la harpiste aux joies serieuses de la harpe, tout en conseillant a
Double-Croche de retourner dans les tenebres; mais le coup etait porte;
le mal est plus fort que le bien.

--Adieu, dis-je a Vallia. Vous ne voulez pas que je vous reconduise?

--Non! non! se hata de repondre Double-Croche; je la reconduirai--et
nous ferons de la musique!

A la porte du Cafe Anglais, je rencontrai l'apocalyptique Henri Delaage,
qui revenait a pied de la petite fete de la comtesse de la Chatre.

--Qu'est-ce que c'est que Vallia? lui demandai-je.

--Une melodie.

--Et Mlle Double-Croche?

--Une marche funebre.

--Eh bien! entrez la, et separez-les pour le bonheur de Vallia.

--Non, ce qui est ecrit est ecrit!


II

Quelques jours apres, un de mes amis--un dilettante,--qui avait
rencontre Vallia et Double-Croche chez une femme du monde, m'ecrivait
ces lignes,--ou je n'ai rien compris:

"Ces trois symphonies n'ont jamais ete plus adorables que ce soir-la;
elles chantaient touts les trios qui eussent ravi Auber et Rossini, ces
libertins en SOL, LA, SI.

"Oh! la musique! quelle force sur les ames! Leurs yeux flambaient, leurs
bouches ardentes et inapaisees couraient du sourire a l'eclat de rire;
l'eclat de rire se mouillait de larmes; et puis elles tombaient brisees
avec un voluptueux abandon.

"Elles passaient de la marche triomphale aux melodies plus intimes, et
plus caressantes; on quittait les feux d'artifice de Liszt pour les
douceurs de Schubert; puis tout a coup ces trois musiciennes partaient
pour l'horizon radieux a la decouverte des mondes nouveaux. J'etais sous
le charme de leurs inspirations. Je vois avec plaisir que les femmes du
monde--et du beau monde--deviennent de grandes musiciennes."


III

Un an apres, la comtesse de la Chatre, me rencontrant un matin au coin
de la rue Balzac, me dit en me tendant la main:

--Vous ne savez pas ou je vais?

--Vous n'allez pas au sermon?

--Mieux que cela; je vais voir une mourante.

--Qui donc?

--Vous rappelez-vous cette jolie joueuse de harpe que vous avez vue chez
moi l'autre hiver?

--Mlle Vallia? Elle se meurt!

Je ressentis un coup au coeur, car j'avais garde comme une douce image
le souvenir de la jeune musicienne.

--Oui, mon ami, Mlle Vallia va mourir a vingt ans et jolie comme un
ange.

--Et de quoi meurt-elle?

--D'une maladie de coeur. Je lui ai envoye mon medecin, qui me conseille
d'aller la voir si je veux la revoir. Voulez-vous venir avec moi?

La comtesse prit mon bras; il n'y avait qu'un pas a faire, car Vallia
restait toujours a son petit rez-de-chaussee, presque en face, dans la
maison qui porte le numero 121 ou 123 de l'avenue des Champs-Elysees. La
clef etait sur la porte; la comtesse ne fit pas de facons pour ouvrir
sans sonner.

Je la suivis; nous assistames au spectacle le plus touchant.

Vallia, toute blanche, agenouillee sur son lit, recevait l'extreme
onction, avec la ferveur d'une fille de Dieu.

Aussi ne nous regarda-t-elle pas quand nous entrames.

La comtesse s'agenouilla et pria, je m'effacai discretement contre le
rideau d'une des fenetres.

Naturellement, Henri Delaage etait la. Il me dit par un regard:

--C'etait fatal.

Quand le pretre eut console par l'esperance celle qui avait la foi, la
comtesse prit Vallia dans ses bras et l'embrassa doucement sur le front.

--C'est bien, dit-elle, de vouloir revivre en Dieu.

--Ah! je suis bien heureuse, murmura Vallia. Je sens que je suis sauvee.

La comtesse, se meprenant sur ces paroles, lui dit:

--On ne meurt pas a vingt ans.

--Vous ne comprenez pas, dit Vallia, je suis sauvee, parce que je meurs,
parce que Dieu me pardonne mes peches et que je ne pecherai plus.


IV

Il y avait la une femme qui pleurait et qui eclata en sanglots: c'etait
la soeur de Vallia, celle-la qui vivait du peche et qui ne voulait pas
vivre du repentir.

On sonna.

--N'ouvrez pas! dit Vallia.

Parlait-elle par pressentiment, ou bien ne songeait-elle qu'a respirer
plus longtemps dans la meme atmosphere de prieres et d'encens?

Sa soeur, qui etait allee ouvrir, fit quelque bruit a la porte pour
empecher une nouvelle venue de depasser l'antichambre. Elle reparut en
disant a Vallia:

--C'est Heloise.

--Jamais! jamais! dit Vallia.

Une lueur etrange passa sur son visage; la lumiere du mal, brulant
la lumiere du bien, faillit rejeter l'orage en cette jeune fille
transfiguree.

Alors seulement elle m'apercut. Elle me fit signe, et j'allai lui
prendre la main.

--Ah! vous aviez raison, me dit-elle, de vouloir m'arracher a cette
fille, car elle m'a tuee.

Vallia laissa tomber sa main et ferma les yeux. On eut dit qu'elle
venait de mourir. Sa soeur lui mit un flacon sur les levres.

Mme de la Chatre me ramena a la fenetre.

--J'ai peur de voir une morte, dit-elle toute pale.

J'avais souleve le rideau. Je vis alors Double-Croche qui s'en allait
toute fretillante vers son coupe, precedee de son groom,--un objet
d'art.--Ses deux chevaux, de magnifiques chevaux anglais, piaffaient de
jeunesse et d'impatience.

--Comment! me dit la comtesse, cette coquine de musicienne a des
chevaux?

--Oui! et on dit que ses chevaux lui viennent d'une femme du monde.
Voyez-vous, ma chere comtesse, on ne saura jamais si Sapho est jetee du
haut du rocher de Leucade pour Phaon ou pour Erinne.


V

Cette blanche Vallia qui charmait tout le monde par les deux bleuets
de ses yeux, cette ame d'elite qui rayonnait sur ce corps ideal, elle
mourut comme une sainte, heureuse d'avoir retrouve Dieu, heureuse aussi
de savoir que la comtesse de la Chatre irait a son enterrement et
payerait ses funerailles. L'argent de sa soeur la revoltait.

La jeune morte avait quitte cette soeur tombee, qu'elle jugeait indigne,
pour vivre dans les regions bleues des creatures bien douees; mais
la colombe est-elle jamais a l'abri de l'epervier! Cette horrible
Double-Croche avait tournoye autour d'elle, l'enveloppant dans les
passions qui donnent la mort.


VI

--Ce n'est pas l'homme qui perd la femme, c'est la femme disait Mlle
Sainte-Heloise aux dernieres courses de Deauville.

--A propos, Double-Croche, qu'as tu fait de Vallia lui demanda son
amant?

--Je ne me souviens plus.

--Celle qui pincait si bien de la harpe?

La drolesse repondit par ces mots horribles pour epater ses amies
Minette et Mina:

--J'en ai fait une horizontale pour l'eternite!

[Illustration: 096.png]




LE VIOLON VOILE

[Illustration: 099.png]


VI

LE VIOLON VOILE


I

Pourquoi s'appelait-elle Paquerette? Parce qu'elle s'appelait
Marguerite. Marguerite au theatre, Paquerette dans les coulisses.
Marguerite etait le seul nom du calendrier comme le seul nom de famille
qu'on lui eut donne a son bapteme. Elle n'avait pas d'etat civil, nee
d'un pere et d'une mere qui s'etaient derobes apres lui avoir donne
une nourrice. Brune comme les abimes, yeux doux et mordants, nez
impertinent, trente-deux dents aigues dans un ecrin de pourpre toujours
entr'ouvert; trois fossettes, une au menton, deux sur les joues, "sans
compter toutes les autres", disait-elle; cheveux en manteau de roi; bras
et jambes en fuseaux; mais pourtour et avant-scenes: voila Paquerette,
avec des seductions sans nombre, un eclat de rire a faire lever le
soleil, de l'esprit a la diable, des heures de sentimentalisme apres des
heures de raillerie, la larme pres des cils, le coeur dans la main.

C'est en vain que j'essaye de peindre Paquerette; il fallait la voir a
l'oeuvre, sur la scene, dans la coulisse, chez elle ou ailleurs, pour la
comprendre un peu, cette etrange et cette capiteuse.

Elle vint me voir un jour, quand elle jouait la comedie au theatre
Beaumarchais. Je ne la connaissais ni des levres ni des dents, pour
parler comme elle. Elle voulait une lettre de recommandation pour jouer
la comedie au Theatre-Francais, sous pretexte qu'elle etait aussi maigre
que Rachel et Sarah. Je lui dis "Va donc, petite Cigale! ne joue pas
ainsi a l'Iphigenie, ne te fais pas sacrifier sur cet autel antique,
cours les theatres d'occasion, tu y trouveras des aventures et tu y
deviendras peut-etre une Granier ou une Judic.

Elle s'etait mise au piano pour jouer une valse de Metra, sur laquelle
elle avait ajuste des paroles de toquee, mais tres valsantes.

Le hasard, qui fait bien les choses, avait amene ce matin-la chez moi
un tout jeune musicien avec qui je jouais du violon en duo, pour me
rappeler mes vingt ans. Il se nommait Wilfrid Bouquet; il avait passe
quelques mois par le Conservatoire, tombant de l'orchestre du theatre
dans l'orchestre du cafe-concert; il jouait a merveille Glueck et Gounod
dans ses entr'actes, il aimait tour a tour Herold et Massenet, ne
trouvant pas que l'un fut trop demode et l'autre trop a la mode.

Voyant Paquerette en ses ondulations forcenees sur le piano, il courut
decrocher mon violon pour accompagner cette folle qui s'enivrait de
musique comme de vin de Champagne. Elle trouva cela bien naturel et le
remercia par quelques-unes de ces oeillades terribles qui inquietaient
les coeurs.

Quand elle fut au bout de sa fantaisie, elle demanda a Bouquet s'il
etait musicien:

--Comme tout le monde. Mieux que tout le monde!

Un peu plus, ils allaient passer la matinee a ce jeu, mais j'y mis bon
ordre.

--Mes enfants, allons-nous-en chacun a notre gagne-pain.

Paquerette vint a moi et me dit tout bas:

--Il est bien gentil, votre ami.

--N'est-ce pas? N'allez pas mettre la main sur lui, car il serait perdu.
C'est une ame tendre et candide; vous ne feriez qu'une bouchee de son
coeur, petite malheureuse que vous etes.

--Allons donc! je suis un agneau. Si je n'avais une vertu a tout
casser, je me laisserais egorger tous les soirs pendant et apres la
representation.

--C'est egal, je ne veux pas vous le confier. Elle se retourna vers
Bouquet.

--Monsieur, lui dit-elle, puisqu'on nous met a la porte, voulez-vous
m'offrir votre bras?

Je voulais les separer, mais il etait trop tard, ils se seraient
retrouves au coin de la rue.

Le ciel menacait d'une averse.

--Comme ca se trouve, dit-elle; le petit violon a un parapluie.

--Oh! dit-il en souriant, j'ai encore de quoi vous offrir un fiacre.

Parapluie ou fiacre, ce fut leur premier voyage de fiancailles. Que Dieu
les conduise! dis-je en allumant une cigarette.


II

Quelques jours apres cette rencontre inattendue, j'allai au theatre
Beaumarchais, ou l'on representait un drame a fracas d'un autre de mes
amis.

Je ne fus pas trop surpris de reconnaitre Bouquet sous l'habit d'un
seigneur de la cour de Charles VII, amoureux de Paquerette, qui jouait
le role d'Agnes Sorel.

--Comment, vous voila comedien?

--Il le fallait bien. Agnes Sorel a toujours besoin de mon parapluie, et
il pleut tous les jours.

Le bonheur rayonnait sur son front comme sur celui de Paquerette, qui
s'approcha de nous.

--A la bonne heure, dis-je; j'aime a croire que vous avez fait publier
vos bans?

Les amoureux prirent un air de gravite.

--Nous n'y pensions pas d'abord, dit Bouquet, mais nous nous aimons
tant, que nous sommes decides a nous marier.

--Apres les noces?

--Vous etes trop curieux, dit Paquerette; mais vous saurez que je suis
arrivee a lui digne de porter la couronne d'oranger.

--C'est incroyable, mais je vous crois.

On allait entrer en scene.

--Mon ami, dis-je a Bouquet, tout cela est fort beau; mais puisque vous
etes si heureux, ne vous mariez pas.

--Oh! je l'aime tant, que je veux lui sacrifier ma vie!

--Pendant six mois, c'est bien; mais apres? Rappelez-vous les mariages
de theatre.

--Oh! vous ne connaissez pas Paquerette!

--Oui, c'est un ange; mais les anges ne se marient pas, meme dans le
ciel.

Je ne sais pas pourquoi on donne encore des conseils: le lendemain, les
fiances vinrent chez moi pour m'annoncer le jour de leur mariage et me
prier d'etre un de leurs temoins.

--Jamais! m'ecriai-je; je ne veux pas etre temoin de ces choses-la;
d'ailleurs, je porte malheur; j'ai ete temoin de Roger de Beauvoir,
d'Hector de Callias et d'Olivier Metra. Vous savez l'histoire de ces
hymenees.

--Eh bien! si vous ne voulez pas etre un de nos temoins, vous serez au
moins un de nos convives?

Je ne pouvais pas refuser; j'allai meme a la messe pour voir cette
mariee de theatre, qui me parut un peu trop noire meme sous son voile
blanc; le soir, au diner, elle fut charmante, gentille a croquer pour
son mari, pleine de charme et d'agrement avec tout le monde.

--Apres-tout, me dis-je, en les quittant, il n'est pas impossible qu'ils
ne soient heureux.

Cependant j'avais beau chercher dans mes souvenirs l'histoire des
mariages de theatre, je ne pouvais rebatir la chaumiere de Philemon et
Baucis.


III

Trois ou quatre mois apres, a la mi-juillet, j'allais au Havre prendre
les bains de mer. Apres la mer, la vraie distraction, c'est encore le
theatre. J'aime les cabotins de province; il y a toujours parmi eux des
originalites, des talents en germe, des figures imprevues. A la table
d'hote de Frascati, on parla d'une representation extraordinaire ou
devait debuter Mme Marguerite Bouquet, "des theatres de Paris".

--Il parait qu'elle est fort jolie, dit l'un.

--Oui, dit l'autre; mais il ne faut pas s'y risquer, car son mari est
chef d'orchestre et il a toujours son archet suspendu sur les amoureux
de sa femme. On dit d'ailleurs que c'est une vertu.

--Voila qui est invraisemblable, dit celui-ci.

--Pourquoi pas, dit celui-la, le theatre etant l'ecole des moeurs.

Je ne me fis pas prier pour aller le soir a la representation
extraordinaire. On donnait deux actes des _Contes de la Reine de
Navarre_. Marguerite joua le role de Madeleine Brohan avec beaucoup de
grace et de brio; mais, par malheur, elle etait condamnee a chanter
ensuite je ne sais plus quel role, dans une operette,--et elle avait
perdu sa voix dans la prose de M. Scribe;--aussi l'on n'entendit que des
notes depareillees. Heureusement que son mari etait chef d'orchestre;
elle lui criait sans cesse:

--Fais donc chanter les violons pour couvrir ma voix.

Le pauvre chef d'orchestre se demenait comme un diable dans un benitier.
Tout a coup, Paquerette m'apercut; c'etait vers la fin, elle me fit
signe d'aller dans sa loge. J'y allai de bien bon coeur; je lui fis mes
compliments d'etre une si belle reine de Navarre.

--Oui, dit-elle, je crois que je suis Basque, et je comprends bien
Marguerite; mais je suis furieuse d'etre obligee de chanter avec une
voix brisee.

--Qu'est-ce que cela fait? Bouquet y a pourvu.

Le mari survint, tout joyeux, portant un dernier bouquet jete a sa
femme, sans lui dire que celui-la il l'avait achete.

--Voyez-vous, me dit-il, cette femme est insatiable de bouquets.

--C'est a cause de ton nom, monsieur mon mari; mais tu es encore mon
plus beau bouquet.

Il me fallut souper avec eux au cabaret; je constatai avec plaisir que
c'etaient toujours des amoureux. A chaque instant, Paquerette allait
s'asseoir sur les genoux de Wilfrid en disant: "Mon petit violon! mon
petit coeur! mon petit amour!" Elle n'etait pas plus grande que lui,
mais a son bras elle avait l'air d'une amazone, par sa desinvolture
altiere.

Nous nous promimes de nous revoir. Un jour que, tout en cherchant des
curiosites, je passai dans leur rue, je frappai a leur porte. La reine
de Navarre fut quelque peu confuse: elle etait en train, tout en
repassant son role, de repasser sa chemise, de recoudre des perles a sa
robe et a sa couronne de reine. Aux quatre chaises etaient suspendus
des gants qu'elle venait de passer a l'esprit-de-vin, et une collerette
qu'elle avait passee au bleu. Elle etait tout a la fois sa couturiere,
sa blanchisseuse et sa femme de chambre.

Qui donc faisait la cuisine dans cet interieur du _Roman comique_?
Bouquet. Je le surpris veillant au pot-au-feu, qui melait son fumet
savoureux aux parfums de l'esprit-de-vin et du savon de Marseille. Ce
n'est pas tout. Bouquet n'etait pas seulement cuisinier, il etait aussi
couturiere, car il recousait une robe de ville coupee dans une robe de
theatre, pour que sa femme put aller sur la plage avec lui, ce qui ne
l'empechait pas de jouer ca et la un air de violon.

--Voila qui est parfait, dis-je, si vous n'etes pas heureux la-dedans,
vous etes difficiles a vivre.

--Que voulez-vous, murmura Paquerette, au theatre, quand on aime son
mari et qu'on ne veut pas sauter le pas, il faut vivre de peu.

--Ma belle enfant, ce peu c'est tout.

--Voyez-vous que vous pouviez bien etre un de nos temoins!

--Je suis mieux que cela, je suis votre admirateur!

C'etait l'heure du diner; un peu plus, on me forcait a me mettre a table
pour ce repas homerique. Je me derobai, non sans peine, accompagne de
Bouquet, qui allait chez le mastroquet acheter un litre de petit bleu
a seize. Ce ne fut pas sans peine que je le decidai a accepter pour sa
femme un panier de vin fait avec du raisin.

Ah! comme il etait content de penser que les belles levres amoureuses de
Paquerette tremperaient dans le beau rouge du Chateau-Laffitte!

Il etait si heureux d'etre heureux!


IV

Le soir, Paquerette, ne jouant pas, fit un tour dans les salons de
Frascati.

--Comment, lui dis-je, sans votre Bouquet?

--Oui, me repondit-elle en mettant la main sur le coeur, il me manque
quelque chose la.

J'avais au bras un de mes amis qui prenait la mauvaise habitude de
braconner sur le mariage. Il offrit a Paquerette de valser avec lui.
Elle refusa net, en lui disant qu'elle ne valsait qu'avec son mari; mais
elle n'en joua pas moins de l'eventail, enchantee qu'on la trouvat jolie
femme et bonne comedienne. Mon ami voulut remplir le role du serpent,
malgre mes railleries. Il avait rencontre Paquerette courant le soir, a
pied, les vilaines rues du Havre par un temps de chien; il s'etonnait
qu'elle n'eut pas un coupe a deux chevaux pour la conduire au theatre et
pour la ramener chez elle.

--Deux chevaux! s'ecria-t-elle, j'y ai pense; je n'ai pas seulement de
quoi m'acheter des robes. Voyez plutot, je porte une robe de theatre
refaite pour la ville.

--Et encore, dis-je, son mari, qui est bien gentil, y a mis la main.

Le braconnier s'indigna. Quelques jeunes gens survinrent; ce fut un
quatuor de madrigaux. C'etait a qui offrirait les deux chevaux a
Paquerette. Mais elle repondit:

--J'aime bien mieux aller a pied.

Pourtant je fus inquiet quand je la vis questionner ces gens-la sur le
style des equipages, sur les races des chevaux.

Heureusement, son mari apparut; il lui avait promis de venir la prendre
apres avoir ete faire sa partie dans un concert.

--Vous arrivez a propos, lui dis-je; on allait enlever votre femme dans
un coupe a deux chevaux.

--Je n'ai pas peur, dit-il en regardant Paquerette avec la confiance
d'un amour sans nuage.

Il croyait qu'il ferait encore des reprises aux robes de sa femme, mais
il etait convaincu que ces messieurs n'y feraient pas d'accrocs.

A un an de la, j'etais seul; on m'annonca M. Wilfrid Bouquet; je croyais
voir entrer la femme la premiere, mais il etait seul, tout seul. Il vint
a moi, triste et pale, tout en noir, comme s'il portait le deuil de
Paquerette.

Je n'eus pas le temps de l'interroger; il se jeta dans mes bras et
eclata en sanglots.

--Ah! si vous saviez! tout est fini.

--Elle est morte!

--Oui, morte pour moi!

Je compris.

--Quoi, cette gentille Paquerette qui vous aimait tant?

--Oui, elle m'a trahi pour un amoureux qui jouait les Berton, un cancre
de theatre, un cabotin de province.

Ce coup m'avait frappe, mais je voulus donner du coeur a l'ame de ce
pauvre garcon.

--Eh bien! il n'y faut plus penser.

--N'y plus penser! mais c'est ma vie, je meurs de ne plus la voir.

--Voyons, soyez un homme. Quand on est un brave coeur comme vous, quand
on a un talent comme le votre, quand on a vingt-quatre ans, il faut
avoir le courage de braver un amour malheureux. Si je jouais du violon
comme vous, je voudrais enchainer toutes les femmes.

--Ah! mon violon, dit Bouquet en baissant la tete, je lui ai mis pour
longtemps un voile noir.

--Allons, allons, dans tout artiste il y a l'homme de coeur et l'homme
de talent; il faut que l'homme de talent sauve l'homme 'de coeur.

Mon violon n'etait pas loin; j'allai le chercher et je le lui mis dans
les mains.

Il soupira et faillit le laisser tomber; mais tout a coup, comme si
Bouquet avait ete pris parle demon de la musique, il joua le grand air
d'_Orphee_: "J'ai perdu mon Eurydice." Ce fut sublime; j'etais tout emu.
Ses lamentations m'arracherent une larme.

Je le regardai avec un sentiment douloureux pour l'homme et un sentiment
d'admiration pour l'artiste. Je croyais voir Orphee lui-meme mis en
lambeaux par les bacchantes, tant je voyais ce pauvre coeur dechire par
les furies de la jalousie.

Je lui serrai la main.

--Ah! mon ami; comme vous aimiez cette femme!

Bouquet sembla un peu desenfievre.

--J'aurai du coeur, me dit-il d'un air decide; je cours de ce pas
demander ma separation de corps.

--Mon pauvre enfant, vous avez fait une betise en vous mariant; vous
allez faire une autre betise en vous demariant. A quoi cela vous
servira-t-il?

--A quoi cela me servira? A tout briser entre elle et moi.

--Puisque tout est brise.

--Oui, mais j'ai toujours peur, un jour de lachete, de courir a elle et
de la rapatrier dans mes bras.

--Oui, sa vraie patrie, c'etait vous; mais il est trop tard.

Je ne pus convaincre Bouquet; il voulait que la separation de corps
apprit a tout le monde qu'il ne courait plus apres Paquerette.

En effet, on ne fut pas longtemps sans que la _Gazette des Tribunaux_,
a propos de cette separation, revelat, d'apres les journaux du Havre,
comment la comedienne Marguerite avait plante la son mari qui l'adorait,
pour un chenapan qui la battait; car, le jour du flagrant delit, le
talon rouge de province lui avait arrache une poignee de ses beaux
cheveux.

Pour le pauvre mari, la vengeance avait commence le jour de la trahison.


V

Paquerette n'etait pas venue me voir; je lui en savais gre. Cet hiver,
comme je conduisais a l'Eden une princesse etrangere plus ou moins
accreditee, une curieuse ardente a toutes les curiosites, Paquerette
nous croisa dans le promenoir; je ne la saluai point, mais elle se
retourna et me dit: "Plus que ca de princesse!"

--Qu'est-ce que cette demoiselle? me demanda la dame que j'avais au
bras.

--Un monstre.

--Parlez-lui donc, cela m'amusera.

--Tout justement, Paquerette semblait attendre un mot de moi.

--Paquerette, je disais a la princesse que vous etes un monstre.

--Je le sais bien.

--Comment avez-vous pu trahir un si galant homme?

Paquerette ne fut pas touchee du tout; elle se mit a rire et me
repondit:

--Autre temps, autre chanson. Ca m'ennuyait de chanter toujours la meme
chose. Et lui donc, quelle symphonie sempiternelle! Voyez-vous, il y
avait la-dedans trop de pot-au-feu.

--C'est cela, petite miserable; il vous a fallu de la soupe a la bisque;
mais je suis sur qu'au fond vous regrettez votre violon.

--Pas pour deux sous! D'ailleurs, il m'embete toujours; plus nous sommes
separes, plus il court apres moi.

--Encore!

--Tenez, je viens de le voir a deux pas, qui se cache derriere un
pilier.

La-dessus, Paquerette s'envola. La princesse comprit tout de suite le
chagrin du mari.

--Parlez-lui donc, me dit-elle.

Nous nous avancames vers lui. Il etait pale comme la mort, son oeil cave
jetait des eclairs, l'orage grondait dans son coeur.

--Que faites-vous ici? lui dis-je, comme pour lui reprocher sa lachete.

Il me repondit tout bas, pour n'etre pas entendu de la princesse: "Je me
torture."

Et il m'echappa, comme un homme qui se cache de tout le monde.


VI

Je prenais une glace au Cafe Napolitain, en compagnie d'Alberic Second
et d'Aurelien Scholl, qui eclataient en saillies. Mais, tout d'un coup,
ils firent silence. Paquerette etait venue s'asseoir a cote de nous.
"Une comedienne de province!" leur dis-je, sans vouloir lui parler.

Mais elle ne fit pas de ceremonies pour nous demander de la faire entrer
au Vaudeville, en m'affirmant qu'elle jouait comme un ange tous les
grands roles du theatre.

--Vous faire entrer au Vaudeville, lui dis-je; mais, si j'avais
aujourd'hui quelque credit, je ferais retablir pour vous le Fort
l'Eveque.

Mes deux amis me trouverent brutal envers une si jolie fille. Mais, tout
a propos, le malheureux Bouquet passait sur le boulevard, car Paquerette
attirait toujours cette ame en peine.

La voyant si pres de moi, il vint droit a elle. Il croyait que je le
protegerais aupres de cette femme qui etait toujours sa vie, de loin
comme de pres. "Paquerette!" dit-il en palissant.

Il ne put dire un mot de plus et tomba assis sur une chaise.

Je lui serrai la main pour le reconforter; mais, au meme instant,
Paquerette lui dit d'un air degage, avec la voix la plus glaciale:

--Monsieur, je ne vous connais pas!

A peu pres comme elle eut dit a un pauvre: "Passez votre chemin!"

Bouquet passa son chemin. Il leva la tete avec quelque dignite, il me
dit adieu et disparut.

"Monsieur, je ne vous connais pas," etait le mot de la mort pour son
coeur.

Il demeurait alors rue Mazarine; il voulut retourner chez lui pour
ecrire a sa mere qui l'attendait a Nevers. Il n'ecrivit pas a sa mere!

En passant sur le pont des Saints-Peres, il se promena quelques minutes,
en proie a tous les desespoirs. Il regardait le ciel, puis la Seine,
puis les femmes qui passaient, comme s'il devait revoir la figure de
Paquerette.

Tout a coup, il se pencha un peu plus et finit par tomber dans ce
tombeau mouvant.

Il en etait a ses dernieres ressources. Sa mere ne recueillit que son
violon, couvert d'un voile noir!

Paquerette porta le deuil en rose.

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L'HOSPITALITE ECOSSAISE

[Illustration: 123.png]


VII

L'HOSPITALITE ECOSSAISE


I

Le colonel Dieu entra dans le compartiment 341 comme un chien dans un
jeu de quilles. Un chien qui traverse un jeu de quilles ne met en fureur
que des joueurs en gaiete, tandis que le colonel mit en fureur un mari
outrage. Une jeune femme venait de donner un soufflet a sir James
Edwards. Il parait que c'etait son mari; il le croyait, mais elle ne le
croyait pas.

Ils avaient, en effet, passe par un mariage de raison; mais, la premiere
nuit des noces, la jeune femme, qui etait une romanesque et une
idealiste, avait soufflete son mari pour l'envoyer coucher ailleurs.

Or, M. James Edwards, qui aurait du prendre ce soufflet de femme pour ce
qu'il valait, l'avait pris au serieux, non seulement la nuit des noces,
mais encore dans le compartiment 341.

Si bien que M. Dieu assista a cette scene imprevue: Un mari qui veut
riposter au soufflet de sa femme par un coup de revolver!

En effet, comme il allait saluer, selon l'habitude des gens bien eleves
qui entrent quelque part, meme dans une eglise, dirait un athee, le
colonel vit que M. James Edwards, la barbe herissee, yeux flamboyants,
bouche orageuse, menacait Daniella d'un joli petit bijou a mettre dans
une etagere, un revolver travaille par une main de fee, mais donnant la
mort tout comme un autre.

Daniella poussa un cri. Le colonel, moitie souriant, moitie serieux, dit
au mari: "Monsieur, voulez-vous bien me montrer ce joli revolver?--No,
no," repondit l'Anglais.

Car c'en etait un. Bien mieux, c'etait un Anglais double d'un Indien.

Mais le colonel insista d'un ton de maitre.

--Je vous dis de me donner ce revolver.

--No, never! repeta l'Anglais.

Le colonel s'approcha tout pres de lui, comme un homme decide a etre
obei. Mais James Edwards Esq. desarma son bijou et le mit dans sa poche.

--Alors, c'est bien, dit M. Dieu, mais, sacre nom de Dieu,--c'est mon
nom, monsieur,--si vous vous avisez de sortir le revolver de votre
poche, vous aurez affaire moi.

--Go to Hong-Kong.

L'Anglais, dans un baragouin de francais panache de termes britanniques,
reprocha au Francais d'etre entre chez lui sans etre attendu. Le colonel
se mit a rire et lui demanda pardon de ne pas avoir pris un ambassadeur
pour se faire annoncer dans le compartiment 341. Apres quoi, il voulut
bien lui donner ses etats de services: douze campagnes et douze
blessures.

--Mais pas defigure, dit-il en regardant la jeune femme qui, tout emue
dans son coin, le regardait lui-meme avec des yeux adorables.

C'etait une Ecossaise: quand les Ecossaises se melent d'etre belles,
elles le sont merveilleusement, comme Daniella.

M. Dieu fut quelque peu surpris de la voir tout a coup caresser un
pigeon et le lancer par la portiere. Apres quoi, elle reprit sa belle
serenite.

Le colonel regretta alors de n'etre pas un colonel du Gymnase. Il aurait
voulu jouer ce jour-la les Volnys et les Bressant. Mais, grace a Dieu,
s'il n'etait pas un beau soldat a l'aquarelle, il etait un homme tres
agreable, jeune encore, figure sympathique, caractere et moustache en
croc, desinvolture tout a la fois heraldique et cassante. En un mot un
galant homme difficile a vivre avec ses pareils, mais n'envoyant jamais
les femmes a la salle de police.

Plus M. Dieu regardait Daniella, plus M. Edwards lui paraissait
horrible, un bouledogue reussi, barbe gris fer, yeux de lapin blanc, nez
en trognon de pomme, six grains de beaute sur le front et sur les joues.
Cet homme etait si laid qu'il etait beau. Balzac en eut fait un heros
de roman. Il daigna lui-meme donner ses etats de service. Je traduis
sa prose franco-anglaise: soldat aux Indes pendant six ans, pas une
campagne, pas une blessure; ce qui n'etait pas mal repondre aux douze
campagnes, aux douze blessures du colonel; aussi M. Dieu trouva-t-il ce
monstre spirituel. Il esperait, par un peu de gaiete, detourner le mari
de ses coleres tragiques. Il raconta qu'en France un soufflet de femme
etait une caresse comme une autre. Il cita ses auteurs, je crois meme
qu'il alla chercher des exemples dans l'antiquite: Venus ne conquit-elle
pas Mars en lui donnant un soufflet?

--Voyez-vous, monsieur, dit-il en terminant, il faut aller un jour a
une seance de l'Academie des inscriptions et belles-lettres: vous en
apprendrez bien d'autres.

Mais le mari, outrage dit qu'il voyageait pour son plaisir.

--Ca se voit bien, dit le colonel en brulant Daniella du regard

--Monsieur, lui dit-elle alors d'une voix qui lui alla au coeur, est-ce
que nous n'allons pas traverser un tunnel?

--Tiens! pensa le colonel, en voila une qui parle en francais: C'est
toujours ca.

A l'inverse des Anglaises, Daniella avait un accent gazouilleur qui
charmait l'oreille. M. Dieu repondant a la dame, lui dit qu'ils allaient
traverser le tunnel d'Anisy-le-Chateau.

--Singulier tunnel, dit le colonel; c'est le seul ou l'on n'allume pas
les chandelles.

La jeune femme palit.

--On me l'avait dit, murmura-t-elle en cachant mal son effarement.

M. James Edwards parut se recueillir.

--N'ayez peur, dit le colonel, on remplacera les chandelles par des
allumettes-bougies.

Quelques minutes apres, on entrait dans le tunnel. Comme le mari n'avait
pas change de figure et que le colonel ne voulait pas d'une
scene tragique, il fit jaillir la lumiere et brula la premiere
allumette-bougie.

A peine etait-elle eteinte que le bruit d'un soufflet retentit. C'etait
le troisieme.

Mais ce qui retentit mieux, ce fut le coup de revolver que venait de
tirer le mari exaspere.

Etait-ce, seulement pour faire peur a sa femme? Elle poussa un cri
dechirant. Le colonel se precipita et desarma M. James Edwards, au
risque de recevoir lui-meme le second coup.

Ce second coup partit, mais sans l'atteindre.

--Rassurez-vous, madame, dit-il avec calme, je vais vous delivrer de ce
fou furieux.

Le mari rugit. M. Dieu n'etait pas sans inquietude, mais, la lumiere
reparaissant, il vit qu'il y avait eu plus de peur que de mal. Daniella
etait presque evanouie dans son coin, mais aucune trace de sang
n'accusait M. James Edwards.

--Dites-moi, monsieur, lui cria le colonel, est-ce que c'est la votre
maniere de faire plaisir a votre femme? En France, on vous jetterait
dans une maison de fous. Quand on n'est pas content de sa femme, on s'en
va: quand on est pas content de la vie, on s'en va; mais on fait ca en
galant homme, sans embeter les autres, nom de Dieu!

--Ah! ah! dit le mari, moi avoir embete vo. _I am glad of it_.

--Et moi aussi j'en suis bien aise, car moi embeterai vo, bull-dog; vous
voyez que je sais un mot d'anglais.

Le bull-dog tourna sa colere contre sa femme, qui rouvrait ses beaux
yeux pour regarder le colonel. Son mari lui montrait le poing; elle se
leva et vint, comme une colombe effarouchee, se nicher dans les bras de
M. Dieu, qui ne fit pas de facons pour la recevoir. Elle le grisa du
premier coup, par la senteur de ses beaux cheveux, couleur de ble mur,
et la douceur de ses beaux yeux, deux pervenches ombragees.

M. Dieu n'avait jamais ete a pareille fete, non pas seulement parce
qu'il n'etait pas marie, mais parce que les femmes qui lui avaient passe
par les mains etaient des filles d'occasion, des coureuses d'officiers
plus ou moins en campagne, qui ne dedaignaient pas de tomber dans le
fosse pour le soldat.

Le colonel valait mieux que cela, car il avait une belle tete, fiere et
cordiale? mais enfin l'amour poetique n'avait pas encore frappe a sa
porte. Jusque-la, il mettait les femmes au second rang, plus preoccupe
des lauriers que des myrtes, comme disait M. de Jouy. Il fut donc touche
au coeur par les battements de coeur de Daniella. Jamais il ne s'etait
senti si heureux.


II

Naturellement, M. James Edwards n'etait pas homme a se contenter de
cette accolade. Il rugissait, mais il se recueillait. Allait-il fondre
comme un vautour sur sa femme et entamer un duel a la boxe avec le
colonel? Sans doute, mais un coup de sifflet retentit; le train
s'arreta; on cria: Margival!

--A la bonne heure, dit le colonel en regardant le bull-dog, je vais
vous faire empoigner pour qu'on vous mette dans une niche.

M. James Edwards repondit qu'il voudrait bien voir ca.

Il y a toujours, a chaque arret de train, un bon gendarme qui ne dit
rien, qui ne voit rien, mais qui prouve par sa seule presence que la
societe est sauvegardee. Le gendarme est le soldat de la civilisation,
dirait M. Prud'homme, troisieme du nom, s'il disait quelque chose. Le
colonel descendit du compartiment, portant la jeune femme comme il eut
porte un enfant; tout aussitot il ferma la portiere et dit au gendarme.

--Vous n'avez pas peur, n'est-ce pas?

--Non, mon colonel.

Le gendarme tremblait.

--Eh bien! mon brave, vous allez monter dans ce compartiment; vous y
maintiendrez un fou qui a voulu tuer sa femme, voyez plutot le revolver.
Arrive a Soissons, je le ferai apprehender au corps. S'il est bien
gentil, on le renverra outre-Manche; mais, s'il veut faire le malin,
nom de Dieu! on le f...ichera en prison, meme si John Bull n'est pas
content.

Le gendarme obeit, mais d'un air inquiet.

--Si mon camarade montait avec moi?

Quoique ce ne fut pas l'heure de rire, le colonel dit au gendarme:

--Vous avez ete soldat?

--Non, mon colonel.

--Singulier pays, ou l'on prend maintenant des gendarmes dans le civil.
Je comprends qu'il en faille deux pour avoir raison d'un homme.

Il appela l'autre gendarme. Ce fut une vraie comedie, car ils
s'installerent heroiquement dans le compartiment, quoique M. James
Edwards fut descendu de l'autre cote.

Mais le mari ne retrouva pas sa femme avant que le train fut reparti. Il
eut beau tendre les bras, pietiner et crier, on fut sourd autour de
lui, parce que son histoire etait deja connue du chef de gare et de son
personnel.

De Margival a Soissons ce ne fut qu'un roucoulement du colonel, qui
se faisait la voix, car il n'etait pas habitue a cela. L'Ecossaise ne
s'effarouchait pas de la chanson; elle trouvait doux d'etre adoree apres
avoir ete malmenee si brutalement.

--Que diable, ma chere, faites-vous avec un pareil bouledogue?

--Que voulez-vous? on m'a mariee malgre moi. Mais rassurez-vous; la
premiere nuit de mes noces, quand mon mari est venu en chemise, une
chandelle a la main, vers le lit ou je tremblais comme une feuille, je
n'ai jamais voulu lui permettre de se coucher. Il a voulu m'embrasser,
mais je l'ai soufflete ferme, de cette petite main-la.

--A la bonne heure; mais le lendemain?

--Le lendemain, je m'enfuis chez mon cousin O'Connell.

--Vous etes d'une bonne famille!

--Oui, mais famille pauvre, tandis que mon mari est fort riche.

Le cousin avait fait passer un nuage sur le front du colonel.

--Dites-moi, madame, avez-vous donne un soufflet a votre cousin?

--Oui, car il s'est oublie et il a voulu etre mon mari.

--Voyez-vous ca? Et apres le soufflet?

--Helas! mon mari est survenu avec mon pere; il m'a bien fallu les
suivre; voila pourquoi vous me voyez voyageant sans bien savoir ou je
vais, car mon mari m'emmenait d'abord en Suisse; mais il s'est ravise
une fois a Cologne; il m'a parle de Paris pour m'apprivoiser.

--Et maintenant, ou irez-vous?

--Partout ou n'ira pas mon mari.

Le colonel regarda doucement Daniella.

--Je vous conduirais bien chez moi, si j'allais chez moi; mais je ne
vais jamais chez moi, si ce n'est au regiment.

La jeune femme fixa son compagnon de voyage d'un air desespere.

--Voyez-vous, madame--ou mademoiselle,--je suis venu chasser dans ce
pays-ci, la-bas, sur les terres d'un de mes amis qui m'attend ce soir a
diner; je pourrais bien lui mener un chasseur, mais une chasseresse....

--Mais je chasse.

--En verite? Apres tout, il est la sans sa femme; venez chasser avec
nous. Nous allons prendre un joli fusil a Soissons.

--Oh! que je suis heureuse! On s'aimait deja a toute vapeur.

--Tonnerre de Dieu! se dit le colonel, voila une femme qui est bien
facile a vivre, excepte avec son mari. Mais si ce n'etait pas son mari!
si c'etait une coureuse d'aventures.

Il fut rassure par deux beaux yeux, deux fenetres ouvertes sur une ame
candide.

--Vous etes gentille a croquer, madame--ou mademoiselle.

--Dites, mademoiselle.

Quand le train s'arreta a Soissons, l'ami du colonel vint au-devant de
lui et lui indiqua une jolie victoria attelee de deux chevaux anglais.

Daniella alla flatter les chevaux, tout en regardant si son mari ne la
suivait pas.

--C'est ta femme, dit le colonel a M. Dieu.

--Non.

--C'est ta maitresse?

--Non.

--Quelle est cette dame?

--Je n'en sais rien.

--Est-ce qu'elle vient avec nous?

--Si tu veux. Mais il n'y a que deux places dans ta victoria.

--Il y a quatre places; puisque je conduis, je monte sur le siege.

--Eh bien! en route.

Pas un mot de plus.

Daniella ne fit aucune ceremonie pour prendre la place d'honneur.

--Je suis bien contente! dit-elle en serrant la main du colonel.

--Il n'y a pas de quoi! Vous seriez encore plus contente si votre cousin
etait a ma place.

M. Dieu etait jaloux.

--Diable! diable! dit-il, voila que j'aime cette femme, je le sens bien,
puisque la jalousie m'empoigne!

Et le mari? Le colonel, descendant du train, l'avait recommande au chef
de gare de Soissons, un vieux loup de mer qu'il connaissait bien. Il
faut dire, a la louange des deux gendarmes, qu'ils avaient mis la main
sur M. Edwards, quand il etait remonte dans le compartiment 341, a cause
de son sac de nuit, renfermant la moitie de sa fortune. Il lui fallut
parlementer a Soissons, pendant que sa femme courait les champs.

En moins d'une demi-heure, on fut au chateau, au milieu d'un beau
parc, dans un pays charmant, non loin du chateau de l'eveche, qui est
aujourd'hui a une grande cocotte passee au bleu des anges.

Gai diner ou les deux amis riaient des naivetes charmantes de Daniella.
La mariee s'epanouissait avec delices, comme une rose jusque-la
comprimee par les jours de froid. Elle s'etonnait de rire.

--J'etais si triste! disait-elle souvent.

--Pourquoi etiez-vous si triste?

--C'est que la-bas, en Ecosse, il neigeait sur moi.

On lui donna le plus beau lit du chateau, apres celui de la chatelaine.

--Dormez en paix, lui dit le colonel au seuil de la chambre. Je suis
trop bien eleve pour recevoir un soufflet a mon tour.

Il dormit mal.

--Qui sait? se disait-il, elle ne se facherait peut-etre pas si j'allais
lui tenir compagnie!

Mais cet homme, qui n'avait pas peur du feu, qui s'etait battu comme un
heros a Mars-la-Tour et a Orleans, n'osa point faire un pas de plus.


III

Le lendemain, on chassa dans le parc, pas plus loin, par egard pour les
petits pieds de Daniella. Elle tua sans sourciller trois faisans et un
cygne qui n'etaient pas de la fete.

--Voila, dit le colonel, la femme de mes reves: la femme qui fait le
coup de feu.

Le soir venu, il fallut que l'ami retournat a Paris.

--Pourquoi ne restez-vous pas avec nous? dit Daniella, comme si elle eut
ete chez elle.

--Parce que, si je ne retournais pas ce soir, ma femme serait ici demain
matin.

--Eh bien! adieu, dit Daniella; offrez-lui un de mes lievres et un de
mes faisans.

Le colonel paraissait inquiet.

--Voila qui est bien, dit-il; mais, s'il faut qu'il retourne a Paris, il
faut aussi que je retourne a mon regiment.

--Ne le croyez pas, dit l'ami, qui voulait etre hospitalier, meme quand
il n'etait pas la; un colonel se donne a lui-meme des conges.

--Enfin, dit M. Dieu, nous en parlerons demain.

Les voila donc, lui et elle, tout seuls au chateau. C'etait par un de
ces soirs de septembre qui presagent l'hiver. La pluie tombait fine d'un
ciel gris; aussi, en attendant le diner, on alla s'asseoir devant la
grande cheminee de la salle a manger.

--Oh! qu'on est bien ici, dit Daniella!

M. Dieu etait pensif.

--A quoi pensez-vous, mon colonel?

--Je pense que je voudrais avoir dans mon regiment un joli petit
chasseur comme vous.

--Oui, engagez-moi dans votre regiment; la, je n'aurai plus peur de'mbn
mari.

Il semblait que le souvenir de son mari la glacat, car elle se rapprocha
du feu.

--Non, lui dit M. Dieu, ouvrant ses bras; faites comme dans le
compartiment: nichez-vous la.

Sans begueulerie, le plus naturellement du monde, elle vint s'asseoir
sur les genoux du colonel et se pelotonna dans toutes les effusions du
flirtage.

Le feu flambait dans les coeurs comme dans l'atre. Le colonel et
Daniella auraient voulu rester ainsi tout un siecle.

Ils ne se disaient rien, tant ils se parlaient des yeux. Le colonel
finit par reprendre la parole.

--Et quand on pense, dit-il, que vous allez retourner a votre cousin ou
a votre mari?

--Non, _I love you!_ repondit-elle, en embrassant M. Dieu.

--Voyons, soyez franche: je sais que ce matin vous avez envoye une
depeche a votre cousin, qui vous a suivie jusqu'a Bruxelles.

--Oui, je lui disais de venir me prendre a Soissons; mais ce matin je
n'avais pas encore chasse avec vous.

Le colonel regarda doucement Daniella.

--Tais-toi, petite engeoleuse: Tu me ferais croire que je t'aime.

--Je ne sais pas si vous m'aimez, mais moi je vous aime.

M. Dieu soupira.

--Allons donc, vous m'aimeriez avec mes douze blessures--mes quarante
annees, bien ecrites sur a figure,--et les annees de campagne comptent
double.

Daniella s'etait detachee du colonel et renouait ses beaux, cheveux en
rebellion.

--Allons, dit-il, voila que l'oiseau s'est en vole.

Il flottait entre sa raison et son reve.

--Dites-moi, Daniella, savez-vous jouer aux cartes?

--Non, contez-moi plutot une histoire.

--Je n'en sais pas.

--Contez-moi la votre.

Le valet de chambre dit alors tout haut:

"Madame est servie!"


IV

On dina, on fut tour a tour gai et sentimental. Le vin de Champagne mit
sa pointe et sa lumiere dans l'esprit des amoureux. On continua a se
charmer. Ils etaient en face l'un de l'autre. Daniella vint se mettre a
cote du colonel. On finit par boire dans le meme verre.

--Cela se fait en Ecosse dit-elle en francais.

--Tout est bien dans votre pays, dit M. Dieu; mais, quand vous etes
en France, accordez-vous l'hospitalite ecossaise de votre chambre a
coucher?

La mariee sans mari rougit et dit que non.

--Alors je n'ai plus rien a faire ici, puisque, apres vous avoir,
adoree, je ne puis pas vous aimer.--J'oubliais! dit le colonel. Pourquoi
diable avez-vous lache un pigeon entre Anisy et Soissons. C'etait une
maniere d'ecrire a votre cousin.

--Vous devinez tout.

--Quoi encore.

--Vous devinez que je vous-aime.

--Je ne comprends pas bien le francais, mais vous me l'apprendrez, mon
colonel.

On se remit au coin du feu, on prit le cafe, on conta des histoires;
de temps en temps, Daniella allait retrouver son nid dans les bras du
colonel.

C'etait charmant, par la grace naive de l'Ecossaise et par la douceur,
enjouee de l'homme de guerre.


V

On arriva ainsi a onze heures du soir. Tout a coup le valet de chambre
vint avertir qu'un etranger, qui venait de Soissons a bride abattue,
demandait a parler--a Madame.

--Sacre nom de Dieu, dit le colonel, je vais lui parler, moi.

--O ciel! c'est mon mari! s'ecria Daniella.

Le colonel sortit de la salle a manger. La jeune femme se cacha sous un
rideau.

--Quand ce serait le diable!

--Non, dit en rentrant le colonel, ce n'est pas votre mari, c'est votre
cousin. Que vais-je lui dire?

M. Dieu etait pale comme s'il eut recu un coup au coeur.

--Eh bien! dit Daniella en penchant la tete sur le sein du colonel,
dites-lui....

--Quoi? parlez!

--Dites-lui qu'il aille rejoindre mon mari.

Le colonel obeit. Quand il parlait, il n'y avait pas de replique: Le
cousin, tout en s'indignant, reprit la route de Soissons.

Daniella, effrayee d'avoir ete trop douce a M. Dieu, lui dit un bonsoir
presque glacial et s'envola vers sa chambre a coucher, une vraie chambre
nuptiale, toute blanche, par les tentures et par le lit.

Cette fois, le colonel alla frapper a la porte.

--C'est moi, Daniella, n'ayez pas peur.

--J'ai peur... parce que c'est vous....

--Je viens vous demander l'hospitalite ecossaise.

Daniella ouvrit-elle la porte?


VI

Le lendemain elle chassa avec le colonel sans regarder du cote de
l'Ecosse.

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LA SIXIEME LUNE DE MIEL

[Illustration: 149.png]


VIII

LA SIXIEME LUNE DE MIEL


I

Quand on donna chez la duchesse cette jolie mascarade du Directoire ou
Blanche representait Mme Recamier, tout le monde cria au miracle de sa
grace et de sa beaute.

--Et elle est si heureuse!

--Et il est si heureux!

Ils etaient heureux, mais dans la periode du bonheur qui s'endort. Le
soleil avait depasse son zenith pour descendre a l'horizon; les nuages
ne le cachaient point encore, mais ils montaient deja vers lui.

Donc, c'etait le bonheur a son declin. M. de Chavannes trouvait que sa
femme etait la plus adorable des creatures, jolie, spirituelle, taquine,
le coeur et l'esprit toujours en eveil. Mais enfin il commencait a
connaitre son repertoire. Elle lui semblait moins imprevue; il devinait
le mot qu'elle allait dire; il avait denoue tous les masques; il la
percait a jour. Or, pour certains hommes, l'amour est comme la mode qui
vit de nouveaute; heureusement que pour certains autres l'amour est un
egoisme a deux qui rebatit toujours sa chaumiere en ruines de Philemon
et Baucis.

Par bonheur, Blanche s'apercut elle-meme qu'elle se repetait souvent;
c'est la le defaut des femmes babillardes: elles en abattent-elles en
abattent jusqu'au jour ou il n'y a plus a fagoter dans la foret.

Le femmes silencieuses sont bien plus pres de la sagesse; leur esprit
est un puits dont on ne connait jamais le volume d'eau; la verite se
montre quelquefois sur la margelle, mais le plus souvent elle se cache
dans les tenebres, tandis que les babillardes vous eblouissent d'abord
par les diamants d'une source vive qui s'epuise bientot en roulant sur
le sable.

--Maurice, dit un jour Blanche a son mari, tu n'ecoutes plus les jolies
choses que je te dis.

--C'est peut-etre vrai, repondit-il, mais je suis comme un homme ebloui
par le soleil, je finis par aimer l'ombre.

--Tu te moques de moi, je ne dirai plus rien.

--Je ne suis pas inquiet. C'est la le privilege de l'esprit, d'etre
toujours prodigue.

Pendant quelques jours Blanche joua la silencieuse. Maurice avait beau
lui jeter des points d'interrogation, elle se taisait. Cela le reposait,
mais cela la fatiguait de ne plus parler. Il ne faut jamais chasser le
naturel; aussi, le soir, dans le monde, elle s'en donnait a coeur joie:
ne s'etant pas depensee dans la journee, elle etait plus eblouissante
que jamais. Mais tout en babillant dans un cercle de vagues adorateurs
et de femmes qui n'avaient rien a dire, elle suivait de l'oeil son mari
et remarquait avec chagrin qu'il n'avait plus sa figure rayonnante des
premiers jours heureux.

Que faire, pour ramener Maurice aux blanches clartes de la lune de miel?
Si jamais il allait s'amuser ailleurs, pour ne pas s'ennuyer chez lui?
Blanche n'etait pas femme a jeter les cartes, apres avoir gagne la
premiere partie. Mais comment conjurer le dieu Hasard, qui retourne la
dame quand il faudrait retourner le roi.


II

Dans un diner chez la comtesse de Cormeilles, Blanche s'apercut que
Maurice, place en face d'elle, etait fort occupe de sa voisine. Il
paraissait ne pas s'ennuyer du tout en l'ecoutant parler:

--Ce que c'est que de n'avoir pas d'esprit, dit Blanche avec fureur, en
voila une qui a toujours parle, et qui n'a jamais rien dit. Eh bien!
Maurice ouvre la bouche pour boire ses paroles, comme si elle lui
versait une coupe de perles et de diamants.

Tout justement le voisin de Blanche lui dit alors, dans le pur langage
du faubourg Saint-Germain:

--Il parait que votre mari ne s'embete pas en face de nous avec la belle
vicomtesse.

--Oui, dit en riant la jeune mariee, celle que nous appelions au
Sacre-Coeur: Elisa_beth_ et la belle.

--Je sais, et vous ne manquiez pas de souligner la derniere syllabe
d'Elisa_beth_. Que voulez-vous, c'est deja beaucoup d'etre belle.

--Je crois bien, la beaute est le premier trait d'esprit d'une femme.

--Et le second, c'est son coeur.

--Monsieur mon voisin, vous parlez comme un livre.

--Madame, la difference entre nous deux, c'est que je parle comme un
livre qu'on a lu et que vous parlez comme un livre qu'on n'a pas encore
lu.

Apres le diner, Mme de Cormeilles prit tres amoureusement le bras de
Maurice, s'appuyant et s'abandonnant avec une grace affectee: un peu
plus elle s'enroulait autour de lui.

--Voyez-vous ce serpent, murmura Blanche, que la jalousie mordait au
coeur.

Elle ne joua pas la meme comedie avec son voisin de table, elle alla se
cacher dans un des petits salons, ou il n'y avait personne, pour voir si
son mari la chercherait.

Il ne la chercha pas.

Et pourtant elle etait adorable ce soir-la; robe en indou blanc et en
surah merveilleux avec flocons de dentelles; le corsage etait un reve,
quoiqu'il ne renfermat pas deux chimeres; ruban sur l'epaule pour mieux
accentuer le nu du bras. On n'avait jamais si bien deshabille une femme
du monde. Sous les cheveux releves a la Diane, quelques touffes rebelles
caressaient un cou qui appelait toutes les levres.

--Ce n'est pas la peine d'etre belle, dit-elle, en se mirant dans une
attitude exquise tout a la fois coquette et abandonnee.

Comme Mme de Chavannes ne savait pas renfermer ses emotions, elle avisa
une de ses amies qui lui avait dit la veille: "Es-tu assez "heureuse!"

--Comprends-tu, ma chere Emma, que mon mari puisse s'amuser aux propos
eloquents que lui debite Elisa_beth_!

--C'est un comble, dit l'amie; mais, c'est egal, veille sur ton mari,
car toutes les femmes le trouvent trop beau.

--Je ne puis pourtant pas le mettre sous clef.

--Non, mais ne lui donne pas la clef des champs!--et ne la prends pas
toi-meme.

La verite, c'est que M. de Chavannes etait trop beau pour un homme
seul: il n'avait pas a se mettre en quatre pour que les chercheuses
d'aventures lui fissent tourner la tete de leur cote. Il y a toujours
a Paris, dans les hautes regions mondaines, trois ou quatre hommes qui
sont maitres du champ de bataille, parce que les femmes sont toutes des
brebis de Panurge. Elles vont aveuglement ou va la premiere. Don Juan
aura eternellement raison: prendre une femme haut la main, c'est les
prendre toutes,--je parle de celles qui se laissent prendre.--Et
plus les femmes sont malheureuses avec lui, plus le flot monte et le
submerge. Le poete espagnol n'a-t-il pas dit que Don Juan pouvait
prendre un bain dans les larmes de ses victimes?

Maurice allait-il en arriver la? On lui promettait de le proposer pour
le prix Montyon. Les femmes sont ainsi faites, qu'elles n'aiment pas le
bonheur--des autres.


III

Une de ces railleuses dit un jour a Maurice:

--Voyons, il est temps de commencer votre cinquieme ou sixieme lune
de miel avec une autre amoureuse, pour voir si c'est toujours la meme
chose.

Or, voici ce qui arriva. Maurice etait d'un cercle, comme presque tous
les mondains. Quoiqu'il fut absolument le mari--et l'amant--de sa femme,
il n'avait pas brise avec toutes les demi-mondaines. Quelques-unes lui
ecrivaient encore pour ceci ou pour cela,--question d'argent;--car il
etait couche sur le grand-livre de la dette publique de ces dames.

Naturellement toutes ces lettres lui arrivaient au cercle.

Un matin, il regarda a deux fois avant de briser le cachet d'une
enveloppe japonaise. Ce cachet a la cire representait une couronne de
princesse, une couronne fermee sur un ecusson serieux. Il respira le
parfum de la cire et de l'enveloppe.

--D'ou diable cela vient-il? C'est un parfum tout nouveau pour moi:
violette et lys.

En ouvrant le billet, il trouva que l'ecriture etait d'une haute
distinction; aussi prit-il un vif plaisir a lire ces quelques mots:

  Je vous aime! Je voudrais vous dire cela
  avec un masque. J'ai vingt-trois ans, pas un
  mois de nourrice en plus. Voyez mon portrait,
  pour savoir si je suis belle. Voulez-vous
  perdre une heure a causer, avec moi?
  Oui, n'est-ce pas? Passez ce soir avenue
  Montaigne, a dix heures, mais non pas dans
  votre coupe; prenez la premiere voiture venue,
  si elle est fermee. Je descendrai de l'hotel
  d'une de mes amies. Nous ferons un tour au
  Bois; mais jurez-moi vos grands dieux que
  vous ne souleverez pas mon triple voile. Le
  bonheur se cache; moi je veux cacher ma
  figure, comme mon bonheur. Il me semblera
  que mon crime sera a moitie pardonne.

"CELLE QUI NE DIT PAS SON NOM."

Tout en lisant, Maurice avait regarde la petite photographie que
renfermait l'enveloppe. C'etait une tres jolie figure, animee par les
plus beaux yeux du monde; la bouche etait cruellement voluptueuse dans
son sourire felin, les levres s'entr'ouvraient charmeuses et gourmandes.
Maurice etait ravi; mais il regretta de voir le cou, les epaules et le
sein tout encharibotes de fourrures.

--Diable! dit-il, s'il y a trois voiles avec tout cela, je ne vois pas
bien ce qu'il y aura a mettre sous les dents!

Tout homme a son confident: Maurice ne put s'empecher de montrer cette
lettre a un ami du Club.

--Que ferais-tu a ma place?

--La belle question! j'irais au rendez-vous.

--Et si les trois voiles cachaient une vieille folle?

--Non; je respire la jeunesse dans ce billet doux.

--Et bien! vas-y; moi je ne suis pas familier a ces plaisirs-la.

--Je comprends: tu as le bonheur chez toi; tandis que moi je suis oblige
de courir apres.

Un silence.

--Mais, mon cher Maurice, je ne puis pas jouer ce jeu-la. Des que la
dame verra que ce n'est pas toi, elle se jettera hors de la voiture.
Elle n'y montera meme pas.

--Tu es bete! elle cherche une aventure: un homme en vaut un autre.

--Tu ne sais pas ce que tu dis; Je te rends ton billet. C'est a toi de
continuer le roman.


IV

Maurice resta indecis toute la journee; peut-etre ne fut-il pas alle au
rendez-vous, s'il n'eut trouve dinant chez lui la soeur de sa femme;
tout un contraste: pas jolie et pas spirituelle.

A neuf heures, il dit qu'il lui fallait aller a une reception
ministerielle.

--Va ou tu voudras, puisque ma soeur est avec moi; j'irai peut-etre la
conduire chez ma mere.

Maurice, qui demeurait pres de l'Arc-de-Triomphe, descendit l'avenue des
Champs-Elysees, tout en fumant un cigare inspirateur. Comme il remontait
au rond-point, il vit que l'horloge des fiacres marquait dix heures
moins dix minutes: c'etait l'heure et le moment.

Il monta tout simplement dans une citadine qu'il conduisit presque au
bout de l'avenue Montaigne, vis-a-vis le chateau gothique du comte de
Quinsonas.

Il n'attendit pas longtemps; une femme tout en noir, qui lui parut
grande et qui ne montrait pas ses talons, vint droit a la voiture. Il
se precipita pour lui offrir la main. Elle monta d'un pied leger. Comme
elle l'avait dit, elle etait masquee d'un triple voile.

La voiture etait deja en route, car M. de Chavannes avait donne ses
ordres au cocher.

--Princesse, dit-il en lui serrant la main, vous etes dans une armature
de fer: deshabillez au moins votre main.

--Oh! pas maintenant; demain, peut-etre. Ne trouvez-vous donc pas que
c'est deja se toucher de bien pres quand on se parle en tete a tete. Les
paroles sont presque des actions.

Ce seul mot prouva a Maurice qu'il n'etait pas en mauvaise compagnie. Il
ne perdit pas son temps en phrases meteorologiques, ne s'inquietant pas
du temps qu'il faisait.

A l'Arc-de-Triomphe; M. de Chavannes avait obtenu que la dame
deboutonnat a moitie son gant.

--Pas un bouton de plus! dit-elle d'un air determine.

Il fallut bien que Maurice se contentat d'embrasser un petit coin du
bras. Mais quel bras! mais quelle chair! mais quelle senteur amoureuse!
Il etait aux anges et aux diables.

Sa femme etait bien loin!

Quand on fut aux premiers arbres du Bois, la dame voulut qu'on
rebroussat chemin. Maurice eut beau supplier et se jeter a genoux,--ce
qui est une des poses de Don Juan, parce que Don Juan sait se
relever,--la dame fut heroique. Maurice eut peur de tout gater.

--Voyez-vous, lui dit la dame, figurez-vous que c'est un
roman-feuilleton, je vous ai donne une part de moi-meme: mon coeur et
mon bras, sans parler d'un baiser que vous m'avez vole sur le cou. La
suite a demain.

On n'est pas plus engageante. Maurice fut ensorcele. Il reconduisit
la dame avenue Montaigne, et s'en alla au cercle, convaincu qu'il
triompherait de cette vertu de princesse a couronne fermee. Il n'etait
pas plus fat qu'un autre; mais l'idee qu'il enjolait une princesse
chatouillait agreablement sa vanite.


V

Ah! par exemple, le second jour, il ne se laissa plus prendre. Deja, a
la premiere rencontre, il avait presque reconnu sa femme a certaines
manieres de la princesse. Mais quelle idee aurait eue Mme de Chavannes
de jouer ce jeu? D'ailleurs, la princesse lui paraissait plus grande
et plus desinvolte. Ce jour-la, il ne douta plus de la comedie, ce qui
l'amusa beaucoup. Et comme il voulait amuser sa femme, il tenta de
brusquer l'aventure; mais Mme de Chavannes fut encore imprenable. Et
pour se defendre mieux, elle lui parla de sa femme. Ici, le mari joua
bien son jeu.

--Ah! que me dites-vous la, princesse? Pourquoi me rappeler si mal a
propos une femme que j'adore? Vous seule pouvez un instant me la faire
oublier.

La fausse princesse devint plus caressante.

--Il est passe, dit-elle, le temps des amours eternelles. Quand on se
marie, on marie deux fortunes et non deux coeurs.

--Vous vous trompez, princesse: je me suis marie corps et ame.

Mme de Chavannes etait ravie: un peu plus elle se jetait dans les bras
de son mari; mais elle voulait jouer son role jusqu'au bout.

--J'en suis fache, monsieur, vous m'avez pris le coeur, et je n'aurai
pas la grandeur d'ame de vous renvoyer a votre femme. N'a-t-elle pas eu
deja quatre ou cinq lunes de miel?

Sur ce mot, elle embrassa voluptueusement M. de Chavannes sans pourtant
lever son triple voile.

--A demain! lui dit-elle.

Maurice trouvait un vif plaisir a continuer cette aventure. N'etait-ce
pas etudier sa femme de plus pres? Etait-il sans inquietude pour
l'avenir avec une si parfaite comedienne, qui avait pu deguiser sa voix,
son esprit, ses attitudes?

Il rencontra son ami du Club qui lui parla de l'aventure:

--Eh bien! es-tu heureux?

--Je crois bien! Tu as manque la une rude bonne fortune.

--Voyons, dis-moi le nom de la dame?

--Je ne te le dirai jamais.

--Ce Maurice! profond comme la mer et muet comme la tombe!

Nous voici au troisieme rendez-vous.

La voiture avait suivi le meme chemin que la veille; mais une fois au
bout du lac, les chevaux s'etaient egares dans les chemins perdus de la
cascade. On s'en revint par l'allee des Acacias; l'amoureuse appuyait
doucement sa tete sur l'epaule de Maurice; elle lui avait permis de
l'embrasser sous son triple voile. Et quels savoureux embrassements!

--A minuit, lui dit-elle doucement, vous me verrez chez la duchesse de
C...; si vous m'aimez, vous me reconnaitrez sans m'avoir vue, et vous me
reconduirez chez moi. Ce sera le dernier mot.

--Le mot de la fin, dit Maurice en pressant Blanche sur son coeur.


VI

Il etait minuit et demi quand Maurice entra au bal; naturellement il eut
hate, de traverser les quatre salons comme pour retrouver sa princesse.
Il semblait devorer toutes, les femmes du regard. Il passa tout un
demi-quart d'heure a cette jolie course au clocher.

A la fin, comme il se trouvait tout pres de sa femme, elle lui fit signe
et lui montra un fauteuil:

--Monsieur mon mari, dites-moi, d'ou vous vient cet air victorieux et
inquiet?

--Je cherche.

--Vous trouverez; mais en attendant contez-moi ce que vous avez fait ce
soir.

--Rien du tout.

Disant ces mots, Maurice regarda sa femme qu'il n'avait pas bien
regardee depuis huit jours.

--Comme vous etes belle, aujourd'hui.

--Je suis comme vous, j'ai l'air victorieux et inquiet. A propos, on m'a
dit que vous etiez amoureux d'une belle princesse?

--Moi, pas pour deux sous.

--On m'a dit que ce soir on vous avait reconnu dans l'allee des Acacias,
en tete a tete avec une femme tout en noir. Vous savez qu'on en parle
autour de nous; mais je n'y crois pas, et vous?

--Moi non plus.

--J'imagine que vous n'avez pas baisse les stores. Il est vrai qu'il n'y
a pas de lune. Maurice regardait bien sa femme, tout emerveille de la
voir si bonne comedienne.

--Monsieur mon mari, on vous accuse meme d'avoir vole le mouchoir de la
dame pour pouvoir la reconnaitre. Mais pas si bete, l'amoureuse! car
c'etait un mouchoir sans couronne et sans chiffre.... Maintenant vous
pouvez retourner a la duchesse; moi je vais demander ma separation de
corps, puisque je tiens toutes les preuves.

Maurice, riant sous cape, dit a sa femme:

--Chut! ne parlez pas si haut.

--Si, monsieur, je parlerai haut; je dirai que ce soir, a onze heures,
on a surpris Monsieur et Madame de Chavannes dans l'allee des Acacias,
recommencant leur sixieme lune de miel.

--C'etait toi! s'ecria Maurice le plus naturellement du monde.

--C'etait moi, sous la figure d'une autre: voila pourquoi je t'ai
retrouve comme au premier jour.

--Blanche, tu es une femme de genie: tu serais capable de me faire voir
la centieme lune de miel!

--N'en doute pas, puisque je t'aime.

--Oh! je ne m'y fie pas! Une femme qui a ses debuts joue si bien les
travestis est capable de se risquer dans une seconde aventure pour voir
s'il n'y a pas d'autres lunes de miel que celles du mariage.

[Illustration: 168.png]




LES VISIONS DE LUCIA

[Illustration: 171.png]


IX

LES VISIONS DE LUCIA


I

Adieu! Lucia. N'oublie pas la legende du bien et du mal.

C'etait la vicomtesse d'Harcours qui parlait ainsi a sa fille.

Lucia, toute eploree, les cheveux epars, etouffant ses sanglots,
soulevait la mourante dans ses bras. "Ma mere, ma mere, je ne veux
pas que tu meures." Mais la mort etait la qui prit la mere et toucha
l'enfant.

Lucia avait quinze ans. On l'avait appelee du couvent sur l'ordre de la
comtesse qui ne voulait pas mourir sans revoir une derniere fois cette
adorable figure de vierge, detachee des fresques de l'Ange de Fiesole.

Elles n'etaient plus que deux au monde, la mere et la fille. La mere
retourna a Dieu, la fille retourna au couvent. Le chateau d'Harcours,
cette belle ruine solitaire de l'Orleanais, ne fut plus hante que par
les chouettes.

Pourquoi la mere mourait-elle si jeune et pourquoi parlait-elle de la
legende du bien et du mal? On disait la-bas que son mari s'etait tue
a ses pieds par jalousie et qu'il se vengeait au dela du tombeau. On
disait aussi que sa vengeance frapperait Lucia qui portait son nom, mais
qui n'etait pas sa fille.

Jusqu'a dix-sept ans, Lucia, toute en Dieu, ne pensa qu'a revetir la
sombre robe des carmelites; mais, tout d'un coup, il y eut un reveil
dans cette jeune fille. C'est que ce jour-la elle se vit belle dans son
miroir. Il lui sembla qu'elle etait appelee, elle aussi, aux joies de la
vie.

Elle avait une tante a Paris, une mondaine prodigue, qui comptait deja
sur la fortune de la carmelite pour doter ses filles; aussi ne fut-elle
pas peu surprise d'apprendre que sa niece etait retournee au chateau
d'Harcours.

Elle lui ecrivit et lui representa qu'elle etait bien jeune pour habiter
une pareille solitude. Mais la jeune Lucia repondit que cette solitude
lui etait douce pour vivre dans le souvenir de son pere tue a la
bataille d'Orleans, et de sa mere morte en pleurant son pere; ces deux
souvenirs seraient sa sauvegarde.

C'etait au temps des vacances, la tante emmena ses filles au chateau
pour revoir de pres cette jeune folle qui voulait vivre de la vie et non
s'enterrer vivante. Lucia fut charmante pour sa tante et ses cousines.

--Vous n'y perdrez rien, leur dit-elle gentiment, j'avais dit que ma dot
serait partagee par mes deux cousines. Nous ferons trois parts, au lieu
d'en faire deux, et d'ailleurs, qui sait si je me marierai jamais, car
je me sens bien sauvage.

En effet, Lucia aimait les bois, les ravins, les chutes d'eau. Il ne se
passait pas de jour qu'elle ne songeat a retourner au couvent; la gaiete
babillarde de sa tante et de ses cousines l'irritait jusqu'aux larmes,
quoiqu'elle les aimat toutes les trois. Elle aspirait au temps ou elle
se retrouverait seule. En attendant, la mode avait ses grandes entrees
au chateau; Lucia etait metamorphosee en Parisienne, tandis que tout un
ameublement Louis XVI panache de japonisme transformait les salons,
la salle a manger et les chambres habitables. On pouvait se permettre
quelques folies sur l'inspiration de la tante, car la fortune de Lucia
lui donnait cent cinquante mille livres de rente.

Apres un mois de sejour au chateau, ou on ne recevait que trois ou
quatre familles provinciales, oubliees et embeguinees, la tante et
les cousines reprirent la route de Paris a toute vapeur, quelque peu
surprises de voir que la chatelaine ne voulait pas etre du voyage.
Que ferait-elle la, seule pendant tout un hiver, avec une gouvernante
reveche et des serviteurs qui semblaient des fantomes, tant Lucia leur
avait imprime par sa dignite silencieuse le caractere de la solitude?

--Enfin nous respectons ta volonte, lui dit la tante, en l'embrassant,
tu vas mourir d'ennuis, tu es bien heureuse que je t'aie abonnee a _la
Vie parisienne_, et a _l'Art de la Mode_.

--Oh! ma tante, je ne lirai pas de journaux.

Lucia savoura pendant quelques jours le plaisir d'etre seule; elle alla
plus souvent au cimetiere, elle ne manqua pas la messe un seul jour.

Elle poursuivait ses reveries dans les sentiers perdus du parc,
s'egarant jusque dans les bois voisins. Le soir, elle lisait beaucoup;
ses romans, c'etait la vie des Saintes; elle regrettait de ne pouvoir, a
son tour, marquer une legende dans l'histoire chretienne.

Elle avait pourtant des aspirations mondaines. Le matin, devant sa
psyche, elle ne pouvait s'empecher de sourire a sa beaute, comme on
sourit au ciel, aux lys et aux roses, comme on sourit a la chanson et
a la melodie. Ce n'etait pas la beaute rayonnante des filles d'Eve: ce
n'etait que la vision de la beaute. Je ne sais quoi d'ideal et de divin;
mais comme l'ame illuminait la figure, les grands yeux bleus sous les
cils noirs avaient une eloquence extrahumaine.

La gouvernante eut peur un jour de la voir suivre bientot sa mere; sans
lui rien dire, elle la mit a un regime tonique; comme elle etait
en pleine seve, elle reprit plus fortement racine; ses paleurs se
colorerent gaiement; la grace succeda a la delicatesse; ses bras en
fuseaux s'arrondirent; ses seins effaces souleverent sa robe. Ce fut
une demi-metamorphose, grace aux gelees de gibier et au vin de
Chateau-Yquem, sans que Lucia s'apercut de cette autre maniere de vivre.

Un matin d'hiver, apres avoir pendant quelques jours admire les
blancheurs de la neige, Lucia partit pour Paris, ou elle surprit sa
tante et ses cousines par sa beaute plus vivante.

"Helas! dit la plus jeune des cousines, qui n'etait pas jolie, si
j'avais la figure de Lucia, je me passerais bien de dot."

Lucia, sans se faire trop prier, voulut bien aller dans le monde; mais
comme elle etait inconnue partout, elle supplia sa tante de ne jamais
dire qu'elle fut riche, de la representer au contraire comme une
orpheline pauvre, bien plus pres du couvent que du mariage.


II

En ses derniers jours, Mme d'Harcours avait dit a sa fille: "Si tu dois
te marier, je veux que tu epouses Henry."

Henry, c'etait le fils d'un ami de M. d'Harcours, tue comme lui a la
bataille d'Orleans. Le fils etait alors lieutenant au 2e chasseurs
d'Afrique. Il connaissait le voeu de la mourante; mais, ayant appris
qu'elle se voulait faire carmelite, il s'etait retourne vers la premiere
des deux cousines que devait doter Mlle d'Harcours.

Voila pourquoi Lucia, le second jour de son arrivee a Paris, avait
rencontre M. Henry Malville chez sa tante. Il etait en conge pour les
derniers mois de l'hiver. Il ne lui plut pas a premiere vue, aussi
fut-elle contente quand elle s'apercut qu'il etait en conversation tres
familiere avec une de ses cousines.

--Jeanne, lui dit-elle, je veux que tu epouses M. Henry Malville; s'il
ne faut pour te decider qu'un collier de perles, je te donnerai le mien.

Quelle est donc la jeune fille qui refuserait un collier de perles et
un mari?--et un mari dans le galant uniforme des chasseurs d'Afrique,
bronze par le soleil, yeux fiers, moustache retroussee? Jeanne accepta
d'abord le collier de perles.

Si Lucia avait parle ainsi, c'etait dans la peur d'aimer Henry Malville.


III

A quelques jours de la, les deux cousines jouerent chez la duchesse
de *** une comedie de paravent faite tout expres pour elles. Elles la
jouerent a merveille, avec un jeune premier, sans theatre, quoi qu'il
fut charmant et que Delaunay l'eut style dans la tradition des talons
rouges.

Lucia fut ravie de la comedie, des comediennes--et du comedien.

--Moi aussi, dit-elle, je voudrais bien jouer la comedie; ce doit etre
si amusant de n'etre plus soi et de jouer un autre role dans la vie.

Cela ne tomba pas dans l'oreille d'un sourd. Un ami des cousines, Henry
Meilhac, qui aime la beaute dans toutes ses expressions, dit a Mlle
d'Harcours qu'il lui ferait une comedie.

--Oui, dit-elle, comme emportee a son insu. Une comedie. Mais faites-moi
un role de sacrifiee, car j'aime les larmes.

--J'ai trouve, dit Meilhac, qui ne cherche pas longtemps. Il me faut
trois femmes et deux hommes, vos deux cousines et vous. La piece
s'appellera _les Trois cousines_. Nous avons deja un amoureux. Nous en
trouverons un autre.

Henry Meilhac aurait bien voulu jouer l'autre amoureux, il se contenta
d'indiquer Berton.

J'oubliais de dire que l'autre amoureux, un nom bien connu dans la
magistrature, avait pris le pseudonyme de La Grange, l'amoureux idea de
la troupe de Moliere.

La comedie fut bientot apprise et bientot jouee. Bientot apprise je me
trompe, on passa trois semaines a repeter tous les jours dans le salon
de la tante. Lucia y trouvait un plaisir inoui. Elle avait tout oublie:
le couvent, le chateau, les sentiers perdus, la vie des Saintes, les
blancheurs de la neige.

Est-ce parce que le lieutenant de chasseurs venait aux repetitions? Pas
le moins du monde. Quoiqu'il fut charmant avec elle, Lucia l'abandonnait
a sa cousine. Plus d'une fois, le soir, quand elle se retrouvait seule,
elle ressentait les terreurs du vertige comme si un abime s'ouvrait sous
ses pieds, mais c'etait l'abime rose, l'abime parisien, l'abime qui
chante. Un philosophe a dit que plus la femme etait pres du ciel, plus
elle etait pres de sa chute. L'eau des fontaines se trouble plus vite
que l'eau des torrents. Le voyageur qui touche aux sommets touche aux
precipices.

Est-ce que cette adorable Lucia, qui n'a hante que les anges, qui n'a
jamais touche de son joli pied les fumiers de la terre, ne s'ensevelira
pas un jour toute blanche dans sa vertu?

L'amour l'a prise et lui a donne toutes les ivresses, elle a voulu jouer
un autre role dans la vie, elle joue le role d'amoureuse, elle le joue
avec passion dans tous les nuages orageux qui cachent le ciel.

A la repetition, quand M. de La Grange lui dit qu'il l'aime a en mourir,
elle pense qu'elle en mourra. Elle n'ose descendre dans son coeur, elle
n'ose s'avouer les charmeries de ce comedien qui met tant d'art dans
sa passion, ou plutot tant de passion dans son art. Pour elle, c'est
l'ideal des hommes. Grace a lui, elle a perdu son point d'appui sur la
terre, c'est-a-dire sa foi en Dieu: elle etait toute ame, elle est tout
coeur. Quand elle revient a la raison, elle s'effraye; mais tel est
l'empire de cet homme, qu'elle se rejette vers lui avec affolement.

Enfin on joua la comedie; son emotion la servit, tout le monde fut
touche et ravi. On declara que jamais on n'avait aussi bien joue la
comedie dans le monde. C'est qu'il y avait moins de jeu que de naturel,
c'est que c'etait l'amour lui-meme qui parlait par cette bouche de
dix-huit ans qu'un baiser voluptueux n'avait jamais profanee.


IV

On arrivait a la semaine sainte. Bien qu'on parlat d'une autre
comedie et que la duchesse de C*** priat Lucia de donner une seconde
representation des _Trois cousines_, Lucia se retourna vers Dieu et
s'enfuit au chateau d'Harcours.

Pourquoi? Elle ne le savait, ou plutot elle le savait bien: elle avait
peur de sa joie amoureuse. Elle ne voulait plus voir M. de La Grange,
elle jurait de ne plus quitter la solitude.

En passant a Orleans, sa gouvernante s'etait attardee dans sa famille.
Au chateau, Lucia trouva tout le monde en joie et liesse, le jardinier
mariait sa fille; le soir, on lui demanda la permission d'aller danser
au village voisin: dans son desir d'etre seule, elle donna conge a tout
le monde. On lui avait allume un grand feu, elle feuilleta des livres,
elle se prepara du the. Elle s'abandonna a ses souvenirs, plus effrayee
par son amour que par le vent qui pleurait sur les arbres du parc et
hurlait dans la cour du chateau.

Cependant, vers onze heures, Lucia commenca a se dire que la solitude
est terrible la nuit dans un manoir en ruine, perdu dans les bois; mais,
comme toutes celles qui ont de la vaillance, elle eprouvait quelque
plaisir a braver la nuit devant tous ces portraits de famille qui la
regardaient.

Vers onze heures et demie, le feu s'eteignit presque, le feu, cet ami
qui lui parlait et qui ne lui disait plus rien. Elle avait deja pris
deux tasses de the, elle rapprocha la bouilloire des dernieres braises
en se demandant si elle rallumerait le feu, ou si elle irait se coucher.
Elle se promena, mais toujours les portraits la regardaient d'un oeil
fixe.

Lucia s'arreta devant la figure de son aieule, surnommee la visionnaire.

A force de la regarder, elle la retrouva vivante. C'etait un portrait
parlant, un chef d'oeuvre de Robert Lefevre, ce maitre portraitiste.

--Grand'maman, je t'en prie, ne me regarde pas comme cela. Je t'aime
bien, mais tu me fais peur.

Lucia retourna a la cheminee, une grande cheminee renaissance, qui
encadrait une glace a biseaux. Un manteau de plomb lui tomba sur les
epaules. Elle se sentit des pieds de marbre qui ne pouvaient plus
marcher.

Et le vent pleurait et hurlait toujours. "Si seulement j'avais un chien
avec moi," dit Lucia. Mais les chiens dormaient au chenil.


V

--J'ai peur, dit Lucia, et pourtant je ne suis pas une visionnaire.

Un livre ferme sur la table frappa son regard; elle l'ouvrit et lut
cette page:

"Quand Dieu eut cree dans l'esprit du bien les mondes innombrables qui
gravitent sous sa main, il crea l'esprit du mal, ne voulant pas que
l'homme put arriver a lui sans avoir combattu.

Au commencement du monde, le bien etait represente par un ange, le mal
par un demon, mais peu a peu Dieu retoucha a son oeuvre. Les ames en
peine qui ne sont ni du paradis ni de l'enfer, parce qu'elles ne
sont pas encore detachees ni du bien ni du mal, ont ete condamnees a
representer l'esprit de Dieu et l'esprit de Satan dans les ames de la
terre.

Voila pourquoi tout homme, toute femme qui vient au monde est le jouet
des ames en peine.

Tout en s'agitant dans le libre arbitre, on s'imagine que l'on vit en
liberte et qu'on fait ce qu'on veut. Mais on obeit sans le savoir a
cette ame en peine, qui a veille sur notre berceau et qui nous conduira
jusqu'a la tombe.

C'est une seconde ame qui s'amuse de nos passions, qui nous egare tour
a tour dans le bon ou mauvais chemin. Cette seconde ame, c'est la
conscience, c'est le repentir, c'est la divination; elle nous apparait
ca et la sous diverses metamorphoses. C'est elle qui s'appelle la
vision, le pressentiment, le fantome, le miracle.

Celui ou celle qui prie et qui pleure, voit apparaitre sa conscience;
tous les pecheurs qui se repentent, la verront dans la solitude sous les
heures nocturnes, s'ils se regardent dans une glace; saint Augustin et
sainte Therese ne l'ont-ils pas vue apparaitre a minuit dans le delire
des ivresses amoureuses."

Ici finissait la page. Deja plus d'une fois on avait parle a Lucia de
cette image invisible qui nous conduit partout, une ombre de nous-meme,
notre double, comme dit la legende; le plus souvent, c'est la
reverberation de notre image; mais quelquefois aussi c'est une autre
figure. Beaucoup de contemporains, parmi les poetes et les reveurs,
ont cru voir vaguement cette silhouette. Lamartine disait que, seul a
minuit, il n'osait braver cette apparition dans un miroir. Alfred de
Vigny, Roger de Beauvoir, Theophile Gautier avaient pareillement peur
de leur ombre nocturne. Tous ceux qui ont hante l'inconnu ont peur de
l'inconnu!

Quand Lucia pensa a son image incorporelle, elle se sentit glacee. "Et
pourtant, dit-elle encore, je ne suis pas comme ma grand'mere, je ne
crois pas aux visions." Mais elle etait inquiete et n'osait se regarder
ni dans le miroir de la cheminee ni dans une grande glace qui etait au
bout du salon. Enfin elle voulut etre brave: elle hasarda un regard dans
le miroir.

Elle se vit comme elle etait, pale et triste, pensive avec des yeux
inquiets. "Je le savais bien, dit-elle, ce n'est pas mon ombre." Mais
quand elle regarda de l'autre cote, dans la grande glace ou elle se
voyait en pied, il lui sembla que ce notait plus elle.

Elle voulut braver cette vision, elle s'en approcha toute fremissante.

Non, ce n'etait pas elle qu'elle voyait, c'etait une femme en blanc
qui pleurait. "Ma mere, murmura-t-elle." Mais ce n'etait pas non plus
l'image de sa mere.

Je vous peindrai mal tout l'effroi de Lucia, elle tomba a genoux et pria
sans pouvoir detacher ses yeux de la vision. Elle s'imagina que cette
femme en blanc qui pleurait l'accusait de ne pas avoir ecoute les
dernieres paroles de sa mere: Elle devait epouser un soldat, elle aimait
un comedien.

"Je retournerai au couvent," dit-elle.

La vision s'evanouit tout en souriant.


VI

Le lendemain, Lucia qui avait maintenant peur de la solitude, invita a
diner le cure du village et une voisine de campagne. Elle fut quelque
peu surprise de voir arriver Henry Malville. Il lui dit que, passant par
Orleans, il avait voulu lui serrer la main; c'etait d'ailleurs un adieu,
puisqu'il allait repartir pour l'Algerie. Il s'invita a diner. Au cafe,
pendant que le cure et la voisine de campagne babillaient ensemble,
Henry dit a Lucia qu'il n'epouserait pas sa cousine.

--Pourquoi?

--Parce que je vous aime.

Et ce mot fut dit avec abondance de coeur.

--Mais vous aimez ma cousine?

--Je ne l'aime plus.

--Pourquoi?

--Parce que M. de La Grange vous aime. C'est la force des choses; le
jour ou je vous ai vu lui sourire avec trop de douceur, j'ai senti mon
coeur battre pour vous.

--Et moi je n'aime ni M. de La Grange ni vous. Depuis hier je suis
resolue a retourner au couvent; j'ai joue la comedie des autres, mais
j'ai peur que ma comedie a moi ne soit un drame.

Henry voulut continuer la conversation, mais Lucia l'arreta court en
parlant haut a sa voisine de campagne. Le lieutenant eut beau faire, il
n'obtint pas un mot de plus. Il partit deux heures apres, emmene par le
cure qui le pria de le reconduire au presbytere.


VII

Pendant quelques jours, Lucia fut toute en priere; elle fit le voyage
d'Orleans pour embrasser la superieure du couvent et lui annoncer que
sous peu de jours elle allait rentrer en grace; ce qui fut une grande
joie parmi ses compagnes.

Mais, comme disait encore le livre qu'elle avait ouvert la nuit de la
vision: "Nul n'est "maitre de sa destinee, parce que tout le monde obeit
aux ames en peine qui ont la mission de nous conduire a travers tous les
perils de la vie."

Voici ce qui se passa: Un matin Lucia recut une lettre de sa cousine qui
lui apprenait sans preambule que son joli amoureux, M. de La Grange,
venait d'etre a peu pres tue en duel par Henry Malville.

Mlle d'Harcours croyait avoir vaincu sa passion; mais elle reconnut que
c'etait sa passion qui l'avait vaincue. Le nom M. de La Grange passa
vingt fois sur ses levres, vingt fois elle essuya ses yeux sans savoir
qu'elle pleurait.

Pourquoi M. de La Grange et M. Henry Malville s'etaient-ils battus? on
ne le disait pas, ou plutot on disait que c'etait pour une comedienne.
Or la comedienne, c'etait Lucia.

Lucia ne se demanda pas le nom de celle qui avait mis l'epee a la main.
Son coeur lui dit que c'etait elle, car elle n'avait pas oublie les
regards de travers que se jetaient les deux jeunes gens quand elle
repetait son role devant eux.

Lucia etait de celles qui devinent tout.

Une heure apres, elle prenait, a Orleans, le train de Paris et
descendait a l'hotel du Louvre. "La, dit-elle, il n'y a que des
etrangers, on ne me reconnaitra pas."

Mlle Agnes eut beau lui precher qu'elle devait descendre chez sa
tante, elle n'en fit rien, la force de son amour brisait tout. Elle ne
craignait pas qu'on l'accusat de folie, tant son coeur etait pur; aussi,
le soir meme, elle allait seule, toute seule, sonner a la porte du
blesse. Elle croyait qu'il allait mourir, elle voulait le revoir et lui
dire adieu; d'ailleurs, s'il mourait, c'etait pour elle. Pouvait-elle
moins faire pour lui? pour un homme qui l'avait aimee sans oser le lui
dire? car elle ne s'y etait pas trompee. Et puis, n'etait-ce pas cet
amour qui lui avait mis l'epee a la main?

C'etait un peu avant la nuit; une soeur de Charite vint ouvrir. M. de
La Grange, comme autrefois l'ami de Moliere, avait des sentiments
religieux. Dans son pieux souvenir pour sa mere, qui etait morte jeune,
il n'avait pas quitte Dieu, croyant se sentir plus pres d'elle. Lucia
fut heureuse, dans son chagrin, de voir cette soeur de Charite.

--Comment va-t-il, demanda-t-elle?

--Une horrible blessure, un peu plus il etait frappe au coeur.

Lucia s'avanca chancelante au lit du blesse.

"C'est vous!--Oui, c'est moi, parce que je veux vous empecher de
mourir."

Lucia fut si douce et si charmante que la soeur de Charite, en la
reconduisant, lui dit: "Depuis une heure que vous etes avec lui, c'est
une resurrection. Surtout revenez demain."

Elle y retourna le lendemain, puis le surlendemain, puis toute la
semaine, puis toute la semaine qui suivit. On avait juge la blessure
mortelle, mais la jeunesse fait des miracles.

Quand M. de La Grange fut sur pied, Lucia lui dit: "Je ne reviendrai
plus.--Helas! pourquoi ne suis-je pas mort de ma blessure, dit le
comedien avec desespoir." Le lendemain elle ne revint pas. Lui, a son
tour, il alla sonner a sa porte a l'hotel du Louvre. Comme elle etait
seule, elle refusa de le recevoir. Mais elle avait ouvert la porte, il
lui prit la main, elle palit et elle ne ferma la porte qu'apres qu'il
fut entre. Que se dirent-ils? Il lui parla avec l'eloquence du coeur. Il
se maudit d'avoir pris le metier de comedien plutot que celui de soldat.
Il mit en jeu de si beaux sentiments que Lucia fut touchee jusqu'aux
larmes. Une femme qui pleure est sauvee, mais une femme qui pleure est
perdue.

--Nous ne nous reverrons jamais, dit Lucia, quand le comedien s'en alla;
d'ailleurs, je pars ce soir, car je ne veux pas que ma tante ou mes
cousines me trouvent a Paris, ou je me suis cachee pour vous.

M. de La Grange eut beau supplier, elle partit le soir meme, croyant se
degager ainsi du reseau de feu qui la brulait. Mais plus elle s'eloigna
de lui, plus elle le sentit dans son coeur et dans son ame. L'amour nous
fait encore croire a la fatalite des anciens: quand il nous touche il
est notre maitre, a la vie, a la mort.

Un comedien qui a de l'esprit et de la figure n'est pas homme a laisser
une passion en chemin. Il tente jusqu'a l'impossible. Voila pourquoi, un
jour que Lucia, toujours attristee, cueillait des roses dans le parc,
elle vit arriver M. de La Grange, plus beau que jamais, dans sa
desinvolture de haute lignee. Elle fut subjuguee et n'eut pas la force
de prendre un masque severe.

--Ou allez-vous? demanda-t-elle.

--Ou je vais? Vous le voyez bien, je ne puis pas vivre sans vous voir.

--Chut! dit Lucia, ma mere est morte, mais il me semble qu'elle vous
entend.

--Si votre mere savait comme je vous aime, elle me pardonnerait.

--Mais que va-t-on dire si on vous voit ici?

--Ne pouvez-vous pas recevoir un ami?

--D'ailleurs, que dirai-je, moi?

--Que vous importent vos gens et votre gouvernante, votre vertu est
au-dessus de tout cela; si vous me condamnez a ne plus vous voir, je
n'ai plus qu'une ressource, c'est de m'engager dans l'infanterie de
marine et de me faire casser la tete au Tonkin.

--Non, je ne veux pas vous savoir si loin!

En ce moment, Mlle Agnes descendait le perron.

--De grace, monsieur, partez!

--Eh bien, Lucia, je baise vos roses et je pars, mais je reviendrai ce
soir, la sous cette tonnelle, vous dire adieu pour toujours.

--Ayez pitie de moi!

--Ce soir, n'est-ce pas? Je passerai comme tout a l'heure par la grille
du parc.

--La grille sera fermee.

--Que m'importe la grille?

Lucia alla au-devant de sa gouvernante et l'entraina vers le chateau,
pendant que M. de La Grange s'enfoncait sous les arbres du parc.


VIII

Lucia se promit de ne pas aller le soir au rendez-vous; mais M. de La
Grange etait bien sur de ne pas l'attendre longtemps sous le berceau de
charmille.

La nuit fut toute noire, un orage eclatait a l'horizon. Lucia arriva
haletante, croyant toujours qu'elle n'irait pas si loin.

Quoique tres emu lui-meme, le comedien n'oublia rien des ressources
de son jeu. Il parla encore de cette guerre lointaine d'ou il ne
reviendrait pas. "Qu'importe! n'aurai-je pas eu le supreme bonheur de
respirer vos cheveux en vous appuyant sur mon coeur? L'amour, c'est une
secousse de joie inesperee, je vous emporterai dans mon souvenir, je
mourrai en disant votre nom."

Lucia n'entendait plus rien, tant elle etait eperdue. "Pourquoi suis-je
venue?" murmura-t-elle. Elle n'avait plus la force de lutter dans ce
terrible moment ou deux ames eperdues n'en font plus qu'une seule.

Quand elle s'arracha des bras de M. de La Grange, elle lui dit:
"Portez-moi jusqu'au perron, car je suis morte."

Il la reprit dans ses bras et la porta doucement dans l'antichambre.

Elle retrouva la force de lui dire adieu et de marcher jusqu'au grand
salon.

La, elle tomba sur un fauteuil ou elle demeura quelques heures toute
aneantie, ne trouvant ni une idee ni un mot.

Elle se croyait dans un reve horrible et doux. La premiere parole qui
lui vint aux levres fut:

"C'est impossible! c'est impossible! c'est impossible!" Et elle pressait
sur son coeur les roses baisees par le comedien.


IX

Il etait minuit quand Lucia se leva du fauteuil. Il ne restait plus que
deux bougies allumees dans les candelabres. Elle prit son bougeoir et
l'alluma.

--Trois bougies, se dit-elle, cela porte malheur. Mais quel malheur plus
grand pourrait entrer ici maintenant?

Elle eteignit les lumieres du candelabre.

Sans le vouloir, elle s'approcha de la glace ou elle avait vu la femme
en blanc. Tout a coup elle fit un pas en arriere.

--Cette femme!

Elle avait detourne les yeux, mais elle regarda encore.

--C'est elle! toujours elle! Pourquoi cette croix qui me frappe au
front? Ma mere! ma mere!

Lucia tomba a la renverse, pendant que le bougeoir allait frapper une
table de marbre.

La porte du salon s'ouvrit: c'etait Mlle Agnes qui accourait, toute
inquiete, et qui s'enfuit epouvantee, croyant avoir vu un fantome.

Le lendemain, Mlle Agnes osa entrer dans le grand salon: elle trouva la
jeune fille morte devant la glace.

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IL NE FAUT JURER DE RIEN

[Illustration: 201.png]


X

IL NE FAUT JURER DE RIEN


I

Qui ne connait le banquier Karl Oberbach, venu pauvre a Paris il n'y
a pas longtemps, ambassadeur extraordinaire de M. de Bismarck, comme
Vonbergher et autres bonshommes de Francfort ou de Hambourg qui font les
gentilshommes a la Bourse de Paris? M. de Bismarck leur a dit: "Allez,
mes enfants; la France ne nous a donne que cinq milliards, mais il n'en
faudra pas beaucoup comme vous pour achever la ruine de nos voisins."

Une fois en France, ces bonshommes plus ou moins barons se sont figures
qu'ils etaient princes chez nous parce qu'ils avaient les mains pleines
d'or parisien. Comme, grace a Dieu, ils ne sauront jamais le francais,
ils se sont dit entre eux: "Nous sommes quelques-uns," croyant dire:
"Nous sommes quelqu'un."

Oui, bonshommes de Francfort et de Hambourg, vous etes quelques-uns,
vous avez continue les exploits des grands chemins, moins la bravoure de
M. de Cartouche. Mais ceci ne vous empeche pas d'avoir chez nous pignon
sur rue et de nous prendre nos femmes--celles qui se vendent--par le
mariage ou a cote du mariage.

Karl Oberbach ne s'etait paye qu'une maitresse. Elle est aussi jolie
qu'il est laid--les extremes se touchent, dans le pays de l'amour comme
partout.--C'est d'ailleurs la loi de la nature.

La maitresse du banquier lui donnait des lecons de savoir-vivre et des
lecons de francais. Une belle Hollandaise, que je felicitais de parler
le francais des Parisiennes, me repondait en souriant: "C'est le
Francais qui m'a appris l'amour--et c'est l'amour qui m'a appris le
francais." Mais Karl Oberbach aura beau faire, il n'apprendra ni l'amour
ni le francais, meme avec une adorable creature comme Lili. (Son nom de
famille est tres connu.)

Lili s'ennuie dans ce somptueux hotel de la place de l'Etoile, tout
rempli de sa grace, de son babil et de ses chansons. Quoi! direz-vous,
une si jolie fille avec un pareil malotru? Quoi! des chansons devant ce
bonhomme qui ne fait que compter son argent?

Eh! mon Dieu, oui, la femme s'arrange de tout sous une pluie d'or et
devant un miroir. Lili est emprisonnee, par ce geolier qui croit que
l'Arc-de-Triomphe n'a ete eleve que comme point de vue de son hotel;
mais il n'y a point de prison pour le coeur.

Une comedienne, ancienne amie de Lili, vint la voir un matin.

--Ah! Lili, comme tu es heureuse d'habiter un pareil hotel, dans un luxe
inoui.

--Heureuse! oui, heureuse a en pleurer! repondit la maitresse du baron.

La comedienne lui sauta au cou.

--Eh bien, je te comprends. N'est-ce pas que les vanites n'etouffent
pas le coeur? Et pourtant, voila une bien jolie cage pour une gentille
fauvette comme toi. Est-ce que tu chantes toujours?

--Oui, quand je chante, je ne pense pas. Et puis j'espere bien rentrer
au theatre.

--Ou rentrer dans ton amour.

--Oh! tu le connais bien. Avec lui, c'est le bonheur qui traine la
misere.

--Qu'est-ce que cela fait, si c'est la misere doree et adoree! Et puis
tu l'aimais tant!

--Oui, mais n'est-ce pas lui qui m'a abandonnee?

Lili cacha une larme.

Les amis du bonhomme, qui le savent embranche dans les caprices d'une
femme a la mode, se moquent de lui a sa barbe teinte; mais il leur
proteste qu'il est aime pour lui-meme. "D'ailleurs, dit-il en leur
montrant une petite clef d'argent, voyez plutot: Voici la clef du coeur
et de la chambre a coucher:"

Lili est baronne a peu pres comme il est baron. C'est lui qui, en la
prenant sous son toit, lui a donne ce titre pour imposer a ses gens.
M. le baron ne pouvait pas dechanter, il fallait bien que madame fut
baronne!

--Vous ne perdez jamais votre clef? dit un jour a maitre Karl un de ses
camarades de Bourse.

--Je perdrais plutot ma fortune. Songez que, si je n'avais pas ma clef
quand je rentre passe minuit, la petite baronne n'ouvrirait pas. Quelle
joie pour elle d'entendre bruire dans la serrure ce petit passe-partout
d'argent.

--Et si un autre avait la clef? Ce serait un passe pour tous.

--Je vous dis que c'est un dragon de vertu.

--Comme c'est commode de sortir des brouillards du Rhin ou de la mer du
Nord. Et comment l'avez-vous capturee?

--Elle etait allee chanter en Amerique; a son retour, je l'ai enlevee.

--A la force du poignet? Combien y avait-il d'or dans la main?

--Pas un sou, mon ami.

Et le banquier fit une pirouette de talon rouge. Comme il est voue au
ridicule, il glissa et roula comme un tonneau.

Quelques jours apres, Oberbach etait au cercle. On soutenait avec
impertinence que toute femme douee du demon parisien devait succomber a
la tentation.

--Excepte celle de Karl, dit le camarade du banquier.

--Est-ce qu'il vous a mis dans son jeu? demanda un malin.

Le banquier leva la tete.

--Vous parlez de ma femme; la connaissez-Vous?

--D'abord ce n'est pas votre femme, c'est votre maitresse.

--Si elle est ma maitresse, elle est ma femme. Je parie dix mille louis
qu'elle ne passera pas sur son balcon pour ecouter vos serenades.

Un joueur effrene prit gravement la parole:

--Dix mille louis! ce n'est pas la mort d'un homme. C'est un coup de
carte. Je tiens le pari si vous voulez, mais a la condition de passer la
main.

--Vous ou les votres, vous pouvez dresser vos embuches.

--Messieurs, vous etes temoins.

Le banquier se recria:

--Nous n'avons pas besoin de temoins; notre parole vaut de l'or.

--Oui; une poignee d'or, mais pas dix mille louis.

--La belle affaire, j'en ai gagne cent fois autant contre l'Union
generale.

--Eh bien! je joue contre l'Union conjugale.

--C'est dit! meme si vous passez la main a Parisis, ou a Alfonso, ou a
Carolus, ou au prince.

A cet instant, on vit apparaitre un jeune homme blond, gardenia a la
boutonniere, sourire aux levres, bien sculpte pour les batailles de
l'amour.

--Voila mon homme, pensa celui qui avait parie contre la vertu de Lili
Lalouette.

Il se leva et entraina le nouveau venu dans un autre salon.

--Veux-tu gagner deux cent mille francs?

--Toujours.

--Eh bien! mets-toi en campagne et enleve Lili Lalouette.

--C'est impossible.

--Pourquoi?

--Parce qu'elle aime mieux l'argent que l'amour.

Et le jeune homme se dit, en soupirant:

--Apres avoir mieux aime l'amour que l'argent.

L'autre avait entendu.

--Allons donc, ne vas-tu pas faire des manieres. Songe, mon cher ami,
que je viens de parier deux cent mille francs que Lili se laisserait
prendre d'assaut. Tu la prendras par toutes les roueries du coeur, car
le coeur est encore plus malin que l'esprit. Or, tu aimes Lili. En
campagne, morbleu; cent mille francs, c'est quelque chose pour un homme
qui n'a pas le sou.

--Comment, cent mille francs! tu disais deux cents?

--Nous partagerons. Je ne parle pas de Lili.

--Pourquoi partagerions-nous?

--N'est-ce pas moi qui ai parie? N'est-ce pas moi qui perdrais si tu ne
triomphais pas?


II

Pourquoi M. Alphonse***, connu dans le monde litteraire par un
pseudonyme sonore, etait-il, en avril 1883, rue de Tilsitt, en face d'un
des hotels massifs que les embellissements de Paris doivent au lourd
crayon de l'architecte Hittorff? Il ne faisait pas un temps a se
promener la sans parapluie, deja deux giboulees avaient eclate sur
l'Arc-de-Triomphe. Alphonse*** s'abritait comme il pouvait sous les
appuis des fenetres, tout en se tordant les moustaches avec impatience.

Il ne fallait pas beaucoup de penetration pour deviner un amoureux qui
attendait un signal; mais les croisees etaient impassibles, pas une ne
s'ouvrait pour lui dire bonjour. Il y a des maisons qui sourient comme
il y a des maisons qui pleurent. Celle qu'Alphonse*** devorait des yeux
semblait dormir.

A la troisieme giboulee, il frappa du pied et decida qu'il n'attendrait
pas plus longtemps. Mais sans doute il vit remuer un rideau, car il leva
son mouchoir en signe de joie.

Il rentra chez lui et se mit a ecrire cette lettre d'une main fievreuse:

_Lili, Lili, je meurs de ne pas vous voir; car je n'appelle pas cela
vous voir quand vous passez au Bois ou sur le boulevard avec cet homme
qui est un geolier. Lili, souvenez-vous! Avez-vous oublie ces jours
rapides ou vous etiez heureuse quand je vivais a vos pieds?--Ne t'ai-je
pas aimee avec idolatrie? N'est-ce pas avec toi que j'ai mange mes
quatre sous en te faisant princesse pendant six semaines? Est-ce ma
faute si la fortune m'a mis a pied, quand j'etais si heureux, niche avec
toi dans ce petit coupe qui etait encore le lit nuptial? Oh! les doux
propos. Tu commencais a chanter un grand air d'opera que j'etouffais
sous mes baisers. Tout cela s'est evanoui comme un reve. Dieu m'est
temoin que j'ai tout tente pour devenir directeur de la Banque de
France. Un peu plus, je faisais de la fausse monnaie. Oh! n'avoir pas
d'argent et vivre dans l'enfer du luxe avec une femme qui veut des
diamants._

_On dit que je suis un homme d'esprit, je ne suis qu'une simple bete,
puisque je n'ai pas le genie de changer de carte dans le jeu perpetuel
qui s'appelle la vie. Lili, ma Lili, de grace! reviens a moi, ne fut-ce
que pendant une heure. Je meurs de t'aimer et je meurs de ne pas te
prendre dans mes bras. Je t'attendrai toute cette nuit a l'hotel
d'Albion. Si tu ne dois plus etre a moi, viens au moins me le dire par
un dernier baiser._

ALPHONSE***.

A cette lettre, Lili ne repondit pas. Ce jour-la, Alphonse*** la
rencontra au Bois, comme tous les jours. Elle regardait de l'autre cote.
Non pas cependant du cote du banquier, qui n'etait pas loin de la. La
dignite de ce bonhomme l'empechait de se faire trainer dans la meme
voiture que sa maitresse. Mais il l'accompagnait au Bois a sa maniere,
lui lancant des oeillades idolatres et froncant le sourcil chaque fois
qu'il voyait ses yeux en conversation criminelle avec un sportsman a
cheval; car il etait jaloux comme le Rhin allemand des sources vives du
vin de Champagne.

Alphonse***, sans s'inquieter du banquier, jeta un bouquet de violettes
dans le landau de Lili Lalouette. Sans s'inquieter du banquier, elle
prit le bouquet et le respira en toute effusion de coeur. Alphonse***
fut si heureux qu'il en devint tout pale. Enfin elle embrassait les
violettes qu'il avait baisees lui-meme!


III

On etait au bout de l'avenue des Acacias; l'amoureux rencontre le
parieur, qui lui dit en lui offrant un cigare:

--Eh bien! notre pari?

--Notre pari va bien. Je vais trouver ton cigare exquis.

--Tu as parle a la dame?

--Non.

--Tu lui as ecrit et elle t'a repondu?

--Non.

--Eh bien! alors?

Alphonse*** etait si heureux qu'il avait peur en parlant de faire
evanouir son bonheur. Mais, comme le parieur insistait:

--Voila ou j'en suis: je lui ai ecrit ce matin une lettre a attendrir
les rochers. Tout a l'heure je lui ai jete un bouquet et elle y a mis
ses levres en me souriant.

--Bravissimo! bravissima! je n'attendais pas moins de toi et de Lili. En
avant! a la baionnette!

--Helas! je la connais: celle-la ne se laisse pas enlever tambour
battant.

--Nous ne pouvons pas remettre notre pari aux calendes grecques. Ne
vas-tu pas tomber dans un amour platonique?

La dame repassa devant Alphonse***, et elle respirait encore le bouquet
de violettes.

Le lendemain, a l'heure de la Bourse, la petite baronne envoya chercher
un serrurier de M. le baron.

--Madame, le serrurier est la, que faut-il lui dire?

--Dites-lui que j'ai perdu la clef de mon chiffonnier.

Il n'y avait pas un mot de vrai dans ces paroles. Le serrurier entra;
Lili lui dit de fermer la porte, apres quoi elle le pria de lui faire
une petite clef d'argent toute pareille a celle qu'il avait deja
ciselee.

Que voulait faire Lili de cette petite clef? Son protecteur avait-il
perdu la sienne?

Quelques jours apres, le banquier dinait dans le faubourg Saint-Germain.
Sa place a table, au milieu de quelques grands seigneurs desargentes ne
lui coutait guere qu'une centaine de mille francs. Tout se paye a Paris,
non pas l'honneur, mais les honneurs. Or, pendant qu'il dinait en si
bonne compagnie, Lili dinait seule, en toute hate.

En moins d'un quart d'heure elle eut touche a tout d'une levre
dedaigneuse. Apres quoi elle descendit, un livre a la main, sans dire
ou elle allait. Le savait-elle bien? Elle traversait une de ces phases
critiques ou les femmes donnent un croc-en-jambe a leur destinee.

Pourquoi le livre a la main? Parce que le livre est un bon compagnon de
voyage, meme s'il est mauvais. Et puis, elle n'avait pas pris un livre
pour le lire.

A peine a cinquante pas de son hotel, elle rencontra l'homme au bouquet
de violettes.

--C'est toi, ma Lili!

Un peu plus Alphonse*** la prenait dans ses bras.

--Chut! dit-elle, M. Karl Oberbach a cent yeux.

--Oui, mais j'ai la un bon fiacre ou nous serons chez nous.

Et il entraina Lili. Devant le sapin, elle fit un pas en arriere. Il y
avait longtemps qu'elle ne montait plus que dans des voitures de maitre.
Elle avait peur que cet affreux fiacre ne fut plus pour elle la
roue doree de la fortune. Mais l'amour leva sa jolie bottine sur le
marchepied.

Et ce fut un quart d'heure delicieux. On s'etait aime follement, on
s'aimait plus follement encore.

--Je n'ai jamais aime que toi, Lili!

--Je n'aimerai jamais que toi, Alphonse!

Alors pourquoi vivaient-ils separes, ces deux
amoureux qui s'aimaient tant? fallait-il donc qu'un pari de cent mille
francs les rejetat dans les bras l'un de l'autre?

Cependant, une heure apres, il fallait que Lili rentrat dans sa prison
doree. Elle donna une petite clef d'argent a Alphonse*** en lui disant:

--Ecoute-moi bien. Je ne t'ecrirai pas, parce qu'il me faudrait porter
moi-meme les lettres a la poste; mais souvent, a l'heure du Bois, nous
nous rencontrerons. Si un jour je mets mon eventail sur ma figure quand
tu passeras, c'est que je serai seule le soir. Et le soir a dix heures,
tu viendras sous ma fenetre, comme tu es venu un matin. Si j'agite
un rideau, tu monteras au premier, tu ne rencontreras personne, tu
traverseras un salon, ma chambre est a gauche, tu ouvriras la porte avec
cette petite clef, car une autre clef pareille m'aura emprisonnee pour
trois heures, c'est-a-dire pour tout le temps ou le bonhomme va faire le
beau dans le monde.

Alphonse*** ne se fit pas enseigner deux fois l'itineraire. Le
lendemain, la comedie commenca, et en se quittant les amoureux se
dirent: La suite a demain.

Un peu plus, Alphonse, dans sa joie, ne disait rien a son ami le
parieur. Enfin il parla apres huit jours de bonheur. On decida qu'au
premier rendez-vous deux temoins affirmeraient la verite de l'histoire.
Mais on n'eut pas besoin des temoins, car voici ce qui arriva:


IV

Un jour, en dinant, Karl Oberbach dit a Lili: "Sais-tu pourquoi je ne
suis pas gai? Noblesse oblige Je suis force de partir tout a l'heure
pour le chateau du prince***, ou il y a demain chasse a courre."

Or, le soir meme, au cercle, on apprit que la chasse serait contremandee
a cause du mauvais temps. Karl Oberbach rentra donc chez lui a l'heure
coutumiere. Il fut tres surpris de trouver la petite clef d'argent a la
serrure de la chambre a coucher de sa maitresse.

Il mit la main a sa poche, plus surpris encore d'y trouver la sienne;
il y avait donc deux clefs d'argent? Pourquoi pas? Sans doute, Lili en
avait une pour elle. Simple caprice, puisqu'elle la laissait a la porte!

Le banquier ouvre la porte sans inquietude.

En croira-t-il ses yeux? Un homme est la, qui dort sur un canape,
pendant que Lili dort dans un fauteuil. La legende affirme meme qu'ils
dormaient tout pres l'un de l'autre.

Le banquier peut-il douter de sa mesaventure? Une femme qu'il a couchee
sur l'or et qui le brave ainsi en plein minuit!

Quel est donc cet insolent qui dort sur le roti?

Tout autre que le bonhomme eut jete l'amoureux par la fenetre. Mais Karl
Oberbach eut peur: Si l'amoureux reveille allait le jeter lui-meme par
la fenetre? Il pouvait appeler ses gens, mais comment se donner ainsi
en spectacle? Il rougit de sa lachete, il pensa a M. de Bismarck et se
decida a affronter le peril.

Il avanca d'un pas vers le dormeur.

--Monsieur, que faites-vous la?

Alphonse*** ouvrit les yeux et eclata de rire en voyant la mine effaree
du bonhomme.

--Monsieur! pourquoi me reveillez-vous quand je dormais si bien?

Le banquier recula d'un pas.

--Mais, monsieur, je suis chez moi!

L'amoureux avanca d'un pas.

--Et moi, monsieur, je suis chez ma femme.

Le banquier eut un cri dechirant:

--Sa femme!

Lili s'etait reveillee.

--O Lili! quel est ce va-nu-pieds?

La verite est qu'Alphonse n'avait pas encore mis ses bottines.

Lili, comprenant que tout etait perdu ou que tout etait sauve, dit en le
prenant de haut:

--Oui, monsieur, c'est mon mari.

Il n'y eut plus de doute pour le banquier, il perdait tout a la fois sa
maitresse et son pari.

Il fut si doux aux amoureux qu'un peu plus il leur abandonnait l'hotel.

Pendant quelques jours, M. Karl Oberbach n'osa retourner au cercle.
Comment reparaitre devant tous ces rieurs sans avoir lave cette offense
a son blason de baron allemand!

Mais une idee, lui vint, qui le decida a faire bonne figure au cercle.
On le vit arriver un soir d'un air important.

--Eh bien! lui dit le parieur, vous m'apportez mes deux cent mille
francs?

--Point du tout.

--Comment, point du tout!

--Oh! je ne fais pas de facons pour avouer que cette coquine m'a trompe.

--Eh bien?

--Eh bien! c'etait son mari!

[Illustration: 220.png]




LA FEMME COUCHEE

[Illustration: 223.png]


XI

LA FEMME COUCHEE


I

Il n'y a que les histoires invraisemblables qui soient vraies.

Une belle, femme qui sait toutes ses beautes lisait le _Sopha_ de
Crebillon dans une galerie de tableaux, avenue du Bois-de-Boulogne.

--Pourquoi seule? Elle y etait venue deja deux fois, mais avec une amie
du maitre de la maison. Ce maitre de la maison, M. Georges Marmont, un
huitieme d'agent de change qui ne va jamais a la Bourse, est un raffine
qui touche a tout d'une main legere, mais avec la passion de ce qui est
beau dans l'art, dans les lettres, dans la vie en action.

Il fait toujours deux parts dans la femme, la part de l'ideal et la part
du diable. Il prend la part du diable le plus souvent possible, mais il
n'effarouche pas les oiseaux qui entrent par megarde dans la voliere.
Ils n'ont qu'a crier pour qu'il leur ouvre la porte a deux battants.

La jeune dame qui lisait le _Sopha_ de Crebillon dans la galerie,--Mme
la marquise de Marcy,--attendait qu'il descendit pour lui parler. Que
venait-elle lui dire? Moins que rien. Elle passait par la et elle venait
lui dire bonjour.

Je ne serai pas bien indiscret en vous confiant qu'elle l'aimait--sans
le vouloir.--C'est que son mari ne l'aimait plus et la malmenait, tandis
que Georges Marmont lui parlait de sa beaute avec religion.

C'etait l'apres-midi, par un beau soleil d'automne, quand l'ame, se
recueille deja pour la rude traversee de l'hiver, quand l'esprit, qui
part toujours en avant, voit la neige apres les rayons.

Aussi, quand descendit le maitre de la maison, la jeune dame parut
attristee.

--Pourquoi ces nuages sur le front?

--C'est que le soleil s'en va trop vite; c'est que toutes ces belles
dames qui vivent dans votre galerie ne sont plus de ce monde! A quoi
sert-il d'etre belle s'il faut mourir?

--Je vous comprends. Si j'etais M. de la Palisse ou son petit-fils
embourgeoise qui s'appelle M. Prud'homme, je vous dirais que le monde
n'existe qu'a la condition de mourir, mais je suis aussi bete que vous
et je me revolte a cette idee que Dieu, le Maitre des maitres, cree des
chefs-d'oeuvre qui vivent bien moins longtemps que les creations du
premier peintre venu.

--N'est-ce pas desesperant de voir, accrochees ca et la, des figures
aussi jeunes que moi quoique vieilles de cent ans et qui me survivront?

--Oui, mais il leur manque la parole!

--N'ont-elles pas la parole des yeux?

--Oui, des yeux comme les votres qui parlent mieux que Dieu lui-meme.

Naturellement la jeune femme paya ce mot d'un sourire.

--Vous etes souverainement belle, madame; pourquoi n'avez-vous pas
encore un portrait de vous, car il y a des figures comme la votre qui
appartiennent au monde de l'art.

--Allons donc! je ne suis ni courtisane ni comedienne, je ne suis pas
meme princesse, je n'ai aucun titre a etre accrochee dans une galerie.

--Je vous jure que si vous vouliez poser comme la princesse Borghese,
dans le simple appareil d'une femme qui sort du bain, un artiste qui
voit bien--et qui ne vous connait pas--ferait de vous une immortelle, a
moins que....

--A moins que?...

--A moins que ce qui est cache ne soit pas digne de ce que je vois.

Mme de Marcy se revolta. Elle avait trop le sentiment de sa beaute
corporelle pour ne pas braver ce doute offensant qui d'ailleurs n'etait
qu'une tactique pour la decider.

--Comment, lui dit-elle, vous ne me voyez pas a travers ma robe?

--Pas du tout, je suis comme saint Thomas.

Un silence.

La marquise s'arma de toute sa bravoure.

--Eh bien, si j'etais sure qu'un peintre de talent me fit comme je suis,
je prendrais bien un bain pour avoir mon image.

Elle rougit et voulut battre en retraite, mais M. Marmont ne laissa pas
tomber sa parole dans l'eau. Il se hata de lui dire qu'elle etait de
la pate des deesses qui n'ont peur de rien. Il connaissait un peintre
discret--Erpikum--qui ne signerait pas son oeuvre et qui la peindrait
telle qu'elle etait, sans rien souligner.

Mme de Marcy sentait bien qu'elle s'embarquait dans une aventure
scabreuse, mais la vanite de se montrer belle de la tete aux pieds lui
ferma les yeux. Elle pensa qu'elle etait assez enracinee dans sa vertu
pour ne pas craindre les coups de vent. Elle avait quelque liberte
d'esprit qui lui permettait de croire que la pudeur n'etait pas outragee
quand la vertu ne l'etait pas. Aussi dit-elle gaillardement:

--A quand la premiere seance?

--Demain, si vous voulez. Il y a la-haut une chambre qui n'est jamais
ouverte; vous vous coucherez, chastement toute nue sur le lit, ou bien
on y transportera une baignoire.

--Non, non, je prends mon bain dans le silence du cabinet de toilette.

--Eh bien! vous vous coucherez et on vous couchera dans le grand livre
de la posterite.


Il

Le lendemain, le peintre etait a l'oeuvre. La marquise, drapee de sa
pudeur, un masque sur la figure, avait pris une pose aussi abandonnee
que les Venus du Titien, cheveux ruisselants jusque sur le sein gauche
et jusque sous le bras droit, replie pour soutenir la tete.

Cette belle chevelure blonde avait des reflets d'or et de feu sur ses
ondes soulevees. Le corps etait un miracle de blancheur, avec les
adorables tons de rose the epanouie, releves par deux fraises mures sur
les beaux seins marbre et chair. Le dessein des hanches, des cuisses et
des jambes courait dans toute la grace raphaelesque avec je ne sais quel
abandon corregien.

Apres avoir cherche, le peintre et Georges s'etaient decides a encadrer
Mme de Marcy dans des draperies jaune vieil or qui donnaient encore plus
de relief aux etincelles de la chevelure. On sait d'ailleurs que les
couleurs amies font une harmonie plus poetique.

La marquise, toute masquee qu'elle fut, voulut indiquer la noblesse
de sa figure par une couronne de marquise surmontant des armoiries
imaginaires.

Tout cela etait beau comme l'inspiration, aussi le peintre ne perdit pas
de temps; apres deux heures de seance, il avait largement ebauche toute
la figure sur un fond safrane. On pouvait deja juger qu'il creerait une
oeuvre vivante. Mme de Marcy posait dans le nonchaloir des sultanes,
sans s'inquieter des regards plus ou moins ardents du jeune peintre.
Georges Marmont, cachant son emotion, apparaissait de loin en loin pour
donner un conseil avec l'air d'un homme qui ne se preoccupe que de
l'amour de l'art.

Il se passa un episode qui appartient, non pas a l'histoire, mais a
l'histoire de la pudeur. Voici:

Quoiqu'il y eut un beau feu dans la cheminee et deux brazeros de chaque
cote du lit--un lit de milieu--Mme de Marcy eut quelques tressaillements
de froid. "Manque d'habitude, lui dit le peintre. Il faut aller vous
chauffer a la cheminee."

Elle resista d'abord. Enfin elle se decida a descendre du lit.

--Eh bien, Raphael, laissez-moi seule.

Le peintre obeit. Elle denoua son masque et marcha vers la cheminee.

Or, si le nu a toute sa pudeur dans l'immobilite, il la perd dans le
mouvement.

La marquise le sentit bien, car en marchant vers la cheminee ses joues
s'empourprerent, ce que vit tres bien M. Marmont qui survenait pour la
troisieme fois.

En effet, quand il ouvrit la porte, il apercut Mme de Marcy dans la
psyche, plus belle encore sous cette rougeur de jeune fille.

--Allez-vous-en! lui cria-t-elle. Vous voyez bien que je rougis, meme
toute seule.

Il ne fallut que cinq seances pour achever ce demi-chef-d'oeuvre, car le
peintre n'etait pas un grand peintre, mais il avait saisi la verite, et
il peignait les chairs avec une touche voluptueuse. Il etait impossible,
grace au masque et a la teinte allumee des cheveux, de reconnaitre la
jeune dame, a moins qu'on ne la connut bien. Aussi l'artiste, content de
lui, demanda-t-il la permission d'exposer cette figure.

Mme de Marcy fit quelques facons, mais croyant a la discretion absolue
du peintre, elle consentit.

--Surtout, lui dit-elle, pas de mention honorable, ce qui me
deshonorerait.

On encadra la toile dans un cadre execute par une main savante--le style
Louis XIII--, dore en or eteint avec un filet noir sur la peinture.

Quoique ce portrait parut tres beau au jury par le charme du dessin et
par les eblouissements de la couleur, on le refusa tout net, parce que
la dame etait masquee et qu'elle avait insolemment mis sur le rideau
sa couronne de marquise. Le portrait revint donc vierge encore dans la
galerie de Georges ou il passa tout l'ete, pour s'habituer aux figures
du voisinage et pour prendre le ton des oeuvres qui survivent.


III

Vint l'hiver. On donna une fete dans l'hotel de Georges. Tout Paris
y alla, et Mme de Marcy ayant voulu etre de la fete, il fallut bien
inviter son mari. Reconnaitrait-il sa femme? Elle etait bien sure que
non, car, selon elle, il ne l'avait jamais regardee, ce en quoi elle se
trompait. Quoiqu'il ne fut pas un dilettante, il avait fait, sans trop y
prendre garde, quelques etudes dans la geographie lumineuse de ce beau
corps.

--C'est etonnant, dit-il a une dame de ses amies qui le retenait comme
par malice devant _la Femme couchee_.

--Oui, lui dit-elle, cette femme couchee ressemble a la votre. Est-ce
que Mme de Marcy est aussi belle?

--Pourquoi pas?

--Est-ce qu'elle a aussi un grain de beaute sous le sein?

Le marquis tressaillit.

--Je ne me souviens pas.

Mais M. de Marcy se souvenait tres bien. Une secousse de jalousie
l'emporta vers sa femme; dans sa colere, il ne pouvait plus parler.

--Madame....

--Monsieur....

Il l'entraina sous _la Femme couchee_.

--C'est vous qui etes la?

--Moi. Vous etes fou.

Sa main tenaillait la main de sa femme.

--Ce grain de beaute?

Ce maudit grain de beaute s'etait accentue peu a peu dans la blancheur
du sein, quoique le peintre l'eut a peine indique.

--Est-ce que j'ai un grain de beaute? demanda Mme Marcy en jouant la
surprise: C'est sans doute votre maitresse qui a un grain de beaute?

Le soir meme, le mari commenca son enquete, oubliant un peu trop qu'il
avait scandalise le monde parisien avec une trainee, une mafflue, une
deplumee des Folies-Bergeres.

Le lendemain, cet homme qui ne se croyait pas jaloux se reveilla un
Othello, decide a se venger cruellement s'il apprenait que sa femme eut
pose pour la galerie.


IV.

M. de Marcy voulait envoyer deux temoins a Georges; mais, apres
reflexion, il comprit que si on avait peint sa femme toute nue, c'est
qu'elle avait pose toute nue. Il ne voulait donc s'en prendre qu'a sa
femme.

Et puis un duel, ca fait du bruit. Et puis on risque de ne plus voir le
grain de beaute.

Ce qui n'empecha pas M. de Marcy d'aller tout seul, coute que coute,
frapper a la porte de Georges pour revoir en plein jour _la Femme
couchee_. Georges, trop distrait, ne fit pas de facons pour le recevoir
et ouvrir la porte de la galerie, sous pretexte de fumer une cigarette.

A seconde vue, M. de Marcy ne douta pas que ce ne fut sa femme; mais
comment etait-elle venue la?

--Belle creature! dit-il au maitre de la maison; d'ou diable cela vous
est-il venu?

--Tout betement de l'hotel des Ventes. Je crois, d'ailleurs, que cela
vient de loin; on m'a dit que c'avait ete peint a Venise par un eleve de
Fortuny.

M. de Marcy parla d'autre chose. Mais il s'en alla convaincu que c'etait
sa femme, quoiqu'elle ne lui eut pas permis, depuis la fete, de la
regarder de trop pres.

Plus d'une fois, elle lui avait demande, a lui-meme, de la faire peindre
non pas toute nue, mais presque, c'est-a-dire dans le joli _deshabille_
des femmes qui vont au bal. Il y a peu de robe, a la verite, le plus
souvent pas de chemise. Or, tout en reconnaissant la souverainete de
ce beau corps, il avait juge superflu de le transmettre non pas a la
posterite--il ne voyait pas si loin--mais a la curiosite des amateurs
d'art qui sont presque toujours des amateurs de femmes.

Il lui restait a peine un doute, et il songeait deja a sa vengeance,
quand, un jour au cercle, un de ses amis lui dit sans preambule:

--Tu devrais prier Georges, sans etre Tartuffe pour cela, de jeter
un mouchoir sur le sein nu de _la Femme couchee_, car on dit qu'elle
ressemble a ta femme ou a ta maitresse.

Le marquis faillit jeter son ami par la fenetre, mais il cacha son
jeu--jeu cruel, comme vous allez voir.

Rentre chez lui vers minuit, il alla droit a sa femme qui etait couchee.
"Madame, il vous a plu de vous faire peindre toute nue, eh bien!
desormais, vous irez toute nue!"


V

A peine eut-il parle qu'il souleva le drap du lit, dechira la chemise
de sa femme, l'arracha par lambeaux et la jeta dans l'atre ou le feu
brulait encore.

Ce n'etait que le commencement. Pendant que Mme de Marcy s'indignait en
se recouvrant, il saisissait la robe qu'elle venait de defaire--laquelle
robe eut le sort de la chemise--ce qui etait bien dommage, car c'etait
la deux oeuvres de fee--une chemise transparente toute enrubannee comme
pour la Belle au bois dormant, et une robe de velours, frappe au lys
ayant coute une nuit d'insomnie a Worth.

Apres ce sacrifice a sa colere, M. de Marcy devasta toutes les armoires
pour continuer son auto-da-fe.

Ce fut un rude travail; il lui fallut allumer encore deux feux de joie
dans le salon et le petit salon.

La marquise avait sonne, mais lui saisissant la main, il arracha le
cordon de sonnette. Elle avait appele, mais a l'apparition de sa fille
de chambre, il se contenta de lui montrer un revolver pour qu'elle
rebroussat chemin.

Sa femme le sachant aveugle dans ses fureurs, se tint coi, moitie riant,
moitie pleurant, jouant le dedain et la raillerie pour cacher ses
angoisses. Tant de belles robes qu'elle ne reverrait plus! Mme de
Sevigne ne disait-elle pas: "Hormis leurs robes, les femmes n'ont point
d'amies!" Et puis, pour la premiere fois, Mme de Marcy voyait le peril
de son equipee.

Au bout d'une heure,--un siecle pour la pauvre femme,--toutes les robes
etaient brulees. M. de Marcy, content de son oeuvre, dit a la marquise:

--Maintenant, allez vous promener!

--Monsieur, lui repondit-elle, croyez bien que j'irai me promener. Si on
me voit toute nue, ce ne sera pas ici; je vous jure que ce beau corps,
dont vous etes indigne, sera vu par tout le monde, excepte par vous.

Et elle descendit du lit pour braver son mari. Ce que voyant, et plus
furieux encore, il saisit un eventail pour fouetter la marquise.

Au premier coup, l'eventail se brisa, comme s'il se refusait a ce crime
de lese-beaute. Le mari prit ensuite une ombrelle, qui ne fit pas un
plus long service.

Et toujours sa femme le bravait, le frappant de ses yeux, qui pointaient
comme deux epees.

--Brisez tout sur moi, mais ne me touchez pas de vos mains, ou j'ouvre
la fenetre pour appeler tout le monde au spectacle!

M. de Marcy etait au bout de ses coleres; il se sentait chanceler,
comme s'il dut s'evanouir; il sortit pour aller se recueillir chez sa
maitresse, qui etait son conseil de famille.

La marquise se couvrit d'un chale et marcha a pas de loup a la rencontre
de sa fille de chambre. En effet, elle la vit reparaitre aussitot.

--Antonine, vous allez me retrouver une robe noire parmi celles que je
vous ai donnees.

Antonine comprit et revint bientot avec une robe noire a la main.

Mme de Marcy la mit en toute hate et descendit l'escalier quatre
a quatre, nouant son chapeau, sans avoir noue ses souliers. Ou
alla-t-elle?

Ne le devinez-vous pas? Elle alla tout droit chez M. Georges Marmont.
Jusque-la c'etait le seul homme qui eut ose parler d'amour a cette
impeccable. Il l'aimait follement, mais il cachait son coeur, meme a Mme
de Marcy.

--Mon mari, lui dit-elle, m'a condamnee a aller toute nue par la vie, je
viens vous demander si vous voulez etre du voyage?

Georges tomba tout emu, plus amoureux encore, aux pieds de la marquise.

Je ne sais pas la suite de la conversation. Je crois qu'elle fut
criminelle.

Vous en jugerez: le lendemain Georges appela le peintre; on lui avait
donne cinq mille francs pour peindre Mme de Marcy toute nue, on lui
donna cinq mille francs pour lui mettre une robe.

Voila les hommes. Georges voulait bien exposer toute nue une femme qui
n'etait pas la sienne, mais des que Mme de Marcy fut sa maitresse, il
voulut qu'elle fut habillee.

[Illustration: 240.png]




L'INCOMPARABLE LEONA

[Illustration: 243.png]


XII

L'INCOMPARABLE LEONA


I

J'ai cognu une tres honneste dame qui a pris toutes les figures pour
charmer son monde. Aussi elle a toujours beaucoup d'amoureux comptant
pour rien, un mari qui voyage et peut-etre un amant, a moins qu'elle
n'en ait deux--simple jeu d'eventail!.--Elle defie la fortune et les
hivers, quoiqu'elle soit nee pauvre et que bien des printemps aient
passe sur sa figure. C'est que la fee la plus souriante l'a douee a son
berceau d'une vertu qui domine toutes les autres: la charmerie!

On ne peut pas la voir sans l'aimer, pour mille et une amorces. Elle est
belle quand elle n'est pas jolie, et elle est jolie quand elle n'est pas
belle. Dieu lui a donne une de ces figures parisiennes venues de Dijon,
de Reims ou de Rouen, qui prennent les coeurs, parce qu'elle reflete,
par je ne sais quel art savant, toutes les figures aimees, la Joconde
comme la Pompadour.

Le regard bleu est noye dans une volupte magnetique qui grise les
sceptiques; la bouche a des sourires qui vous prennent par leur charme
cruel et divin. Et, dans l'attitude, des serpentements inouis, des
ondulations perfides, des calineries de bete fauve, des abandonnements
qui jettent un homme a ses pieds comme un feu de mousqueterie.

Ceux qui ne sont pas la disent du mal d'elle; mais, des qu'ils lui ont
baise la main, ils deviennent des adorateurs. Quelques-uns veulent faire
les beaux, tout en prenant le grand air dedaigneux; mais, dans son
coffret d'ebene, elle a plie des lettres qui prouvent leur servage
cache.

Un prince celebre disait d'elle: "La premiere fois que je l'ai vue, il
m'est venu l'idee de la battre et de l'aimer."

Il l'a aimee, elle l'a battu.

Un peintre celebre voulut la representer en Diane ou en Venus, pour
mieux accentuer sa grace de deesse.

--Oui, dit-elle, mais debout.

--Pourquoi pas couchee.

--Non, debout.

--Dites-moi pourquoi?

--Pour me reposer.

Elle se calomniait pour faire un mot. Elle se calomniait, parce qu'elle
a ete plus souvent Minerve que Venus. Cependant, elle ne joue pas a la
femme savante. Un de ses amis lui disait: "Vous avez trop d'esprit."

--Chut, dit-elle, ne dites pas ca tout haut, car on ne m'aimerait plus.

Moliere et Goethe eussent applaudi a ce mot charmant, si feminin et
pourtant si profond: Il faut dire a l'homme: Cache ton bonheur; il faut
dire a la femme: Cache ton esprit.

La Bruyere aurait du plaisir a peindre cette adorable et irritante
creature, vraie femme de la cour de Versailles et de Trianon, quand les
Aspasies etaient de la cour; mais n'a-t-elle pas elle meme une cour?
Aujourd'hui qu'on a brule les Tuileries, ou trouverait-on un salon plus
royalement habite? Tous les jours, de cinq a six heures, ce qu'il y a
encore du tout-Paris de l'esprit, des arts, de l'armee et du sport,
vient dire son mot et prendre l'air de la mode: il y a la des
princes,--et des princes du sang,--des philosophes, des poetes, des
artistes, des sportsmen, des diplomates; mais non pas les premiers
venus, meme parmi les princes; il faut avoir marque par une oeuvre ou
par une action d'eclat pour avoir droit de cite chez l'archideesse.

Le vendredi, diner temporel et spirituel; beaucoup de fleurs, beaucoup
de railleries, beaucoup d'imprevu. Elle conduit elle-meme a causerie,
non pas sur la carte du Tendre, mais a travers tous les abimes, tous
les precipices, tous les casse-cou; tire-toi de la comme tu pourras. Au
dernier diner, Renan et Rochefort ont fait sauter Dieu et la societe;
aussi a-t-on dit que les diners de l'incomparable continuaient les
diners du vendredi de M. de Sainte-Beuve.


II

Mais ne nous attardons pas trop a vouloir peindre cette femme, que nul
ne connait bien et qui ne se connait pas elle-meme. Le philosophe a dit:
"Toutes les femmes sont la meme;" ce qui veut dire que dans toutes les
femmes, il y a une parcelle de la femme; car, au fond, l'ennemie de
l'homme est ondoyante et diverse.

Un soir, au dessert, notre tres honneste dame parut s'ennuyer.

--Vous avez beau rire, nous dit-elle, j'ai des nuages dans mon ciel,
toute la journee je me suis embetee academiquement; il me semblait,
comme disait Alfred de Musset, que j'etais sous la coupole de
l'Institut.

Renan defendit sa paroisse et promit a la dame de lui amener deux ou
trois academiciens de la plus haute gaiete.

--Eh bien! non, dit-elle, ce n'est pas mon esprit qui s'ennuie, c'est
mon coeur.

Son voisin de gauche mit doctement sa main sur le coeur de
l'incomparable, en lui disant:

--Il y a donc toujours quelque chose la?

Elle repondit par un coup d'eventail.

--Deux impertinences, dit-elle. Me croyez-vous de l'autre cote de l'eau,
comme les douairieres?

--Oh! pas du tout, vous etes la plus vaillante parmi les batailleuses de
la vie, mais je vous croyais revenue des betises du coeur.

--N'en revient pas qui veut, dit-elle avec un profond soupir.--Ou
plutot, reprit-elle en jetant tout autour un regard de flamme,--je sens
que pour etre belle il faut aimer.

--Comme il faut etre belle pour aimer, dit un prince en s'inclinant.

--Quand on veut aimer et qu'on a des amoureux, dit Henry, on est deja a
moitie chemin.

--Il y a, dit un general, beaucoup de femmes qui trouvent que c'est bien
assez d'etre aime.

--Quelle betise! dit Leona; etre aime c'est un supplice, et aimer c'est
une benediction. Etre aime, c'est a la portee de tout le monde. Mon
perruquier est adore de ma femme de chambre, comme mon cocher. Mais
aimer, voila l'oiseau rare, qui ne vient pas quand on l'appelle; allez
voir un peu si le rossignol qui chante dans les bois se fera prendre
pour chanter en votre cage!

--Eh bien! madame, aimez-nous, dit un jeune diplomate qui avait pris ses
grades chez Leonide Leblanc ou chez Alice Regnault.

La dame parut se recueillir.

--Je sens, reprit-elle, que je ne prendrai pas feu au premier coup de
foudre; j'ai deux fois vingt ans; mon coeur ne se donnera qu'a un homme
etrange qui aura fait une grande chose.

--Aimez M. de Lesseps.

--Non, j'aurais trop peur des enfants.

--Aimez M. de Brazza.

--Il est parti.

--Aimez Riviere, qui vous enchinoisera.

--C'est mon ami; je n'aime pas mes amis, ou plutot j'aime trop mes amis
pour les aimer, car vous savez que je suis fatale a ceux qui sont tombes
sous mon eventail.

Leona rappela que, dans les contes de fees, les princesses etaient bien
heureuses, puisque trois paladins partaient pour elles du meme pas a la
conquete de l'impossible.

Or, ce soir-la, tout le monde jura de tenter l'aventure et de se
surpasser, qui par un beau tableau, qui par un beau poeme, qui par une
victoire sur l'ennemi, qui par une victoire sur le champ de courses, qui
par ceci, qui par cela.

Renan promit d'avoir une entrevue avec Dieu, Rochefort jura qu'il
chasserait les vendeurs du temple.

Moyennant ces promesses, et beaucoup d'autres, Leona s'engagea sinon
a aimer, du moins a faire croire qu'elle aimerait celui d'entre ses
convives qui, au bout d'un an et un jour, aurait accompli la plus belle
oeuvre ou la plus belle action.

Ceci n'est pas un conte du vieux temps, c'est de l'histoire de 1882.


III

Au bout d'un an et un jour, c'etait encore le vendredi. Tout le monde se
retrouva. Pas un qui ne repondit a l'appel, hormis Riviere.

On s'etait remis a sa place accoutumee. Le commencement du diner fut
quelque peu solennel. Quoiqu'on n'eut pas pris au serieux les serments
de l'an passe, chacun de nous, pour amuser Leona, etait decide a lui
dire: "J'ai fait ceci, j'ai fait cela."

Leona prit la parole:

--Je commence par donner une larme a notre ami Henri Riviere mort en
heros. Lui donner une larme, c'est lui donner le prix. Mais puisqu'il
faut vivre avec le vivants, causons de notre tournoi, quoique le mot
soit bien demode. Il y a aujourd'hui un an et un jour, vous m'avez
promis, sans doute pour vous moquer de moi et pour m'amuser, de revenir
ici les mains pleines de vos hauts faits et de vos chefs-d'oeuvre
inspires par moi. J'ai pris cela au serieux. Qui d'entre vous s'en
souvient?

Plus d'un avait oublie, mais naturellement tout le monde affirma son
esclavage.

Le voisin de droite commenca:

--Voulez-vous savoir....

--Chut! dit-elle, je sais. Vous avez fait un beau livre ou vous vous
etes peint vous-meme avec tout l'accent de la verite--qui se voile;
--aussi je vais vous embrasser avec tout l'accent du coeur--qui se
cache.

Le philosophe fut embrasse sur les deux joues par ces levres rebelles
qui ne donnaient presque jamais et qui se donnaient moins encore.

--Eh bien! mon philosophe, reprit-elle, j'aimerai votre livre, ce qui
vous fera plus de plaisir que si je vous aimais moi-meme.

Elle se tourna vers son voisin de gauche:

--Et vous, mon general?

--Moi, j'ai conduit mes soldats au feu; ils ont tous ete braves, il n'y
a pas de quoi se glorifier; mais, un jour, les journaux vous l'ont dit;
je me suis trouve avec un capitaine et trois soldats, ce qui faisait en
tout quatre hommes et un caporal, dans une nuee d'Arabes, qui nous ont
assaillis comme des abeilles en fureur. J'ai perdu deux hommes, le
troisieme est aux Invalides, mon capitaine est defigure, j'ai ete blesse
a quatre reprises; mais les Arabes que j'ai touches ne se portent pas
bien. J'avais jure de diner ici, me voila; je n'ai fait que mon metier,
et je ne veux pas etre aime.

Leona embrassa le general:

--Eh bien! mon general, je vous aimerai plus en vous aimant moins;
d'ailleurs, que feriez-vous de moi, puisque vous allez repartir pour le
desert?

Et se tournant vers un romancier:

--Je sais ce que vous avez fait, le meilleur de vos romans; aussi je
vous ai aime toute une nuit.

--Oui, mais je n'etais pas la; donnez-moi ma revanche.

--Ah! c'est fini! Il fallait venir avec votre livre a la main.

--Oui, mais alors vous ne l'auriez pas lu et....

Et ainsi chacun eut son tour et son mot, chacun eut son baiser de
consolation.

--Vous, dit Leona a un peintre de marque, je vous ai aime tout un jour
au dernier Salon. Vous savez, mon ami, que votre Venus me ressemble
beaucoup.

--Je crois bien; je ne pensais qu'a vous.

--C'est risque ce que vous avez fait la, car j'ai l'air d'etre
deshabillee sur le rivage.

On put croire un instant que le peintre allait l'emporter et qu'elle se
deshabillerait pour lui sur le rivage. Ce n'etait certes pas le premier
venu. Il avait la figure de l'emploi; on parlait de ses succes dans le
monde comme de ses succes au Salon. Le ministre avait mis une fleur
rouge a son habit noir par amour de la couleur.

Ceux qui regardent bien, lisaient deja sur le front de Leona les pensees
amoureuses d'une belle desoeuvree qui trouve a peu pres son homme. Le
peintre, qui n'est pas fat a demi, dit a un de ses voisins, comme il
avait l'habitude de dire devant ses tableaux: _Ca y est_. Mais dans le
pays de la galanterie on batit toujours sur le sable.


IV

--Oh! mon Dieu, dit tout a coup Leona, j'oubliais Gontran.

C'etait un tout jeune Parisien, qui portait un nom celebre et qui ne
savait pas encore son chemin dans la vie.

Il leva la tete et regarda l'incomparable avec de beaux yeux qui
jetaient des flammes.

--C'est tout naturel qu'on m'oublie, dit-il tristement, puisque je n'ai
rien fait.

--Rien du tout?

--Rien du tout!

Il nous fut aise a tous de voir que ce jeune homme etait amoureux de la
dame, car depuis le commencement du diner, son regard avait rayonne sur
elle comme le soleil frappe le lac quand il a soif.

Gontran avait la paleur de ceux qui ont le coeur inquiet.

Il se troublait chaque fois que Leona disait un mot.

--Voyons, mon ami, reprit-elle, expliquez-moi pourquoi vous n'avez pas
suivi le programme de la maison; qu'avez-vous donc fait depuis un an et
un jour?

Gontran repondit:

--Je vous ai aimee.

L'incomparable n'alla pas embrasser celui-la, mais....

Mais a minuit, quand tout le monde fut parti, elle lui offrit de
chanter, avec elle _Plaisir d'amour_.

[Illustration: 256.png]




DIANE AU BAIN

[Illustration: 259.png]


XIII

DIANE AU BAIN


I

Mr Arnold de Montmartel se ruina avec les actrices, mais surtout avec
Nina la rousse. Que voulez-vous! Il ne respirait bien que dans les
coulisses et les avant-scenes.

Vous la connaissez cette Nina qui se croit comedienne et qui joue tous
ses roles avec ses yeux. On frappa Arnold d'un conseil judiciaire; ce
qui l'obligea bientot a retourner dans ses terres. C'est la supreme
ressource de tous ceux qui veulent vivre en se croisant les bras.

Noblesse oblige--a ne rien faire--hormis le metier de soldat. Arnold
s'y etait risque par son volontariat, disant qu'il se ferait heros si
l'occasion s'en presentait; mais son annee de prise d'armes fut toute
pacifique, et il jugea comme tant d'autres qu'il etait ridicule de
monter a cheval et de porter un sabre pour ne tuer que le temps.

Il revint a Paris et se jeta tete perdue dans le monde ou l'on s'amuse,
faisant du jour la nuit--et de la nuit le jour. On vit son nom trois ou
quatre fois dans les _Echos_ de Paris, parce qu'il eut deux duels et
qu'il fut de deux steeple-chase.

Le vrai steeple-chase, c'etait la course a la comedienne dont il avait
eu le malheur de faire le bonheur, c'est-a-dire la fortune. Maintenant,
il ne lui restait qu'a faire le tour de ses terres ou le-tour de son
chateau,--ou le tour de lui-meme pour se juger.

Il vecut seul pendant trois mois au chateau de Montmartel. Sa mere etait
chez une de ses filles a Biarritz; son pere, ministre de France en
Amerique, ne voulait plus qu'on lui parlat d'un tel fils.

Arnold n'aimait pas les livres, ne voulant lire que le livre de la vie;
aussi il s'ennuyait comme la nuit sans etoiles. Il meditait une nouvelle
bordee, sur Paris. Il ecrivait des lettres tour a tour railleuses et
eplorees a Mlle Nina, laquelle ne lui repondait jamais que par le
telegraphe, cette admirable invention qui nous prive au moins de lire
des romans par lettres.

J'ai voulu, par ces quelques mots, peindre l'etat de l'ame de M. de
Montmartel, que j'ai connu chez une femme a la mode, qui donnait a
diner et qui panachait sa table de viveurs, et de philosophes, dans son
insatiable curiosite.

Arnold se demandait s'il lui faudrait, en attendant qu'une vraie poignee
d'or lui retombat dans la main, se resigner a vivre ainsi en cenobite
dans le chateau silencieux ou l'on s'ennuyait en famille, temoin ses
ancetres en peinture qui semblaient tous jouer le role des chevaliers de
la triste figure.

Dans son desespoir, il appela un de ses amis, un decave comme lui, qui
profita de l'invitation pour dire a ses creanciers--et surtout a ses
creancieres des coulisses--qu'il allait faire un tour dans ses terres:
ce qui reconstitua presque son credit, car jusque-la on ne savait pas
de biens au soleil a ce Gascon, point hableur, ce qui lui donnait un
caractere.

Voila donc les deux amis bras dessus bras dessous dans l'avenue du
chateau.

--C'est merveilleux! ton manoir.

--Oui, mon cher, et bati sur les plans de Du Cerceau.

--Rien que ca? C'est amusant de vivre ici.

--Si amusant, que je m'y ennuie a mourir; mais puisque te voila, nous
nous ennuierons a deux.

--Ou a trois, reprit M. de Versillac, car Nina est bien capable de
pousser une pointe jusqu'ici.

--Oh! il ne faut pas qu'elle s'y hasarde.

--Pourquoi donc?

On etait arrive au haut du perron.

--Tu vas comprendre.

Arnold conduisit Versillac dans l'ancienne salle des gardes, qui n'etait
plus gardee que par les araignees.

--Des ancetres, s'ecria Versillac.

--Tu comprends, mon ami, que ces gens-la fronceraient joliment le
sourcil, si Nina venait leur faire un pied de nez.

--Oh! mon Dieu! jusqu'ici tu t'es si bien moque des remontrances de ton
pere et de ta mere, que tu te fiches pas mal de tes glorieux ascendants.


II

On dejeuna a fond de train. Versillac fit venir la cuisiniere pour la
complimenter; il daigna aussi, quoique Bordelais, feliciter Arnold sur
le vin de Champagne du chateau.

Apres le dejeuner, Arnold eut beau faire pour l'entrainer en pleine
campagne: Versillac avait decide qu'il pecherait a la ligne, il n'en
voulut point demordre, pour s'habituer aux moeurs agrestes ou pour faire
penitence.

On marcha jusqu'a la riviere qui etait au bout du parc. Versillac trouva
bientot un coin favorable pour jeter sa ligne. Arnold continua son
chemin tout en fumant.

A une demi-lieue de la, la riviere jette un de ses bras a travers le
parc du chateau de Belmarre, habite par les Saint-Amant, une ancienne
famille oubliee en province. Arnold ne connaissait ce chateau que de
loin, parce que les Saint-Amant et les Montmartel etaient en guerre
depuis un demi-siecle pour des limites de proprietes; aussi Arnold
eut-il la curiosite du fruit defendu quand il passa devant ce chateau
style Louis XV, qui souriait mieux aux passants que Montmartel. Le parc,
d'ailleurs, etait plus beau par le bras de riviere et plus touffu par
les vieux arbres. Aussi, ce jour-la, Arnold ne se crut-il pas oblige de
detourner les yeux devant une des grilles, qui n'etait pas d'ailleurs la
grille de la facade.

Il arrivait a temps, car une jeune fille vetue en heroine de roman,
bouquet de roses au corsage, chapeau frondeur sur une opulente
chevelure, l'oeil noir perdu dans un reve bleu, traversait alors la
grande allee pour s'enfoncer dans les massifs. C'etait comme une
apparition.

--Comme elle est jolie! murmura Arnold.

Mlle de Saint-Amant n'etait pas jolie, elle etait belle.

Elle marchait avec une grace supreme, parce qu'elle etait grande, mince,
souple, presque aerienne. Et pourtant, quoique sa robe fut flottante,
les seins et les hanches s'accusaient harmonieusement.

Elle disparut sous les ramees, sans se douter qu'elle eut ete en
spectacle. Pendant tout un quart d'heure, Arnold demeura le front contre
la grille, esperant que la jeune fille repasserait, mais elle ne reparut
pas.

Il finit par s'arracher a cette vision charmante. Quand il s'eloigna,
il retourna plus d'une fois la tete en redisant le vers de Theophile
Gautier:

  Tout mon bonheur est-il enferme la?

Il retrouva Versillac endormi sur la berge, ayant abandonne sa ligne aux
poissons.

--Que diable aussi, tu fais boire du vin de Champagne a un Bordelais. Et
toi, as-tu dormi?

--Non, moi, je reve tout eveille.

--A quoi reves-tu?

Arnold voulait parler, mais la parole s'arreta sur ses levres. Il lui
sembla qu'il ferait evanouir cette douce apparition s'il ouvrait sur
elle les yeux de Versillac. Il ne s'etait jamais passionne qu'aux
amours du steeple-chase, aux passions du casse-cou. Il se sentait tout
emparadise par sa belle voisine, ce contraste adorable des filles a la
mode.

Quand les deux amis furent de retour au chateau, Arnold prit un livre
pour echapper a Versillac, qui, de son cote, s'en alla droit a la
cuisine pour savoir de quoi il retournait par la, car il etait gourmand
comme pas un. D'apres le menu projete pour le soir, il jugea qu'on le
traitait trop sans facon; aussi prepara-t-il un plat de son metier, en
envoyant une depeche a Paris.

La reponse a la depeche ne se fit pas longtemps attendre.

Le lendemain, a l'heure du dejeuner, on fit arriver au chateau un
convive inattendu: c'etait Mlle Nina.

--Oui, mon ami, dit-elle en sautant au cou d'Arnold: ta petite Nina en
rupture de coulisses; vois-tu, la vraie comedie est celle ou le coeur
joue un role.

--Chut! dit Arnold. J'ai peur que ma mere ne revienne de Biarritz.

--Oui, cher, mais en attendant, nous allons faire sauter le chateau.
N'est-ce pas, Versillac?

Le Bordelais approuva, tout heureux de retrouver l'atmosphere de Paris
dans les senteurs penetrantes de Mlle Nina.

On dejeuna gaiement et tristement; a peine eut-on servi le cafe que le
maitre de la maison se leva et sortit comme si on l'eut appele. C'est
qu'il se sentait appele par Mlle de Saint-Amant; c'est qu'il y a des
voix pour le coeur comme pour l'oreille. En moins de vingt minutes,
Arnold se retrouva a la grille du chateau de Belmarre.

Il arrivait a point, car Mlle de Saint-Amand descendait du perron;
cette fois elle ne revait plus et elle marchait a grande vitesse, mais
toujours avec une grace ailee, avec une desinvolture ideale.

Comme la veille, elle suivit la grande allee, mais elle disparut bientot
sous les massifs.

Ou allait-elle? car on ne se promene pas quand on marche si vite. Arnold
contourna la grande haie du parc pendant quelques secondes, esperant
suivre la jeune fille des yeux; mais tout d'un coup, une vieille
muraille se dressa devant lui. Ce n'etait pas la grande muraille de la
Chine; aussi Arnold qui avait fait ses preuves au cirque Molier sauta
sur la croupe comme sur celle d'un cheval. Il avait trouve sa stalle
pour le plus beau spectacle du monde. Une fois monte sur le vieux
mur, il fut ebloui par la reverberation du soleil sur un etang qu'il
entrevoyait a travers les branches flottantes des tilleuls, des frenes
et des saules. On eut dit des jeux de lumiere de Rousseau et de Diaz,
tant la feuillee riait et flamboyait.

Ce n'etait que le decor. Tout en regardant les menus details, Arnold vit
se dessiner un cygne sur l'etang. Il pensa alors que Mlle de Saint-Amant
etait peut-etre venue la pour le gouter du cygne, mais il ne la voyait
pas.

La solitude etait charmante, le merle malin sifflait le coucou, le
rossignol jaloux etouffait la voix de la fauvette a tete noire. Toute
une orchestration rustique.

--La voila, dit tout a coup Arnold ravi.

Il etait deux fois ravi, car non seulement il avait entrevu, grace a
un coup de vent qui detournait les branches, Mlle de Saint-Amant, mais
encore il comprit qu'elle etait venue pour se baigner. Elle se trouvait
a la porte d'un tout petit pavillon ou sans doute elle avait
l'habitude de se deshabiller, mais ce jour-la elle se contentait d'une
anfractuosite de rochers artificiels. Deja elle avait jete son grand
chapeau a la Marie-Antoinette et sa pelisse de laine blanche qui
recouvrait une simple robe de chambre rouge, a peine retenue par une
ceinture d'argent.

La ceinture degrafee, il ne resta que la chemise, un nuage transparent.

Mlle de Saint-Amant avait trop le sentiment de l'art pour se baigner
dans un parc solitaire avec cet abominable costume de bain qui deshonore
la beaute corporelle. Elle ne se croyait certes pas en spectacle; mais
ne se voyait-elle pas elle-meme? Pourquoi offenser ses yeux.

D'ailleurs il lui semblait que dans la solitude il y avait toute une
peuplade d'oiseaux, de papillons et de fleurs, familiere a la beaute des
choses visibles.

Arnold etait aux anges, il eut paye sa place d'une annee de sa vie.
A chaque mouvement de la jeune fille, il decidait que c'etait la un
chef-d'oeuvre d'art vivant. On n'avait jamais modele une statue avec
plus de genie; tout avait son caractere et sa grace; les lignes
serpentaient en ondulations charmantes. Les hauts reliefs s'accusaient,
ni trop ni trop peu, par une precision exquise. Arnold croyait voir a la
fois Venus Astarte marchant sur les ondes et Diane chasseresse fuyant
dans la foret.

Par malheur, selon les caprices du vent, les branches voilaient plutot
qu'elles ne devoilaient ces miracles de seduction. La chemise ne fut pas
plus tot jetee sur l'herbe que Mlle de Saint-Amant se precipita dans
l'etang, dont l'eau toute fremissante la baisa de ses mille levres, la
cachant a demi. Mais comme Arnold l'avait vue de face, il n'etait pas
fache de la voir d'un autre cote, car Dieu fit si bien tout ce qu'il fit
qu'une femme est belle a voir au nord comme au midi, a l'orient comme
a l'occident, temoin le groupe des _Trois Graces_, temoin les deux
_Odalisques_ d'Ingres, temoin _le Lever_ de Van Loo et _le Coucher_ de
Chaplain. Un voluptueux disait: "Ce qui me fait douter d'un autre monde,
c'est que la beaute de la femme est parfaite dans celui-ci."

Pendant que M. de Montmartel etait si heureux de cette perspective
adorable, Mlle de Saint-Amant etait desesperee; aussi ne la vit-il qu'a
la surface?

Elle s'abritait tout a coup sous les grands roseaux. Ce n'etait pas pour
chercher l'ombre: elle avait vu Arnold sur le mur. Je peindrais mal sa
colere soudaine. Que faire, sinon se cacher dans l'eau et contre la
rive? Elle n'avait pas, comme Diane, sa vengeance toute prete. Certes
elle eut bien voulu changer M. de Montmartel en cerf, pour qu'il se
sauvat a toutes jambes.

Heureusement Versillac et Mlle Nina la debarrasserent de cet importun;
mais le coup etait porte.

Arnold ne detournait pas la tete lorsqu'il entendit rire a quelques
pas dans la campagne. C'etaient Versillac et Nina. Il aurait voulu les
foudroyer; on peut juger de sa fureur quand Versillac accourut pour
sauter lui aussi sur le mur.

--Attends! lui dit Nina, tu me feras la courte echelle.

Heureusement Versillac etait gris: a peine sur le mur, il retomba a
terre. Arnold eut beau lui dire: Chut! et lui faire signe de se tenir
coi, le Gascon voulait etre de la comedie. Il tenta encore l'aventure;
mais Arnold sauta a terre, le prit par les pieds et le rejeta dans sa
colere a quelques pas du mur.

C'est que ce n'etait pas pour le libertinage des yeux qu'il etait reste
la: il se fut offense qu'un deprave comme Versillac depoetisat ce
beau corps virginal par un regard impur. Lui, au moins, temperait sa
curiosite par l'adoration. Deja l'idee d'epouser Mlle de Saint-Amant
lui donnait l'aureole du bonheur. Jusque-la il avait eu des femmes sans
comprendre les divines pudeurs de l'amour, mais il venait, comme par
miracle, d'etre initie a tous les chastes tresors que doit reveler le
mariage.

Or, que faire de Versillac et de Nina? Il fallait commencer a tout prix
par les eloigner de ce chateau enchante. Il leur dit qu'il etait la,
etudiant la valeur des arbres du parc de Belmarre, parce que tout le
domaine etait a vendre. Versillac aurait bien voulu lui-meme faire son
estimation, mais Arnold le prit par le bras pour l'entrainer bien vite,
pendant que Nina effeuillait des marguerites.

Au diner, on trouva bien morose le maitre de la maison, on menaca de le
laisser a sa solitude, il prit la balle au bond, sous pretexte qu'il
avait peur d'une surprise de sa mere. Le lendemain matin, les oiseaux
s'envolerent, aile dessus aile dessous: Versillac avec dix louis que lui
preta son ami, Nina avec une miniature de Beaudouin et deux eventails
anciens qu'elle avait trouves dans sa chambre. Il ne faut jamais perdre
son temps.


III

Cependant, des que Mlle de Saint-Amant avait vu disparaitre Arnold, elle
s'etait hatee de remettre sa chemise tiede encore et sa robe flottante
pour reprendre le chemin du chateau. Elle etait si confuse et si desolee
qu'elle passa par les sentiers les plus sombres, presque a travers les
aulnaies et les epines, tant elle avait peur de la lumiere. Elle n'osa
pas se montrer au perron. Elle rentra par la porte de l'office et courut
s'enfermer dans sa chambre. La fille de Jephte gravissait la montagne
pour aller pleurer sa virginite: Mlle de Saint-Amant, qui se sentait
violee par le regard d'Arnold comme Nausicaa par le regard d'Ulysse,
cacha sa honte dans le coin le plus obscur de sa chambre.

Au diner, sa mere fut effrayee de la voir si pale; Diane parla d'une
migraine. Le lendemain, sa figure etait plus ravagee encore, car elle
n'avait pas dormi. Elle ne pouvait s'habituer a cet effeuillement de
sa pudeur. Elle aurait voulu mourir, mais, meme dans la mort, il lui
semblait que son linceul serait profane, tant elle avait au plus haut
degre le sentiment de la splendeur virginale.

Comment avoir raison de cet outrage? Comment se venger de cet homme
qu'elle croyait, comme tous les siens, l'ennemi de sa famille? Elle pria
Dieu, comme si la justice de Dieu frappait de telles felonies.

Diane avait ses cahiers roses et ses cahiers bleus: des confidents muets
de ses joies et de ses peines. Ce jour-la, elle prit un cahier noir.
Elle se confessait bien plus a elle-meme qu'a son confesseur. Voici une
page ecrite aux premieres secousses de son indignation.

"Je suis exasperee! j'ai vecu dans la fievre depuis cette apres-midi. Je
me croyais dans le parc comme dans une salle de bain; ma mere m'avait
pourtant avertie du danger. Un etranger, un ennemi m'a surprise au
moment ou je descendais dans l'etang. C'en est fait de toutes mes
illusions. Je suis empechee a tout jamais d'etre heureuse, car je ne me
sens plus dans l'atmosphere virginale des jeunes filles. Je me hais et
je hais M. de "Montmartel! O mes larmes! mes larmes!"

Le desespoir de Mlle de Saint-Amant fut si profond qu'un peu plus elle
se refugiait au couvent pour trouver une retraite inaccessible.


IV

Des que Nina et Versillac furent partis, Arnold s'en fut tout droit chez
le cure de Belmarre qui avait ete un instant son precepteur.

--Mon cher maitre, je renonce a Satan, a ses pompes, a ses oeuvres. Je
suis eperdument amoureux de Mlle de Saint-Amant. Nos familles sont des
Capulet et des Montaigu, il faut effacer ces haines par un mariage qui
sauvera ma jeunesse et qui fera la joie de mon coeur.

Le cure, quelque peu surpris, demanda a Arnold ou il avait vu Mlle de
Saint-Amant. Un peu plus Arnold repondait "au bain", mais il se reprit
et dit "a la messe". Ce mot lui regagna le coeur de l'homme en soutane.

--Vous a-t-elle vu?

--Jamais! Mais je sens a mon coeur qu'elle daignera m'ecouter; sa mere
non plus ne sera pas bien feroce, car vous vous souvenez qu'il y a sept
ou huit ans, je l'ai sauvee d'un grand peril en me jetant a la tete de
ses chevaux.

--Oui, mais depuis vous avez chasse sur ses terres. Enfin, puisque c'est
pour le bon motif, je veux bien me mettre en campagne.

--Vous direz a la jeune fille....

--N'allons pas si vite, vous prenez feu et flamme comme un fagot de la
Saint-Jean. Je vous promets d'aller tout a l'heure au chateau.

--Dites a la mere que je fais mes Paques.

Le cure ne put s'empecher de sourire.

--Taisez-vous, profane, ou je ne preche pas pour vous.

Le soir, le cure de Belmarre vint au chateau de Montmartel et conta a
Arnold que tout n'etait pas desespere. La mere avait jete de hauts cris
et la fille avait dit qu'elle sacrifierait bien tous ses aspirants
pour devenir la comtesse de Montmartel. Elle etait offensee de la vie
endiablee de M. Arnold a Paris, mais elle avait une raison pour vouloir
l'epouser. "Quelle raison? avait demandera mere.--C'est mon secret,"
avait repondu la fille.

Quelle pouvait bien etre cette raison? Arnold y perdit son latin et
celui de M. le cure.


V

Je ne dirai pas le mot a mot des preliminaires du mariage. Arnold
s'evertua a triompher de tous les obstacles. Ce ne fut pas sans peine;
il fallut d'abord rapprocher les familles, ce qui se fit grace au genie
de Mlle de Saint-Amant qui mit en avant un grand personnage a qui on
n'avait rien a refuser. On fit dix fois par jour jouer le telegraphe;
les haines s'adoucissent a distance. M. de Montmartel, qui n'etait pas
content d'un fils prodigue, fut presque heureux de le savoir a mi-chemin
d'un mariage avec Mlle de Saint-Amant.

Mme de Montmartel qui etait revenue de Biarritz en toute vapeur presenta
son fils, apres avoir fait une visite quelque peu humiliante a Mme
de Saint-Amant. Beaucoup d'obstacles, beaucoup de _va-et-vient_, des
remontrances de la mere, des larmes de la fille. L'eloquence des larmes
l'emporte toujours. Le mariage fut decide et fixe au jour de la fele de
Mme de Saint-Amant, sur la fin de novembre.

Arnold, qui ne quittait plus Montmartel, ne vint a Paris que pour la
corbeille. Naturellement il y rencontra Versillac.

--On dit que tu te maries? chanta le Gascon; je t'en fais mon
compliment.

--Pourquoi?

--Ta fiancee est adorablement belle.

Quoique Arnold, mecontent du sejour de Versillac chez lui, voulut le
tenir a distance, il ne put s'empecher de lui demander ou il avait vu
Mlle de Saint-Amant.

--Tu ne te souviens pas?

Arnold semblait chercher.

--Voyons, tu as oublie le jour ou je t'ai vu juche sur un mur? Te
figures-tu donc que je n'ai pas eu l'esprit de chercher a voir ce que tu
voyais....

--Je ne comprends pas.

--Eh bien, j'ai vu comme toi Mlle de Saint-Amant qui se baignait plus
blanche que son cygne--non pas dans la pose de Leda.

Arnold se retint pour ne pas sauter a la gorge de Versillac. Apres tout,
le soleil luit pour tout le monde, meme quand les femmes sont au bain.

--Tu sais que je m'invite aux noces, reprit Versillac, car je veux voir
ta femme en robe de mariee?

Arnold pensa qu'en parlant de robe, Versillac faisait allusion au
deshabille de Mlle de Saint-Amant au bord de l'etang, prete a aller
retrouver son cygne.

De son gant il souffleta Versillac.

--Je vous defends de parler ainsi.

Le lendemain Mlle de Saint-Amant apprit par une depeche que son fiance
avait donne un coup d'epee a un de ses amis dans un duel sans merci
apres trois reprises sanglantes.

Versillac fut laisse pour mort. Il eut alors un bon mouvement: il mentit
pour la premiere fois de sa vie. Il ecrivit a Arnold:

"Si je t'ai offense, c'est sans le vouloir, mon cher ami. C'etait donc
un crime de voir Mlle de Saint-Amant, tout habillee, jetant du pain a
son cygne?"

Arnold alla embrasser Versillac qui lui dit:

--Vois-tu, Arnold, il faut etre bon diable dans l'amitie. Ainsi si Nina
se jetait a travers ton mariage, je l'enleverais!

Ce duel jeta pourtant un nuage sur les jours qui precederent le mariage.
"Pourquoi vous etes-vous battu?" demandait sans cesse la fiancee a
Arnold. Il repondait invariablement: "Pour une offense."

Le jour des noces, le nuage fut dissipe, le soleil des beaux jours
rayonna sur les epouses.


VI

Le lendemain, au point du jour, Mlle de Saint-Amant se souleva sur le
lit nuptial et regarda le feu qui brulait encore, car on avait jete dans
l'atre des buches de Noel.

--Dieu soit loue! dit Arnold qui se reveillait d'un demi-sommeil;
j'avais peur que ce ne fut qu'un reve.

--Et si ce n'etait qu'un reve?

Arnold regarda Diane avec inquietude. Elle se leva majestueusement, dans
l'attitude ou il l'avait vue toute nue au bord de l'etang.

--Arnold, le jour ou je vous ai donne ma main, je ne vous ai pas donne
mon coeur, car je ne vous aimais pas.

--Vous ne m'aimiez pas?

--Non, parce que vous m'avez surprise au bain.

Elle rouvrit ses bras a Arnold:

--Mais maintenant je vous aime.

--Pourquoi, Diane?

--Parce que vous etes dans mon lit.

Moralite du mariage selon Xenophon.

[Illustration: 282.png]




TABLE


MADEMOISELLE SALOME

JANINA

LE HUITIEME PECHE CAPITAL

LE STOICISME D'UNE PARISIENNE

TROIS PAGES DE LA VIE DE VALLIA

LE VIOLON VOILE

L'HOSPITALITE ECOSSAISE

LA SIXIEME LUNE DE MIEL

LES VISIONS DE LUCIA

IL NE FAUT JURER DE RIEN

LA FEMME COUCHEE

L'INCOMPARABLE LEONA

DIANE AU BAIN



GRAVURES

_On ne donnera pas ici les titres ni les sujets des gravures qui
enrichissent ce recueil. Le lecteur les devinera dans le crayon charmant
de H. de Hem, qui si longtemps a ete le Gavarni de la_ VIE PARISIENNE;
_de Ferdinand Bac, de Mars, de Mlle de Solar, qui avec H. de Hem
representent si spirituellement les belles mondaines de_ L'ART ET LA
MODE. _Ils ont acheve de donner a ces_ Douze Nouvelles _nouvelles
l'expression toute parisienne des aventures romanesques des dernieres
saisons._

[Illustration: 284.png]





End of Project Gutenberg's Les douze nouvelles nouvelles, by Arsene Houssaye

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